b) La question de la dichotomie évaluation / gestion du risque s'est posée avec acuité au moment de la crise de « grippe aviaire »
Si votre rapporteure spéciale se félicite de la qualité des travaux menés par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments qui ont contribué à l'activation du dispositif national de lutte contre l'influenza aviaire sur le territoire national, elle constate que cette crise sanitaire a révélé, avec acuité, les difficultés issues de l'articulation entre l'évaluation et la gestion du risque , et la nécessité d'améliorer cette articulation en créant un échelon intermédiaire permettant d'éclairer la décision du gestionnaire du risque par des éléments autres que scientifiques.
Ainsi qu'elle l'a déjà souligné, votre rapporteure spéciale a constaté une réelle différence d'appréciation entre les avis scientifiques de l'AFSSA sur le risque issu de la propagation du virus d'influenza aviaire hautement pathogène et les décisions politiques prises par le gouvernement, notamment à l'automne 2005.
Votre rapporteure spéciale ne conteste pas la nécessaire marge de manoeuvre politique du gestionnaire du risque au moment de sa prise de décision mais elle estime que l'intégration, dans l'analyse du risque, de dimensions autres que scientifiques (économiques et sociales par exemple) devrait pouvoir être formalisée et éclairer la décision politique .
Plus globalement, et à la lumière de la crise sanitaire de grippe aviaire qu'a traversé la France, votre rapporteure spéciale estime qu'une réflexion sur la structuration, aujourd'hui complexe, du système des agences sanitaires doit être menée, ainsi qu'elle l'avait déjà évoqué dans son rapport spécial sur le projet de budget pour 2006 de la mission « Sécurité sanitaire » .
Précisément, les enseignements pouvant être tirés de cette crise s'agissant de l'articulation entre l'évaluation et la gestion du risque sanitaire sont les suivants :
- la dissociation entre l'évaluateur et le gestionnaire du risque est essentielle afin d'assurer une marge de manoeuvre au décisionnaire mais assurer une bonne articulation entre ces deux instances demande des efforts permanents notamment par le biais du développement de systèmes d'information communs permettant l'échange de données ;
- la décision du gestionnaire du risque doit pouvoir être éclairée par des critères autres que les critères scientifiques fournis par l'évaluateur mais cet échelon intermédiaire permettant de faire intervenir la société civile devrait être mieux formalisé et pourrait être constitué par une instance consultative qui serait sollicitée par le gestionnaire du risque. Cette instance d'aide à la décision publique et de clarification des critères de choix, permettant la transparence des choix politiques , fournirait au gestionnaire du risque des scénari alternatifs.
Pour conclure cette réflexion, votre rapporteure spéciale estime qu'il existe aujourd'hui deux enjeux majeurs : celui de l'articulation du système français de sécurité sanitaire avec le système européen et celui de l'intégration dans l'analyse du risque de dimensions autres que scientifiques (économiques et sociales notamment), comme c'est le cas au Royaume-Uni par exemple.
Rappel des principales conclusions de votre rapporteure spéciale sur la structuration du système des agences sanitaires en France dans son rapport spécial sur le projet de budget de la mission « Sécurité sanitaire » pour 2006 Votre rapporteure spéciale estime que la création de la mission interministérielle « Sécurité sanitaire » devrait être l'occasion de réfléchir à une organisation cohérente du dispositif des agences sanitaires en France. Les agences sanitaires ont été conçues en France comme le moyen d'anticiper les dangers sanitaires et de répondre aux crises sanitaires par la mise en oeuvre d'une expertise scientifique indépendante. Il s'agissait, en effet, d'externaliser l'expertise afin de séparer l'évaluation des risques de leur gestion . Ainsi, en France, à la fin des années 80, l'affaire du sang contaminé, puis au milieu des années 90, la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) dite « vache folle », et plus récemment la crise de la canicule à l'été 2003, ont convaincu les pouvoirs publics de la nécessité de créer un « système » de sécurité sanitaire structuré autour d'agences sanitaires, au statut particulier puisque devant répondre à l'impératif d'indépendance scientifique tout en étant placées sous la tutelle des administrations centrales. Malgré les tentatives de mise en cohérence du dispositif de sécurité sanitaire autour du ministère de la santé et des solidarités principalement, les agences sanitaires restent aujourd'hui des formes non stabilisées : mises en place progressivement et sans réelle stratégie d'ensemble, elles se caractérisent par la diversité de leurs missions, de leurs prérogatives, de leurs modes d'organisation et de leur fonctionnement . Votre rapporteure spéciale estime donc nécessaire de marquer une pause dans la création ou la modification du dispositif actuel afin d'en évaluer la pertinence globale. En effet le système de sécurité sanitaire est aujourd'hui confronté à une difficulté institutionnelle liée à l'empilement des agences sanitaires , ainsi que l'a très justement souligné le directeur général de la santé lors de son audition par votre rapporteure spéciale. La difficulté actuelle tient à ce que les agences sanitaires, initialement conçues comme des formes alternatives aux administrations traditionnelles, permettant une meilleure efficacité, une indépendance mieux affirmée et une plus grande transparence pour le citoyen, se sont révélées susciter, parfois, de nouveaux mécanismes bureaucratiques. Les dispositifs d'expertise établis pour favoriser la transparence et renforcer la démocratie des choix scientifiques et techniques ont, en effet, accru l'importance des procédures et le caractère bureaucratique des agences. Votre rapporteure spéciale considère que la mise en oeuvre de la LOLF peut être l'occasion de réfléchir à un nouveau système cohérent d'agences qui ne serait pas constitué par la seule juxtaposition de structures individuelles . A cet égard, votre rapporteure spéciale estime particulièrement nécessaire de réfléchir, à l'avenir, aux missions respectives de trois agences intervenant dans des champs de compétences proches : l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale et du travail 17 ( * ) (AFSSET) et l'Institut national de veille sanitaire (InVS). En effet, dans son rapport de mars 2005 sur l'organisation de l'AFSSE et les modalités d'exercices de ses missions en liaison avec les autres organismes intervenant en matière de sécurité sanitaire et avec ses administrations de tutelle, la Cour des comptes a insisté sur les difficultés de coordination des activités d'évaluation conduites par les divers organismes intervenant dans le domaine de la sécurité sanitaire environnementale et sur la nécessité de redéfinir les missions de l'AFSSA et de l'InVS au regard de celles de l'AFSSE . En outre, dans le même rapport, la Cour des comptes a souligné les différences d'approche entre les deux ministères de tutelle 18 ( * ) de l'AFSSE en matière d'indépendance scientifique et de dissociation entre les missions d'expertise (évaluation des risques) et la fonction de décision et de contrôle (gestion des risques). En effet, le ministère de l'écologie et du développement conserve ses expertises propres dans certains domaines. |
* 17 Le champ de compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) a en effet été étendu au cours de l'année 2005 au domaine de la santé au travail.
* 18 Le ministère de la santé et des solidarités et le ministère de l'écologie et du développement durable.