(3) Les plages de stériles du Cap Corse
Outre les installations de l'ancienne usine, la conséquence la plus visible de l'exploitation de la mine de Canari est la formation de plages de stériles, depuis la baie d'Albo jusqu'à la falaise de Nonza, du fait du rejet des rebuts de l'exploitation à la mer, qui représentaient jusqu'à plus de 3.500 tonnes par jour.
Dans son ouvrage, M. Méria rappelle que cette solution peu respectueuse de l'environnement a été envisagée par les responsables de l'entreprise dès le début de l'exploitation : dans un rapport de 1941, concernant le projet de Canari 1, le géologue Eggenberger prévoit l'évacuation à la mer des stériles de fabrication. Des rapports de 1947 soulignent que « la proximité de la mer facilitant l'évacuation des stériles, constitue un avantage, car pour les autres mines d'amiante, cette opération est, en général, très coûteuse »... « Les déchets du travail seront jetés à la mer, comme vous l'avez si opportunément indiqué, et le transport sera exécuté avec l'eau de mer ».
D'après les informations fournies à la mission, les pouvoirs publics ne se sont véritablement préoccupés de cette situation qu'en 1960 : un arrêté préfectoral a en effet interdit le rejet des stériles à la mer, mais il est resté lettre-morte. Lorsqu'en 1962, M. Altani, président du comité de défense des intérêts du canton de Nonza écrit au Président de la République pour lui faire part de son inquiétude, concernant la pollution engendrée par l'exploitation de la mine de Canari, M. Raymond Barre, alors directeur de cabinet du ministre de l'industrie, lui transmet la réponse suivante : « Il s'agit là d'une question difficile, car on ne saurait envisager d'imposer à la société des charges trop lourdes sans risquer de remettre en cause l'équilibre économique de l'exploitation ».
Les intérêts économiques de l'époque ont donc prévalu sur les préoccupations environnementales.
Les rejets, brassés par la mer, seront progressivement transportés vers le Sud, « où ils ont transformé, en un désert de cailloux grisâtres, du plus déplorable effet, la baie d'Albo, son petit port et même celui que la société avait fait construire, en dédommagement, au pied de la vieille tour génoise » 111 ( * ) . Progressivement, c'est l'ensemble de la côte jusqu'à Nonza qui va recevoir ces stériles, comblant les petites criques et surtout la marine de Nonza.
Dans une étude de 1997 le BRGM estime à 11.250.000 tonnes et à 4,5 millions de m 3 les stériles rejetés en mer par la SMA, entre 1950 et 1965. En quelques décennies, les stériles ont créé une longue plage de colmatage, qui, en 1962, avait une longueur totale de près de 5 kilomètres, y compris sous la Punta Bianca, aujourd'hui battue à nouveau par la mer.
Lors de leur rencontre avec les élus à la mairie de Canari, la délégation a pu mesurer l'amertume des maires de Nonza et d'Ogliastro, qui ont expliqué que leurs communes n'avaient pas bénéficié des retombées économiques associées à la mine, alors que la plage de stériles s'étendait aujourd'hui sur leur territoire.
Le maire de Nonza a regretté n'avoir reçu aucune compensation de l'État et déploré que certains guides touristiques aient associé dans le passé le nom de son village à l'amiante, occasionnant un réel préjudice économique. Le maire d'Ogliastro a, pour sa part, regretté que l'État soit incapable d'informer précisément sur les risques encourus par les habitants.
* 111 BSSHN de la Corse, troisième trimestre 1964, cité dans le livre de M. Guy Méria.