(2) Le problème de la fiabilité des diagnostics
Interrogés sur la fiabilité des diagnostics réalisés, la plupart des professionnels auditionnés ont reconnu qu'on ne pouvait à l'heure actuelle garantir l'exactitude des repérages de l'amiante dans les bâtiments.
Le cas de la Tour Montparnasse, pour laquelle un rapport de diagnostic incomplet a été remis en juillet 2004 au syndic de copropriété, a conforté les inquiétudes de la mission.
D'après les différents interlocuteurs de la mission, cette situation peut trouver deux niveaux d'explication.
? L'opération de repérage de l'amiante est souvent délicate .
Selon le SYRTA, « une entreprise peut établir un excellent diagnostic sur un site et être dans l'erreur sur un autre site », en fonction de la complexité du bâtiment examiné.
A cet égard, M. Dubuc, de l'inspection du travail, a donné l'exemple de la réhabilitation du plus important groupe HLM de la ville de Saint-Raphaël. Après avoir rappelé que la mission de l'inspection du travail consistait à s'assurer, dès la connaissance de l'opération par la déclaration préalable, de la correcte évaluation des risques de présence d'amiante dans les matériaux touchés par les travaux, il a indiqué qu'il avait fallu réitérer à trois reprises l'opération de diagnostic avant que la mission de repérage soit correctement réalisée.
Les résultats sont édifiants : alors qu'un premier rapport concluait à la présence d'amiante dans certains enduits extérieurs en façade de trois des cinq bâtiments et dans les enduits intérieurs des parties communes, le dernier rapport établi après approfondissement des investigations montrait qu'un seul des cinq immeubles ne contenait pas d'amiante.
« Sans intervention de l'inspection du travail qui a dû faire compléter à deux reprises le rapport de repérage initial, une contamination importante des travailleurs et des occupants était inévitable » conclut M. Dubuc.
Il a imputé ce risque à la méthode utilisée en l'espèce par le professionnel du diagnostic, qu'un seul prélèvement négatif (démontrant l'absence d'amiante) sur l'une des façades de l'un des immeubles avait fait conclure à l'absence d'amiante sur toutes les façades de cet immeuble.
A cet égard, les professionnels du secteur ont insisté sur le fait qu'il n'existait pas de méthode de repérage unique, mais que chaque diagnostic devait être adapté à la date de construction et au type du bâtiment concerné.
Le président du SYRTA a cité le cas des locaux de vaccination de la compagnie Air France à Montparnasse ; les dalles en vinyle amiante s'étant dégradées sous l'effet d'un important passage, les dalles usées ont été remplacées par des dalles strictement identiques, mais ne contenant pas d'amiante : « Nous nous sommes retrouvés dans la situation où, sur plusieurs milliers de mètres carrés, nous ne pouvions pas déceler quelles étaient les dalles amiantées et quelles étaient celles qui ne l'étaient pas ». Comme les plans de travaux révélaient que 80 % des dalles contenaient de l'amiante, l'entreprise a considéré par principe qu'il y avait de l'amiante partout.
Le campus de Jussieu montre également la difficulté à définir une « zone homogène » de diagnostic. D'après les informations fournies par M. Henri Pézerat, certaines salles du rez-de-chaussée du campus contenaient de l'amiante, alors que les amphithéâtres situés au même niveau n'en contenaient pas. De même, la tour centrale de 24 étages a été floquée avec de l'amiante bleu, ce qui n'est pas le cas des autres bâtiments du campus. Il a souligné par conséquent que « d'un endroit à l'autre du campus, les situations n'étaient pas comparables » et indiqué que « les analyses d'amiante dans un couloir varient selon leur localisation » 89 ( * ) .
De manière plus générale, le président du SYRTA a souligné qu'il fallait prendre en compte certaines pratiques en vigueur dans le bâtiment. « Le bâtiment reste le bâtiment » a-t-il fait remarquer, « lorsque l'on procédait à un flocage, il y avait des fonds de sac qui traînaient. Lorsqu'il y a eu flocage dans dix appartements identiques, il n'est pas possible d'affirmer que l'un d'eux ne contient pas d'amiante ».
Il est donc impossible de faire l'économie d'un diagnostic individuel pour des unités d'un même ensemble immobilier, même si celles-ci ont été construites à la même époque et présentent, en apparence, les mêmes caractéristiques.
Mme Florence Molin, de la SOCOTEC, a ajouté que les techniques de repérage mises en oeuvre par les entreprises différaient en fonction de la mission définie par le propriétaire. Selon qu'elle recherche la présence d'amiante dans les flocages, calorifugeages et faux plafonds, qu'elle réalise un DTA, ou qu'elle repère l'amiante avant travaux ou démolition, l'entreprise ne procède pas aux mêmes examens. Par conséquent, un diagnostic avant DTA n'est pas valable pour des travaux, qui nécessitent un nouveau diagnostic.
? Trop d'entreprises peu scrupuleuses restent encore sur le marché.
Selon M. Henri Pézerat, du CNRS, certaines entreprises « appartiennent à une catégorie de personnes qui profite de manière scandaleuse de l'émoi provoqué par « l'affaire de l'amiante » pour dresser hâtivement des diagnostics ».
Les interlocuteurs de la mission ont souligné que la précision du diagnostic était une condition de la protection des salariés et de la réussite du désamiantage. Par conséquent, le sérieux et la qualification des entreprises du secteur devraient être exemplaires, ce qui n'est pas encore aujourd'hui le cas.
M. Claude Delpoux, de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), a déploré que « sous prétexte d'avoir suivi une formation de quelques semaines ou quelques mois, (certains contrôleurs techniques) s'estiment aptes à effectuer des diagnostics amiante ». C'est la raison pour laquelle certains assureurs refusent de contracter avec les professionnels du bâtiment qui s'instituent contrôleur technique sans disposer de qualification spécifique, alors que le décret du 13 septembre 2001 a renforcé les exigences requises des entreprises de diagnostic : « à compter du 1 er janvier 2003, le contrôleur technique ou le technicien de la construction (qui réalise le DTA) doit avoir obtenu une attestation de compétence justifiant de sa capacité à effectuer les missions ».
Pour M. Dubuc, de l'inspection du travail, « la situation actuelle est paradoxale par le fait que cette attestation a accrédité officiellement une compétence des opérateurs de repérage et donné aux maîtres d'ouvrage et responsables d'entreprise un sentiment de sécurité illusoire ». Selon lui, l'efficacité de la certification est illusoire « lorsqu'on sait que cette attestation de compétence est le plus souvent obtenue sans difficulté par tous les participants, moyennant quelques centaines d'euros et deux à trois jours de formation au maximum sans compétence particulière dans le bâtiment... »
Dans le même sens, les représentants du SYRTA ont relevé que la formation ne comportait aucun enseignement sur les méthodes de construction, pourtant indispensables à l'activité de diagnostic.
Une réflexion est en cours pour faire évoluer la qualification obligatoire, notamment afin d'imposer l'actualisation des connaissances par le renouvellement de l'examen tous les trois ans et l'expérimentation de la formation aujourd'hui trop théorique.
* 89 D'après les informations fournies par l'EPA Jussieu, la surface totale amiantée est égale à 190.000 m 2 pour le gril, 24.000 m 2 sous la dalle et 11.000 m 2 dans la tour centrale.