4. La faiblesse des moyens alloués au traitement pénal
La durée des informations judiciaires ouvertes s'explique, selon le garde des Sceaux, M. Pascal Clément, « par les difficultés propres aux dossiers liés à l'amiante qui tiennent à l'ampleur des investigations policières, recherche des documents d'époque et des témoignages, et à la complexité des expertises médicales ». Elle est aussi liée à la faiblesse des moyens affectés au traitement pénal de ces dossiers.
Le pôle santé publique constitué au sein des tribunaux de grande instance de Paris et de Marseille - il existe un pôle santé « parquet » et un pôle santé « siège » - a été créé par la loi, dite « loi Kouchner », du 4 mars 2002.
A Paris, les affaires de santé publique ont été regroupées à l'annexe du pôle financier, rue des Italiens, au moment de la mise en place du pôle santé au tribunal de grande instance de Paris, en septembre 2003. La section du parquet qui se trouvait dans les locaux de cette annexe financière était compétente, notamment, pour les fraudes, les infractions à la consommation, le droit du travail et le droit de l'environnement, et a conservé ces compétences en y ajoutant toutes les affaires de responsabilité médicale individuelle et collective traitées jusqu'alors au Palais de Justice. Le dossier de l'amiante à Jussieu fait partie de ces anciennes compétences et était donc traité, avant la création du pôle de santé, par un juge financier.
M. Dominique Perben, lorsqu'il était garde des Sceaux, avait souhaité que puissent être regroupées les affaires concernant l'amiante auprès des pôles santé publique de Paris et Marseille.
Jusqu'à la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « loi Perben II », entrée en application, sur ce point, le 1 er octobre 2004, il n'était pas possible de procéder au regroupement auprès des pôles santé parce que, jusque là, ceux-ci étaient compétents en matière de produits de santé ou de produits destinés à l'alimentation. L'amiante n'était donc pas concerné. Désormais, la loi du 9 mars 2004 vient étendre la possibilité de saisine des pôles santé, dans ce cas précis, aux produits qui exposent durablement la santé de l'homme à des dommages.
Lors de l'audition de M. Alain Saffar, le 11 mai 2005, les instructions venaient d'être données pour qu'il soit procédé à des regroupements auprès des pôles santé de Paris et de Marseille. On notera que Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy, pourtant responsable du pôle de Paris, n'avait pas été mise au courant préalablement de cette décision ministérielle ! C'est la mission qui la lui a apprise...
Ainsi, la décision de regroupement s'est traduite par la circulaire adressée le 12 mai 2005 par la direction des affaires criminelles et des grâces aux procureurs généraux. Il leur est demandé de prendre les réquisitions nécessaires au transfert vers les pôles de santé publique compétents de l'ensemble des procédures concernant les expositions à l'amiante.
La mission approuve un tel regroupement auprès des pôles de santé publique, ce qui implique qu'ils disposent des moyens nécessaires pour mener à bien leur mission.
Ces pôles, en effet, ne bénéficient que de faibles moyens, presque dérisoires compte tenu de l'ampleur des instructions à mener.
Ainsi, Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy, au cours de son audition, a rappelé que ce pôle ne disposait que de trois juges d'instruction et de sept substituts. Et encore un des trois juges d'instruction a conservé un grand nombre d'affaires d'escroqueries et d'abus de confiance dont il était déjà saisi, tandis que les affaires de santé publique et de responsabilité médicale n'ont donné lieu à la création que d'un seul poste de substitut supplémentaire.
La faiblesse de ces moyens a également été soulignée par les représentants de l'Association nationale des accidentés de la vie (FNATH), pour laquelle les affaires relatives à l'amiante nécessiteraient, à elles seules, des moyens supérieurs à ceux actuellement affectés au pôle de Paris.
Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy a estimé que l'instruction de cette affaire allait représenter « un travail colossal ».
Rien que dans le dossier de l'amiante de Jussieu, plus de cent victimes ont déposé une plainte, ce qui implique autant de saisies de dossiers médicaux, d'expertises médicales, le cas échéant de contre-expertises et d'établissement des liens de causalité entre les pathologies et l'amiante et entre ces pathologies et les fautes susceptibles d'être relevées.
Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy n'a pas caché son inquiétude : « Il faudra relier une contamination avec tel responsable pendant telle période. Et comment déterminer la période de contamination ? Il faut savoir que nous sommes déjà très chargés à Paris avec de nombreuses autres affaires de santé publique, par exemple Tchernobyl, la vache folle, l'hormone de croissance. Ce sont des dossiers difficiles de par le nombre de victimes et l'ampleur des investigations. Nous n'avons pas de moyens suffisants ».
A cet égard, elle a tenu à rappeler qu'« avant la création du pôle santé, il y avait deux groupes de sept officiers de police judiciaire (OPJ) à la brigade de police spécialisée alors qu'aujourd'hui, il n'y a plus qu'un seul groupe avec quatre OPJ. C'est vraiment catastrophique ! ». Ainsi, la commission rogatoire de l'amiante n'est même pas attribuée à un OPJ depuis plusieurs mois, dans la mesure où celui qui en était chargé est devenu chef de service et ne fait plus de procédure.
Le garde des Sceaux, M. Pascal Clément, a indiqué que « les besoins matériels de renforcement des effectifs de magistrats et fonctionnaires nécessaires à la mise en place de ces deux pôles de santé ont fait l'objet d'une évaluation dès l'année 2003 à la suite de laquelle les postes ont été créés et pourvus ». Selon lui, « les deux juridictions spécialisées sont donc parfaitement en mesure de mener des enquêtes, d'ouvrir des dossiers d'information ou de recueillir les dossiers les plus complexes sur dessaisissement d'autres tribunaux ».
Du reste, « il existe un écart entre Paris et Marseille » a indiqué le ministre. Actuellement, six magistrats du parquet, trois juges d'instruction et quatre assistants spécialisés, soit deux médecins inspecteurs de la santé publique, un inspecteur de la santé publique vétérinaire et un pharmacien inspecteur de la santé publique, sont en charge des quinze procédures en cours dans le pôle de Paris. Le pôle de Marseille monte en puissance. Pour le moment, une procédure lui a été transmise. Aujourd'hui, ce pôle compte un magistrat spécialisé, tandis que deux assistants, soit un médecin inspecteur de la santé publique et un inspecteur de la santé publique vétérinaire, vont renforcer cette structure à partir du 1 er septembre 2005.