b) L'intérêt et la difficulté de cibler les vastes « classes moyennes »
(1) Une réforme de grande envergure procurant un bénéfice épars
Un certain flou affecte les contours des classes moyennes, qui peuvent parfois apparaître comme les « laissées pour compte » des politiques publiques, sur lesquelles se concentreraient, sans échappatoires, les prélèvements sociaux et fiscaux. Cibler les classes moyennes , c'est assurément ne vouloir mécontenter personne, mais c'est aussi devoir viser large, au risque de procurer un avantage diffus et, finalement, de décevoir tout le monde .
La réforme doit profiter aux ménages au sein desquels le revenu annuel par contribuable est, grosso modo , compris entre 10.000 euros et 30.000 euros. Seraient ainsi concernés, 70 % des ménages imposables, et représenterait un coût de 2,8 milliards d'euros, soit 80 % des 3,5 milliards d'euros d'allègement annoncé. Par foyer fiscal appartenant à la « classe moyenne » ainsi définie, la diminution de l'impôt peut atteindre 20 %, mais elle oscillerait, dans la majorité des cas, entre 7 % et 13 %, soit un gain relativement faible en valeur absolue.
(2) Une réforme située « en relais » d'une amélioration des droits pour les foyers modestes
Cette diminution de l'imposition de la classe moyenne s'accompagne d'une revalorisation concomitante des droits des salariés les plus modestes. A cet effet, c'est malheureusement la prime pour l'emploi (PPE) 41 ( * ) , dans sa configuration actuelle, qui a été retenue dans le projet du gouvernement.
Votre rapporteur général rappelle qu'il ne considère pas la prime pour l'emploi comme un instrument très efficace pour encourager l'activité, en raison de sa complexité, de son illisibilité et, partant, de son imprévisibilité.
Certes, le gain résultant de la réforme de l'impôt sur le revenu prévue pour 2006 arriverait bien « en relais » de l'amélioration de la PPE (applicable dès les revenus de 2005) résultant de l'article 3 du projet de loi de finances pour 2006 : entre 1 et 1,4 SMIC, la PPE diminue toujours linéairement pour s'annuler à 1,4 SMIC mais en partant d'un niveau un peu plus élevé, tandis que les premières cotisations d'impôt sur le revenu croîtraient à un rythme légèrement moins soutenu.
c) Les inévitables « effets pervers » d'une baisse du nombre de tranches
(1) Vue théorique
La diminution du nombre des tranches ne constitue peut-être pas un objectif fiscal en soi . Certes, dans la perspective de tendre, à terme, vers un système fiscal inspiré par le modèle de la « flat tax » 42 ( * ) , le passage de sept à cinq tranches, ainsi que le propose le gouvernement, constituerait une avancée significative.
Cependant, il semble qu' en terme de concurrence fiscale, le taux marginal constitue, plus que le nombre de tranches et les taux correspondants 43 ( * ) , l'élément décisif . Ainsi, il n'est pas certain que le barème doive nécessairement rompre avec la philosophie de notre fiscalité du revenu, marquée par un attachement véritable à la progressivité des taux.
Or, une diminution du nombre de tranches entraîne forcément des effets de seuil importants si elle n'est pas assortie d'une baisse du taux effectif 44 ( * ) de la tranche marginale . « L'étage » est alors toujours aussi élevé, tandis que l'on réduit le nombre des « marches », ainsi qu'illustre le graphique ci-dessous :
En conséquence, une diminution du nombre de tranches entraîne forcément des effets importants sur le montant de l'impôt dû pour certains niveaux de revenu imposable.
(2) Les effets induits par le nouveau barème proposé
En réalité, compte tenu de l'intégration de l'abattement de 20 %, dont le plafonnement revenait à créer une tranche supplémentaire pour les plus hauts revenus, la réforme proposée ramène le barème non pas de sept tranches à cinq tranches, mais bien de huit tranches à cinq tranches , ce qui ne peut qu'engendrer des distorsions importantes dans l'évolution des taux d'imposition.
Dans le cadre du projet de barème, le premier effet induit, qui concerne les classes moyennes, a été recherché : la baisse du taux effectif de la troisième tranche (cf. tableau ci-dessus) permet de procurer un avantage croissant jusqu'à un palier situé à environ 25.000 euros de revenus par contribuable, seuil au dessus duquel le gain fiscal diminue rapidement, le taux d'imposition marginal de 30 % excédant alors largement le taux qui prévalait dans l'ancien barème. Dans une perspective d'encouragement de l'activité, ce fort ressaut pose cependant un premier problème.
En revanche, le deuxième effet induit n'a peut-être pas été voulu : il se trouve une zone de revenus, comprise entre environ 70.000 euros et 130.000 euros par contribuable, qui enregistre un gain moyen assez sensible en valeur absolue, pouvant atteindre 5 % de la cotisation d'impôt sur le revenu.
Enfin, le troisième effet , qui concerne les revenus très élevés (pour lesquels l'abattement de 20 % se trouve aujourd'hui plafonné), résulte directement de la diminution du taux marginal de 48,09 % à 40 %. La baisse de 17 % paraît considérable. Elle est à relativiser ( supra ) compte tenu de la mise en place du « bouclier fiscal » et du plafonnement des avantages fiscaux.
En tout état de cause, il résulte des simulations menées par votre commission des finances qu'en théorie, il n'était guère possible d'élaborer de meilleur barème en se fixant simultanément comme objectifs :
- l'intégration de l'abattement de 20 % au barème ;
- un gain fiscal d'environ 10 % pour les « classes moyennes » ;
- l'absence généralisée de perte fiscale ;
- un barème ramené à cinq tranches.
Votre commission des finances ne doit cependant pas écarter l'éventualité de proposer un barème moins déséquilibré et surtout moins coûteux, en renonçant éventuellement à l'objectif des cinq tranches . Une telle mesure de redressement serait cohérente avec le constat de la relative inefficience du plafonnement des avantages fiscaux simultanément mis en place.
* 41 La prime pour l'emploi concerne les revenus inférieurs à 1,4 fois le SMIC. Un salarié travaillant à temps plein au SMIC touche aujourd'hui une PPE de 538 euros. Au terme de l'article 3 du projet de loi de finances pour 2006, son montant serait porté à 705 euros en 2006 puis à 802 euros en 2007.
* 42 Il s'agit d'un système fiscal à taux unique d'imposition sur la consommation, les revenus du travail, l'épargne des particuliers ou les bénéfices des sociétés. D'ores et déjà, un tel système a été introduit en Estonie, en Russie, en Serbie, en Ukraine, en Slovaquie et en Roumanie. Ce système peut être considéré comme le point d'aboutissement logique des réformes fiscales d'inspiration libérale accomplies au Royaume uni et aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt, puis en Europe continentale depuis les années quatre-vingt-dix, qui ont tendu à une baisse des taux d'imposition compensée par un élargissement des assiettes .
* 43 A cet égard, votre rapporteur général se demande s'il est absolument indispensable que les taux intermédiaires « tombent rond ».
* 44 C'est à dire en y intégrant l'effet de l'abattement des 20 %.