c) Les ouvriers des chantiers de désamiantage
D'après les informations fournies à la mission, 76 % des chantiers de désamiantage sont en infraction par rapport aux mesures de protection prescrites par la réglementation : c'est ce qui ressort de la campagne de contrôle des chantiers de retrait de l'amiante friable menée conjointement du 15 au 29 mars 2004 par la direction des relations de travail (DRT), l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et destinée à dénoncer les manquements aux règles de sécurité régissant ces chantiers.
La campagne a révélé que sur 72 chantiers visités, 55 d'entre eux contrevenaient à la réglementation. Trois chantiers ont été arrêtés pour absence de certification des entreprises, défaut de plan de retrait, dysfonctionnement des sas de confinement du chantier et durée de travail excessive en zone de travail confinée.
(1) Une réglementation rigoureuse
Depuis 1996, les ouvriers chargés du désamiantage bénéficient d'une réglementation très protectrice, d'une part au titre des règles techniques et de qualification que doivent respecter les entreprises effectuant des activités de confinement et de retrait (arrêté du 14 mai 1996) et d'autre part au regard des mesures de prévention prescrites par le décret du 7 février 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante.
Les mesures protectrices à mettre en oeuvre 1. Restrictions d'emploi de certaines catégories de travailleurs Il est interdit d'affecter des salariés : - sous contrat à durée déterminée ; - d'entreprises de travail temporaire ; - âgés de moins de 18 ans ; aux travaux de retrait et de confinement de MCA, depuis les travaux préparatoires jusqu'à leur restitution du chantier. Compte tenu de ces restrictions, les stagiaires en formation professionnelle, les stagiaires conventionnés ainsi que les travailleurs mis à disposition par une association intermédiaire ne doivent pas être affectés, eux non plus, à ce type de travaux. 2. Notice d'information pour chaque poste ou situation de travail L'employeur est tenu d'établir, pour chaque poste ou situation de travail exposant aux risques, une notice destinée à informer chaque travailleur concerné des risques auxquels ce travail peut l'exposer et des dispositions prises pour les éviter. Cette notice est transmise pour avis au médecin du travail. Cette notice générale est complétée pour chacun des chantiers par les parties du PRC qui doivent décrire les particularités des différents postes et situations de travail, définir les risques associés et les mesures correspondantes. L'employeur informe ensuite le salarié, dans les meilleurs délais et avant chaque chantier, des risques ainsi évalués. 3. Information - Formation Avant toute affectation à ces travaux, les salariés doivent recevoir une formation spécifique aux risques encourus. Cette formation théorique et pratique comprend notamment : - une sensibilisation aux risques spécifiques à l'amiante ainsi qu'aux risques généraux ; - un apprentissage des techniques et modes opératoires utilisés ; - une description et un apprentissage des différentes procédures (conditions d'accès à la zone de travail, contrôles, décontamination, hygiène, élimination des déchets, etc.) ; - une utilisation des équipements de protection individuelle et en particulier de protection des voies respiratoires ; - les conduites à tenir en cas d'accident. Le médecin du travail est associé à cette démarche. Avant le début de chaque chantier ou en cours de chantier pour un nouvel arrivant, le responsable des travaux de l'entreprise qui traite les MCA lit et explique les documents nécessaires à l'exécution des travaux (dont le PRC) à tous les travailleurs concernés. 4. Suivi médical Les modalités obligatoires de la surveillance médicale des salariés exposés à l'amiante diffèrent selon le type d'exposition. Le médecin du travail est informé et consulté pour l'évaluation des risques, la définition des niveaux d'exposition et pour toutes les questions relatives à la prévention du risque d'amiante et notamment dans les domaines de l'information et de la formation des salariés chargés du traitement des MCA. Le médecin est également informé et consulté lorsque se superposent au risque amiante d'autres contraintes importantes au niveau physiologique : travaux en atmosphère chaude, voire très chaude, efforts intenses répétés, postures augmentant les contraintes physiques (couchée, accroupie, etc.), exposition à des rayonnements ionisants, à des produits chimiques dangereux, etc. 5. Surveillance médicale des salariés exposés Les salariés ne peuvent être affectés au retrait et au confinement de MCA qu'après une visite médicale préalable. Le médecin du travail détermine la fréquence des visites (au moins une fois par an) et se prononce sur l'absence de contre-indications pour ces activités. Les salariés affectés à ces travaux bénéficient ensuite d'une surveillance particulière qui se poursuivra même après la cessation d'activité. Lorsqu'ils quittent l'entreprise, l'employeur doit leur remettre une attestation d'exposition. 6. Durée du port d'équipements de protection individuelle (EPI) Le port permanent d'équipements de protection du corps et des voies respiratoires impose aux opérateurs des contraintes physiques et physiologiques parfois élevées dont il convient de tenir compte pour l'organisation des plages de travail et dans la mise en place du planning du chantier. L'employeur informe le médecin du travail de la pénibilité prévue des tâches à accomplir et du niveau de risque. En fonction de ces données, le médecin du travail pourra estimer la durée maximale du port ininterrompu des EPI. L'arrêté du 13 décembre 1996 relatif à la surveillance médicale des salariés réalisant des travaux de retrait ou de confinement de MCA précise qu'en tout état de cause, la durée du port ininterrompu de ces EPI ne devrait pas excéder 2 heures 30. 7. Liste des travailleurs exposés Le chef d'établissement établit et tient à jour une liste des travailleurs employés avec indication de la nature de leur activité, ainsi que, s'ils sont connus, des niveaux d'exposition auxquels ils ont été soumis, de la durée de l'exposition, du choix des équipements de protection respiratoire et de la durée de leur port. Cette liste est transmise au médecin du travail. Tout travailleur a accès aux informations qui le concernent personnellement. 8. Encadrement La présence permanente, sur le chantier, d'un représentant de l'encadrement de l'entreprise ou d'un responsable désigné par le chef d'établissement est nécessaire. 9. Mesures générales d'hygiène - Locaux d'accueil des salariés Des locaux propres, éclairés, aérés et chauffés en saison froide sont mis à disposition des salariés par le donneur d'ordre et à défaut par l'entreprise. Ces locaux sont équipés, en fonction de la nature du chantier : - d'armoires-vestiaires dans lesquels seront déposés les vêtements de ville et pris les vêtements pour se rendre à la zone d'équipement des EPI avant d'entrer en zone de travail ; - de sièges en nombre suffisant ; - de tables facilement lavables, d'un moyen de réchauffage des repas et d'un réfrigérateur si des salariés prennent leurs repas sur le site où se déroulent les travaux ; - de sanitaires et de douches d'hygiène corporelle. En fin de chaque période d'intervention à l'issue de laquelle des EPI sont retirés, les salariés doivent prendre une douche. Il est interdit de manger, boire, fumer dans les zones de travaux. Les temps de récupération et les repas doivent être pris dans un local mis à la disposition du personnel, aménagé à cet effet (sièges, etc.). |
Source : Documents de l'INRS
Devant la mission, le président du SYRTA a particulièrement insisté sur l'interdiction d'employer des salariés intérimaires pour les travaux de retrait d'amiante et sur l'obligation pour tous les salariés concernés de se soumettre à un contrôle d'empoussièrement à l'issue du chantier, organisé par l'entreprise, afin de s'assurer de leur non-exposition à l'amiante, soulignant en outre que les mesures de protection et de prévention différaient selon que le diagnostic préalable a révélé la présence d'amiante friable ou non friable.
En présence d'amiante non friable, l'obligation de confiner le chantier ou le port de l'équipement de protection notamment sont laissés à la discrétion de l'entreprise, « en fonction de l'évaluation des risques » (article 7 du décret du 14 mai 1996) . Or, dans ce cas, la certification de l'opérateur de chantier n'est pas obligatoire, et par conséquent, la fiabilité de l'opérateur de chantier ne présente pas les mêmes garanties.
D'après le SYRTA, il n'existe aujourd'hui quasiment pas de contrôle sur les entreprises traitant de l'amiante non friable : il en résulte qu'alors que la législation prévoit notamment l'obligation d'établir un plan de retrait, de rares plans sont en réalité déposés, faute de sanction pour les entreprises qui s'en dispensent.
La situation des ouvriers sur les chantiers traitant de l'amiante non friable doit, par conséquent, faire l'objet d'une attention accrue : paradoxalement, on peut considérer, comme la SOCOTEC, que « les risques sont certainement plus importants pour des chantiers menés sur des matériaux jugés initialement non dangereux ».
Les professionnels ont par ailleurs souligné la grande disparité des situations en fonction de l'ampleur et de la nature des chantiers.
Il est en effet nécessaire de distinguer les opérations d'une certaine ampleur, touchant des bâtiments publics en majorité, -pour lesquelles les chantiers sont déclarés, les entreprises certifiées et les ouvriers formés- et les petits chantiers, privés pour la plupart, voire les « déflocages sauvages », dont M. Gilles Evrard, directeur des risques professionnels à la CNAMTS, a souligné le développement depuis l'interdiction définitive de l'amiante.
Pour les premiers, la sécurité des ouvriers fait l'objet d'une vigilance particulière : M. Bernard Peyrat, a estimé devant la mission que la sécurité des 10.000 salariés des entreprises traitant de l'amiante friable était aujourd'hui assurée. Pour les seconds, la situation est plus préoccupante : comme le soulignait M. André Hoguet, représentant de la CFTC, lors de son audition, « la restauration d'une maison est un petit chantier ... (et) aucune précaution n'est prise alors que des milliers de personnes travaillent sur ces chantiers ».
D'une manière générale, la mission ne peut que regretter l'insuffisance des moyens de contrôle, dont le renforcement est aujourd'hui nécessaire pour inciter les entreprises à se soumettre aux consignes de sécurité, dont on a vu qu'elles n'étaient que partiellement respectées dans 76 % des chantiers visités par l'inspection du travail lors de l'« opération coup de poing » 81 ( * ) de mars 2004.
De nombreux interlocuteurs de la mission ont regretté à ce sujet que l'inspection du travail n'ait pas les moyens, ni en terme d'effectifs ni en terme de compétences techniques, pour assurer le suivi des travailleurs des entreprises spécialisées dans le désamiantage, M. Michel Parigot, président du comité antiamiante de Jussieu, déplorant en outre qu'un corps d'inspecteur du travail n'ait pas été dédié à l'amiante 82 ( * ) .
Par ailleurs, le nombre de chantiers de désamiantage rend illusoire la surveillance confiée aux organismes d'assurance-maladie : à titre d'exemple, 2.500 chantiers sont ouverts en Ile-de-France. M. Jacques Tonner, directeur général de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF), a reconnu qu'avec 91 contrôleurs de sécurité permanents, « nous ne pouvons pas suivre 2.500 chantiers ».
Comme il sera vu plus loin, le plan santé travail (PST), dont deux des axes principaux visent à renforcer la capacité de contrôle de l'inspection du travail en santé au travail et à encourager les entreprises à être plus actives en matière de protection de la santé, constitue une première réponse à ce problème.
La mission s'est ainsi interrogée sur la nécessité de mettre aujourd'hui en place un recensement national des salariés qui traitent l'amiante, sur le modèle de ce qui existe dans d'autres secteurs présentant des risques particuliers, notamment dans le secteur du nucléaire.
Cette liste nationale, qui serait accessible sur Internet, permettrait en effet :
- aux propriétaires et aux donneurs d'ordre de s'assurer de la qualification des salariés qui interviennent sur leurs chantiers ;
- de mettre en place un suivi médical national spécifique, inexistant à l'heure actuelle (un tel suivi existe pour les salariés du secteur nucléaire).
* 81 C'est ainsi que M. Gilles Evrard, de la CNAMTS, a qualifié la campagne de contrôle menée conjointement avec la DRT et l'INRS.
* 82 Dans un article du Figaro du lundi 14 mars 2005, intitulé « l'ombre de la justice plane sur des centaines de bâtiments ».