c) La reconnaissance inachevée du pluralisme familial par le droit civil
Alors que la famille issue du mariage reste la référence sociale, force est pourtant de constater que cette structure familiale traditionnelle est fortement ébranlée , et depuis longtemps déjà.
Le délégué interministériel à la famille, M. Dominique de Legge, a ainsi rappelé à la délégation qu'en France, une naissance sur deux avait lieu hors mariage et qu'un tiers des mariages, et la moitié en région parisienne, se terminait par un divorce.
Pourtant, le code civil n'a pas complètement tiré les conséquences de cette évolution sociale, comme l'a déploré, par exemple, M. Didier Le Gall, professeur de sociologie à l'université de Caen, au sujet des familles recomposées.
Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), a rappelé que, selon les termes de la déclaration des droits de la famille, adoptée par l'UNAF le 11 juin 1989, la famille se définissait comme une unité composée de personnes, fondée sur le mariage, la filiation ou l'exercice de l'autorité parentale. Elle a d'ailleurs évoqué la multiplicité des modes de vie familiaux en insistant sur le fait que la distinction entre la conjugalité et la parentalité constitue un des traits majeurs de l'évolution intervenue au cours des dernières décennies.
Mme Josèphe Mercier, présidente de la Fédération nationale solidarité femmes, a estimé que le législateur conservait du modèle familial une conception traditionnelle, reposant sur le mariage d'un homme et d'une femme qui ont ensuite des enfants - le « modèle classique père/mère/enfant (PME) », selon l'expression de M. Daniel Borrillo, juriste à l'université Paris X Nanterre, auditionné par la commission des lois du Sénat, le 22 mars 2006 9 ( * ) -, et qui n'est plus, selon elle, adaptée à la réalité de la société française actuelle.
Elle a d'ailleurs rappelé la formule de la sociologue Irène Théry, selon laquelle la société considère les familles monoparentales et recomposées comme de la « fausse monnaie ». Elle a considéré que cette conception traditionnelle se retrouvait du reste chez les juges qui, dans leurs décisions, privilégient le couple conjugal au détriment du couple parental, par exemple en recommandant une médiation pénale aux couples en situation de violences conjugales.
Les structures familiales non « traditionnelles », les familles monoparentales en particulier, ont longtemps été stigmatisées - et le sont encore trop souvent - car elles remettaient en cause la famille fondée sur les liens du mariage.
D'un point de vue juridique, la position de la Chancellerie sur ce point est d'ailleurs très claire. Ainsi, au cours de son audition, M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice, a rappelé que « le mariage reste le seul fondement juridique de l'institution familiale » et que « les concubins forment bien un couple mais non une famille » : « ils peuvent mettre fin à leur vie commune à tout moment, sans que jamais ne s'exerce un quelconque contrôle de l'autorité judiciaire. Ce risque important d'instabilité familiale peut s'avérer particulièrement préjudiciable pour un enfant adopté, qui, du fait de son histoire personnelle, exprime souvent un plus grand besoin de sécurité affective ». Du reste, le concubinage n'est pas « un gage d'altérité sexuelle dans le couple ».
M. Marc Guillaume a ainsi considéré que, « de façon générale, les équilibres actuels du code civil permettent de protéger l'intérêt de l'enfant sous le contrôle du juge. Il n'est pas souhaitable de les remettre en cause ».
* 9 Le compte rendu des auditions publiques de la commission des lois sur l'actualité du droit de la famille, plus particulièrement consacrées aux nouveaux modes de filiation et aux familles recomposées, a été publié au Bulletin des commissions du Sénat n° 21 du 25 mars 2006, pages 5181 à 5209.