N° 252

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 mars 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur un projet de décret d' avance transmis le 10 mars 2006 à la commission, en application de l'article 13 de la LOLF ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

Finances publiques.

AVANT-PROPOS

LA PREMIÈRE APPLICATION D'UNE CONSULTATION PRÉVUE PAR LA LOLF

La procédure du décret d'avance constitue une dérogation au principe de l'autorisation parlementaire de la dépense , tel qu'il est énoncé à l'article 34 de la Constitution qui dispose que « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Elle reflète un certain équilibre entre la nécessaire liberté d'action du pouvoir exécutif et le respect des prérogatives du pouvoir législatif.

De fait, l'article 13 de la loi n° 2001-692 du 1 er août 2001 portant loi organique relative aux lois de finances (LOLF) encadre strictement cette dérogation en prévoyant que des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décrets d'avance, dans le respect de conditions de forme , recueil de l'avis du Conseil d'Etat et de celui des commissions chargées des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que de conditions de fond , situation d'urgence et non dégradation de l'équilibre budgétaire voté en loi de finances.

En outre, à ces conditions de fond s'ajoutent certaines limites quantitatives : le montant cumulé des crédits ouverts par les décrets d'avance pris en cas d'urgence sur le fondement des trois premiers alinéas du même article ne peut dépasser « 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année », tandis que le total des crédits annulés par décret en vertu des articles 13 et 14 de la LOLF est limité, par le I de l'article 14 de la même loi, à 1,5 % des « crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ».

A cet égard, il convient de souligner que, dans cette perspective globale, le gouvernement a l'obligation de faire figurer dans les décrets d'avance l'intégralité de l'économie de chaque opération : les décrets d'avance n'étant pas destinés à modifier l'équilibre budgétaire de la loi de finances tel qu'il a été défini par le Parlement, l'ouverture de crédits nouveaux doit être gagée par des annulations de crédits -voire la constatation de recettes supplémentaires-, qui font partie intégrante du dispositif des décrets d'avance .

L'article 13 de la LOLF est entré en vigueur le 1 er janvier 2006 . C'est donc la première fois que les commissions des finances des deux assemblées sont invitées à faire connaître leur avis au Premier ministre sur un décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits. Leur avis doit être rendu dans un délai de sept jours à compter de la notification qui leur a été faite du projet de décret, le vendredi 10 mars 2006.

Selon les termes de l'article 13 de la LOLF, « la signature du décret ne peut intervenir qu'après réception des avis de ces commissions ou, à défaut, après l'expiration du délai susmentionné » 1 ( * ) .

Tel est le contexte juridique qui a conduit votre commission des finances à rendre son avis sur le projet de décret d'avance relatif à l'épidémie de chikungunya et à l'épizootie de grippe aviaire, qui porte sur un montant de 140.820.000 euros , en tenant compte de considérations de forme comme de fond.

I. AVIS SUR LE PROJET DE DÉCRET D'AVANCE RELATIF À L'ÉPIDÉMIE DE CHIKUNGUNYA ET À L'ÉPIZOOTIE DE GRIPPE AVIAIRE

A. LES CONDITIONS DE FORME

1. L'avis du Conseil d'Etat

Votre commission des finances remarque qu'elle est saisie avant avis du Conseil d'Etat. Selon le gouvernement, l'avis préalable de votre commission des finances serait nécessaire pour permettre au Conseil d'Etat de se prononcer sur un projet de décret d'avance qui tiendrait, éventuellement, compte de cet avis.

2. L'information du Parlement sur les motifs du décret d'avance

Un « rapport de motivation » du gouvernement explicitant l'objet du décret d'avance, est joint au projet soumis à l'avis de votre commission des finances. Ce rapport constitue un élément d'information indispensable pour apprécier les conditions de fond posées par l'article 13 de la LOLF . Selon les indications fournies à votre commission des finances par le gouvernement, il serait publié avec le décret d'avance.

Votre commission a insisté sur l'importance de cette publication, qui lui paraît constituer une formalité substantielle, étant entendu que l'avis qu'elle exprime dans le présent rapport ne peut tenir compte que des informations dont elle a pu disposer avec le rapport de motivation et les réponses qui ont pu être fournies aux demandes complémentaires faites par son rapporteur général.

B. LES CONDITIONS DE FOND

S'agissant des ouvertures de crédits, trois conditions de fond doivent être respectées, en application dudit article.

1. Le plafond de 1 % pour les crédits ouverts n'est pas dépassé

D'abord, en application du premier alinéa de l'article 13 précité, le montant cumulé des crédits ouverts par décret d'avance ne peut excéder 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année. L'article 67 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 ouvre aux ministres, pour 2006, au titre du budget général, des crédits de paiement de 344.188.639.049 euros. Votre commission des finances constate que ce plafond de crédits qui en découle, soit 3.441.886.390 euros, n'est pas atteint.

2. L'urgence n'est pas discutable

Le projet de décret d'avance doit également respecter la condition d'urgence posée par l'article 13 de la LOLF. Selon votre commission des finances, une situation d'urgence correspond à une situation qu'il n'était pas possible de prévoir au moment de la préparation et du vote de la loi de finances initiale .

Votre commission des finances se trouverait ainsi fondée à émettre un avis défavorable sur un projet de décret d'avance ouvrant des crédits sur un programme pour lequel le principe de sincérité des lois de finances, prévu par l'article 32 de la LOLF, n'aurait pas été respecté, selon l'examen qui en aurait été fait au moment de la procédure d'adoption du projet de loi de finances par le Parlement. Un décret d'avance ne saurait ainsi être pris s'agissant de crédits pour lesquels les prévisions de dépenses dont on disposait au moment de la préparation de la loi de finances initiale n'auraient pas été prises en compte.

Votre commission des finances constate que, s'agissant du projet de décret d'avance qui lui est aujourd'hui soumis, la condition d'urgence est respectée. Le projet de décret d'avance tend en effet à financer des mesures visant à lutter, soit contre l'épidémie de chikungunya qui touche l'île de la Réunion, pour 72,82 millions d'euros, soit contre l'épizootie de grippe aviaire, à hauteur de 68 millions d'euros, ainsi qu'à accompagner les acteurs économiques touchés par ces deux crises sanitaires, dont ni l'ampleur, ni les conséquences économiques ne pouvait être connues au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2006. Votre commission des finances par l'intermédiaire de la rapporteure spéciale de la mission « Sécurité sanitaire », notre collègue Nicole Bricq, avait toutefois alerté le gouvernement, lors de l'examen du budget de la mission « Sécurité sanitaire » pour 2006, sur la nécessité de tenir compte de la possible survenance d'une épizootie d'influenza aviaire, en proposant un redéploiement de crédits de 15 millions d'euros, qui aurait été, il est vrai, insuffisant face à l'ampleur non prévisible de la crise actuelle, notamment en raison de son impact sur la filière avicole.

Elle constate, en outre, que les grandes lignes de l'équilibre financier défini par la loi de finances pour 2006 ne se trouvent pas bouleversées par l'ouverture de crédits à hauteur de 140.820.000 euros, et que la situation n'appelle donc pas le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative.

Elle souligne néanmoins que, en application de l'article 7 de la LOLF, selon lequel les crédits sont spécialisés par programme, les gestionnaires de programme disposent de marges de manoeuvre significativement accrues, par rapport à la situation prévalant sous le régime de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, pour réaliser des redéploiements de crédits leur permettant de faire face à des situations d'urgence. Elle prend note des explications du gouvernement selon lesquelles la dotation des différents programmes concernés, votée en loi de finances initiale pour 2006, ne permet pas d'envisager des redéploiements de crédits, du moins d'un montant suffisant pour faire face aux deux crises sanitaires précitées, sans conduire à des insuffisances en gestion sur d'autres dépenses.

3. L'équilibre budgétaire n'est pas affecté

En application de l'article 13 de la LOLF, votre commission des finances est invitée à examiner si le présent projet de décret d'avance affecte l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances.

a) Un montant d'annulations strictement égal aux ouvertures de crédits

Elle constate que l'article 2 du projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits prévoit d'annuler, pour 2006, des crédits d'un montant de 140.820.000 euros, strictement égal au montant des ouvertures à titre d'avances effectuées par l'article 1 er . Elle indique que l'équilibre budgétaire défini par la loi de finances pour 2006, voté par le Parlement, est respecté.

b) Des crédits déjà mis en réserve en application de la loi de finances pour 2006

Votre commission des finances constate, en outre, que les crédits annulés avaient précédemment été mis en réserve, et n'étaient donc plus disponibles, conformément à l'exposé général des motifs du projet de loi de finances pour 2006 2 ( * ) prévoyant que 5,5 milliards d'euros seraient mis en réserve en cours d'exécution, soit un taux global de mise en réserve de 2 % sur le total des crédits dont l'ouverture était demandée en projet de loi de finances pour 2006 3 ( * ) .

Les annulations représenteraient selon le gouvernement un abattement général de 3,9 % sur les mises en réserve hors titre 2 (dépenses de personnel), effectives en mars 2006 (4,74 milliards d'euros), c'est-à-dire tenant compte des déblocages de crédits intervenus depuis le début de l'année .

Cet abattement est applicable aux programmes non bénéficiaires d'ouvertures de crédits, sauf dépenses « quasi-obligatoires », notion dont il appartiendra au gouvernement de préciser la portée, et sous réserve des aménagements particuliers demandés par les ministères pour certaines répartitions entre programmes.

Le montant cumulé des annulations ne dépasse pas le plafond de 1,5 % des crédits de la loi de finances pour 2006, fixé par l'article 14 de la LOLF, soit 5.162.829.586 euros, sachant que l'article 67 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 ouvre aux ministres, pour 2006, au titre du budget général, des crédits de paiement de 344.188.639.049 euros.

*
* *

La ratification des modifications apportées par le présent projet de décret d'avance, notifié par le gouvernement le 10 mars 2006 aux commissions chargées des finances des assemblées, sera demandée au Parlement dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année 2006. En application de l'article 58-6° de la LOLF, la Cour des comptes adressera un rapport relatif aux mouvements de crédits opérés par voie administrative dont la ratification sera demandée dans ledit projet de loi de finances.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des finances émet un avis favorable sur le projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de 140.820.000 euros, tel que notifié le 10 mars 2006 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

* 1 L'article 13 de la LOLF dispose que : « En cas d'urgence, des décrets d'avance pris sur avis du Conseil d'Etat et après avis des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances peuvent ouvrir des crédits supplémentaires sans affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. A cette fin, les décrets d'avance procèdent à l'annulation de crédits ou constatent des recettes supplémentaires. Le montant cumulé des crédits ainsi ouverts ne peut excéder 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année.

La commission chargée des finances de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification qui lui a été faite du projet de décret. La signature du décret ne peut intervenir qu'après réception des avis de ces commissions ou, à défaut, après l'expiration du délai susmentionné.

La ratification des modifications apportées, sur le fondement des deux alinéas précédents, aux crédits ouverts par la dernière loi de finances est demandée au Parlement dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année concernée.

En cas d'urgence et de nécessité impérieuse d'intérêt national, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts, après information des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances, par décret d'avance pris en Conseil des ministres sur avis du Conseil d'Etat. Un projet de loi de finances portant ratification de ces crédits est déposé immédiatement ou à l'ouverture de la plus prochaine session du Parlement. »

* 2 Article 51 - 4 bis de la LOLF, tel qu'il résulte de l'article 9 de la loi organique n° 2005-779 du 12 juillet 2005 modifiant la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances : « Une présentation des mesures envisagées pour assurer en exécution le respect du plafond global des dépenses du budget général voté par le Parlement, indiquant en particulier, pour les programmes dotés de crédits limitatifs, le taux de mise en réserve prévu pour les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel et celui prévu pour les crédits ouverts sur les autres titres ».

* 3 L'exposé général du projet de loi de finances pour 2006 prévoit que « les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat seront destinataires tous les mois d'une information récapitulative actualisée sur les crédits réservés ».

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