b) L'absence de sanction de la non-prise en charge de l'enfant
Au cours des auditions de la délégation, a par ailleurs été évoqué le problème posé par le comportement de certains pères s'abstenant d'exercer leur droit de visite et d'hébergement et refusant, parfois à l'improviste, d'accueillir leur(s) enfant(s), à la date prévue, aucune sanction pénale n'étant actuellement prévue pour sanctionner ce comportement en tant que tel.
Interrogée à ce sujet, Mme Anne-Marie Lemarinier, responsable du service des affaires familiales au tribunal de grande instance de Paris, a reconnu que le juge ne disposait pas de moyens réellement coercitifs pour faire face aux hypothèses dans lesquelles le droit d'hébergement n'est pas exercé par le parent non gardien, même si sa collègue Mme Morgane Le Douarin a constaté, sur la base de son expérience pratique, que la plupart des pères étaient soucieux de se conformer à leurs obligations dans des conditions satisfaisantes.
Mme Hélène Poivey-Leclerq, membre du Conseil national des barreaux, s'est interrogée sur l'idée d'une éventuelle pénalisation du non-exercice de ce droit, ou d'une déchéance de l'autorité parentale dans cette hypothèse.
Une autre avocate membre du Conseil national des barreaux, Mme Marie-Claude Habauzit-Dutilleux, a cependant estimé que des sanctions pénales n'étaient pas nécessairement les plus appropriées dans ce cas et a plutôt suggéré un accroissement du montant de la pension alimentaire pour sanctionner ce type de comportement. De fait, si le parent non gardien n'exerce pas son droit de visite et d'hébergement, le parent gardien doit prendre en charge des frais d'entretien plus élevés ; une augmentation de la pension alimentaire pourrait permettre au moins de compenser ces frais.
Il est à noter que le droit actuel permet déjà au juge de confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un seul des deux parents, « si l'intérêt de l'enfant le commande » . Il semblerait cependant que cette disposition prévue par l'article 373-2-1 du code civil ne soit pas appliquée pour sanctionner un parent refusant de prendre en charge son enfant.
Par ailleurs, le non-exercice du droit de visite et d'hébergement a pu être considéré par la jurisprudence comme une faute engageant la responsabilité du parent défaillant sur le fondement de l'article 1382 du code civil 30 ( * ) .
c) Le problème particulier de l'exercice du droit de visite et d'hébergement après une séparation consécutive à des violences conjugales
Plusieurs associations ont appelé l'attention de la délégation sur le problème posé par l'obligation faite à un parent séparé de notifier son changement de domicile à l'autre parent co-titulaire de l'autorité parentale en cas de séparation consécutive à des violences conjugales. En effet, cette obligation peut avoir pour conséquence indirecte de permettre à un père violent de retrouver son ex-compagne victime de violences conjugales et de menacer sa sécurité.
Mme Josèphe Mercier, présidente de la Fédération nationale Solidarité femmes, a ainsi regretté au cours de son audition que les parents séparés fussent tenus, pour organiser l'exercice de l'autorité parentale partagée sur les enfants, de faire connaître leur adresse à l'autre parent, cette obligation constituant à ses yeux « une aubaine pour un homme violent n'acceptant pas la séparation » .
L'article 373-2 du code civil prévoit que « tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale, doit faire l'objet d'une information préalable et en temps utile de l'autre parent » , l'article 227-6 du code pénal sanctionnant par ailleurs de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende « le fait, pour une personne qui transfère son domicile en un autre lieu, alors que ses enfants résident habituellement chez elle, de ne pas notifier son changement de domicile, dans un délai d'un mois à compter de ce changement, à ceux qui peuvent exercer à l'égard des enfants un droit de visite ou d'hébergement en vertu d'un jugement ou d'une convention judiciairement homologuée » .
Au cours de la discussion en deuxième lecture devant le Sénat de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre des mineurs, le 24 janvier 2006, M. Pascal Clément, Garde des Sceaux, ministre de la justice, a cependant précisé, à propos d'un amendement déposé sur ce sujet par la présidente de la délégation, que l'article 373-2 du code civil imposait au parent qui déménage « non pas de donner son adresse, mais d'informer l'autre parent de son déménagement » afin de permettre à l'autre parent de saisir rapidement le juge aux affaires familiales pour que celui-ci puisse statuer sur un éventuel changement de résidence de l'enfant. Cette interprétation méritait à tout le moins d'être précisée, car elle semble loin d'être évidente dans la pratique.
Ainsi que l'a souligné Mme Josèphe Mercier, il apparaît en tout état de cause souhaitable de favoriser la mise en place d'espaces de rencontre entre parents et enfants, ou « lieux-relais » adaptés permettant aux pères violents d'exercer leur droit de visite sans avoir accès au domicile de la mère.
Le juge aux affaires familiales peut, en effet, si la situation le rend nécessaire, organiser des rencontres parent-enfant(s) dans un lieu neutre en ayant recours aux services d'une structure spécialisée. Au nombre de 150 environ, celles-ci ont organisé en 2003 près de 60 000 rencontres, dont 85 % sur mandat judiciaire, selon une réponse à une question écrite parlementaire publiée le 17 mai 2005 31 ( * ) . En 2005, 136 associations mettant en oeuvre des droits de visite ont été subventionnées par des crédits du ministère de la justice, à hauteur de près d'un million d'euros.
* 30 TGI Poitiers - 15 novembre 1999
* 31 Cf. JO Questions Assemblée nationale du 17 mai 2005, p. 5152