3. La prépondérance du Moyen-Orient et de la Russie dans l'approvisionnement de l'Europe
Le Moyen-Orient joue un rôle clef dans les questions pétrolières et gazières européennes. Cette région concentre 63 % des réserves mondiales de pétrole et 35 % des réserves de gaz. L'Europe importe environ 3 millions de barils par jour en provenance du Golfe persique, soit 45 % de ses importations pétrolières. En retour, l'Union européenne est le premier partenaire commercial de l'Arabie Saoudite, du Koweit et des Émirats Arabes Unis (30 à 40 % de leurs importations).
Tout débat sur la politique énergétique européenne doit donc tenir compte du rôle de l'Arabie saoudite comme « banque centrale du pétrole » au niveau mondial. Si la stabilité de ce pays était menacée, alors que seul il peut peser considérablement sur les cours du brut en cas de crise, et c'est l'ensemble des équilibres énergétiques européens qui seraient menacés.
La part du Moyen-Orient dans les échanges énergétiques mondiaux va repartir à la hausse dans les prochaines années, du fait de l'affaiblissement d'autres zones d'extraction, comme la Mer du Nord. On va donc assister à une reconcentration de l'offre énergétique mondiale après la diversification des années 1970 et 1980, et l'Union européenne devra développer une politique cohérente à l'égard de cette région. Or, les divisions politiques du printemps 2003, suite à la guerre en Irak, ont plutôt montré qu'il n'existait pas de politique européenne commune à l'égard de cette région.
Par ailleurs, la Russie fournit près de 50 % du gaz naturel et 20 % du pétrole consommés dans l'Union européenne. Ces proportions pourraient même augmenter si une crise géopolitique survenait dans les prochaines années au Moyen-Orient ou dans toute autre zone majeure de production. L'Europe est le partenaire majeur pour le secteur énergétique russe. Près de 78 % du pétrole russe et plus de 90 % du gaz russe partent vers l'Union européenne.
La dépendance est donc à double sens. L'adaptation du réseau russe aux marchés mondiaux ne peut être immédiate. La Russie est tributaire du marché européen. Près de 40 % des recettes de l'État russe et 75 à 80 % des recettes d'exportation de ce pays dépendent directement du seul marché de l'énergie européen.
4. La guerre pour le contrôle des ressources énergétiques
Les États-Unis se sont engagés dans un grand jeu face à l'Union européenne pour le contrôle des ressources énergétiques. Environ 59 % du pétrole et 18 % du gaz naturel consommés aux États-Unis viennent de l'extérieur, dont une part importante de l'hémisphère occidental (continent américain, Europe, Golfe de Guinée). D'ici à 2025, la part des importations en provenance du Moyen-Orient (15 % du pétrole américain consommé en 2004) pourrait presque doubler.
Quatre régions du monde font l'objet de toutes les préoccupations américaines : le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, le Golfe de Guinée et l'Asie du Nord-Est. Un grand jeu énergétique est en train de s'organiser autour de ces quatre pôles, avec les Américains, les Chinois, les Japonais, les Russes et les Indiens. La question est de savoir si l'Europe peut y jouer un rôle, en tant que modérateur ou qu'acteur défendant ses intérêts propres.
Dans ce grand jeu énergétique, les États-Unis ne placent pas l'Europe au coeur de leurs préoccupations. L'absence d'une politique européenne autre qu'une libéralisation des marchés ou qu'un développement des réseaux trans-européens laisse le champ libre à la politique américaine à travers le monde. Cette situation fait que de nombreuses entreprises européennes ayant d'importantes positions outre-atlantique ont longtemps compté sur le « parapluie américain » en cas de menaces directes contre leurs intérêts.
L'aventure irakienne et l'émergence d'une rivalité commerciale accrue entre entreprises européennes et américaines pourraient toutefois changer les perspectives. La guerre d'Irak a fait des anglo-saxons les maîtres du pétrole de ce pays, où la France n'a pas su garder l'exploration et l'exploitation des champs géants de Majnoun et de Nahr Umar. L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis privilégient aussi majoritairement les compagnies anglo-saxonnes. L'alignement de la politique étrangère de l'Union européenne sur celle des États-Unis vis-à-vis de l'Iran laisse augurer une prédominance américaine, lorsque les relations avec ce pays se seront apaisées.
Si l'Europe apparaissait comme un concurrent ou un obstacle à la défense des intérêts stratégiques et énergétiques américains, la course aux ressources pourrait devenir un nouveau point de friction dans les relations transatlantiques.