2. Une mise en oeuvre à améliorer
Si le cadre juridique de cette surveillance post-professionnelle apparaît satisfaisant, les auditions auxquelles a procédé la mission ont suggéré que leur mise en application s'avérait déficiente.
En premier lieu, elle note que la décision de se soumettre à ce suivi est facultative et qu'elle est laissée à l'initiative du salarié. Sans doute en raison d'un défaut d'information, on observe que le recours à ce dispositif est très peu fréquent, alors que son apport apparaît évident en termes de prévention. Les représentants de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) ont noté qu'une dizaine seulement de demandes de suivi post-professionnel étaient recensées chaque année dans la région.
Une enquête réalisée par l'Institut de veille sanitaire (InVS) 48 ( * ) confirme que seule une faible proportion des salariés exposés à l'amiante au cours de leur carrière a ensuite recours au suivi post-professionnel. Pour les besoins de cette étude, l'InVS a sélectionné six CPAM-tests (Côtes d'Armor, Haut-Rhin, Loiret, Nord, Paris, Vienne) qui ont élaboré une méthode de recherche active des retraités ayant pu être exposés professionnellement à l'amiante, afin de les informer de leurs droits et de les accompagner dans leurs démarches administratives. L'InVS montre que l'application de cette procédure simple a permis de multiplier par 17 le nombre de prises en charge par rapport à un échantillon de CPAM témoins. Cette enquête a également permis d'évaluer à plus du quart (27,6 %) le pourcentage de retraités masculins ayant été exposés à l'amiante au cours de leur carrière .
En outre, l'InVS note que « seules les grandes entreprises nationales et les secteurs de la transformation de l'amiante ont mis en place des systèmes formalisés d'information de leurs retraités, alors que c'est dans des secteurs économiques très divers, comme la métallurgie, le BTP, les services, la production d'engins, la mécanique automobile, qu'on trouve la plus grande proportion d'exposés ».
Par ailleurs, des représentants des salariés, ainsi que des médecins du travail, ont, à plusieurs reprises, attiré l'attention de la mission sur la réticence de certains chefs d'entreprise à délivrer l'attestation d'exposition qu'ils sont pourtant tenus de remettre au salarié lorsqu'il quitte l'établissement qui l'emploie. M. Albert Lebleu, vice-président d'une association d'anciens salariés de l'entreprise Métaleurop Nord, a ainsi souligné « que peu de gens seulement disposent d'attestations d'exposition en bonne et due forme, signées par le médecin et par l'employeur ». Ce constat a été confirmé par les médecins du travail rencontrés par la mission lors de son déplacement à Dunkerque : ils ont estimé que la législation était mal appliquée et affirmé que certains médecins avaient parfois dû établir, de leur propre initiative, un certificat en faveur d'un salarié, ou signé un certificat établi par le salarié lui-même. Il semble que cette réticence de certains employeurs s'explique par leur volonté de ne pas donner au salarié un document qui pourrait ensuite être utilisé à leur encontre dans le cadre d'une procédure judiciaire, motivée par un recours en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par exemple.
Les associations de victimes rencontrées par la mission ont également regretté que les anciens salariés de l'amiante bénéficient trop rarement d'examens au scanner , plus précis que les simples examens radiologiques, et que les recommandations de la « conférence de consensus » de 1999 ne soient pas toujours appliquées.
En 1999, une « conférence de consensus » , rassemblant de nombreux spécialistes, s'est en effet tenue à Paris, sous l'égide de l'Agence nationale d'évaluation et d'accréditation en santé (ANAES), pour élaborer des recommandations en matière de surveillance médicale clinique des personnes exposées à l'amiante. Elle s'est prononcée en faveur de bilans périodiques, plus ou moins fréquents selon l'intensité de l'exposition, et comportant dans certains cas un « examen tomodensitométrique thoracique », c'est-à-dire un examen au scanner. Elle recommande, par exemple pour les personnes fortement exposées à l'amiante, un examen tomodensitométrique une fois tous les six ans.
Dans ce contexte, le ministère en charge du travail et la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ont décidé d'engager, depuis la mi-2003, une expérimentation dans trois régions (Aquitaine, Normandie et Rhône-Alpes) afin d'améliorer la procédure de suivi post-professionnel.
Les promoteurs de cette initiative poursuivent deux objectifs principaux : d'une part, promouvoir le dispositif auprès de ses bénéficiaires potentiels, d'autre part, évaluer l'apport du scanner dans la découverte des maladies liées à l'amiante. Pour ce faire, les personnes potentiellement concernées par une exposition à l'amiante reçoivent un courrier de leur CPAM, qui les informe de l'existence du dispositif et leur demande de remplir un questionnaire d'évaluation de l'exposition à l'amiante. Si cette exposition est avérée, la caisse adresse au patient un ensemble de documents devant être complétés par les professionnels de santé amenés à réaliser le protocole de surveillance. Ce protocole comprend une consultation initiale chez un généraliste ou un spécialiste, une exploration fonctionnelle respiratoire, une radiographie pulmonaire, un scanner et une consultation de synthèse.
L'évaluation des résultats de cette expérimentation devrait être rendue publique dans le courant du second semestre 2005.
Même si la mission ne dispose pas encore des éléments d'appréciation supplémentaires que fournira cette évaluation, il lui paraît souhaitable qu'un important effort d'information soit mené pour faire connaître le droit au suivi post-professionnel et encourager les salariés à y adhérer, afin de redonner au dispositif toute sa portée. Une première information pourrait être donnée par l'employeur, au moment où le salarié quitte l'établissement, puis serait complétée par des campagnes périodiques menées par les CPAM auprès des populations potentiellement concernées. Il conviendra, de plus, d'évaluer avec précision l'apport des examens par scanner, afin d'affiner les recommandations de la conférence de consensus de 1999. Enfin, une procédure nouvelle doit être imaginée pour pallier la mauvaise volonté des employeurs qui refusent de signer une attestation d'exposition, en violation de leurs obligations légales. L'intervention de l'inspecteur du travail pourrait par exemple être recherchée pour qu'il supplée l'employeur dans ce cas de figure. Assortir cette obligation d'une possibilité de sanction aurait sans doute aussi un caractère dissuasif.
L'objet de la surveillance médicale est de détecter d'éventuelles pathologies provoquées par l'amiante. La gravité de certaines de ces pathologies a été rappelée dans la première partie de ce rapport : un mésothéliome réduit l'espérance de vie du patient à environ dix-huit mois. C'est pourquoi la première réponse apportée par les pouvoirs publics au drame de la contamination par l'amiante a consisté en la mise en place d'un dispositif spécifique de préretraite, destiné à compenser la perte d'espérance de vie des personnes exposées.
* 48 Enquête pilote Espaces - Identification et suivi médical post-professionnel des salariés retraités ayant été exposés à l'amiante, avril 2001.