IV. OURAGANS SUR LES JEUX EN EUROPE : LE TEMPS DES PROGRÈS ET DES PROCÈS
A. LE CLIMAT DU MONDE DES JEUX EST PROFONDÉMENT PERTURBÉ
Il s'agit ici de la partie la plus « ardue » de ce rapport. Elle contrastera beaucoup avec le rapport I de 2002, dans lequel les conflits évoqués étaient rares et limités au dialogue (ou absence de dialogue) entre l'Etat et les opérateurs français.
Force est de constater que le climat est tout autre en 2006.
D'une part nombre de problèmes, qui n'ont pas été résolus depuis 2002 (notre rapport en avait pourtant précisé plusieurs), pèsent sur les relations Etat/casinos, casinos/FDJ, casinos/PMU, Etat/FDJ, particuliers/casinos, etc... Le tout se déroule dans un contexte où la stagnation des chiffres d'affaires des casinos contraste avec les bons résultats des autres opérateurs (ce qui exacerbe les griefs).
Pour votre rapporteur, la détérioration de ces rapports découle directement de la non-résolution de certains problèmes et des dérives qui en découlent.
Le principal n'est pourtant pas là : l'irruption fracassante des nouvelles technologies dans le domaine des jeux est en train de bouleverser la donne et fait monter sur le ring de nouveaux concurrents opposés aux monopoles français. Certains de ces concurrents sont d'autant plus redoutables qu'ils semblent apporter beaucoup de sérieux dans les affaires, une grande agressivité commerciale, et qu'ils s'appuient sur des cabinets de juristes ultra compétents.
La nature complexe de certains débats juridiques (droit européen de surcroît) rend difficile leur analyse. Les conflits seront ici plus évoqués que détaillés - encore moins commentés. Il faudra en revanche, absolument retenir les points les plus préoccupants pour le cas où ces procédures remettraient en cause les principes régaliens qui dominent le jeu en France ou compromettraient les équilibres sociaux et économiques que notre pays est parvenu à établir dans ce domaine.
Il ne faut nourrir aucune illusion : les problèmes sont graves , les risques et leurs conséquences considérables, les échéances proches et les solutions pour l'Etat difficiles à dégager.
Le rôle de tous, Parlement compris, est d'aider celui-ci à affronter ces menaces 51 ( * ) et à construire cette nouvelle phase de sa mission d'ordre public : une nouvelle politique des jeux en quelque sorte.
B. INTERNET GÉNIAL FAUTEUR DE TROUBLES
Le rapport I (2002) ne consacrait que peu de pages à internet, tout en soulignant l'extrême danger de concurrence que la toile faisait courir aux opérateurs en place en France (et dans le monde) et l'urgence pour l'Etat français, de prendre la mesure de ce phénomène considérable et incontournable et d'adopter une politique adaptée.
Il est clair qu'en 2006 la situation a fortement évolué. On est entré dans une période faite à la fois de progrès considérables sur le plan technologique, de l'apparition d'un nombre important de nouveaux opérateurs ambitieux, créateurs de sites très perfectionnés, d'investissements majeurs, de polémiques et de procès.
Quelles questions faut-il se poser sur le sujet ? Elles portent essentiellement sur l'ampleur d'internet, ses composantes, la fiabilité des sites, leur stratégie et les risques qu'ils font éventuellement courir à l'ordre public.
Sans oublier les facteurs de « séduction », d'attractivité du jeu en ligne : l'économie des déplacements, l'intimité gratuite du logement, l'absence de taxes se traduisant (peut-être) par un TRJ plus juteux, la possibilité de contourner (si le site est laxiste) les interdictions de jeu et le barrage aux mineurs, la magie de l'ordinateur.
Le séisme internet - les sites de jeux - leurs performances - le marché français - les joueurs français sur internet - que dit la loi ? - comment fonctionnent les sites ?
Sont-ils fiables ? - Quid du « clash » des clubs de la Ligue 1 en juillet 2006 ? - Quels jeux offrent les sites ? - Quelle est leur stratégie de développement ? - Où sont les risques ?
1. Internet est un phénomène d'une très grande ampleur
« Le développement d'internet a fait exploser le cadre légal et le marché des jeux d'argent, qu'il s'agisse de paris sportifs ou de jeux de casinos » 52 ( * ) .
Il est fort difficile de cerner les tailles et les rayons d'action des sociétés qui travaillent sur le Net. La plupart de ceux qui écrivent sur le sujet finissent, face à ces difficultés, par se contenter de reproduire des compilations de données ni complètes, ni cohérentes entre elles, encore moins sûres et fiables.
Comme le dit l'un des intervenants « 90 % de cette activité est clandestine » .
Bwin (anciennement Bet and Win), parlant du marché français, le situe « dans le top 10 mondial » et le crédite d'un gros potentiel.
Les sites offrant des jeux sont très nombreux mais nul n'en connaît le nombre exact. L'estimation est difficile : Google en présente 219 à lui seul. On en suppute 2.000 en 2006, en rappelant les estimations de 2001 : 1 400 sites et 2,2 milliards de dollars US de chiffre d'affaires.
Ils sont présents en France de manière virtuelle mais sans y être installés, échappent ainsi à la législation française et ne sont donc pas soumis à la loi Perben. L'Etat ne peut ni contrôler leurs activités, ni les taxer.
La plupart des pays européens adoptent la même attitude que la France ; les sites sont illégaux. Mais la Grande-Bretagne les a légalisés afin de « rapatrier » les bookmakers britanniques qui s'étaient expatriés à Gibraltar et qui ne consentaient à repasser le Channel qu'en échange de cette légalisation... et d'avantages fiscaux.
A la fin de l'été 2006, la Belgique s'apprêterait à légiférer dans le but d'accorder des licences (sur internet) de plein droit pour des paris sportifs et de casinos virtuels aux casinos « en dur » (affaire à suivre).
Leurs activités sont d'ores et déjà impressionnantes puisque, selon une étude de MECN (datant de décembre 2004), réseau d'experts travaillant pour Gambling Industries qui réunit 47 entreprises représentatives du jeu, l'Europe serait l'un des marchés les plus prometteurs pour le jeu en ligne .
Bwin , fin 2004, annonçait 2 millions de joueurs sur un site travaillant en 19 langues, un chiffre d'affaires de 993 millions d'euros courants 2005, et une diversité étonnante d'offres de paris (base-ball mexicain, concours de fléchettes au Pays-de-Galles, cricket au Pakistan ou course de lévriers en Angleterre). Ce rapport n'est pas destiné à faire la communication de tel ou tel site; pourtant il semble utile de tenter une présentation un peu complète de l'un d'entre eux.
Bwin fait donc l'objet d'une étude développée (voir annexe).
Selon Chris Tanner Capital Advisor, les revenus mondiaux générés par ce secteur étaient de 8,2 milliards de dollars US en 2004 (6,6 milliards d'euros) soit 3,4 % du chiffre d'affaires des jeux correspondants, de 12 milliards de dollars US en 2005 (9,9 milliards d'euros), la prévision pour 2009 est de 22,7 milliards de dollars US (18,2 milliards d'euros).
Avec une telle base on aboutirait, pour 2009 à un chiffre d'affaires de 667 milliards de dollars US (525 milliards d'euros) !!!
Jupiter Research, le chiffre d'affaires des paris sportifs en 2005 en Europe de l'Ouest, était de 3,2 milliards d'euros en 2005 et sera de 7,2 milliards d'euros en 2009.
Ce marché mondial des jeux en ligne, pour sa part, passera de 10 milliards de dollars US en 2002 à 14,5 milliards de dollars US en 2006, cette activité étant à 90 % clandestine.
On peut citer :
- MrBookmaker est basé à Malte.
- Sportingbet qui déclare 2,7 millions de clients dans le monde soit une augmentation de 123 % par rapport à l'exercice précédent.
Les analystes de Merrill Lynch prévoient, quant à eux, 150 milliards de dollars US de paris sportifs en ligne pour en 2015.
Le Groupe Partygaming , crée en 1997, site de poker en ligne (site PartyPoker.com qui contrôle 54 % du marché mondial), est basé à Gibraltar et coté en bourse à Londres ; sa capitalisation atteint 8 milliards d'euros (plus que celle de British Airways - deux fois celle d'Air France !). Il déclare 58 % de marge nette et son revenu devrait atteindre 800 millions d'euros. Il emploie 1.100 salariés. Il est vrai que le poker, sous ses différentes formes, est le jeu qui se développe le plus rapidement. Tout y contribue : le jeu, le jeu en ligne, et la retransmission des compétitions à la télévision.
En 2005, les sommes misées sont estimées à 60 milliards de dollars US.
- Stanley Leasure veut s'implanter en France ; géant du divertissement basé à Liverpool, il réalise un chiffre d'affaires de 1 milliard de livres. C'est cette société qui a engagé le fer en Italie (voir arrêt Gambelli et ses suites).
M. John Whittaker, en charge des courses de chevaux, harcèle le PMU de M. Bertrand Belinguier et lit l'arrêt Gambelli selon ses intérêts, reçoit les paris dans ses magasins italiens mais les gère depuis l'Angleterre, et interprète le jugement de la Cour de justice des communautés (CJCE) comme « une décision qui nous permet de nous installer en France ».
- Il serait injuste de ne pas citer en bonne place le portail, le site internet, de la FDJ.
Même s'il ne lui apportait que 0,3 % de son chiffre d'affaires en 2004, il comptait 350.000 comptes ouverts et 1,6 million de visites en décembre 2004, et 800.000 joueurs inscrits en 2006.
Ces résultats, dont la FDJ elle-même, tient par prudence à afficher la modestie, ne manquent pas d'exaspérer les casinos écartés d'internet.
Des sociétés de communication étrangères situent très haut ce site dans la hiérarchie des loteries sur internet contrairement à ce que pourrait faire penser cette humilité.
- Game bookers , filiale de Party Gaming, leader du jeu en ligne, déclare 270.000 inscrits sur son site dont 56.000 actifs, et 15 % de Français dont il dit : « Ce sont d'excellents joueurs, bien entraînés au jeu en ligne par la FDJ (sic) et qui jouent plus, avec 8 euros, plus que la moyenne (5,8 euros ) ».
Il évalue le chiffre d'affaires des paris sportifs européens à 12 millions de livres par an.
Pour John O'Malia, directeur général, « les vieux monopoles n'ont plus d'avenir. Nous sommes dans une période intermédiaire où tout n'est pas encore décidé, mais nous estimons que nos licences nous permettent d'être utilisés par n'importe quel citoyen européen ».
Tous les chiffres qui précèdent sont donnés avec les plus extrêmes réserves faute de certitudes et de la moindre statistique officielle.
De plus, dans le climat de guérilla qui règne dans le secteur, chacun des protagonistes fait étalage de sa puissance, de ses armes et de sa détermination ; la fiabilité des chiffres annoncés (gonflés ?) en souffre quelque peu.
Ce qui est sûr, c'est que jouent dans la croissance considérable de ces chiffres, l'arrêt Gambelli, les évolutions de certaines législations, la multiplicité des casinos et des MAS, mais aussi le développement des bandes passantes et des comptes en ligne.
La pénétration sur le marché français est très difficile à apprécier :
Quelles sont les données dont nous disposons?
42,7 % des ménages français sont raccordés à internet, dont 32 % avec des liaisons à haut débit. Ce pourcentage était, selon Eurostat, de 53 % dans l'Europe des quinze, 48 % dans l'Europe des vingt-cinq, il atteignait 50 % en Belgique, 75 % au Danemark, 67 % en Allemagne, 36 % en Espagne et 22 % en Grèce, etc...
Selon Médiamétrie/Netratings, les quatre principaux sites francophones ont attiré, à eux seuls, 2,2 millions de visiteurs en novembre 2005 contre 2 à celui de la FDJ.
Une étude réalise une approche intéressante et procède ainsi :
Neuf pays européens, à eux seuls représentent 220 millions d'habitants (France, Allemagne, Italie, Pays Bas, Pologne, Portugal, Espagne, Suède, et la GB).
La population française concernée est égale à 14 % de l'UE à 25 et 15 % de l'UE à 15, soit environ 33 millions d'habitants.
L'enquête conclut à une estimation de 500.000 joueurs jouant depuis la France 53 ( * ) .
Devant la taille de ces marchés on comprend mieux celle des enjeux et l'appétit des compétiteurs !
Que dit la loi ?
Aucun site (à l'exception de ceux de la FDJ et du PMU) n'a le droit d'exercer ses activités en France ou pour des gens jouant en France : leur activité est illégale.
Un joueur français, résidant en France, n'a pas le droit de jouer sur un site.
Un opérateur français n'a pas le droit d'ouvrir un site socialement domicilié en France mais il le fait avec une licence dans un pays étranger accueillant... et fiscalement moins gourmand.
De toutes les façons les gains aux jeux ne sont pas imposables sauf si le gain est suffisamment important pour relever d'emblée de l'ISF ou faire atteindre son seuil au gagnant.
* 51 C'est peut être le cas déjà, mais comment le savoir ? L'Etat communique trop peu !
* 52 Eric Champel - L'Equipe - 16 décembre 2005.
* 53 Population de l'UE à 25 pays : 459.488.400
Population de l'UE à 15 pays : 385.383.400
Population de la France : 60.561.200