COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION

Compte rendu du déplacement à Dunkerque
31 mars 2005

Composition de la délégation : M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président,
Mmes Michèle San Vicente, vice-présidente, Sylvie Desmarescaux, secrétaire, Michelle Demessine, Marie-Christine Blandin et M. Bernard Frimat

- Réunion avec des représentants de l'Association nationale des victimes de l'amiante (ANDEVA) et de l'Association régionale des victimes de l'amiante (ARDEVA) du Nord-Pas-de-Calais

1. Les activités de l'ARDEVA

M. Pierre Pluta, président de l'ARDEVA a d'abord rappelé que cette association avait été créée en 1996 et regroupait l'ensemble des victimes de l'amiante dans la région Nord-Pas-de-Calais, quels que soient leurs corps de métiers et leurs sensibilités syndicales ou politiques.

La création de l'ARDEVA est née du constat que la reconnaissance des pathologies liées à l'amiante comme maladies professionnelles apparaissait comme un véritable « parcours du combattant ». En effet, cette reconnaissance nécessite d'apporter un témoignage, ce qui se révèle difficile, les personnes ou entreprises concernées pouvant avoir disparu alors même que les délais de latence de la maladie sont extrêmement longs. Toutefois, l'ARDEVA s'est rendue compte qu'elle ne pouvait limiter sa mission à agir en faveur d'une telle reconnaissance. Elle joue également un rôle important en matière d'écoute des victimes qui s'expriment souvent pour la première fois sur leur maladie, qu'elles considèrent comme honteuse, auprès de membres de l'association.

Les représentants de l'ARDEVA réfutent la distinction entre les maladies bénignes, telles les plaques pleurales, et les maladies malignes, toutes les pathologies liées à l'amiante étant invalidantes (problèmes respiratoires, essoufflements). Les victimes viennent ainsi à l'association parler de leurs souffrances et de leurs angoisses, ainsi que des effets secondaires des traitements et aussi, parfois, de leurs espoirs. La capacité d'écoute des membres de l'association est donc un point important.

L'association doit également soutenir les familles, notamment après le décès de la victime, qui intervient souvent rapidement après l'apparition d'un cancer broncho-pulmonaire ou d'un mésothéliome. L'ARDEVA voudrait ainsi pouvoir donner aux victimes une « étincelle d'espoir », mais elle rencontre de grandes difficultés pour le faire, contrairement à des associations intervenant sur d'autres types de cancers pour lesquels l'espérance de vie est souvent bien plus importante. Selon l'association, les pouvoirs publics devraient accorder des moyens à la recherche médicale en direction des cancers liés à l'amiante, au moins pour pouvoir stopper l'évolution de la maladie. Elle a souligné l'absence du mésothéliome dans le « plan cancer » annoncé par le président de la République. Elle a également constaté un manque d'information flagrant du corps médical sur les pathologies liées à l'amiante. L'ARDEVA a même dû établir un guide relatif à la reconnaissance au titre des maladies professionnelles, qu'elle a adressé aux médecins de la région.

L'ARDEVA a souligné les limites du suivi médical post-professionnel mis en place par un arrêté du 28 février 1995 et qui apporte des informations sur l'attestation d'exposition à l'amiante devant être remise par l'entreprise aux salariés concernés. Plusieurs années après la mise en place du suivi médical post-professionnel, on constate qu'un tiers des effectifs des industries de la région ayant travaillé au contact de l'amiante est atteint par une pathologie liée à ce matériau. Pourtant, plus de 5.000 personnes ayant aujourd'hui quitté ces entreprises, l'entreprise Sollac en particulier, ne disposait d'aucune information sur leur état de santé. Par ailleurs, le suivi médical organisé à Dunkerque ne paraît guère opérationnel, faute de moyens. Ainsi, le centre hospitalier de Dunkerque a demandé la création d'un poste de pneumologue et l'Agence régionale de l'hospitalisation en a admis le principe, à condition que le centre hospitalier finance lui-même ce poste.

Les représentants de l'ARDEVA ont estimé que le drame de l'amiante n'avait pas servi de leçon car de nouveaux problèmes semblent apparaître avec certains des produits de substitution utilisés, telles les fibres céramiques réfractaires. L'association a d'ailleurs alerté le ministre du travail et des affaires sociales de l'époque ainsi que plusieurs parlementaires dont certains ont interrogé le gouvernement.

L'association a également insisté sur le problème du statut des médecins du travail dont la mission est rendue difficile par leur lien de subordination à l'employeur.

Selon l'ARDEVA, les salariés travaillant au contact de l'amiante n'étaient, à l'époque, absolument pas informés des dangers de ce matériau ; certains ignoraient même qu'ils travaillaient au contact de l'amiante, y compris dans des établissements publics comme le Port autonome, voire ignoraient jusqu'à l'existence de cette fibre. Certains médecins du travail expliquaient même que l'amiante était sans danger ou que le risque pris n'était pas plus grand que le fait de fumer.

Selon un représentant de l'ANDEVA, personne ne soutient plus aujourd'hui la thèse, y compris les employeurs, que les salariés étaient informés de la nocivité de l'amiante. La stratégie de défense des employeurs consiste à mettre en avant la sous-estimation générale des dangers de l'amiante et, relevant que tout le monde s'était trompé sur la nocivité de ce matériau, à en conclure qu'il n'y a aucune raison de faire porter les responsabilités de ce drame sanitaire sur les seuls employeurs.

2. Le témoignage de deux « veuves de l'amiante »

Les deux veuves qui se sont exprimées ont apporté un témoignage particulièrement poignant. Elles ont insisté sur l'âge relativement jeune de leurs maris à leur décès, respectivement 59 ans et 50 ans, et sur les souffrances qu'ils ont endurées. L'une des deux veuves a dû assurer seule l'éducation de ses cinq enfants à 46 ans.

Elles ont dénoncé les lenteurs de l'administration tant en ce qui concerne la reconnaissance au titre des maladies professionnelles (10 mois) qu'en matière d'indemnisation (dossier déposé il y a trois ans). Elles ont également noté les difficultés financières auxquelles elles sont confrontées, l'une d'entre elles indiquant ne percevoir que 1.600 euros par trimestre.

Elles ont exprimé le sentiment de gâchis familial et social engendré par l'amiante et qui n'aurait jamais dû survenir si leurs maris avaient travaillé ailleurs. Dénonçant le laxisme de l'ensemble des acteurs professionnels, elles ont souhaité un procès pénal de l'amiante qui permettrait de désigner les responsables, non par souci de vengeance, mais pour qu'un tel drame ne se reproduise plus jamais.

3. Le volet juridique

Maître Michel Ledoux, avocat de l'ANDEVA, et M. Michel Parigot, membre de l'ANDEVA, ont rappelé que depuis une dizaine d'années, l'ANDEVA a engagé deux séries de procédures : d'une part, sur le plan civil, afin d'obtenir une indemnisation pour les victimes, et, d'autre part, sur le plan pénal, afin que les responsabilités soient clairement établies.

Procédure civile

La reconnaissance des maladies professionnelles a longtemps été assimilée à un véritable « chemin de croix ». Le risque professionnel, financé par les entreprises depuis l'institution du système assurantiel il y a plus de cent ans, apparaît aujourd'hui obsolète. L'ANDEVA souhaite que la tarification des accidents du travail par les entreprises soit réformée, ce qui est d'ailleurs prévu par le plan Larcher. Elle estime en effet que les entreprises dans lesquelles surviennent les accidents du travail devraient en assumer les conséquences financières. La prévention devrait être, à l'avenir, pour ces entreprises, économiquement plus rentable que la réparation.

L'ANDEVA a engagé des procédures sur le terrain de la faute inexcusable de l'employeur. Depuis un arrêt du 28 février 2002, la Cour de cassation a mis à la charge des entreprises une obligation de résultat en matière de sécurité au travail et a condamné à plusieurs reprises l'employeur pour faute inexcusable.

Il existe cependant de grandes disparités en matière d'indemnisation qui peuvent aller de 1 à 10 selon le ressort des tribunaux. Il s'agit pour l'ANDEVA d'un aléa judiciaire infondé et source d'une perte de crédibilité pour la justice. D'ailleurs, le rapport Lambert/Faivre, établi début 2004, à la demande du garde des Sceaux, avait proposé de prendre en compte des moyennes à partir des indemnisations décidées par les tribunaux en matière de réparation des dommages corporels.

Procédure pénale

L'ANDEVA a déposé plusieurs plaintes pour blessures ou homicides involontaires contre des employeurs, dans le domaine de la sidérurgie par exemple, dès 1996-1997. Ces dossiers n'ont guère évolué depuis.

Un non-lieu a été confirmé par la cour d'appel sur la base de la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000 relative aux délits non-intentionnels. L'association attend désormais la décision de la Cour de cassation.

Les représentants de l'ANDEVA ont estimé qu'en matière de santé publique, les dommages étaient forcément indirects et les responsables nombreux, voire très nombreux. Dans ces conditions, la « loi Fauchon » interdit toute poursuite, d'autant plus qu'elle exige une faute caractérisée pour engager la responsabilité. Or, une telle faute est précisément impossible à démontrer dans l'affaire de l'amiante, tant les acteurs étaient nombreux à s'être trompés. Dans un article de La Voix du Nord, le sénateur Fauchon avait suggéré aux victimes de recourir à la citation directe dans le cas de l'amiante. Or cette procédure sans instruction, utilisée pour les affaires les plus simples, suppose des responsables identifiés et apparaît pour l'ANDEVA tout à fait inadaptée.

L'ANDEVA a rappelé qu'elle avait, à l'époque de l'examen de ce texte, informé le gouvernement et l'ensemble des groupes parlementaires des risques que ne manquerait pas de faire courir la « loi Fauchon ». Certes, si, à l'origine, cette loi visait à limiter l'engagement de la responsabilité pénale des maires (même si seulement quatre élus locaux étaient en moyenne condamnés chaque année), elle a des conséquences sur la gestion des risques collectifs. Selon l'ANDEVA, le risque, dans une société aussi complexe que la nôtre, est beaucoup plus difficile à identifier qu'à l'époque de la rédaction du code pénal, les responsabilités étant souvent indirectes. Or la « loi Fauchon », qui a mis un terme à l'instruction des plaintes dans l'affaire de l'amiante, a envoyé un « message terrible » susceptible d'entraîner des conséquences négatives en termes de prévention. La « loi Fauchon » conduirait ainsi à punir davantage l'exécutant que le décideur dans un contexte où des catastrophes sanitaires pourraient se reproduire (éthers de glycol ou fibres céramiques réfractaires). En outre, les pôles de santé publique dans les parquets, à Paris et à Marseille, n'ont pas les moyens de conduire des instructions approfondies.

Les responsables de l'ANDEVA ont proposé de transmettre à la mission leurs suggestions pour modifier la « loi Fauchon » sur les problèmes qu'elle pose en matière de santé publique.

4. L'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA)

Les responsables de l'ARDEVA ont également dénoncé les difficultés de la reconnaissance des maladies professionnelles, l'exclusion des fonctionnaires du bénéfice de l'ACAATA et une méthode de calcul qui conduit à réduire de moitié l'indemnisation des dockers.

Comme le bénéfice de l'ACAATA est subordonné à la démission du salarié concerné de son poste de travail, le faible montant de l'allocation (85 % du salaire) prive nombre de ses bénéficiaires d'un niveau de vie décent, d'autant plus que les ouvriers de l'amiante percevaient un salaire peu élevé. L'ARDEVA a souhaité que le montant de l'ACAATA soit au moins égal au SMIC.

5. Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA)

L'ARDEVA souhaiterait que la base du barème d'indemnisation du FIVA, qui est destinataire de l'ensemble des jugements pour faute inexcusable en matière d'amiante (1.400 en juin 2004), corresponde à l'indemnisation moyenne accordée par les tribunaux. Il existe en effet de grandes disparités entre l'indemnisation du FIVA et celle accordée par les tribunaux. Par exemple, pour les plaques pleurales (avec 5 % d'incapacité professionnelle), le FIVA propose une indemnisation de 14.300 euros, alors que la moyenne des indemnisations judiciaires s'élève à 25.800 euros. Pour un mésothéliome (100 % d'incapacité professionnelle), le FIVA propose 100.000 euros contre 160.000 euros pour les tribunaux.

Le FIVA qui, outre sa mission d'indemnisation, doit également engager des actions subrogatoires, ne remplit pas cette seconde mission. D'une part, il manque de moyens (son service juridique ne comptant que cinq collaborateurs alors qu'il reçoit 700 dossiers par mois), et, d'autre part, la tutelle, c'est-à-dire l'Etat, ne semble pas faire une priorité de cette mission.

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A l'issue d'une conférence de presse tenue au siège de l'ARDEVA, la délégation de la mission a participé, à l'invitation de M. Alain Perret, sous-préfet de Dunkerque, à un déjeuner de travail à la sous-préfecture .

Participaient notamment à ce déjeuner de travail : MM. Jean-Pierre Decool, député de la 14ème circonscription du Nord, Jean-Philippe Joubert, procureur de la République, Naels, président de la Chambre de commerce et d'industrie, Léchevin, directeur des relations humaines du Port autonome, et Pierre Pluta, président de l'ARDEVA.

- Table ronde avec les syndicats

Participants :

- pour FO : MM. Jean-Jacques Fournier et Raymond Ryckebuch ;

- pour la CGT : MM. Jean-Pierre Thoor, Claude Tange, Gérard Oms, Bernard Benoît, Philippe Collet et Dany Wallyn ;

- pour la CFDT : MM. Fernand Donnet et Pierre Méquignion.

Les représentants de la CGT ont indiqué que les ouvriers de l'amiante, au cours de leur carrière, n'avaient jamais été avertis de la nocivité de ce matériau, ni par les organisations syndicales, ni au sein des CHSCT (des rapports du CHSCT de la fin des années 1980 indiqueraient que la direction de certaines entreprises affirmait qu'il n'existait pas d'études scientifiques sur les effets de l'amiante sur la santé alors que l'Association pour la prévention des risques professionnels (AINF) affirmait le contraire), ni par la médecine du travail, ni par l'inspection du travail. On conseillait même, après usage, aux ouvriers de la sidérurgie, de secouer leur protection ignifugée contenant de l'amiante, ce qui avait pour conséquence de disperser les fibres. Ce n'est qu'à partir du milieu des années 1990 que l'on a commencé à parler des risques sanitaires de l'amiante. L'utilisation massive de l'amiante (« dans les établissements industriels de Dunkerque, il y avait de l'amiante partout, y compris dans les bureaux ») résultait des nombreuses qualités prêtées à cette fibre : moyen d'isolation efficace pour travailler à haute température, coût faible, grande malléabilité.

D'après les interlocuteurs de la mission, beaucoup d'amiante subsiste encore dans les bâtiments industriels en dépit des travaux de désamiantage effectués.

L'absence de coordination avec la médecine du travail a été dénoncée. Selon les syndicalistes entendus, celle-ci est toujours réticente à aborder le sujet : par exemple, son dernier rapport n'évoque ni le nombre de décès d'origine professionnelle, ni la cause des décès.

La direction d'Arcelor continuerait à cacher la vérité sur l'ampleur de la présence d'amiante.

Le système de cessation anticipée d'activité serait mal conçu, la loi étant interprétée de façon ambiguë en ce qui concerne l'obligation du préavis.

Les conditions du désamiantage ont également été critiquées. Il existe des situations dans lesquelles le caractère dangereux de l'amiante doit encore faire l'objet d'une vigilance particulière.

Les représentants de la CFDT ont indiqué, à partir des données fournies par 43 sections syndicales, que plus des trois-quarts des petites et moyennes entreprises et industries étaient touchées par l'amiante. Ils ont rappelé que, suite à des cas de cancer du poumon dans des cokeries, la CFDT avait demandé une protection collective et individuelle des salariés de l'amiante dès 1983 mais avait essuyé à l'époque de nombreuses critiques.

Dans certaines entreprises, où la direction réfute pourtant la présence d'amiante, on a relevé jusque 20,65 fibres par litre d'air. L'ensemble des organisations syndicales devraient participer aux enquêtes destinées à identifier les entreprises où l'amiante est présent, car l'administration du travail ne dispose pas de toutes les informations, dont certaines ont d'ailleurs été détruites dans les archives pour faire disparaître des dossiers compromettants.

Des inquiétudes sur les conséquences sur la santé des produits de substitution de l'amiante, telles que les fibres céramiques réfractaires, ont été exprimées.

Les moyens de protection des salariés devraient être accrus. Des entreprises non-spécialisées ont parfois été amenées à enlever de l'amiante sans protection particulière : on continue ainsi de contaminer de jeunes salariés. A été cité le cas d'un salarié d'une de ces entreprises qui n'avait travaillé que trois mois sur un chantier de désamiantage d'une agence de la Banque de France, mais qui est aujourd'hui atteint d'une pathologie liée à l'amiante.

Le statut de la médecine du travail devrait également être réformé afin de la rendre indépendante et de lui octroyer davantage de pouvoirs, les médecins du travail, salariés de l'entreprise, « n'ayant pas les mains libres ».

L'inspection du travail n'aurait également pas rempli sa mission dans le dossier de l'amiante, à commencer par la diffusion d'informations. Certains inspecteurs du travail affirmaient en effet que les plaques pleurales n'étaient pas une véritable maladie.

En Allemagne, un délai de seulement trois ans s'est écoulé entre l'alerte donnée sur les dangers de l'amiante et le désamiantage complet des sites sidérurgiques.

Les conditions d'établissement des certificats d'exposition à l'amiante ne seraient pas satisfaisantes.

Les représentants de FO ont insisté sur l'utilisation importante de l'amiante sur les navires. Ceux-ci en contiennent d'ailleurs encore d'importantes quantités, soit qu'ils aient été construits avant 1997 soit qu'ils proviennent de pays où l'amiante n'est pas interdit. La recherche d'amiante sur un navire de passage est rendue d'autant plus difficile que celui-ci a souvent quitté le port avant que les résultats du diagnostic ne soient connus.

L'utilisation des fibres céramiques réfractaires a été dénoncée et des interrogations émises sur leur caractère cancérogène.

Sept objectifs ont été évoqués afin de lutter efficacement contre les méfaits de l'amiante : briser la loi du silence ; saisir l'ampleur du problème et des conséquences sanitaires (données parcellaires mais impressionnantes) ; désamianter en uniformisant les législations des Etats ; renforcer la prévention ; élargir la liste des professions bénéficiant de départs anticipés ; améliorer l'indemnisation ; accroître la prévention des risques liés aux autres matériaux cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

- Audition des représentants de l'entreprise Arcelor

Participants : MM. Denis Hugelmann, directeur de l'entreprise Sollac-Atlantique à Dunkerque, et Jean-Claude Muller, directeur santé-sécurité d'Arcelor.

M. Denis Hugelmann a indiqué que l'amiante avait été utilisé dans la sidérurgie pour deux types d'usage : comme coupe-feu pour éviter les incendies et comme équipements (vêtements de fondeur, nappes...) pour protéger les salariés de la chaleur et des projections de métal liquide.

Il a estimé que l'analyse des risques devait être replacée dans le contexte de l'époque, le principal risque alors perçu étant la brûlure et le feu.

L'entreprise Arcelor, dénommée Usinor jusqu'en 2002, qui emploie 100.000 salariés, dont 30.000 en France, avait diffusé une note en février 1977 sur les précautions à prendre pour enlever les coupe-feu (port d'un masque). Suite à la publication du décret de 1977, les vêtements de protection sont aujourd'hui recouverts d'aluminium.

Le problème de l'amiante n'a commencé à être évoqué au sein des CHSCT qu'au cours des années 1990. L'inspection du travail n'a envoyé à l'usine de Dunkerque aucun courrier relatif à l'amiante avant 1996.

Les fibres céramiques réfractaires suscitent en effet des interrogations quant à la dangerosité et l'entreprise tend à utiliser le béton réfractaire et la laine de roche.

Concernant le certificat d'exposition à l'amiante, l'entreprise de Dunkerque propose à tout salarié ayant été exposé éventuellement à l'amiante de bénéficier d'un suivi post-expositionnel. Les médecins du travail ne peuvent cependant certifier que ce qu'ils constatent physiquement sur un salarié et estiment ne pas pouvoir établir un diagnostic certain dans le cas où un salarié atteint par une pathologie liée à l'amiante a travaillé auparavant dans une autre entreprise où l'amiante était présent. L'entreprise Sollac de Dunkerque se refuse à délivrer un certificat d'exposition à l'amiante qui pourrait être utilisé ensuite contre elle par un salarié, au cours d'un éventuel procès.

M. Jean-Claude Muller, rappelant que l'usine de Dunkerque avait été construite en 1962, a expliqué que la sidérurgie était confrontée à l'époque à un grave problème de sécurité au travail lié aux brûlures. Son premier souci était alors de trouver une solution, la prise de conscience collective des risques de l'amiante ayant été beaucoup plus tardive.

La réglementation européenne concernant la protection contre l'amiante couvre 90 % des usines d'Arcelor. Au Brésil, où l'amiante continue d'être produit et utilisé, il n'est pas possible d'imposer dans les usines de l'entreprise les mêmes règles qu'en Europe, même si certaines bonnes pratiques ont été transposées dans ce pays.

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- Table ronde avec des représentants de la Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) et des médecins du travail

Participants :

- CRAM : Mme Christine Dupont et M. Jean Chaudron ;

- Médecine du travail : Dr Joël Merle, médecin aux Chantiers de France, Dr Françoise Besme, ancien médecin du Port autonome, Dr Dérumeau, médecin de l'usine des Dunes, Dr Philippe Robinet, médecin du travail chez Eternit, Dr Daniel Furon, président du Centre de recherche en ergonomie, santé, travail (CERESTE).

Certains médecins du travail ont observé des mésothéliomes dès 1966. Ils se sont alors intéressés à l'amiante-ciment ou à l'isolation, mais ont reconnu n'avoir jamais songé aux autres risques d'exposition, pour les dockers par exemple. Leur connaissance des pathologies liées à l'amiante a donc été progressive. Certains médecins du travail, confrontés à des cas de cancer du poumon dans la réparation navale, pour des opérations de carénage, au milieu des années 1980, n'avaient pas même émis l'hypothèse que l'amiante pouvait être la cause de leur maladie.

Un système de surveillance post-professionnelle a été mis en place à partir de 1995, soit avant l'interdiction de l'amiante, avec l'aide du conseil régional. A l'époque, seul un pneumologue sur dix connaissait les risques de l'amiante.

Il était difficile, jusqu'au milieu des années 1980, de persuader les directions des entreprises et les CHSCT de prendre des précautions contre le risque amiante. Ainsi, à Usinor, à la fin des années 1970, la direction n'avait pas pris en considération l'alerte donnée par le médecin du travail. L'importance du risque s'en est donc trouvée sous-estimée.

Le dépistage demeure aujourd'hui difficile : 25 % des personnes ayant une radiographie normale des poumons présentent des plaques pleurales qui ne sont visibles qu'au scanner.

La législation est mal, voire pas appliquée, notamment pour l'établissement du certificat d'exposition à un produit chimique qui doit être délivré à un salarié quittant l'entreprise, et qui doit être co-signé par le directeur et le médecin du travail. Certains médecins ont dû établir un certificat de leur propre initiative en faveur d'un salarié. Ils ont parfois aussi été sollicités pour signer un certificat établi par le salarié lui-même, alors que c'est l'entreprise qui doit en prendre l'initiative.

Dans les entreprises, il existait souvent un seuil de dangerosité, en dessous duquel les salariés s'estimaient à l'abri. Ils ne prenaient donc aucune précaution particulière.

Le suivi des salariés anciennement exposés pose également problème.

Le dispositif de cessation anticipée d'activité ne bénéficie pas à certaines professions telles que les garagistes, les chauffagistes ou les plombiers, ni aux sous-traitants.

Il y a eu trop longtemps un manque de transparence dans la communication des informations aux médecins du travail et aux CHSCT.

S'agissant des dockers, le débat à l'époque portait sur la prime de risque : cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait pas de débat sur l'existence d'un risque mais que celui-ci n'était pas abordé sous l'angle de la prévention mais sous celui de la réparation. De ce point de vue, on peut parler d'un échec de la prévention, voire d'un échec personnel pour les médecins du travail.

Les représentants de la CRAM ont estimé qu'il était difficile de faire comprendre aux entreprises qu'une faible exposition à l'amiante peut être dangereuse. La communication sur le risque lié à l'amiante a été en fait inexistante.

Il existe un problème de preuve de l'exposition à l'amiante pour les anciens salariés et plus encore pour ceux utilisés dans les entreprises de sous-traitance.

S'agissant de l'ACAATA, l'instruction du dossier administratif et les modalités de calcul sont particulièrement complexes (environ deux mois sont nécessaires pour instruire un dossier). Cette difficulté est telle qu'elle a des conséquences sur la qualité des réunions d'information organisées sur le sujet.

- Audition de l'Association pour la défense des victimes de l'amiante (APDA-CGT (dockers))

Participants : MM. Marcel Suszwalak, Christian Jonvel, et Jacques Dehorter, Mmes Baert et Heemeryck.

L'APDA-CGT a été créée en 1998. Elle visait au départ la filière transports des ports français, mais concerne désormais toutes les professions portuaires qui ont été exposées à l'amiante, de très nombreux dockers ayant été contaminés alors qu'ils n'ont jamais été informés des dangers de ce matériau avant 1992.

Le système de reconnaissance des maladies professionnelles n'est pas satisfaisant, le dernier employeur n'étant pas forcément celui qui est à l'origine de la contamination par l'amiante ; des collectivités territoriales ont par exemple employé des salariés des chantiers navals déjà contaminés.

Les modalités de calcul de l'indemnité des dockers ne sont pas adaptées. Elles aboutissent à une indemnisation à hauteur de 65 % du salaire brut, soit un niveau très faible. Il conviendrait de porter le montant minimum de l'indemnisation au niveau du SMIC.

En matière pénale, les représentants de l'APDA-CGT n'engageront de recours que lorsqu'ils auront la preuve irréfutable de la contamination. Pour eux, il ne s'agit pas de mettre en cause des personnes mais d'établir la responsabilité de différentes institutions qui n'ont pas accompli leur mission, en particulier la médecine du travail ou le ministère en charge d'accorder les licences d'importation de l'amiante.

Compte rendu du déplacement à Cherbourg
14 avril 2005

Composition de la délégation : MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, président,
Roland Muzeau, vice-président, Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, rapporteurs, et Mme Adeline Gousseau.

- Réunion avec les représentants de l'entreprise Constructions Mécaniques de Normandie (CMN)

Participants : MM. Pierre Balmer, président, Jean-Paul Rigault, directeur des ressources humaines, Thierry Dontenville, responsable du département production et président du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et Léon Durel, responsable hygiène et sécurité au travail.

S'appuyant sur deux films de présentation de l'entreprise, les participants ont tout d'abord exposé les activités des Constructions Mécaniques de Normandie : la fabrication de navires de guerre, notamment de patrouilleurs rapides, a longtemps assuré leur prospérité ; la concurrence d'autres arsenaux aux coûts de production plus faibles, situés par exemple en Pologne, a cependant obligé l'entreprise à se restructurer et à diversifier sa production, en s'orientant vers la construction de navires de plaisance (yachts) et en développant les activités de service (logistique et maintenance). CMN emploie actuellement 350 salariés (contre 1.100 dans les années 1980), dont une cinquantaine dans son bureau d'études.

Après une visite des locaux de l'entreprise, les représentants des CMN ont abordé la question de l'exposition des salariés à l'amiante . Ils ont évalué à 2.200 le nombre de salariés, occupés au flocage des vedettes, ayant subi une forte exposition à l'amiante entre 1966 et 1978. D'autres salariés ont subi une exposition plus faible en utilisant, de 1978 à 1984, des tapis, gants ou coussins de protection en amiante. Jusqu'en 1996, des salariés ont enfin pu être soumis à des expositions sporadiques à l'amiante, contenu notamment dans des joints.

Ils ont estimé que l'utilisation importante de l'amiante dans l'entreprise résultait d'une insuffisante prise de conscience des risques qui y étaient associés, tant de la part des dirigeants de l'entreprise que du CHSCT ou des intervenants extérieurs, comme l'inspection du travail ou la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM). De plus, les vêtements de protection existant à l'époque, se présentant notamment sous forme de scaphandres, apparaissaient excessivement contraignants pour les salariés.

Ils ont souligné que le nombre de déclarations de maladies professionnelles causées par l'amiante était resté très faible jusqu'en 1992, avant de connaître une forte augmentation, puis de franchir un nouveau palier à partir de 1997. De multiples facteurs ont favorisé la déclaration des maladies professionnelles : la réalisation de bilans de santé au moment des départs en préretraite ; la mise en oeuvre, dès 1997, d'abord à l'initiative de l'entreprise, puis à l'initiative de la CRAM, d'un suivi médical post-professionnel ; l'arrivée du scanner, qui a permis d'affiner les diagnostics ; la simplification du tableau 30 des maladies professionnelles, qui recense les maladies professionnelles causées par l'amiante ; une meilleure information, tant du grand public que des médecins généralistes, sur les problèmes causés par l'exposition à cette fibre. Le temps de latence très long des maladies causées par l'amiante ne permet pas d'évaluer précisément, aujourd'hui, le nombre de personnes qui vont développer, à terme, des pathologies.

Les représentants des CMN ont ensuite indiqué que les taux d'incapacité permanente partielle (IPP) les plus couramment observés chez les salariés malades de l'amiante étaient de, respectivement, 5 % (dans 80 % des cas) et 100 % (dans 20 % des cas).

Un taux d'IPP de 100 % ouvre droit au bénéfice d'une rente égale à 100 % du salaire brut. En application des règles de tarification de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale, l'employeur se voit ensuite facturer une somme égale à 32 fois le salaire brut annuel du salarié, ce qui représente, en moyenne, entre 600.000 et 700.000 euros.

Les salariés peuvent également intenter devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) un recours visant à faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur , afin de bénéficier d'une majoration de leur rente. Pour une personne dont le taux d'IPP est de 100 %, les réparations complémentaires accordées par les TASS au titre du préjudice physique, moral et d'agrément s'échelonnent entre 110.000 et 300.000 euros. Il s'agit là de montants difficiles à prendre en charge pour une entreprise à la situation financière fragile comme les Constructions Mécaniques de Normandie.

A défaut d'engager un recours en justice, les victimes peuvent adresser une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Mais le FIVA peut ensuite engager une action subrogatoire pour récupérer, auprès de l'entreprise, les sommes versées.

Après un rappel de l'évolution de la réglementation, les participants ont souligné que la faute inexcusable était systématiquement reconnue à l'encontre des CMN et qu'aucune compagnie n'acceptait plus, de ce fait, d'assurer contre ce risque. L'entreprise a dû faire face, jusqu'ici, à 110 recours en justice, dont une partie est encore en attente de jugement. Pour éviter la condamnation, et faire supporter la charge financière de l'indemnisation par la branche AT-MP, elle tente de s'abriter derrière des moyens tirés du non-respect de certaines règles de procédure. Cette stratégie de défense est cependant de moins en moins efficace, dans la mesure où les caisses primaires d'assurance maladie en ont tiré les conséquences et revu leurs exigences en matière de formalisme. La charge de l'indemnisation pèse ainsi lourdement sur les entreprises, ce qui peut mettre en péril leur équilibre financier.

L'inscription, en 1999, des CMN sur la liste des entreprises dont les salariés ont droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) a permis, à ce jour, à 173 d'entre eux de partir en préretraite. La création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, d'une nouvelle taxe mise à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante devrait entraîner pour l'entreprise un surcoût de 300.000 euros.

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- Réunion avec les représentants de l'entreprise DCN

Participants : MM. Daniel Cauchon, directeur, Gérard Feuardent, secrétaire général, Bernard Ract, chef du service de médecine du travail, Gilles Lecler, chef de la division méthodes, Yvan Pucelle, adjoint au directeur des ressources humaines, Denis Lerouvillois, service de l'infrastructure, Jean-Claude Feron, service des ressources humaines, et Patrick Dufour, chargé de prévention santé et sécurité au travail.

DCN dispose de huit sites industriels en France, dont celui de Cherbourg, spécialisé dans la fabrication des sous-marins. L'entreprise a changé de statut en 2003 pour devenir une société anonyme contrôlée par l'État. Les biens situés à Cherbourg ont été partagés entre DCN et la Marine nationale.

L'amiante était couramment utilisé à différentes étapes de la construction des sous marins :

- pour la protection des opérateurs en soudage et des équipements, en cas de travail de l'acier à très hautes températures ; l'amiante a depuis lors été remplacé par des matériaux en fibres minérales ;

- pour le calorifugeage : l'amiante a été remplacé, dans cet usage, par une variété de fibre céramique ; un groupe de travail réfléchit à un nouveau produit de substitution ;

- pour les peintures : les peintures bitumeuses, résistantes à l'eau de mer, contenaient de l'amiante ; elles ne sont plus utilisées à Cherbourg depuis la fin de l'année 1994 ;

- dans les joints et tresses d'étanchéité : soumis à des températures ou à des pressions élevées, ils ont souvent été fabriqués à partir de matériaux contenant de l'amiante, de sorte que leur retrait crée un risque d'exposition à la poussière d'amiante ; DCN travaille à leur remplacement par des produits de substitution.

Les opérations de maintenance sont confiées à des entreprises agréées afin de protéger les salariés contre le risque d'exposition à l'amiante.

L'amiante est également présent dans les immeubles bâtis , où il a été utilisé, notamment, pour des opérations de calorifugeage, dans des joints, des toitures en amiante ciment, des canalisations, des revêtements de sol, etc. En 1997, DCN a effectué, en application de la réglementation, un diagnostic complet des flocages, calorifugeages et faux plafonds, ce qui a conduit au désamiantage de deux bâtiments. Puis DCN a réalisé en 2004, conformément au décret du 13 septembre 2001, un diagnostic amiante étendu, qui a permis de repérer la présence d'amiante dans certains composants de construction (dalles de sol, bardages, toitures). Des opérations de retrait d'amiante sont en cours dans cinq bâtiments à la suite de ces contrôles. Des diagnostics sont également effectués avant chaque chantier de démolition. Le Centre d'Essais Techniques de DCN Cherbourg dispose de moyens d'analyse permettant de repérer la présence d'amiante dans les matériaux ou de mesurer la concentration de fibres d'amiante dans l'air. Depuis 1998, environ un millier d'échantillons ont ainsi été analysés et 130 campagnes de contrôle d'atmosphère ont été menées. Des opérations de nettoyage ont également été engagées lorsque les analyses de poussières ont mis en évidence la présence d'amiante dans celles ci. D'autres chantiers de dépoussiérage - nettoyage sont prévus jusqu'en 2008.

DCN s'est préoccupé de la prévention du risque amiante avant même l'adoption des premières mesures de réglementation, en 1977. Jusqu'en 1985, DCN, qui dépendait du ministère de la Défense, n'était pas soumis aux dispositions du code du travail relatives à la santé et à la sécurité au travail, mais la direction adoptait des instructions qui reprenaient les règles techniques qu'il contenait. Un décret du 19 juillet 1985 a rendu applicables au personnel civil et militaire du ministère les règles techniques figurant dans le titre III du livre 2 du code du travail (hygiène, sécurité et conditions de travail). En 1996, une commission amiante, rattachée au CHSCT, a été créée pour analyser la réglementation, évaluer les risques et proposer des mesures de prévention et de protection.

Depuis 1977, 988 déclarations de maladies professionnelles causées par l'amiante, ayant occasionné 64 décès, ont été recensées. La plupart de ces pathologies sont bénignes (plaques pleurales). Les personnes malades, qu'elles soient en retraite ou encore en activité, bénéficient d'un examen de contrôle tous les deux ou trois ans. Toute personne quittant l'entreprise reçoit une attestation indiquant si elle a été exposée ou non à l'amiante. L'attestation d'exposition ouvre droit à un suivi post-professionnel après le départ en retraite. Conformément aux recommandations de la conférence de consensus de 1999, les personnes malades subissent un scanner tous les quatre ans. Ces examens ont mis en évidence l'existence de nodules pulmonaires dont l'origine reste indéterminée.

Les personnels de DCN bénéficient, selon leur statut, de mesures sociales différenciées. Les salariés de droit privé , relevant du régime général de la sécurité sociale, peuvent percevoir l'ACAATA. On estime que 50 à 60 salariés devraient en bénéficier en 2005, après le pic observé en 2004 (112 départs en préretraite). Le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 a instauré un mécanisme analogue pour les ouvriers d'État du ministère de la Défense : les ouvriers relevant de certaines professions et ayant travaillé sur des ateliers déterminés du site de Cherbourg bénéficient ainsi d'un régime de préretraite. Les fonctionnaires et contractuels du ministère affectés à DCN devraient également pouvoir bénéficier, en vertu de l'article 96 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2003, d'un mécanisme de départ anticipé, mais le décret d'application permettant sa mise en oeuvre n'a toujours pas été publié. Aucun dispositif n'est en revanche prévu pour les militaires . La coexistence, au sein de l'entreprise, de personnels relevant de statuts si divers pose de délicats problèmes d'articulation entre les règles applicables.

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A l'invitation de M. Denis Dobo-Schoenenberg, sous-préfet de Cherbourg, la délégation a participé à un déjeuner de travail à la sous-préfecture .

Participaient à ce déjeuner de travail : MM. Pierre Le Roux, capitaine de vaisseau, représentant du préfet maritime, Bernard Cazeneuve, maire de Cherbourg-Octeville, Michel Garrandoux, procureur de la République, et Jean-Claude Camu, président de la Chambre de commerce et d'industrie.

- Réunion à la mairie de Cherbourg avec les représentants de l'ADEVA (Association de défense des victimes de l'amiante) et des syndicats

Participants :

- pour la CFDT : MM. Patrick Lerouge et Jean Penitot ;

- pour COGEMA Force ouvrière : M. Christian Aubin ;

- pour DCN Force ouvrière : MM. Norbert Lelaidier et Luc Bocquet ;

- pour UD Force ouvrière : M. Daniel Debourgeois ;

- pour la mairie d'Equeurdreville FO : M. Jean-François Michel ;

- pour l'UNSA Santé : Mme Véronique Lepiver ;

- pour l'UNSA Éducation : M. Philippe Lerévérend ;

- pour la CFE-CGC : MM. Jean-Marc Maubray et Daniel Legendre ;

- M. Patrick Delacour, représentant SMCTC - sous-traitant DCN ;

- M. Franck Pignot, délégué Normandie Caoutchouc ;

- pour l'ADEVA : MM. Didier Sayadera, président, Christian Rival, vice-président, et Hervé Estace, trésorier, Mme Jacqueline Bidard;

- pour DCN-ADEVA : M. Noël Buhot ;

- pour la CGT-CMN : MM. Michel Nee et Jean-Pierre Cosnefroy ;

- pour la CGT Construction : M. Michel Lejetté ;

- pour la DCN-CGT - élu CHSCT : M. Luc Vaultier ;

-  pour la DCN - élu délégué personnel CGT : M. Stéphane Houlette ;

- pour la DCN, membre du collectif Amiante CGT : M. Pascal Canu ;

- M. Christian Catherine, secrétaire général de l'Union locale CGT de Cherbourg, et salarié des CMN ;

- pour le syndicat CGT de l'Arsenal de Cherbourg : MM. Jean-François Lecoffre, secrétaire général, Laurent Hébert et Joël Jullien, du collectif amiante.

Les représentants de la CFTC ont souligné que les syndicats avaient longtemps fait confiance au corps médical et que celui-ci n'avait pas correctement rempli sa mission d'alerte. Ils ont regretté que le décret d'application permettant la mise en oeuvre des mesures d'indemnisation prévues par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2003 n'ait pas encore été adopté.

Les représentants de la CGT-DCN ont estimé que la présence de la mission à Cherbourg portait témoignage de la justesse de leur combat, qui vise à obtenir réparation des dommages causés par leur employeur. Ils ont invité les membres de la délégation à porter un regard critique sur les propos rassurants tenus par les dirigeants de l'entreprise, qui affirment que la situation s'améliore. En réalité, des témoignages suggèrent que des dossiers en instance de traitement depuis des mois ont fort opportunément trouvé leur solution peu de temps avant la venue de la délégation. Ils ont considéré que les dirigeants de DCN connaissaient parfaitement la dangerosité de l'amiante, dénoncée par la CGT de l'Arsenal dès les années 1950, mais n'avaient pas pris les mesures de protection nécessaires. DCN continue d'ailleurs d'utiliser de l'amiante et d'en incorporer dans ses sous-marins destinés à l'exportation, par exemple dans le modèle Agosta vendu au Pakistan. Ils ont souhaité un désamiantage complet du site de Cherbourg, dans le plus strict respect des règles de sécurité, afin de ne pas exposer les salariés aux poussières d'amiante. Ils ont également plaidé pour une revalorisation de l'ACAATA, dont le montant, égal à 65 % du salaire brut, est jugé très insuffisant, et ont dénoncé son utilisation comme instrument d'accompagnement des restructurations, souhaitant que tous les départs en préretraite soient compensés par un nombre équivalent d'embauches. Ils ont proposé que des indicateurs fiables soient créés pour évaluer les conséquences humaines et industrielles de l'amiante.

Les représentants de l'UNSA éducation ont estimé qu'il y avait eu une carence de l'État dans sa mission de prévention, avant l'interdiction de l'amiante en 1997. Ils ont déploré l'insuffisance du suivi médical des enseignants et l'absence d'évaluation des conséquences des chantiers de désamiantage en milieu scolaire sur les élèves et les personnels.

Les représentants de l'UNSA santé ont insisté sur l'inquiétude des salariés face aux maladies causées par l'amiante, dont le temps de latence est très long.

Les représentants de la CGT-CMN ont mis en garde contre la présence d'amiante dans les charpentes des locaux des CMN et ont indiqué que 266 salariés avaient, à ce jour, déclaré être atteints d'une maladie professionnelle causée par l'amiante. Ils ont évoqué le problème du suivi des salariés des nombreuses entreprises sous-traitantes des CMN.

Les représentants de l'ADEVA Cherbourg ont rappelé que la région était particulièrement touchée par l'amiante et ont évalué à plus de 1.000 le nombre de salariés contaminés à DCN et à 400 celui des salariés contaminés aux CMN. Au total, plus de 12.000 personnes auraient été exposées sur l'agglomération.

Rappelant les avancées obtenues par les associations de victimes, notamment la création du FIVA et du FCAATA, ils ont souligné l'insuffisante attention portée aux salariés des entreprises sous-traitantes et ont regretté la non-inscription sur les listes ouvrant droit à l'ACAATA de certains établissements ayant exposé leurs salariés à l'amiante. Ils ont vivement dénoncé les règles de cumul entre les indemnisations et les pensions de réversion, qui conduisent certaines veuves à devoir rembourser un trop-perçu. Ils se sont également interrogés sur le bien-fondé de la règle selon laquelle une personne reconnue atteinte d'une maladie professionnelle causée par l'amiante doit être âgée d'au moins 50 ans pour pouvoir bénéficier de l'ACAATA.

Citant les résultats d'une enquête menée par l'inspection du travail, la CRAM et l'INRS, qui avait mis en évidence un très grand nombre d'irrégularités sur les chantiers de désamiantage, ils ont souhaité que les contrôles soient renforcés, ce qui implique d'augmenter les effectifs de l'inspection du travail et de la CRAM. Ils ont noté que les médecins du travail compétents en matière de suivi post-professionnel supportaient également une charge de travail excessive. Ils ont déploré la décision de non-lieu rendue par le juge d'instruction du tribunal de Dunkerque et estimé que la loi Fauchon devait être révisée pour mettre fin à cette impunité. Ils ont enfin regretté l'absence d'une véritable commission d'enquête parlementaire, que la gravité du dossier de l'amiante aurait pu justifier.

Les représentants de la CGT-FO ont affirmé que les maladies de l'amiante étaient six fois plus fréquentes en région Basse-Normandie que dans le reste de la France et se sont dits préoccupés par les risques d'exposition observés lors des opérations de désamiantage, parfois effectuées dans les établissements scolaires en présence des élèves. Ils ont critiqué les modalités de l'indemnisation, qui conduisent à ce que les universitaires de Jussieu soient mieux indemnisés que les ouvriers de l'arsenal, et considéré que l'on n'avait pas tiré les leçons de cette crise, comme en atteste la contamination par les éthers de glycol.

Les représentants de la CFDT-DCN ont estimé que la réglementation de 1977 avait été mal appliquée dans leur entreprise et ont demandé le désamiantage complet des locaux ainsi que l'inscription de l'ensemble du site du Cherbourg sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA. Ils ont indiqué que le faible montant de l'ACAATA conduisait parfois les salariés à renoncer à cette prestation pour continuer à percevoir leur salaire. Ils ont souhaité que des psychologues apportent un soutien aux victimes et demandé que les veuves et les enfants des salariés décédés soient embauchés par DCN. Ils ont évoqué les problèmes posés par les fibres céramiques réfractaires utilisées comme matériau de substitution à l'amiante.

Les représentants de l'Union locale de la CGT de Cherbourg ont regretté l'absence de commission d'enquête parlementaire, qui aurait permis de mieux établir les responsabilités, et indiqué que les employeurs devaient assumer les conséquences financières du suivi médical des victimes.

Le délégué du personnel de l'entreprise Normandie Caoutchouc a enfin fait part de son incompréhension devant le refus d'inscrire son entreprise sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA, alors qu'il est établi que Normandie Caoutchouc a livré des joints amiantés à de nombreux clients dans toute la France. Il a mis en garde contre le risque de catastrophe industrielle que pourrait entraîner le drame de la contamination par l'amiante.

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Le déplacement de la délégation de la mission s'est achevé par une conférence de presse organisée à la mairie de Cherbourg .

Compte rendu du déplacement sur le site universitaire de Jussieu
11 mai 2005

Composition de la délégation : MM. Roland Muzeau, vice-président,
Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, rapporteurs, Gilbert Barbier, secrétaire, Mmes Marie-Christine Blandin et Catherine Procaccia, et M. Ambroise Dupont.

- Réunion avec les représentants de l'université Paris VII Denis Diderot, de l'Institut de physique du globe et de l'Etablissement public du campus de Jussieu (EPA Jussieu)

Participants : MM. Benoît Eurin, président, Robert Perret, directeur de cabinet du président, Sylvain Fourmond, chargé des affaires juridiques, de l'université Paris VII, Professeur Alain Bonneville, directeur adjoint de l'Institut de physique du globe de Paris, MM. Raphaël Franquinet, président, Michel Zulberty, directeur, Jean-François Texier, secrétaire général, Patrick Guyomard, chef du service technique et Alexandre Pernin, de la cellule désamiantage, de l'Etablissement public du campus de Jussieu (EPA Jussieu).

La délégation a tout d'abord assisté à la projection d'un film présentant le chantier de désamiantage d'une des barres du campus de Jussieu.

Construits entre 1964 et 1972, les locaux du site universitaire ont été floqués pour être protégés contre le risque incendie. La barre n° 65-66 est la première à avoir été désamiantée, au cours de l'année 1998-1999, les opérations de désamiantage proprement dites ayant été précédées de six mois de préparation technique destinée à assurer la sécurité du chantier.

Les salariés, munis d'une tenue à usage unique et d'un masque de protection, pénètrent sur le chantier par l'intermédiaire d'un sas divisé en cinq compartiments. Ils sont soumis à un dépoussiérage après avoir quitté la zone contaminée, puis à une première douche, en tenue, suivie d'une seconde douche après déshabillage. La zone du chantier est isolée et maintenue en dépression pour éviter que des fibres d'amiante ne s'échappent vers l'extérieur. Des analyses sont régulièrement effectuées pour évaluer la concentration de fibres d'amiante dans l'air.

Afin de limiter la dispersion de poussières d'amiante dans l'atmosphère, le flocage est humidifié puis l'amiante est retiré à l'aide d'une spatule. Les surfaces désamiantées sont brossées pour éliminer les dernières traces d'amiante. Quarante tonnes d'amiante ont été retirées de la barre 65-66. Les travaux sont considérés achevés lorsque la concentration d'amiante dans l'air est inférieure à cinq fibres par litre.

Les déchets sont envoyés vers des centres d'enfouissement lorsque leur teneur en amiante est faible. Dans le cas contraire, ils sont traités par une entreprise spécialisée, qui les vitrifie pour les transformer en un matériau inerte. Les eaux usées contaminées par l'amiante sont filtrées avant d'être rejetées dans le système d'évacuation général.

Après désamiantage, la protection de la barre contre le risque incendie est assurée par un revêtement à base de plâtre.

Après la projection du film, les représentants de l'Etablissement public du campus de Jussieu ont indiqué que huit barres étaient, à ce jour, désamiantées et que les deux tiers du site devraient être traités d'ici septembre 2005. Le désamiantage ne signifie cependant pas que le chantier soit achevé, puisqu'il est nécessaire, ensuite, de reconfigurer et de rénover les locaux en fonction de leur nouvelle affectation. La décision de désamianter le campus de Jussieu a été prise en 1996 et un établissement public a été créé l'année suivante pour piloter les travaux.

L'amiante a été utilisé dans les barres du Gril d'Albert et dans la Tour centrale pour protéger ces bâtiments contre le risque incendie, mais aussi à des fins d'isolation thermique et phonique, ce qui explique qu'il doive être remplacé par plusieurs matériaux de substitution.

A la fin des opérations de désamiantage, plusieurs contrôles sont effectués : un premier contrôle visuel permet de détecter d'éventuels résidus d'amiante ; puis des analyses mesurent la présence de fibres d'amiante dans l'air, qui doit être inférieure, de par la règlementation, à cinq fibres par litre ; il est alors possible de retirer les protections destinées à assurer le confinement du chantier ; on effectue ensuite un deuxième contrôle visuel, destiné à confirmer l'état d'achèvement du chantier, puis une dernière série d'analyses, avant de déclarer les locaux à nouveau utilisables.

La vitrification des déchets d'amiante permet de les transformer en un matériau inerte, qui a parfois été utilisé, sous forme concassée, à titre expérimental, pour la construction des routes.

Les représentants de l'université Paris VII et de l'Institut de physique du globe de Paris ont rappelé que des plaintes avaient été déposées et que des mises en examen avaient été prononcées à l'encontre de leurs établissements en tant que personnes morales, ainsi qu'à l'encontre de l'université Paris VI, dont le président a choisi de ne pas participer à la réunion et de n'envoyer aucun représentant.

Le campus rassemble environ 45.000 personnes, étudiants et personnels confondus. Une vingtaine de personnes employées sur le site ont développé des maladies professionnelles causées par l'amiante. Il est cependant difficile d'établir précisément la responsabilité de Jussieu dans leur contamination, dans la mesure où elles ont souvent été exposées à l'amiante antérieurement à leur arrivée sur le site. L'INSERM réalise actuellement une étude épidémiologique afin de mieux connaître l'état de santé des personnes employées sur le site. Les représentants universitaires ont indiqué ne pas avoir connaissance de cas de contamination dans le voisinage, causés par une pollution environnementale. Toutefois, les flocages ont été réalisés sans précaution particulière au début des années 1970, ce qui a certainement conduit à une exposition de la population environnante aux fibres d'amiante.

Depuis deux ans, un scanner est proposé aux personnes totalisant vingt années de présence sur le site et au moment du départ en retraite. Ces examens ont permis de détecter la présence de plaques pleurales. Si le suivi des personnels des universités Paris VI, Paris VII et de l'Institut de physique du globe de Paris est relativement aisé, il est plus difficile d'assurer celui des enseignants-chercheurs qui ont pu séjourner temporairement sur le campus, dans la mesure où ceux-ci n'ont jamais fait l'objet d'un recensement exhaustif. De même, s'il est possible de surveiller l'état de santé de la trentaine d'agents affectés au nettoyage et à l'entretien des locaux, il est plus difficile de connaître le devenir des salariés employés par des sociétés extérieures et qui interviennent sur le campus.

Si des précautions sont prises aujourd'hui à l'occasion des travaux de maintenance, il n'en a pas toujours été ainsi, dans la mesure où la prise de conscience des dangers de l'amiante a été progressive. En 1975, les universités ont commandé un premier rapport qui a mis en évidence une présence d'amiante dans l'air supérieure, en certains points du campus, au maximum règlementaire autorisé. Un second rapport, remis en 1983, indiquait que la concentration d'amiante dans l'air était désormais conforme aux normes en vigueur. Dès 1985, toutefois, les établissements présents à Jussieu ont pris l'initiative, à titre de précaution, d'isoler certains locaux et de protéger les faux-plafonds à l'aide d'un film plastique.

Les représentants de l'Etablissement public du campus de Jussieu ont indiqué que l'éventualité d'une évacuation du site, pour le désamianter et le rénover vide de ses occupants, avait été envisagée. Ils ont rappelé que l'université Paris VI avait vocation à quitter le campus pour s'installer dans de nouveaux locaux sur la ZAC Rive gauche.

L'hypothèse d'une démolition et d'une reconstruction du campus avait également été étudiée dans les années 1990, mais avait été écartée pour plusieurs raisons : le coût de l'opération, évalué à près de 200 millions d'euros (1,3 milliard de francs), auxquels il fallait ajouter les frais de déménagement et de location des locaux provisoires, avait été jugé trop élevé ; la valeur architecturale du site avait été mise en avant ; enfin, les enseignants-chercheurs craignaient que l'opération n'offre le prétexte d'une installation des universités en dehors de la capitale. Alors que les concepteurs du site lui avaient prédit une durée de vie de trente ans, une rénovation s'imposait cependant et il n'est pas impossible que le coût des travaux avoisine finalement le coût estimé d'une reconstruction du site.

- Réunion avec les représentants du comité anti-amiante de Jussieu et les représentants des syndicats

Participants : MM. Michel Parigot, président du comité anti-amiante de Jussieu, Paul Benalloul, membre du comité anti amiante de Jussieu, Guy Bastien, représentant du SNESUP-FSU de l'université Paris VI, Denis Limagne, représentant du SGEN-CFDT, membre du comité d'hygiène et de sécurité (CHS) de l'université Paris VII, Jean-Pierre Rubinstein, représentant de la CGT, membre du CHS de l'université Paris VI, et Mme Marie José Voisin, membre du comité anti-amiante, du SNESUP-FSU et du CHS de l'université Paris VII.

Les représentants du comité anti-amiante de Jussieu ont tout d'abord rappelé que le personnel présent sur le campus s'était mobilisé une première fois, en 1974 , contre les risques posés par la présence d'amiante dans les locaux. Si des travaux ont alors été effectués pour sécuriser les rez-de-chaussée du Gril, aucune mesure n'a en revanche été prise pour assurer la protection du personnel et des usagers présents dans les étages. Entre 1979 et 1994, le problème posé par l'amiante n'a plus retenu l'attention. Un programme de travaux a été annoncé en 1982, mais n'a jamais vu le jour.

Le personnel s'est à nouveau inquiété des dangers de l'amiante lorsqu'il est apparu, en 1994 , que neuf personnes employées sur le campus souffraient de maladies de l'amiante. Au cours de la décennie écoulée, environ 110 personnes ont été, selon les services de la médecine préventive, reconnues atteintes de maladie professionnelle causée par l'amiante. Il s'agit vraisemblablement d'une estimation basse, les maladies professionnelles étant notoirement sous-déclarées. En outre, les données recueillies par le service de médecine préventive de Jussieu ne sont pas exhaustives : le comité a eu connaissance, ces trois dernières années, de cinq cas de décès par mésothéliome, mais deux cas seulement sont reconnus par le service médical ; les autres concernent, en effet, des personnes aujourd'hui en retraite ou qui travaillent dans d'autres facultés, après avoir été en poste à Jussieu. Or, il n'existe pas de recensement systématique, au niveau national, des cas de maladies professionnelles dont l'origine réside dans une exposition à l'amiante contractée sur le campus.

Les premiers cas de mésothéliome constatés concernaient des personnels techniques, qui avaient été exposés à l'amiante dans d'autres fonctions, et pour lesquels il était donc difficile d'établir avec certitude un lien de causalité entre leur présence à Jussieu et l'apparition de la maladie. En revanche, les cinq cas de mésothéliome plus récents, qui viennent d'être évoqués, semblent résulter de la seule exposition des agents à l'amiante contenu dans les flocages du campus. Les pathologies bénignes, telles les plaques pleurales, affectent indifféremment toutes les catégories de personnel.

Les représentants du comité anti-amiante ont indiqué que leur structure était la seule à apporter soutien et assistance aux victimes de l'amiante. Les présidents des universités n'ont jamais ressenti le besoin d'organiser ne serait-ce qu'une réunion avec les victimes.

Ils ont, en outre, reproché au président de l'université Paris VI , en poste depuis quatre ans, de s'être opposé à la mise en place du suivi médical par scanner . Ce type d'examen permet pourtant de poser un diagnostic beaucoup plus précis sur l'état de santé des patients ; il permet notamment de mettre en évidence, dans certains cas, la présence de nodules pulmonaires, pour lesquels il serait nécessaire d'envisager l'élaboration d'un protocole de suivi particulier, afin d'éviter que des examens inutiles ou que des soins inappropriés ne soient pratiqués. Le rectorat et les médecins experts ont également demandé que les personnes malades travaillent désormais dans des locaux non amiantés, mais sans que leurs recommandations soient jusqu'à présent suivies d'effet.

Ils ont regretté l'absence de données exhaustives sur l'état de santé des anciens étudiants de Jussieu ; le comité peut simplement témoigner d'avoir été contacté par d'anciens étudiants qui ont déclaré souffrir de pathologies provoquées par l'amiante.

Ils ont également déploré la lenteur du chantier de désamiantage de Jussieu. La décision de désamianter le campus a été prise en 1996, le projet initial prévoyant de retirer l'amiante, dans un délai de trois ans, sans rien modifier dans l'organisation des locaux universitaires. Dès 1997, le nouveau ministre de l'enseignement supérieur a cependant décidé que le chantier de désamiantage s'inscrirait dans un projet plus vaste de rénovation du campus et de réorganisation des universités parisiennes. Cette décision a eu pour effet d'allonger considérablement le délai d'achèvement du chantier, qui devrait maintenant arriver à son terme entre 2012 et 2017.

Les représentants des syndicats comme du comité ont critiqué les conditions de déroulement des travaux : ils ont dénoncé un manque de réflexion d'ensemble sur l'avenir du site, l'absence de structure de pilotage efficace, la lenteur des travaux de rénovation et le coût élevé des locaux occupés à titre provisoire. Ils se sont interrogés sur les conséquences du déménagement de l'université Paris VII, qui va entraîner le dédoublement de nombreux équipements. Ils ont, de manière générale, estimé que les présidents des universités accordaient trop peu d'attention aux problèmes de santé et de sécurité au travail, citant, à titre d'exemple, la lenteur avec laquelle ils ont répondu aux demandes répétées des services de sécurité de la préfecture tendant à ce que soit installée sur le campus une alarme incendie.

Si le chantier de désamiantage fait l'objet de contrôles rigoureux, qui s'expliquent sans doute par l'attention soutenue des médias et des personnels, il n'en est pas de même des travaux d'entretien effectués par des intervenants extérieurs dans des bâtiments amiantés. Le caractère très contraignant des règles de sécurité conduit à douter de leur stricte application par ces salariés. Or, il est impossible de demander à l'inspection du travail ou à un huissier de vérifier le respect de la règlementation en raison du statut public du site universitaire.

Le représentant de la CGT a mis en garde contre la tentation consistant à tirer prétexte de la lenteur des travaux pour céder le site universitaire à des intérêts privés et a souligné que les opérations de déménagement et de dépoussiérage avaient été mal conduites.

Les représentants du SNESUP-FSU ont insisté sur les mauvaises conditions de travail découlant de l'éclatement des équipes universitaires sur de multiples sites, pendant le déroulement des travaux, et sur le découragement résultant des incertitudes entourant la date et les conditions du retour à Jussieu.

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La délégation de la mission a achevé son déplacement sur le site universitaire de Jussieu par une visite du chantier de désamiantage et de locaux désamiantés d'une barre, en attente de sa nouvelle affectation .

Compte rendu du déplacement en Corse
2 et 3 juin 2005

Composition de la délégation : MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, président,
Gérard Dériot, rapporteur, Roland Muzeau, vice-président,
Mmes Sylvie Desmarescaux, secrétaire, et Catherine Procaccia.

Jeudi 2 juin 2005

La délégation de la mission a d'abord été conviée par M. Jean-Luc Videlaine, préfet de la Haute-Corse, à un déjeuner à la préfecture. A l'issue de ce déjeuner, elle a procédé à une série d'auditions thématiques sur l'amiante en Corse.

- Réunions de travail à la préfecture

1. Histoire et actualité du risque amiante en Corse

Participants :

- M. Delga, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Haute-Corse ;

- M. Méria, inspecteur principal des affaires sanitaires et sociales à la DDASS, auteur de L'aventure industrielle de l'amiante en Corse.

M. Delga a d'abord rappelé que la Haute-Corse était confrontée à deux problèmes spécifiques liés à l'amiante :

- l'existence d'une friche industrielle à Canari, à l'emplacement de l'ancienne mine d'amiante ; à cet égard, le projet, conçu dans les années 1980, de réutiliser des locaux de l'ancienne mine pour les sapeurs forestiers du conseil général a suscité de légitimes inquiétudes ;

- la présence d'amiante à l'état naturel : des plaques pleurales ont été ainsi constatées chez des personnes qui n'ont jamais été associées à l'exploitation de la mine.

Les mesures de l'empoussièrement de l'atmosphère réalisées jusqu'alors n'étant pas exploitables, plusieurs associations de protection de l'environnement ont décidé, en 1996, de saisir le préfet Erignac de la question des effets de l'amiante sur la santé de la population, posant ainsi le problème de l'amiante environnemental.

Il était initialement prévu d'effectuer une étude épidémiologique dans les villages de Haute-Corse les plus concernés par le risque amiante. Un cahier des charges avait été élaboré, en relation avec l'Institut de veille sanitaire (InVS), en 1998/99. Toutefois, la dispersion de la population concernée rendait une telle étude malaisée et le contexte particulièrement tendu en Corse à cette époque a conduit à l'abandon du projet.

L'analyse de l'amiante environnemental a été réalisée, de 2001 à 2004, au moyen d'études métrologiques consistant à effectuer des mesures dans les sites les plus amiantifères, en les comparant à un site-test de l'Ile Rousse dépourvu d'amiante, ces mesures ayant été confiées au laboratoire des particules inhalées. A Bastia, par exemple, il a été démontré que les valeurs limites de la présence d'amiante avaient largement été dépassées, ainsi que dans plusieurs petits villages.

L'élaboration d'un modèle mathématique a permis d'étudier les incidences de la présence d'amiante sur les différents sites. Sur la base des résultats de cette étude, il a été décidé de mettre en oeuvre le principe de précaution, en particulier dans deux directions :

- l'amélioration des connaissances environnementales sur les communes les plus touchées, en particulier Bastia et Corte, en relation avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ;

- le développement de l'information, par une information générale en direction de la population, l'élaboration de CD-ROM et une politique de formation destinée, notamment, aux chefs d'entreprise.

Des questions se posent en matière de réglementation du travail : peut-on arrêter un chantier dès lors que la sécurité au travail n'est pas assurée ? Dans quelle catégorie de décharges peut-on transporter et stocker des déblais amiantifères ? Quelle est la réglementation applicable en matière de droit de la construction dans les zones amiantifères ?

M. Méria a d'abord évoqué ses souvenirs d'enfance liés à la mine de Canari, où les mineurs apparaissaient comme autant de « Pères Noël blancs » et où les sacs d'amiante étaient transportés sans précautions particulières, y compris par les dockers du port de Bastia. Il a été sensibilisé très jeune au problème de l'amiante, notamment par son père syndicaliste qui connaissait des mineurs ou anciens mineurs présentant des pathologies liées à l'amiante, en particulier des asbestoses et des mésothéliomes.

Son travail d'historien sur la mémoire de la mine s'est appuyé sur des recherches documentaires, les archives paternelles et de nombreux témoignages. Il a indiqué que son ouvrage était volontairement technique et non polémique et que celui-ci a été récompensé par une distinction scientifique de la collectivité territoriale de Corse.

Il a ajouté que la mine avait permis de donner un travail à la population et avait contribué au développement économique de la région, dans le respect de la réglementation de la sécurité au travail, en particulier du décret de 1913 sur l'empoussièrement dans les ateliers. Illustrant ses propos par des photographies prises dans les années 1950, il a attiré l'attention de la mission sur l'ampleur du nuage de poussière qui était alors visible. Le comité d'hygiène de la mine, ainsi que des ingénieurs venus de Marseille, avaient évoqué le problème de l'empoussièrement dès 1950. De surcroît, la capacité de production de la mine avait été accrue à partir de 1954 après l'installation de la deuxième partie de l'usine, sans que des précautions supplémentaires aient été prises en matière de sécurité au travail.

Si 1.413 personnes ont travaillé sur le site de Canari, dont des Marocains, des Turcs, des Italiens, et même des prisonniers de guerre allemands dans les années d'après-guerre, il est difficile d'évaluer précisément le nombre de salariés décédés ou malades car on a perdu la trace de nombre d'entre eux, repartis dans leur pays d'origine ou sur le continent.

Présentant d'autres photographies du site et de la côte, il a évoqué la dégradation de l'environnement causée par le rejet de stériles provenant de la mine, alors que, dès 1960, un arrêté préfectoral, resté lettre-morte, prescrivait de réduire l'empoussièrement et interdisait le rejet des stériles à la mer.

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a été chargée de la réhabilitation du site, mais les travaux, après avoir été à plusieurs reprises repoussés, n'ont toujours pas commencé. D'après des mesures effectuées, il y aurait désormais davantage de fibres d'amiante en suspension dans les villages environnants que sur le site de la mine.

La réaction de la population et des élus est ambivalente, car, si les dangers de l'amiante peuvent être évoqués, des craintes pour le tourisme ou le développement économique de la région sont également exprimées.

La mine de Canari, qui était la propriété de la société Eternit, a fermé en 1965, essentiellement pour des raisons économiques, au grand dam de la population. La mine, dont les bénéfices diminuaient, subissait la concurrence du Canada ou de l'Afrique du Sud, où l'amiante produit était moins cher. La commune de Canari a acheté ce site aujourd'hui orphelin dont elle ne peut évidemment assumer la réhabilitation.

2. La défense des victimes de l'amiante

Participants :

- Mme Nowak et M. Le Touzet, de l'ARDEVA PACA/Corse, et des anciens mineurs et salariés ;

- M. Masotti, président de l'association CORSICA PER VIVE.

Les anciens mineurs de Canari ont commencé par évoquer les difficiles conditions de travail qu'ils ont connues pendant toute la durée d'exploitation de la mine. Ils ont souligné l'absence de mesure de prévention et d'information sur les dangers de l'amiante, dont ils ont affirmé que leur employeur avait pourtant pleinement conscience à l'époque. Les masques de protection mis à leur disposition étaient peu utilisés dans la mesure où leur port était difficilement supportable à l'intérieur de la mine.

D'autres témoins ont cependant rappelé que le directeur de la mine vivait avec sa famille sur le site de Canari et qu'il était donc autant exposé à l'amiante que les autres salariés. Ils ont insisté sur la prospérité économique que l'exploitation de l'amiante, qui faisait vivre directement 300 personnes, sans compter les emplois induits, avait apportée au village et à sa région.

Outre les mineurs, des salariés affectés à des opérations de manutention ont également été contaminés par l'amiante. Un ancien docker, qui a travaillé douze ans dans le port de Bastia, a indiqué souffrir d'une maladie de l'amiante, dont les premiers symptômes se sont manifestés il y a une dizaine d'années.

La fille d'un ancien mineur a déploré que le diagnostic de l'asbestose de son père ait été très tardif, les médecins consultés ayant longtemps posé le diagnostic de simples bronchites, en dépit d'examens radiologiques réguliers.

Les représentants de l'ARDEVA PACA/Corse ont alors rappelé que la conférence de consensus, qui s'est tenue en 1999 à la Villette, avait recommandé le recours au scanner pour diagnostiquer les maladies de l'amiante. L'utilisation du scanner n'est pourtant pas encore systématique dans le protocole de suivi des anciens travailleurs de l'amiante et la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale est souvent réticente à prendre en charge ces examens coûteux.

D'autres témoins ont affirmé que la décision de fermer la mine s'expliquait par l'apparition des premiers problèmes de santé induits par l'amiante. Ils ont noté que des salariés venaient du continent pour travailler sur le site mais se gardaient bien de résider à proximité. D'anciens mineurs ont indiqué qu'ils avaient pris conscience des risques inhérents à l'exposition à l'amiante au milieu des années 1980.

Puis les représentants de l'ARDEVA ont évoqué les problèmes posés par la présence de terres amiantifères en Corse : tous les chantiers de BTP réalisés sur ces terrains diffusent de la poussière d'amiante alentour, ce qui menace tant les salariés que les riverains. Ils ont invité les membres de la délégation à réfléchir à une législation sur les terres amiantifères.

Ils ont ensuite fait part des difficultés que rencontrent les victimes de l'amiante pour obtenir la reconnaissance de leurs maladies professionnelles. Il arrive que les médecins retiennent une désignation des maladies dont ils sont atteints légèrement différente de celle figurant au tableau 30 des maladies professionnelles, ce qui fait obstacle à leur reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie. Il est également fréquent que des dossiers médicaux anciens, remontant à l'époque de la contamination, soient égarés et qu'il manque de ce fait des éléments pour obtenir la reconnaissance de la maladie professionnelle.

Ils ont enfin indiqué que le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Bastia avait, en 2004, reconnu pour la première fois la faute inexcusable de l'employeur dans une affaire concernant un ancien salarié de la mine et qu'une décision similaire avait été rendue en 2005.

La délégation de la mission a ensuite auditionné M. Masotti, président de l'association Corsica per vive , accompagné de sa collaboratrice.

M. Masotti a fait part de son expérience associative et de son engagement pour la défense des victimes. Membre du Comité national des chômeurs et précaires (MNCP), il a longtemps travaillé avec l'ANDEVA avant d'être sollicité pour fonder, en Corse, une association de défense des victimes de l'amiante. L'association Corsica per vive, dont la compétence apparaît très large, gère aujourd'hui 130 dossiers, dont les trois quarts concernent des victimes de la mine de Canari.

Il a également exposé son expérience professionnelle au contact de l'amiante : ancien chauffeur routier, il a fréquemment transporté de l'amiante, en particulier des plaques de couverture en amiante-ciment et a donc été exposé à d'importantes quantités de fibres.

3. Application de la législation HSCT par les entreprises

Participants :

- Mme Burdy, inspectrice du travail ;

- M. Dubois, médecin du travail.

Mme Burdy a indiqué être entrée en fonction en mai 1997. Quelques semaines plus tard, alors qu'elle s'intéressait aux travaux d'élargissement de la route de Canari, subventionnés par le conseil général, elle a eu connaissance de la présence de terrains amiantifères en Haute-Corse.

Notant que les textes relatifs à la sécurité visaient essentiellement l'habitat, mais quasiment pas l'environnement, elle a été conduite à prendre en compte la protection des salariés amenés à travailler sur les chantiers exposés aux poussières d'amiante. A cette fin, elle a élaboré une méthodologie d'intervention sur les chantiers amiantifères, à la fin 1997.

Afin de permettre aux entreprises concernées d'avoir connaissance du risque, le préfet a autorisé, en 1999, la diffusion de la cartographie du BRGM.

S'agissant des déblais amiantés, les articles R. 231-54 et R. 231-56 du code du travail imposent aux employeurs des obligations en matière de prévention contre les risques d'exposition ; selon elle, la présence d'amiante sur les chantiers continuera d'être dissimulée tant qu'un dispositif de stockage des déblais n'aura pas été institué afin de prévenir leur réutilisation ou leur dépôt dans des décharges sauvages.

En effet, la tentation d'utiliser ces déblais est toujours grande, d'autant plus qu'ils ont une valeur marchande, même si un décret de 1996 a interdit une telle pratique. Le stockage de ces déblais relève d'une mission de service public car l'Etat doit prévenir les problèmes de santé publique, mais en convaincre le ministère du travail a demandé des années. Dans ce domaine, elle a estimé que l'intervention du secteur privé n'était pas souhaitable.

Par ailleurs, les entreprises ont l'obligation d'évaluer les taux d'empoussièrement et de communiquer ces informations à l'inspection du travail.

En 1999, des études expérimentales sur la dangerosité des travaux d'excavation ont été demandées à l'INRS, mais les premières mesures sérieuses n'ont été effectuées qu'en 2004.

Certaines mesures pratiques relativement simples, réclamées depuis des années, ne sont toujours pas mises en oeuvre par les entreprises, comme le recouvrement par asphalte des déblais de chantier, nécessaire pour éviter la dispersion des poussières par le vent. Les textes réglementaires existants devraient ainsi, selon elle, être complétés par un volet consacré à la protection de l'environnement.

L'étude épidémiologique sur l'amiante environnemental réalisée en septembre 2004 a conduit à demander à l'InVS d'inclure une étude épidémiologique spécifique sur le mésothéliome dans son programme de travail pour 2005.

M. Dubois a regretté qu'il ait fallu attendre la réflexion engagée sur le chantier de Canari pour que la question de la contamination des salariés mais aussi de la population soit posée.

Il a indiqué que les études révélaient des pics de pollution très importants sur les chantiers lors des opérations de creusement et de chargement, même à l'air libre, et a également insisté sur la nécessité de recouvrir les déblais amiantifères et de procéder à l'arrosage des sites concernés.

Il a cependant souligné la difficulté d'arrêter les chantiers en cours et de convaincre les chefs d'entreprise, ce qui pose le problème de l'autorisation de construire.

Il a noté que les chantiers situés sur des terrains amiantifères étaient autrefois limités, mais que ceux-ci avaient aujourd'hui tendance à se développer à l'occasion de grandes opérations immobilières, notamment à Bastia ; il en résulte une plus grande exposition des populations sur le plan environnemental, qui risque de se traduire par une explosion des pathologies dans 20 ou 30 ans.

Des examens pratiqués par scanner auprès des salariés du BTP font d'ores et déjà découvrir des plaques pleurales, mais pas encore de pathologies plus graves, compte tenu du délai de latence.

Enfin, il a rappelé que les mineurs de Canari bénéficiaient d'un suivi médical assuré par un médecin d'entreprise, les radiographies des personnels étant déposées dans les archives de la médecine du travail, et donc consultables.

4. Contentieux de l'indemnisation des victimes de l'amiante

Participants :

- Mme Lucciani, présidente du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bastia ;

- M. Fagny, procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Bastia ;

- Mme Massoni, rédacteur juridique à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse.

Le procureur de la République a indiqué que son tribunal n'avait été, à ce jour, saisi d'aucune plainte dans une affaire liée à la contamination par l'amiante. Il s'est ensuite interrogé sur les conditions d'application du décret n° 96-98 du 7 février 1996, relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante, pour les chantiers réalisés sur des terrains amiantifères.

Interrogé sur la loi Fauchon, il a estimé que ses dispositions rendaient plus difficiles la mise en cause des donneurs d'ordre, tout en admettant que, la jurisprudence n'étant pas encore fixée, des différences d'appréciations existaient selon les tribunaux.

La présidente du TASS de Bastia a souligné que sa juridiction avait été saisie, depuis novembre 2003, de 37 demandes de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, en relation avec l'exploitation de la mine de Canari, et de 17 recours dirigés contre des refus de reconnaissance de maladies professionnelles. Elle a noté que le TASS de Bastia accordait aux victimes de l'amiante des indemnités supérieures à celles allouées par le FIVA.

La représentante de la CPAM a observé que le FIVA avait été créé dans un souci d'équité, mais que cet objectif était contrarié par les différences d'indemnisation accordées par les tribunaux. Elle a indiqué que 81 reconnaissances de maladies professionnelles avaient été accordées depuis 2000, tandis que 19 demandes avaient été rejetées.

La présidente du TASS a expliqué que la reconnaissance de la maladie professionnelle était souvent refusée au motif que les demandeurs se trouvaient dans l'incapacité, du fait de l'ancienneté de leur contamination, de produire leur premier certificat de constatation médicale d'une pathologie liée à l'amiante. La reconnaissance en maladie professionnelle est facilitée lorsque la victime est titulaire d'une pension d'invalidité, le bénéfice de cette prestation étant en effet subordonné à certaines constatations médicales.

Le procureur de la République a fait état d'une procédure initiée, en 2003, à l'encontre d'un promoteur immobilier, maître d'ouvrage d'un chantier situé près de Bastia. L'inspection du travail a constaté des infractions aux règles de santé et de sécurité au travail et un défaut d'information des salariés sur le caractère amiantifère du terrain. Les déblais étaient de surcroît transportés dans des camions non bâchés et déversés quelques kilomètres plus loin sans précaution aucune.

L'inspection du travail a d'abord demandé, en référé, l'interruption du chantier, qui lui a été refusée : le juge a ordonné, d'une part, que des expertises soient conduites, pour évaluer la présence d'amiante, d'autre part, que des mesures de protection des salariés soient appliquées, sous peine d'astreinte.

L'inspection du travail a cependant rapidement constaté que ces mesures de protection n'étaient pas mises en oeuvre par l'entrepreneur et a dressé un nouveau procès-verbal constatant ces infractions. Il s'en est suivi une enquête préliminaire, débouchant sur une citation directe, par le parquet, devant le tribunal correctionnel.

L'avocat du maître d'oeuvre a contesté que le décret de 1996, conçu surtout pour protéger les ouvriers des chantiers de déflocage, soit applicable à ce type de chantier à ciel ouvert. Interrogé, le ministère du travail a cependant indiqué que le décret trouvait bien à s'appliquer dans ce cas de figure, de même que les règles générales prévues pour la protection des salariés exposés à des matières cancérigènes. Le tribunal correctionnel n'a pas encore rendu sa décision sur cette affaire.

5. Prise en compte du risque amiante par les entreprises

Participant : M. Femenia, président de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse.

M. Femenia a indiqué avoir créé son entreprise en Corse en 1964, soit avant la fermeture de la mine de Canari. Au moment de la fermeture, il a employé des chaudronniers qui avaient travaillé dans la mine, et a signalé le décès, dû à l'amiante, d'un de ses anciens salariés.

Une convention a été signée, le 19 mai 2005, avec la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) du Sud-Est, aux termes de laquelle la CCI s'engage, auprès des entreprises, à allouer des personnels à la prévention des risques liés au travail. Le champ d'application de ce dispositif de prévention n'est pas limité à l'amiante mais inclut naturellement ce matériau.

Les terrains amiantifères sont nombreux en Haute-Corse et même à Bastia : la préfecture elle-même est construite sur l'un d'entre eux. Certaines entreprises préfèrent payer une amende pour pouvoir continuer les chantiers.

Il existe plusieurs gros projets, dont la construction d'un centre d'affaires, qui imposent de prendre des mesures de précaution en urgence, en particulier le recours à des camions étanches qui chargeraient les déblais amiantifères préalablement mouillés afin d'éviter la dispersion des poussières et les transporteraient dans des lieux de stockage. Près de l'aéroport de Bastia, des gravières régulièrement inondées, aménagées à cet effet, pourraient servir de lieux de dépôt de ces matériaux.

M. Femenia a enfin rappelé que la mine de Canari a été fermée, en 1965, parce que l'amiante qui y était produit était devenu trop cher par rapport à celui du Canada, l'argument de la nocivité de l'amiante n'ayant en revanche jamais été évoqué.

6. Les pathologies liées à l'amiante

Participant : Dr Mouries, pneumologue au centre hospitalier de Bastia.

Le Dr Mouries a rappelé que le problème de l'amiante était connu de longue date ; la communauté médicale a d'abord constaté des pathologies particulières affectant les mineurs de Canari, avant d'observer une surmortalité par asbestose ou cancer bronchique au sein de cette population. Le nombre de mésothéliomes est également en augmentation, bien que les mineurs aient été exposés à la variété d'amiante chrysotile réputée moins nocive pour la santé humaine.

Des études géologiques ont, en outre, démontré une corrélation entre la présence d'affleurements d'amiante dans les villages et la fréquence des plaques pleurales, qui affectent parfois 20 % à 25 % de la population. Une corrélation statistique identique a ensuite été observée entre la présence d'affleurements d'amiante et le risque de mésothéliome. Il est plus difficile d'établir une telle corrélation pour les cancers bronchiques, en raison du biais introduit par la consommation de tabac, qu'il est difficile de neutraliser sur le plan statistique. Le Dr Mouries a indiqué observer tous les deux ans, en moyenne, un cas de mésothéliome dont l'origine ne peut être attribuée à une exposition professionnelle à l'amiante.

Interrogé sur le problème de la sous-déclaration des maladies professionnelles, le Dr Mouries a indiqué que les mineurs avaient été bien suivis sur le plan médical et que le phénomène était donc certainement limité. La médiatisation du dossier de l'amiante est un autre facteur qui incite à la déclaration des maladies professionnelles.

Il a souligné que des plaquettes d'information avaient été réalisées pour présenter à la population les dangers auxquels les exposent les terrains amiantifères et les précautions à respecter. Il a indiqué que la destruction de la végétation suite à un feu de forêt accentuait le ravinement des sols et favorisait la dispersion de l'amiante.

7. Le projet de réhabilitation du site de Canari

Participant : M. Milano, délégué régional de l'ADEME.

M. Milano a rappelé que l'ADEME avait été saisie du problème posé par le site de Canari, fin 1998, par un arrêté préfectoral et qu'elle était désormais maître d'ouvrage de la réhabilitation du site.

De nombreuses études ont été réalisées par le BRGM pour le compte de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), dont une étude de référence, globale, sur le site de Canari. Ces études ont mis en évidence trois types de risques : un risque de dangerosité général du site (qui comporte deux cratères et plusieurs galeries souterraines), un risque amiante, un risque d'instabilité des talus. Ce dernier est apparu au préfet comme le risque le plus important et le plus immédiat.

Les études du BRGM, et celles de l'INERIS, avaient conclu à l'absence de risque sanitaire au regard de l'amiante. L'arrêté préfectoral ne l'avait donc pas pris en compte. De surcroît, les autorités, notamment locales, répugnent à évoquer le risque sanitaire en raison de la fréquentation touristique du Cap Corse, et de la présence de deux plages de stériles.

S'agissant des étapes du calendrier de réhabilitation, l'arrêté préfectoral d'exécution des travaux a été publié en janvier 2004, le début de la première tranche des travaux, consacrée à la mise en sécurité du site contre le risque d'éboulement, est prévu pour le printemps 2006, et le début de la 2ème tranche, avec l'intervention des engins de chantier, pour octobre 2007.

L'ADEME est chargée d'étudier la stabilisation mécanique des dépôts sur le site. Le principal problème auquel elle est confrontée est celui de la mise en sécurité de la route départementale, très fréquentée pendant la période estivale.

La phase actuelle des travaux est celle de la mise en sécurité du site, qui nécessite de prendre de grandes précautions, à la fois individuelles et collectives, au regard du risque sanitaire pour ceux qui se rendent sur le site : les travaux de « retalutage » et de reprofilage constituent une source d'inquiétudes et il est impératif de limiter les envols de poussières en humidifiant le chantier et en menant ces travaux de stabilisation plutôt en hiver. Le coût de cette phase de stabilisation a été fixé à 4,5 millions d'euros, avec un surcoût de 35 % à 45 % résultant du caractère amiantifère du chantier, ce qui pose un problème budgétaire à l'ADEME, même si ces travaux bénéficient d'un cofinancement européen. Une procédure de recherche de responsabilité est engagée à l'encontre de la société Eternit, ancienne propriétaire de la mine, avec l'objectif de la faire participer au financement des travaux.

Les conditions de la revitalisation naturelle seront ensuite recréées, notamment grâce à une revégétalisation.

Le site n'est actuellement pas entièrement clos, ce qui pose un problème de sécurité du public. L'ADEME a toutefois l'intention de clôturer la totalité du site pendant les travaux et de poser des panneaux de signalisation du danger.

Au total, compte tenu de la spécificité du site de la mine de Canari, de l'utilisation qui en est faite par la commune, qui y dépose ses ordures ménagères par une route vertigineuse dans des conditions quelque peu acrobatiques, de l'attitude légitime des élus, soucieux de l'activité touristique, de l'ampleur du projet de remodelage des pentes en respectant tous les impératifs de sécurité, de la responsabilité encourue par le maître d'ouvrage, la réhabilitation du site de la mine par l'ADEME apparaît particulièrement délicate, en particulier en raison de l'imbroglio juridique dans lequel elle doit se réaliser.

Vendredi 3 juin 2005

- Table ronde avec les élus à la mairie de Canari

Participants : MM. Bertoni, maire de Canari, Motroni, conseiller général de Canari, Giorgetti, maire d'Olcani, Boncompagni, maire d'Olmeta du Cap, Mme Boncompagni, adjointe au maire d'Olmeta du Cap, MM. Klein-Orsini, responsable du « conservatoire du costume », Pedinielli, retraité, Santini, conseiller municipal de Canari, Granini, retraité, Santini, retraité, Caniffi, conseiller municipal de Canari, Collilieux, retraité, Burini, maire de Nonza, Meria, représentant de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, Morganti, maire d'Ogliastro.

M. Bertoni, maire de Canari , a accueilli la mission de la délégation et a présenté sa commune : comptant 300 habitants permanents, et 1.500 l'été, le village de Canari se distingue par une présence encore significative des services publics et des commerces, qui peut s'interpréter comme un héritage de la période de prospérité assurée par la mine. Le tourisme, stimulé par la présence d'un musée du costume et de nombreux chemins de randonnée, est aujourd'hui la principale ressource économique du village, dont une partie de la population exerce cependant son activité professionnelle sur Bastia.

La commune a acheté la mine à la société Eternit en 1973 et utilise actuellement le site comme décharge d'ordures ménagères. L'ADEME pilote, pour le compte de l'Etat, les opérations de réhabilitation de la mine : il est indispensable, en particulier, de stabiliser les verses afin d'éviter des éboulements sur la route en contrebas. Les travaux devraient commencer en octobre 2006. La mine cesserait d'être utilisée pour le stockage des ordures ménagères, qui seraient envoyées vers un nouveau site de traitement.

M. Mortoni, conseiller général de Canari , a rappelé que la mine était exploitée à ciel ouvert, sans considération pour la santé des salariés ou des riverains, et l'a qualifiée, de manière imagée, d' « enfer blanc ». Pourtant, sa fermeture fut, à l'époque, accueillie avec regret : la mine a employé jusqu'à 300 ouvriers et était la principale source d'activité économique de la région ; les salariés n'avaient, en outre, pas conscience, alors, des dangers de l'amiante. Il a ajouté que les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de déterminer si les riverains étaient aujourd'hui menacés du fait de la proximité du site et il a souhaité que des études complémentaires soient menées à ce sujet.

Il a noté que la réhabilitation du site impliquait qu'un important travail de déflocage et de dépoussiérage de l'usine soit réalisé et a demandé que le chantier soit mené jusqu'à son terme. Il a insisté sur le lourd fardeau que représente la mine pour la petite commune de Canari et a souhaité un soutien accru de l'Etat, qui tienne compte cependant de la nécessité de ne pas inquiéter de manière déraisonnable les habitants et les touristes, ce qui ferait obstacle au développement du village.

M. Burini, maire de Nonza , a indiqué que sa commune n'avait pas bénéficié des retombées économiques positives associées à la mine, mais que son exploitation avait abouti à la formation d'une plage constituée de stériles, c'est-à-dire de rejets de la mine, sur son territoire. Il s'est plaint de n'avoir perçu aucune compensation de l'Etat et a regretté que plusieurs guides touristiques aient associé le nom de son village à l'amiante, occasionnant ainsi un réel préjudice économique.

M. Morganti, maire d'Ogliastro , a expliqué que sa commune était également bordée par une plage de stériles et a regretté que l'Etat soit incapable d'informer précisément sur les risques encourus par les habitants.

M. Giorgetti, maire d'Olcani , a indiqué être lui même victime de l'amiante et s'est plaint de ne pas percevoir d'indemnité du FIVA, son dossier étant encore en instance d'instruction.

M. Boncompagni, maire d'Olmeta du Cap , a estimé que les indemnisations étaient très difficiles à obtenir : si les radios et scanners ne permettent pas de détecter de lésions, aucune indemnisation n'est attribuée, quand bien même l'exposition à l'amiante serait établie.

Plusieurs victimes de l'amiante ont ensuite déclaré qu'elles avaient accepté les indemnisations proposées par le FIVA, avant de constater que certains tribunaux accordaient des indemnités supérieures, pour des pathologies parfois plus bénignes. Elles ressentent un sentiment d'injustice face à cette différence de traitement peu justifiée.

Le maire de Canari a conclu la réunion en indiquant que ses administrés n'étaient pas excessivement inquiets de la présence d'amiante à proximité de la commune et qu'ils faisaient souvent preuve, sur ce sujet, d'un certain fatalisme.

Cette réunion a été suivie d'un déjeuner de travail avec les élus locaux , à la Marine d'Albo sur la commune d'Ogliastro.

Guidée par M. Filippi, ingénieur à la délégation régionale de l'ADEME, qui a mis à disposition les équipements de protection nécessaires, et avec le concours de M. Morganti, maire d'Ogliastro, qui a gracieusement prêté son véhicule personnel, la délégation de la mission a ensuite visité le site de la mine. Les sénateurs ont notamment pu apprécier les difficiles conditions d'accès au site et l'ampleur des excavations formées dans la roche par l'extraction de l'amiante. D'immenses cratères accueillent d'importantes quantités de déchets ménagers, qui sont parfois incendiés par des personnes malveillantes.

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Le déplacement de la délégation de la mission s'est achevé par une conférence de presse organisée à la préfecture de Haute-Corse .

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