C. LA DÉPENDANCE EST-ELLE PRISE EN COMPTE ?

Dans l'affirmative, par qui, et sous quelles formes ? Quelles sont les places respectives de la prévention de l'assistance et de la thérapeutique ?

Bien qu'il y ait beaucoup d'interpénétrations entre ces trois modes d'action, il est peut être nécessaire de présenter ci-dessous une sorte de répartition (très schématique) des rôles des différents intervenants, ne serait-ce que pour éviter qu'ils ne se renvoient la balle, ou empiètent inutilement sur les domaines spécialisés des uns et des autres.

Action

Intervenants

Mode d'action

Prévention

Sociologues

Etudes scientifiques - Sensibilisation

Médecins

Etudes médicales et publications

Associations

Sensibilisation - Action publique

Opérateurs de jeux

Mise en oeuvre pratique

Pouvoirs publics

Exigences - Incitations-contrôles

Aides et assistance

Opérateurs de jeux

Détection - Premiers secours

Associations

Assistance directe et suivie

Médecins

Dépistages - Premiers secours - Orientations

Psychologues

Assistance directe et suivie

Pouvoirs publics

Exigences et soutien aux précédents

Thérapeutique

Médecins

Traitements

Psychologues

Hôpitaux

Accueil - Consultations

Pouvoirs publics

Exigences et soutiens

Votre rapporteur, en traçant le tableau précédent, prend le risque de frustrer bien des gens : il en est bien conscient.

Les trois modes d'action couvrent trois domaines totalement distincts, concernent des acteurs différents et s'adressent à des joueurs qui ne vivent pas les mêmes situations.

Deux méthodes s'offrent pour aborder ce chapitre :

- soit énumérer les intervenants en précisant leurs méthodes et leurs modes d'action ;

- soit décrire, du mieux possible, les trois types d'action : prévention, assistance et thérapeutique et situer ensuite les actions des uns et des autres.

Les deux modes sont imparfaits : votre rapporteur a opté pour le second et sollicite l'indulgence des lecteurs.

1. Analyse des trois modes d'action pour lutter contre la dépendance

Ce sont :

- la prévention,

- l'assistance,

- la thérapeutique.

a) La prévention

Le souci de « prévenir » les difficultés n'est pas vraiment une qualité majeure de notre beau pays et c'est bien dommage. C'est malheureusement le cas dans bien des domaines, qu'il s'agisse des accidents de la route, des maladies ou des phénomènes de société.

Des années lumières pour voir disparaître les passages à niveau tueurs ou les virages dangereux de nos charmantes routes départementales.

Des années pour voir l'électronique des radars routiers et les éthylotests remplacer le sifflet à roulette des gardiens de notre paix.

Des années encore pour la mise en oeuvre des tests de dépistage du cancer du sein, de la prostate ou du colon.

Encore que (sémantique oblige) pour ceux-ci, le mot de prévention est peut être impropre, car ces tests ne font que dépister, faire connaître l'existence de ces maladies quand elles sont présentes.

Les tests de dépistage ne les « préviennent » pas, au sens qu'ils ne les empêchent pas d'apparaître. Ils « préviennent » simplement de leur existence.

Mais le pli est pris, ils seront considérés comme des tests de prévention.

Après tout, l'essentiel est qu'ils existent.

Il ne s'agit pas ici d'un petit exercice intempestif de purisme, car quand, plus loin, le processus de la prévention utilisé par tel ou tel casino sera examiné, on constatera qu'une fois le personnel et les cadres formés à la prévention, celle-ci s'adressera essentiellement à des joueurs déjà « touchés », déjà en difficulté et par cela même identifiables par le personnel.

(1) Le Professeur Ladouceur a élaboré un cadre conceptuel de la prévention du jeu excessif.

Est-ce à cet éminent (et sympathique) spécialiste québécois du jeu qu'il faut attribuer la paternité du terme de « jeu responsable » ?

Cet aphorisme récent paraît particulièrement bien choisi.

Assurément, il s'inscrit parfaitement dans le florilège de la terminologie au goût du jour : « développement durable », « comportement citoyen », « croissance sociale » dans laquelle un substantif n'est crédible qu'accompagné d'un adjectif hautement valorisant et politiquement correct.

Mais le terme convient surtout par ce qu'il est exact que, dans les abus de jeu, tout le monde porte une part de responsabilité : le joueur qui perd les pédales, les opérateurs de jeu qui offrent et développent sans cesse leur offre et l'Etat qui tarde par trop à se mêler de ce qui le regarde.

Le Pr Ladouceur pense donc que le jeu responsable, qui repose sur une démarche empirique, se situe directement dans le domaine de la prévention.

Son approche professionnelle du phénomène est particulière : il veut contenir chez le joueur excessif son activité de loisir, et le conduire à ne dépasser ni le montant qu'il s'est fixé ni la durée et la fréquence de cette activité.

Il veut consolider les habitudes du joueur, l'aider à prendre de bonnes décisions et pour mieux cibler le contrôle il définit trois objectifs :

- Réduire les méfaits, les conséquences négatives de l'abus.

- Selon lui, il est illusoire de tenter d'interdire l'offre de jeu parce que la prohibition (cf. les USA et l'alcool) n'a jamais rien réglé et qu'aucune donnée empirique n'a même jamais démontré les effets bénéfiques d'une diminution de l'offre ? Il préfère ainsi laisser au joueur sa liberté de consommer avec modération , et prévenir l'excès.

Votre rapporteur, sur ce point, se permet respectueusement de ne pas tout à fait partager les idées du Pr Ladouceur, car il estime pour sa part que la quantité et la nature des offres de jeu compte beaucoup et que ceci demande que les pouvoirs publics, qui ont seuls la possibilité d'intervenir, prennent en compte cette notion.

- Etablir, par le biais d'une politique des jeux, les règles et les pratiques du jeu responsable.

Le Pr Ladouceur proscrit, en tous cas, l'usage de méthodes « intrusives ». Il estime qu' il est impossible d'imposer à un joueur d'arrêter de jouer contre son gré , et il a raison.

(2) S'inspirant largement des lignes essentielles de cette éthique de la prévention, Pierre Perret et son Institut du jeu excessif (IJE) proposent de véritables programmes, soit de prises en compte directe de joueurs, soit de formation des personnels de casinos.

Examinons, par exemple, le contenu du contrat passé entre le groupe de casinos Moliflor et l'IJE.

Ses composantes sont :

- une assistance téléphonique gratuite et confidentielle avec une ligne « Misez sur vous » fonctionnant 2 heures par jour et à la disposition des joueurs et de leur entourage ;

- un accompagnement individuel ou collectif des demandeurs ;

- des conférences thématiques ;

- des réunions de sensibilisation à la dépendance pour les intervenants santé et de protection sociale.

Le tout pour une durée de deux mois, dans des lieux proches du casino.

L'équipe investie comprend, outre M. Pierre Perret, un accompagnateur individuel ou collectif, un superviseur, plusieurs assistants de conférences.

Les objectifs fixés sont d'évaluer les difficultés, d'inventorier les motivations, de fournir des conseils et une assistance téléphonique, d'organiser des conférences...

Les coûts de l'accompagnement individuel sont de 7 euros pour une heure par semaine, en séance face à face. Même somme pour une séance en collectif : 1 heure tous les dix jours.

Différentes présentations sont possibles suivant les « cibles » :

Module « Management », destiné aux directeurs et MCD

*le jeu responsable, nouveau défi pour la profession ;

*éléments élémentaires de la Psycho pathologie du joueur ;

*les modes d'intervention possibles ;

*l'expérience suisse et ses succès ;

*dispositifs à mettre en place.

Intervenants : Pierre Perret, Dr Christine Davidson, MM. Moro et Mias.

Module « Sensibilisation » pour dirigeants et salariés

Module « Expertise » pour directeurs et membre du Comité de sirection (MCD)

*durée : trois à cinq jours ;

*expression orale, apporter un appui, activer les réseaux locaux de la santé et de la protection sociale ;

*la violence, ses origines, les seuils du comportement, le repérage des personnes sous toxiques, entrer en relation, contacts avec les proches du joueur ;

*faire face à un demandeur, repérer les manipulateurs, s'adapter aux diverses personnalités.

(3) La société Adictel de M. Eric Bouhanna offre, depuis mars 2004, un dispositif national de prévention et d'aide pour les joueurs dépendants.

Le président Bouhanna qualifie, sans modestie excessive, Adictel d'« Unique régulateur français pour les opérateurs nationaux et internationaux pour leurs activités on line en France ».

Il déclare 127 adhérents payants : casinos terrestres (Partouche) et 9 casinos on line (Sportingbet, 888 casino...) qui affichent leur label Adictel 46 ( * ) .

La plate-forme Adictel, pour les casinos afin de remplir sa mission de prévention, formation aide et conseils, comporte :

- Un numéro gratuit (vert), un centre d'appels spécialisé avec des psychologues, une application informatique « webisée » (technologie VolP avec téléphonie IP associée à un progiciel PABX) conçue pour le jeu excessif, gratuit, 24h/24 et 7 jours/7.

- Pour les casinos, c'est une solution professionnelle, externalisée, indépendante et confidentielle, qui leur permet d'assurer la prévention et d'installer à long terme un apaisement de la relation au jeu, pour un « commerce durable ».

- Pour les joueurs, un service gratuit, une écoute et un suivi confidentiel de leurs problèmes, une documentation et un guide pour une éventuelle et volontaire demande d'interdiction de jeu.

- Pour les pouvoirs publics, sur simple requête, toutes les informations actualisées sur les activités et les résultats de la société.

Dans le cas particuliers la société Adictel assure toutes les tâches dévolues à d'éventuels responsables locaux (dans le casino) de la lutte contre le jeu excessif. Adictel annonce 5.000 interventions au cours des deux années et 300 par mois.

(4) La Charte des casinos et son début d'application

Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et de l'aménagement du territoire, M. Nicolas Sarkozy, lors de son premier passage Place Beauveau, avait mis en place un groupe de travail « Casinos » chargé de faire le point sur les principaux problèmes en suspens.

Ce groupe rassemblait tous les syndicats de casinos, le président de la Commission supérieure des jeux, les services de l'Etat, le rapporteur de la commission des finances du Sénat, sous la présidence du directeur adjoint du cabinet de l'époque, le préfet Daniel Canépa.

Le premier relevé de conclusions effectué devant le ministre aboutit à quelques avancées techniques souhaitées par la profession et à l'engagement des syndicats à développer « une politique volontariste de prévention ».

Saluons, comme elle le mérite, cette première manifestation de l'intérêt public aux problèmes posés par la dépendance au jeu.

Les deux syndicats, Casinos de France et Casinos modernes de France (SCMF), ont donc effectivement mis au point une charte de prévention de risques d'abus de jeux (voir encadré).

On peut espérer que la troisième composante de représentation, issue en 2005 d'une partition au sein du SCMF, et qui rassemble en une association la plupart des casinos indépendants, restera solidaire de cette convention d'intérêt public.

La charte de prévention, par les casinos, des risques d'abus de jeux


• Le jeu doit rester un loisir.


• Certaines personnes s'exposent à des situations dangereuses.


• La dépendance peut exister avant même d'être détectée.


• Les thérapies de la dépendance sont difficiles et aléatoires.


• La profession responsable ne peut ignorer ce phénomène et doit s'efforcer d'agir préventivement.


• Les casinos doivent apporter aux joueurs une information qui les responsabilisera.


• Les personnels doivent être sensibilisés, formés à l'identification des joueurs en danger, à intervenir auprès d'eux pour les encourager à limiter ou suspendre leurs jeux.


• Les casinos informent les joueurs, établissent le dialogue et prennent éventuellement des mesures de dissuasion.

Comment s'effectue la formation des personnels ?

Les directeurs et leurs cadres ont été sensibilisés en premier.

Des réunions professionnelles internes, des colloques spécialisés (Casinos modernes de France) ont fait intervenir, devant eux, des spécialistes reconnus de la dépendance français et étrangers.

La présence, à ces réunions, de hauts fonctionnaires des sous-directions des libertés publiques et des courses et jeux, et celle de parlementaires témoignent de la prise de conscience de la de gravité de ce problème de société.

La tâche n'était pas mince : pratiquer une pédagogie claire et pratique de la dépendance, convaincre les directeurs que leur métier, à dater de ce jour, ne se limitait plus à gérer le jeu pour le meilleur profit de l'établissement mais s'étendait maintenant à faire de la prévention du jeu excessif et à dissuader certains de jouer !

Il y avait là un obstacle réel à franchir.

Ainsi, au sein du groupe Accor, le débat interne sur l'opportunité de développer un programme de prévention s'est heurté, au début, à une majorité de cadres qui pensait qu'il n'appartenait pas à la profession de s'impliquer dans une telle démarche.

Dans ce cas, la détermination des dirigeants des groupes et des casinos indépendants a été exemplaire : elle doit être soulignée.

La motivation des directeurs étant obtenue, restait à former les personnels.

Car il s'agit là d'une véritable formation, que ne peuvent assurer eux-mêmes les cadres des casinos , et que doivent dispenser des spécialistes de qualité, de manière à obtenir d'emblée un bon niveau de connaissances et de savoir faire.

Par la suite, les établissements pourront, dans une certaine mesure, s'appuyer sur les éléments déjà formés pour sensibiliser et éduquer les nouveaux recrutés.

Mais, dans une certaine mesure seulement, car la nécessité apparaîtra toujours de campagnes de mise à jour et de recyclage, ne serait-ce que pour faire bénéficier les personnels des améliorations des méthodes.

Les expériences sont diverses : dans le groupe Barrière, c'est la direction des ressources humaines (DRH) qui effectue les formations du personnel.

Le Groupe Moliflor a contractualisé avec l'Institut du jeu excessif de Pierre Perret, et plus récemment avec l'Association « Misez sur vous ».

Pour le Groupe Partouche, c'est la société Adictel qui intervient.

Pour deux casinos de Cannes du Groupe Barrière, c'est SOS Joueurs de Mme Armelle Achour qui dispense la formation.

De fait, il faut rester clair, le personnel, si bien formé qu'il soit, n'est ni chargé, ni apte à apporter l'aide approfondie et suivie qui est nécessaire, encore moins une thérapie. On lui demande, par contre, de repérer les cas délicats, de les approcher et d'établir le contact avec un dirigeant de l'établissement, à charge pour celui-ci d'orienter le patient :

- vers un psychologue,

- vers un service hospitalier spécialisé,

- vers un conseiller spécialisé,

- vers une structure associative d'aide comme SOS Joueurs.

Ces interventions sont-elles encore de la prévention, ou déjà une assistance, voire une approche de la thérapie ?

Elles sont un peu tout à la fois : assister un joueur qui « dérape », c'est bien effectuer la prévention de ses futurs ennuis et le conseiller, si peu que ce soit, n'est ce pas déjà le « soigner » ?

On constate à quel point les limites de ces activités sont imprécises.

Or, ces aides sont tellement encore contraires à la culture régnant dans les casinos qu'il arrive fréquemment que le personnel sollicite le responsable local des renseignements généraux pour qu'il intervienne.

(5) Diverses procédures particulières jouent-elle un rôle positif dans la prévention ?

Les casinos disposent déjà de certains moyens pour limiter l'addiction :

- Ils peuvent, et ils doivent, ne pas payer les gains des interdits de jeu.

C'est annoncé par un affichage.

Sur un site, on observe 236 cas de ce genre avec 12 recours contentieux pendants.

Evidemment, l'interdit peut toujours contourner l'obstacle en trouvant, moyennant finances, un truchement pour encaisser à sa place.

- Ils peuvent les exclure des offres promotionnelles que procure l'inscription sur le fichier marketing.

- Ils peuvent limiter l'émission de chèques, voire l'interdire.

- Ils disposent de la possibilité de la mise en ANPR -à ne pas recevoir-, qui permet de refouler des joueurs sous le prétexte « officiel » qu'ils sont susceptibles de troubler l'ordre public.

Mais, là encore, le joueur doit demander cette ANPR qu'il s'empressera de déjouer.

La gestion de ces cas est extrêmement difficile et la tenue d'un fichier impossible : la mesure prise n'est valable que pour un seul casino !

Le casino de Niederbronn (groupe Accor) en quatre mois, a mis 270 personnes en ANPR ; pourtant un quart d'entre elles fréquentent impunément les salles.

Et puis, force est de constater que le nombre de joueurs qui sollicitent l'ANPR correspond à celui qui, auparavant, se tournait vers l'interdiction.

(6) Le programme REGATO de la Fédération suisse des casinos.

La loi fondatrice de l'organisation des maisons de jeux dans la Confédération helvétique prévoit qu'une importance majeure est attribuée aux aspects sociaux de la pratique des jeux.

Dans cet esprit, la fédération suisse des casinos (Schweitzer Casinos Verband), est directement et totalement responsable de la prévention de la dépendance vis-à-vis de la Commission fédérale des maisons de jeux. Dans chaque établissement, l'existence et l'activité d'un responsable social sont exigées. Ses taches sont le contact avec les joueurs en difficulté, leur inscription éventuelle sur le fichier des « exclus de jeux », la formation initiale et continue du personnel aux problèmes de la dépendance, éventuellement la conclusion de contrats de modération.

La Commission sociale de la fédération, pour satisfaire la loi, a mis au point un « Process Concept Social » - programme REGATO - qui gère à la fois les procédures d'exclusion et celles, moins nombreuses, des contrats de modération.

Différence majeure avec le système français, les procédures d'exclusion sont conduites dans les casinos par les directeurs ou les responsables sociaux, sans implication de l'Etat.

Quand un joueur paraît « basculer » le contact est établi sur place, il appartient au responsable social de convaincre le joueur de son intérêt à se faire exclure, la discussion s'engage et tous les éléments, plus ou moins confidentiels, le concernant restent à la seule disposition du responsable ; l'anonymat des données est respecté même à l'égard de la Commission Fédérale des Maisons de Jeux (CFMJ).

Une décision d'exclusion court pour une année ; elle est renouvelable par tacite reconduction sauf demande précise du joueur qui, au cours de plusieurs entretiens à caractère social et financier, devra faire la preuve du rétablissement de sa situation et d'une motivation responsable.

Le fichier est centralisé et mis à la disposition de tous les casinos suisses, le contrôle aux entrées assure le respect des exclusions.

Pour quelques 13.000 exclus en 2006, il y a 300 contrats de modération. Conclu dans les mêmes conditions entre un joueur proche de la dépendance et le responsable social, le contrat écrit et signé, limitera le nombre autorisé de « visites » du joueur au casino (une, deux ou quatre par mois). Ces visites peuvent être effectuées dans n'importe lequel des casinos helvétiques car cela est prévu par le logiciel du contrôle.

Au bout de six mois, un entretien permet de juger de la situation du joueur et peut déboucher éventuellement sur une modification du contrat. Un « exclu » ne peut demander à bénéficier d'un contrat de modération. Une seule infraction à la règle est tolérée : à la deuxième, le contrat de modération bascule aussitôt sur une exclusion pure et simple.

REGATO est la propriété de la fédération, (deux ans de mise au point) qui fournit et loue 47 ( * ) le modèle de contrat mais chaque casino peut l'adapter.

(7) Le bilan de toutes ces mesures contre la dépendance est mitigé.

En effet, l'examen attentif des mesures entreprises par les casinos, qu'elles soient anciennes ou nouvelles, pour lutter contre la dépendance laisse apparaître un bilan mitigé.

Pour beaucoup d'entre eux, on en est resté au stade des intentions.

Les formations de personnels ne sont pas encore systématisées.

Elles peuvent même, à certains égards, paraître disparates, moins en raison de la diversité des intervenants qu'en raison de l'absence d'un cadre général officiel et opposable.

On pourrait même craindre, dans l'état actuel des choses, que la sensibilisation atteigne surtout les niveaux cadres des entreprises laissant le reste du personnel, celui qui est au contact des joueurs (le plus intéressant pour nous) insuffisamment formé et motivé et uniquement concerné par de la sensibilisation interne.

Cette préoccupation doit retenir l'attention car, si ces efforts de prévention restaient superficiels et ne connaissaient aucun approfondissement, c'est toute la politique concernée qui échouerait .

C'est donc là que l'absence de la part des pouvoirs publics d'exigences plus fortes, plus affirmées, l'absence d'une surveillance officielle du respect de ces exigences, l'absence de tout contrôle de ces règles sont vraiment regrettables.

Les efforts produits par les uns et les autres sont louables, correspondent, de la part des casinos, à une prise de conscience réelle d'une responsabilité nouvelle qu'il leur faut assumer et au respect d'un engagement pris à l'égard du ministre Sarkozy.

En tous les cas, à l'échelle d'un pays, ces formations correspondent toutes à des initiatives isolées ; trop isolées.

Dans la moitié des établissements français, il n'existe aucun personnel-ressource spécialement formé au problème de l'addiction et chargé de sa prise en compte.

Il est strictement impossible de dénombrer les joueurs ayant fait l'objet d'une intervention, les casinos n'estimant pas avoir l'obligation d'assurer un suivi.

Le chiffre de 2.300 joueurs (sur quelle période ? Où ?), qui auraient bénéficié d'une telle prise en charge n'a aucune base solide et vérifiable.

Seuls 12 établissements ont créé une commission de suivi.

La société Adictel (en contrat, notamment, avec les groupes Partouche et Tranchant et différents acteurs majeurs du jeu en ligne) fait état de 275 appels de mars à septembre 2004. L'intervention de la société comporte des actions en faveur tant des joueurs eux-mêmes (y compris le remboursement d'un premier rendez-vous chez un psychologie ou un psychiatre) que des personnels des casinos (formation) ou des conseillers locaux (création de supports adaptés).

Le non paiement des gains aux interdits semble peu dissuasif et laisse la place à la fraude.

D'autres, au contraire, réclament de donner aux casinos une plus grande possibilité d'utiliser cette méthode.

Pour nombre de responsables, l'ANPR, inefficace, est à proscrire.

En résumé, l'impulsion a été donnée par le ministre Sarkozy et les services de l'Etat, convaincus, ont suivi, de même que les opérateurs.

Une véritable motivation a commencé à apparaître et d'excellents spécialistes se sont mobilisés.

Mais, dans l'ensemble et dans les détails, le bilan n'est pas satisfaisant au regard de l'enjeu.

Les points les plus positifs restent l'édition et l'affichage de la charte, la distribution des dépliants, l'appui des réseaux de soutien santé et protection sociale.

La mesure de base la plus efficace reste bien l'entretien des joueurs avec le casinotier : elle est exigeante et réclame les moyens d'un suivi de la clientèle.

Nous en sommes encore loin.

Les pouvoirs publics ne doivent pas laisser ces premières initiatives s'enliser.

Ils doivent mettre de l'ordre dans tout cela ; faute de quoi, ces efforts seront perdus et il sera beaucoup plus difficile de relancer l'affaire.

(8) Des mesures nouvelles plus modernes, mais aussi plus draconiennes, seraient-elles plus efficaces ?

Le casino d'Hendaye (groupe Hirigoven) s'est doté d'un outil de veille préventive informatisée des dépenses de ses clients.

A l'aide d'un logiciel Galaxis de la Société MIS, le caissier a un accès direct au montant cumulé des dépenses effectuées par un client.

Une alerte apparaît quand, sur une période de dix jours, un client local a engagé plus de 300 euros et un non domicilié sur la côte basque (!) plus de 200 euros.

Alerté, le caissier prévient un membre du comité de direction (MCD) présent ; celui ci intervient et engage la discussion avec le client.

Sur une période (non précisée) 700 entretiens de cette nature ont eu lieu et 16 demandes d'interdictions de jeux engagées.

Pour votre rapporteur, cette méthode, qui rappelle un peu les procédés suisses, paraît une authentique action de prévention , garantie d'ailleurs par les renseignements généraux locaux.

Dans cet esprit, la généralisation de la veille informatisée des flux financiers des joueurs de slots ne serait-elle pas utile pour cerner les risques courus par les joueurs ?

Un système comparable à celui d'Hendaye (dépenses en chèques cumulés) pourrait surveiller ces dépenses en liquide.

Il consiste en l'installation, sur l'ensemble du parc des machines à sous du casino, d'un boîtier dit de « player tracking », couplé avec une carte de fidélité et à un accepteur de billets.

Cette carte de fidélité, ainsi couplée, identifierait le joueur et repérerait ses dépenses en liquide sur les machines.

Une alerte programmée conduirait aux contacts et aux entretiens souhaitables.

Votre rapporteur estime qu'un tel système n'est pas plus liberticide que les radars routiers automatiques, les éthylotests ou les ceintures de sécurité.

Et, comme par ailleurs il se pourrait bien que les fameux accepteurs de billets soient eux-mêmes « acceptés » dans les casinos, et ce pour d'autres raisons matérielles qui seront développées ailleurs dans le rapport, l'informatique mettrait tout le monde d'accord.

En fait, seule une mesure nouvelle, très forte, draconienne diront certains, est susceptible d'apporter une solution définitive :

- au problème de l'accès des interdits de jeux ;

- à celui de l'accès des mineurs ;

- à l'accès ordinaire aux salles de jeux traditionnels ;

- aux velléités de mixer les jeux et les machines à sous dans des salles communes ;

- à l'abrogation du droit de timbre.

En attendant :

- Les joueurs doivent exciper de leur identité pour accéder aux tables de jeux traditionnels.

- Les physionomistes doivent consulter sur écran un fichier informatique, qui est la recopie manuelle, besogneuse et aléatoire du fichier central des renseignements généraux tenu à jour au rythme de circulation d'une charrette à foin 48 ( * ) .

- Pour avoir accès aux tables de jeux, le paiement d'un droit de timbre dissuasif était exigé, il y a peu de temps encore.

- Pendant ce temps là, n'importe qui pouvait pénétrer, à tout instant, dans les salles de machines à sous même s'il était mineur ou interdit de jeux.

- Il est patent que, dans ces conditions, il était strictement impossible d'effectuer un contrôle réel, efficace et durable.

Le constat est clair : on était en présence d'une situation pitoyable dans laquelle on mettait pesamment en oeuvre des moyens inégalitaires, désuets, coûteux et totalement inefficaces .

La loi n'était pas respectée, la lutte contre la dépendance était négligée et la protection sociale des joueurs en difficulté bafouée.

Cette situation aberrante disparaîtra en novembre 2006 , avec la mise en place d'un contrôle systématique aux entrées dans les casinos.

Dans l'établissement de Palavas, doté de ce contrôle, 15 interdits de jeux ont été détectés en septembre 2004, contre 10 seulement l'année précédente, sans contrôle.

Au passage, votre rapporteur signale que les Suisses - ce qui lui semble être de bonne prévention - utilisent aussi un tel contrôle, pour veiller au respect de leur système spécifique de contrat de modération, par lesquels les joueurs « suivis » s'engagent à modérer le nombre de leurs venues au casino.

Mais cette perspective d'un contrôle général aux entrées, terrifie pour l'instant les casinotiers qui craignent beaucoup (sincèrement selon votre rapporteur) une baisse insupportable des chiffres d'affaires.

Il s'agit là, effectivement, d'un problème très délicat.

Quelles sont les données qui peuvent servir son étude attentive ?

A l'heure actuelle, trois casinos (Bourbon-Lancy : groupe Vikings, Collioure : groupe Tahoe et Enghien-les-Bains : groupe Barrière) ont mis spontanément en place le système.

Le groupe Partouche, à Palavas, tente l'expérience depuis septembre 2004.

Or, Bourbon Lancy estime à 20 % sa perte de clientèle (fréquentation ou chiffre d'affaires ?), Palavas à 30 %, tandis que le groupe Accor craint pour sa part une perte de 40 % en cas de mise en place de ce contrôle.

Cependant, Enghien-les-Bains, qui a lui aussi établi ce contrôle, affiche un produit brut des jeux (PBJ) record !

Ces observations, bien que contradictoires, méritent considération mais elles sont encore trop partielles et sommaires. Il conviendrait, en outre :

De préciser les dates des mises en place des contrôles pour les rapprocher des autres données ;

- d'étoffer les données économiques intéressant l'établissement ;

- d'effectuer des comparaisons avec les résultats des casinos voisins ;

- de rechercher s'il n'y a pas d'autres facteurs susceptibles d'avoir influé sur le chiffre d'affaires ;

- de tenir compte de la situation économique du moment en France et dans l'industrie des jeux.

* 46 Votre rapporteur a vérifié cette labellisation et l'a effectivement retrouvé sur six d'entre eux au moins.

* 47 La fédération accepte le principe de vendre le logiciel à un Etat ou à tout autre.

* 48 Dans le rapport I de 2002, le Sénat avait déjà souligné à quel point le fonctionnement de ce fichier prêtait à sourire au temps de l'Internet : rythme des mises à jour, expéditions par La Poste, recopies... La modernisation du fichier était achevée fin 2006.

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