2. Actions de différents intervenants

Ces actions émanent :

- d'initiatives individuelles ;

- des psychiatres, psychologues, hôpitaux, universitaires et sociologues ;

- des pouvoirs publics ;

- des opérateurs de jeux ;

- des familles et de l'environnement du joueur.

a) Si votre rapporteur cite en premier, parmi les intervenants, les initiatives individuelles , ce n'est que justice.

Ici, comme dans de nombreux domaines touchant à la santé ou à l'action humanitaire, les initiatives individuelles auront précédé l'action publique, contribuant à sensibiliser celle-ci, mais aussi auront créé de toutes pièces les premières structures de prévention, d'assistance ou de traitement.

C'est ainsi qu'a agi Mme Armelle Achour , psychologue, quand elle a créé l'association « Sos Joueurs » en 1990.

Sa profession de psychologue lui avait fait rencontrer des joueurs dépendants. Personne ne l'a sollicitée de faire quoi que ce soit... sauf ceux-ci.

Cette association a accueilli entre 1990 et 1997 un bon millier de personnes.

Elle propose une aide psychologique, sociale et juridique avec des réunions hebdomadaires, l'orchestration de groupes de parole, des études du surendettement.

Elle est organisée, efficace et patiente !

Quand votre rapporteur l'a rencontrée en 2000, elle agissait, seule ou presque certes, mais elle agissait, faisait connaître son action et faisait découvrir le phénomène de la dépendance.

Elle a été convaincante et les premières aides financières ont commencé à lui parvenir... Au compte-gouttes. On verra lesquelles.

Aujourd'hui, elle fait autorité, est écoutée et sollicitée de créer des antennes de SOS Joueurs à Nice, Lyon...

On ne saurait comparer à « SOS Joueurs », la société Adictel, créée et gérée par M. Eric Bouhanna ou l'Institut du jeu excessif de M. Pierre Perret , parce que leurs principes, leurs structures et leurs méthodes diffèrent.

L'essentiel est qu'ils existent car ils n'ont pas beaucoup d'imitateurs.

Comme il n'y a pas de catalogue du jeu et de ceux qui oeuvrent dans ce domaine, votre rapporteur ne peut ici citer d'autres associations : elles existent sûrement, qu'elles pardonnent cette lacune et se fassent connaître.

Si la France était dotée d'un Observatoire officiel des jeux, on n'en serait pas là !

Votre rapporteur est reconnaissant au Dr Marc Valleur et au Pr Martignoni-Hutin (voir plus haut) d'avoir joué dans ce domaine les précurseurs.

Dans les initiatives individuelles, on doit citer ensuite l'Institut du jeu excessif, crée par M. Pierre Perret.

Motivé par des raisons personnelles, M. Pierre Perret a posé les bases, poussé les études, créée des équipes, publié, avant de se manifester et de fonder cet institut.

M. Pierre Perret a imaginé des programmes de formation à la dépendance des personnels et des cadres des casinos (voir plus haut).

b) Psychiatres, psychologues, hôpitaux, universitaires

Dans le domaine de la santé publique et sociale, prédominent également, pour l'instant, les initiatives individuelles, par trop isolées encore.

Les psychiatres ont découvert le problème de la dépendance et sa gravité, commencé à explorer son domaine, rassemblé et traité leurs premiers malades, ouvert des consultations, et spécialisé des services hospitaliers.

Les psychologues, sur leur terrain, ont suivi la même démarche et, pour certains, se sont spécialisés avec bonheur.

On les retrouve, précis et efficaces, dans les structures de formation à la prévention des personnels des casinos.

On doit admettre que les directeurs d'hôpitaux, sous la pression de leurs psychiatres, prennent en compte de plus en plus souvent cette nouvelle pathologie et acceptent l'ouverture de secteurs spécialisés, de consultations.

Ils sont en avance, car il est peu probable qu'ils aient reçu par circulaires, ou par notes internes, la moindre recommandation dans ce sens de leur tutelle.

On doit ambitionner que, d'ici peu, cette prise en compte se généralise et que le ministère de la santé s'emploie à encourager systématiquement de telles initiatives sinon à les exiger.

Votre rapporteur considère comme de son devoir de l'y pousser en espérant ne pas être le seul à le faire.

Les contrats de soins entre casinos et établissements hospitaliers

Dans plusieurs cas, des groupes de casinos ont établi des contrats de soins avec des établissements hospitaliers. C'est le cas de :

- groupe Barrière - Casino d'Enghien - CHU Louis Mourier de Colombes

- groupe Partouche - Palavas et la Grande-Motte - Clinique Rech de Montpellier

- groupe Meyrieu - Salies du Salat - Association Clémence Isaure de Toulouse

- casinos de Hyères, Nice et Mandelieu - CH Pasteur de Nice

Il vous rapporte ici les actes de trois psychiatres, un sociologue et un psychologue, s'excusant de ne pas pouvoir citer ici tous ceux qui oeuvrent sur cette terre de mission qu'est la dépendance au jeu.

Le Dr Marc Valleur , précité - psychiatre du centre Marmottant à Paris.

Le Dr Yves Bistagnin - psychiatre de l'hôpital Pasteur à Nice.

Le Dr Christian Bucher - psychiatre au CHU de Strasbourg.

Il est impossible de mettre en valeur, dans ce rapport, tous leurs travaux.

Il faut leur savoir gré de la pertinence de leurs analyses, de leur constance de pionniers et de leur disponibilité pour aider votre rapporteur à cerner la vérité de son mieux.

Le Dr Isabelle Sucquat , dans sa thèse de psychiatrie devant l'université de Nantes, parlait en 1993 de l'« impact grandissant des JH ».

Le professeur Martignoni-Hutin , sociologue à l'université de Lyon, travaille depuis fort longtemps sur le jeu, ses formes les plus modernes, et la dépendance, qu'il considère, lui, comme un phénomène de société.

Ses analyses sont nombreuses, approfondies et font autorité.

Il désespère de voir un jour naître cet Observatoire du jeu qui permettrait enfin de rassembler les spécialistes de toutes natures et les politiques, et de promouvoir les études qui nous font cruellement défaut en France.

Un problème grave ne peut connaître de solutions si aucune structure n'existe qui permette son étude approfondie.

Il ne faut pas demander à la Commission supérieure des jeux de faire ce genre de travail : ce n'est pas dans sa mission (inscrite dans la loi), elle n'a pas du tout la composition requise et n'en possède aucun moyen.

Enfin, le psychologue M. Philippe Maso , partenaire de l'Institut du jeu excessif de M. Pierre Perret, a publié à plusieurs reprises sur le sujet (voir annexes).

c) Les pouvoirs publics

Votre rapporteur, s'apprêtant à traiter assez durement l'Etat dans ce chapitre pour sa relative inertie, il convient de rappeler dans quel contexte historique bien particulier évolue le jeu en France.

L'attitude constante de nos pouvoirs publics, depuis les rois jusqu'aux gouvernements de notre République moderne, a été d'interdire tous les jeux, supposés par essence immoraux, amoraux, voire pervers.

Ce jugement , essentiellement moraliste , était d' inspiration religieuse durant les siècles où pouvoir religieux et pouvoir civil marchaient du même pas.

Gagner de l'argent sans travailler, sans peiner dur (tu gagneras ton pain à la sueur de ton front) était considéré comme immoral !

Dans l'Etat laïc séparé de l'Eglise, il est toujours resté quelque chose de ce jugement sur le jeu ; d'ailleurs, morale chrétienne et morale laïque ont eu longtemps une évolution parallèle et sur certains points, l'instituteur anticlérical et le curé du village avaient le même langage. Mais très tôt, et tout du long de ce cheminement des moeurs, l'Etat a su faire la place à un exutoire, face à ce besoin irrépressible de jouer des populations, d'autant qu'il a assez vite compris qu'il pouvait y trouver un grand intérêt en captant beaucoup d'argent dans le public et prélever sa part sur les enjeux par des prélèvements, des taxes, des droits, des bénéfices...

Prélèvements indolores et discrets faisant, pour une fois, du joueur un contribuable volontaire et persévérant.

L'Etat a donc affiné sa stratégie :

1 J'interdis tout.

2 J'autorise au coup par coup, et à ma seule discrétion, certains jeux et j'en contrôle, au millimètre, tout le fonctionnement.

3 Je décide le montant de ma part et je la prélève.

4 Je ne consulte personne, et surtout pas le Parlement 50 ( * ) .

5 Je fais en sorte que rien ne change.

Jusqu'à une date récente, « Il » soulageait même son propre budget en faisant financer directement par les jeux certains comptes spéciaux du Trésor, comme celui destiné au sport ou à l'adduction d'eau.

De nos jours, le point 5 ci-dessus est d'autant plus compréhensible que les enjeux financiers pour le budget de l'Etat sont très importants.

Il ne faut pas oublier que, s'agissant des casinos (et d'eux seuls car le PMU et la FDJ n'apportent rien aux collectivités locales), l'Etat est associé, dans cette exploitation des jeux, aux communes qui ont la chance d'avoir un casino sur leur territoire.

Trois facteurs se conjuguent pour conduire l'Etat à cette prudente inertie :

Tout d'abord les ministres de l'intérieur ont toujours eu une sainte horreur de ces problèmes de casinos, craignant sans doute qu'on les accuse de quelque favoritisme et de fréquentations sulfureuses, tant il est vrai, il y a guère, que certains de ces établissements faisaient beaucoup trop parler d'eux.

Les ministres des finances (et leurs services bien davantage encore) pour les raisons exposées plus haut, souhaiteraient que rien ne change de ce système sauf à en améliorer le rendement.

Les arguments économiques de la profession des jeux, fondés sur des réalités actuelles qui pèsent sur leurs activités, sur les dangers que la concurrence (les concurrences), leur font courir, sont rarement pris en compte .

Enfin, c'est vrai, tous ceux qui, depuis des décennies, se sont échinés à assainir ces professions, quelquefois douteuses par le passé, à lutter contre le blanchiment d'argent, la criminalité organisée, les jeux trafiqués et les courses truquées voient d'un très mauvais oeil certaines tentatives de changements.

Le problème est que cette attitude n'est pas la bonne (voir rapport I).

L'ennui est que, dans le cas de la dépendance aux jeux, l'Etat n'est pas à la hauteur de la situation.

Il exerce très bien ses prérogatives, mais il ne remplit pas son devoir.

Nous sommes en face d'un problème de société, d'un problème de santé publique, et la protection sociale devrait être apportée à une catégorie de citoyens, mal identifiée certes, mais qui existe et qui souffre comme certains souffrent d'autres dépendances : tabac, alcool, drogues.

Pour ces fléaux sociaux là, que d'efforts de communications, quelles mobilisations, quels sacrifices financiers (puisque l'Etat fabrique et vend le tabac, taxe les alcools ; il n'y a guère que les drogues, dont il ne retire pas de bénéfices et qui lui coûtent fort cher).

De gouvernements roses en gouvernements bleus (et inversement), la prévention, l'assistance et les traitements de ces dépendances ont fait néanmoins des progrès certains.

Dans ces conditions, qu'il serait satisfaisant que l'Etat ait la bonté de considérer que la dépendance aux jeux d'argent et de hasard (JAH) n'est pas « comme une drogue, c'est une drogue » ! et que les accidentés du jeu sont aussi dignes d'intérêt que ceux de la route, du vin, de la cigarette ou de la seringue.

L'Etat se doit de :


• comprendre le processus ;


• prendre la dimension du phénomène ;


• reconnaître qu'il est partie prenante ;


• soutenir tous ceux qui sont déjà sur le chantier ;


• conduire la santé publique à s'y investir ;


• aboutir avec les casinos à la mise en place de meilleurs systèmes de contrôle et de prévention (quitte à y perdre quelque argent) ;


• exiger de tous les opérateurs de jeux qu'ils marchent du même pas dans la prévention.

Ailleurs, dans ce rapport, on lira, en étudiant la loi suisse sur les maisons de jeux, à quel point il est indispensable de rénover notre usine à gaz ludique, autant pour des objectifs matériels que pour des raisons morales .

En fait, jusqu'ici, l'Etat n'a mis en place qu'un système de protection des joueurs fragiles, c'est la procédure de l'interdiction volontaire ; il en tolère un autre, les ANPR des casinos : les deux sont traités en détail (voir chapitre Casinos).

d) Les réactions des opérateurs de jeux

Toutes ces idées, toutes ces données sur la dépendance que nous passons en revue ont finalement pénétré les différents milieux intéressés.

Les opérateurs ont tous intégré l'existence de la dépendance aux JAH et compris sa gravité : tout du moins votre rapporteur l'espère.

Pour autant, ils n'ont pas tous réagi et mis en oeuvre les mesures de prévention nécessaires.

Votre rapporteur estime que, jusqu'au début de 2006, ce sont les casinos qui ont déployé le plus d'efforts dans ce domaine ; et pourtant, le moins que l'on puisse dire est que la démarche de prévention n'appartenait pas franchement à la culture de ces exploitants de jeux ; mais ils s'étaient engagés vis-à-vis du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy, et ils s'y sont mis.

Les résultats sont encore loin d'être parfaits, les bilans sont mitigés mais l'élan est donné... et c'est bien.

Les courses de chevaux restent tellement un domaine de spécialistes, le PMU une institution tellement spécifique, son privilège d'exclusivité tellement ancré dans les esprits, qu'il est difficile d'apprécier ici les effets de la dépendance comme les efforts produits pour la prévenir.

Comme pour la FDJ, la surveillance des multiples points de vente - hippodromes, points courses, cafés courses, et plus encore maintenant la possibilité de parier sur Equidia et autres réseaux - est un défi très difficile.

Ici aussi, on peut s'interroger sur l'efficacité de la surveillance des mineurs.

Ici aussi, comment aider les interdits de jeux des casinos à ne pas jouer aux courses ?

La Française des Jeux qui, entre temps, a remarquablement mené sa barque, qui accumule les succès et reste leader en Europe dans ses spécialités, a-t-elle pour sa part produit un effort de prévention ?

Votre rapporteur avait, en 2001, quand il évoquait le jeu des mineurs devant les responsables de la FDJ, eu le sentiment de parler un peu dans le vide.

La dénégation du problème était plus vive que l'émotion devant le phénomène.

Il est vrai que c'est une tâche immense que de sensibiliser, dans les points de vente, les quelques 40.000 détaillants à ne pas vendre les produits de la FDJ aux mineurs. Ce jeune client est-il vraiment mineur ? Doit-on lui demander sa carte d'identité ? S'il n'en n'a pas, doit on refuser la vente ?

Si on la lui refuse, il va de toutes les façons m'envoyer un copain plus âgé !

Il faut de la vertu au patron du café, à ses employés pour agir ainsi.

Il lui en faudrait encore davantage pour « détecter » un joueur dépendant, entreprendre de le dissuader de jouer, lui refuser de jouer !

Il suffit d'imaginer la scène, dans le café, au milieu des clients, à l'heure de l'apéritif !

Il faut vraiment prendre conscience de tout cela avant d'accuser la FDJ d'indifférence à l'égard du problème que nous étudions.

Par contre, la qualité de son marketing, sa recherche constante de l'innovation et de la qualité ont abouti à la création d'un jeu, le Rapido , qui pose un gros problème (voir chapitre FDJ).

C'est un jeu qui, par sa nature même, son rythme, sa rapidité de résultat, crée chez le joueur les conditions de l'addiction. Comme devant une machine à sous, où le joueur enchaîne les actes de jeux à un rythme rapide, le Rapido pousse le joueur à enchaîner les jeux.

Ce jeu est créateur d'addiction, créateur de dépendance.

Il est, en contrepartie, certain que cette expérience désagréable a convaincu les responsables, non seulement de l'importance de la dépendance à travers cet exemple particulièrement frappant, mais aussi de la nécessité d'une autre approche de la conception des jeux.

On trouve la traduction de ce nouvel état d'esprit dans les décrets 2006 du ministère du budget consacrés à la Française de jeux (voir le développement dans le chapitre FDJ).

Votre rapporteur souhaite que la FDJ conserve intacts son dynamisme et sa pugnacité, mais sache dorénavant mieux concilier son développement et le respect des joueurs les plus fragiles.

Les pouvoirs publics tardent à s'intéresser aux jeux en France et à affronter les problèmes moraux et matériels de notre temps. L'Etat lui-même reste peu compétent en cette matière difficile et commet des erreurs.

Puisse ce rapport, à coup sûr désagréable à lire à cet endroit, contribuer à faire avancer les choses.

* 50 De là, le titre provocateur du rapport I (2002) du Sénat « L'Etat croupier, le Parlement croupion ».

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