b) La nature des jeux et leurs moyens ont beaucoup évolué
L'augmentation globale de l'offre de jeux n'est pas la principale cause de l'augmentation croissante de la consommation de jeux.
Face aux concurrences, les opérateurs français « développent » à tout va. Dans la course au chiffre d'affaires, tous les opérateurs français rivalisent d'imagination pour développer la panoplie de leurs jeux.
Comme dans les autres secteurs industriels, la concurrence est vive ; d'abord entre eux ; la FDJ, le PMU et les maisons de jeux s'observent et de très près.
Cette surveillance s'accompagne de critiques incessantes et souvent justifiées portant sur tel ou tel avantage présumé, accordé à l'un ou à l'autre par l'Etat, souverain maître de ce secteur de l'économie nous le savons.
Il faudra revenir sur ces disparités de traitement de la part de la « Tutelle », à l'égard des opérateurs (voir plus loin).
Mais la concurrence s'accroît aussi entre les opérateurs français, et leur environnement devient, à certains égards, inquiétant.
La plus pressante, nous l'avons déjà dit, est celle exercée par l'internet. Inlocalisable, incontrôlable, le jeu sur les casinos virtuels du Web n'est pas systématiquement sécurisé pour le joueur et l'usage de ses coordonnées peut lui échapper complètement.
En outre, si le joueur risque éventuellement d'être grugé, l'Etat l'est à coup sûr, qui voit lui échapper les taxes sur ce produit des jeux insaisissable, de même que les collectivités locales qui y perdent leurs prélèvements et voient l'animation locale de leur casino menacée avec tout ce qu'elle apporte à la commune : emplois, animation culturelle et restauration.
S'ajoutent à cette première préoccupation les pressions croissantes exercées par certains opérateurs étrangers, au premier rang desquels votre rapporteur place les bookmakers britanniques.
Mais d'autres opérateurs souhaitent aussi, comme les bookmakers, se servir de l'arrêt Gambelli pour attaquer les bastions que l'exception française a crée autour de « sa » Française des jeux et de « son » PMU.
Face aux nouvelles concurrences, les opérateurs français ont dû réagir, souvent depuis fort longtemps. Ils ont utilisé certains moyens pour accroître l'intérêt de leurs jeux :
Le développement des moyens utilisés par les opérateurs
- créer des jeux nouveaux ;
- améliorer leur présentation et leur fonctionnement ;
- bonifier leur attractivité ;
- moderniser et développer leur support technologique ;
- faciliter l'accès au jeu, au pari ;
- accélérer le rythme de la réponse et du résultat ;
- pratiquer une publicité plus intense ;
- parfois améliorer le rendement financier pour le joueur.
La stratégie de la FDJ , si elle n'est pas poussée au gain par des motifs commerciaux ou industriels, doit néanmoins servir la mission que lui a confiée l'Etat dans la convention qui lie celui-ci à cette société d'économie mixte dont il détient directement 72 % du capital.
Sachant que 20 % supplémentaires (les parts des émetteurs de l'origine de la Loterie nationale : anciens combattants et Gueules Cassées) sont susceptibles, à court terme, de venir accroître leur part, et que le reste du capital est détenu par le personnel de la FDJ et les courtiers mandataires, l'intérêt bien compris de l'Etat apparaît très clairement.
D'ailleurs, en Europe, la quasi totalité des Loteries appartient aux Etats, et ce depuis toujours, et tous ces budgets nationaux savent ce qu'ils peuvent attendre de ces jeux.
Incontestablement, l'Etat a tout intérêt au bon fonctionnement de la FDJ, ce qui est plus que légitime, et comme le bon fonctionnement d'une entreprise suppose un développement continu (qui n'avance pas recule), il ne peut qu'observer avec plaisir ses avancées.
La synergie Etat-FDJ a produit des résultats remarquables.
Deux seules fausses notes dans cet excellent tableau :
- la FDJ, qui a beaucoup progressé depuis quelques années dans la prise en compte de la dépendance au jeu (on examinera ce point plus loin), connaît quelques difficultés à propos de son Rapido.
Celui-ci est soupçonné de générer une dépendance au jeu importante et qui lui est particulière.
Pourquoi ?
La jalousie que suscite le Rapido chez les concurrents de la FDJ est à la mesure du succès exceptionnel de ce nouveau produit, d'où la virulence de leurs critiques à son encontre. Mais il s'agit, en tout état de cause, d'un problème grave.
Au temps du Rapido, on est, en effet, à des années lumières de celui de la vénérable Loterie Nationale, ou même du plus récent Loto.
Avec les uns, une fois le jeu fait, il fallait attendre une bonne semaine pour avoir son résultat : avec le Rapido , c'est une toute autre affaire ; accoudé au bar de l'endroit, le joueur n'attend que quelques minutes pour connaître le sort de son enjeu , en recevoir l'éventuel produit, et le remettre en jeu aussitôt !
Cette accélération énorme du jeu n'est-elle pas, par elle-même, une cause d'addiction ?
Votre rapporteur le pense sincèrement : il n'est pas le seul. La presse écrite et la télévision, en 2005, ont abondamment développé ce thème. Là, se pose un réel problème de responsabilité de l'Etat qui sera examiné en détail.
On pourrait sans doute faire le même reproche, dans une moindre mesure, aux jeux de grattage. Là aussi, la facilité de l'accès, la rapidité du résultat, la rapidité du re-joué ne sont-ils pas générateurs d'une dépendance ?
Il y a un autre reproche à faire aux jeux de grattage : le détaillant de la FDJ est-il toujours certain (s'en est-il préoccupé ?) que l'acheteur est majeur ?
La stratégie du PMU
Il a, lui aussi, créé des jeux nouveaux, mais il a surtout énormément développé ses méthodes de communication au service des parieurs.
Le monde des courses de chevaux dispose toujours (il est le seul) d'une presse écrite spécialisée sérieuse, fournie et abondante. En outre, les reportages, en particulier télévisés, sont très nombreux, complets et bien faits.
Ceux de Canal + en début d'après midi du samedi sont remarquables par la qualité des images (caméras multiples) et les interviews.
Par ailleurs, dans les hippodromes, les sociétés de courses ont grandement amélioré le suivi des courses. Il n'y a qu'à voir, sur ce point, le confort des restaurants : tout y est fait pour allier accueil, restauration et vision du jeu.
Le PMU, qui avait connu des années noires, a bien redressé la barre.
Les casinos et cercles de jeux
Pour maintenir ou accroître l'attractivité de leurs machines à sous, les casinos sont conduits à les renouveler souvent ; elles sont chaque fois plus sophistiquées et plus coûteuses.
Ces évolutions suivent les goûts des joueurs et une certaine mode. Les plus anciennes, pures oeuvres d'art, sont déjà pièces de musées.
Les casinos, dont plus de 95 % du chiffre d'affaires proviennent de ces machines, s'efforcent avec opiniâtreté d'augmenter leur nombre. Leurs arguments (toujours les mêmes), qu'examine avec soin la Commission supérieure des jeux (CSJ), chargée par le ministre de l'intérieur de lui soumettre un avis, sont : « nos machines sont toutes saturées, surtout pendant les week-ends ».
Pour apprécier le bien-fondé de ces demandes, qui constituent la majeure partie des dossiers qui lui sont soumis, la CSJ ne dispose que de rares et fragiles paramètres, comme le ratio PBJ/par machine.
Si l'on peut craindre que l'augmentation du nombre des slots accroisse l'offre de jeu et, par voie de conséquence, le risque de dépendance, il est une autre mesure adoptée récemment par les établissements qui, elle, est plus directement et plus sûrement addictrice . Il s'agit de la mise en service de machines fonctionnant avec des pièces (ou des jetons) de 10 ou de 20 centimes d'euros.
Cette facilité supplémentaire d'accès au jeu, présentée un peu sournoisement, comme une mesure de « démocratisation » est on ne peut plus incitatrice : elle ne va pas dans le sens d'une lutte contre la prévalence.
Par contre, le nombre et la forme des jeux de table traditionnels n'ont subi aucune transformation. La réglementation française de ces jeux est tellement stricte qu'une évolution significative semble inimaginable. L'accès aux salles de ces jeux est barré aux interdits volontaires, soumis à un contrôle d'identité.
La police du jeu dans ces salles est draconienne ; une tenue correcte y est exigée, mais surtout les contrôles sont multiples, complexes et incessants.
L'ensemble de ces contraintes exerce un effet très dissuasif, alors même que l'Etat et ses services prétendent soutenir mordicus ces jeux qui ont pourtant, dans ces conditions, les plus grandes difficultés à survivre.
S'il n'y avait pas l'obligation d'avoir des jeux de tables pour obtenir des machines à sous, la plupart des casinos les auraient supprimées car l'immense majorité d'entre eux perdent de l'argent.
Seul le casino d'Enghien parvenait à en gagner, alors même qu'il n'avait, jusqu'à une date récente, pas de machines à sous, mais il était (et il reste) le seul casino pour Paris et sa région.
Quant aux cercles de jeux, presque exclusivement parisiens, ne disposant pas de machines à sous, ils fondent leur survie uniquement sur la qualité très professionnelle de leurs jeux de tables, la vogue du poker et la qualité de leurs prestations en matière de confort, de restauration et de convivialité.
Et puis, surtout, ils sont les seuls autorisés dans le Paris intra-muros !