TRAVAUX DE LA
COMMISSION
AUDITION CONJOINTE DE M. JEAN-BAPTISTE GILLET, DIRECTEUR DES
AFFAIRES FINANCIÈRES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE, DE M.
JEAN-MARIE POIMBOEUF, PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL DE
DCN-SA,
ET DE M. MICHEL CAMOIN, CONSEILLER-MAÎTRE
DE LA
2ÈME CHAMBRE DE LA COUR DES COMPTES,
SUR LA COMMUNICATION DE LA
COUR DES COMPTES RELATIVE AUX COMPTES DE DCN-DÉVELOPPEMENT
(EXERCICE
2002) ET DE DCN-SA (EXERCICE 2003)
Présidence de M. Jean Arthuis, Président
Séance du mercredi 15 juin 2005
Ordre du Jour
- Audition conjointe avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de M. Jean-Baptiste Gillet , directeur des affaires financières du ministère de la défense, de M . Jean-Marie Poimboeuf , président directeur général de DCN-SA, et de M. Michel Camoin , conseiller-maître de la 2 ème chambre de la Cour des comptes sur le rapport de la Cour des comptes relatifs aux comptes de DCN-Développement (exercice 2002) et de DCN-SA (exercice 2003).
__________
La séance est ouverte à 15 heures 05.
M. Jean Arthuis, président - Mes chers collègues, l'audition conjointe à laquelle nous allons procéder aujourd'hui est la onzième de ce genre.
Elle résulte de l'application de l'article 58-2 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, qui prévoit la réalisation par la Cour des comptes de toute enquête, demandée par les commissions de l'Assemblée Nationale et du Sénat chargées des finances, sur la gestion des services ou organismes qu'elles contrôlent.
A ce titre, la Cour des comptes a transmis à notre commission, en février 2005, une communication sur les comptes de DCN-Développement et de DCN-SA. Cette communication a également été adressée par voie de référé au ministre de la défense et à la société anonyme DCN.
Il m'a semblé, conformément à la procédure déjà suivie, qu'était nécessaire une audition conjointe de M. Jean-Marie Poimboeuf, président directeur général de DCN-SA, de M. Jean-Baptiste Gillet, directeur des affaires financière du ministère de la défense et de M. Philippe Jost, ingénieur général à la direction générale pour l'armement.
Je veux également saluer la présence de M. Michel Camoin, conseiller-maître de la 2 ème chambre de la Cour des comptes, de M. Denis Samuel-Lajeunesse, directeur général de l'Agence des participations de l'Etat et du vice-amiral Pierre-François Forissier, major général de la marine nationale.
Comme le bureau de votre commission l'a décidé, cette audition est ouverte à la presse afin d'assurer un débat le plus ouvert et le plus fructueux possible. Notons que, dans la même perspective les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont été invités à participer à cette discussion, ce dont je me félicite.
La communication de la Cour des comptes, dont je vous ai adressé un exemplaire, souligne, comme l'avait déjà relevé notre collègue Yves Fréville, rapporteur spécial des crédits de la défense, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales, en décembre dernier, que la structure des comptes de DCN-SA mérite un examen approfondi, tant ses caractéristiques paraissent atypiques au regard des normes de comptabilité.
Peut-être pourrons-nous jeter un oeil sur les comptes au 31 décembre 2004, Monsieur Jean-Marie Poimboeuf, puisque votre conseil vient de les arrêter et que les commissaires aux comptes ont déjà exprimé une opinion sur leur sincérité.
La communication de la Cour des comptes fait suite à de nombreux contrôles concernant, directement ou indirectement, DCN, mais ne porte pas sur la dernière évolution législative relative à cette société, c'est-à-dire la loi n° 2004-1487 du 30 décembre 2004 relative à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales. Ce décalage, même s'il correspond au temps du contrôle, réduit considérablement la portée de nombreuses recommandations formulées par la Cour des comptes.
Sa communication décrit et évalue les différentes étapes de la transformation de la Direction des constructions navales de la marine militaire en entreprise publique, évolution prévue par la loi de finances rectificative pour 2001.
Vous avez tous reçu, mes chers collègues, copie de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que des réponses formulées par DCN-SA et le ministère de la défense dans le cadre de la procédure contradictoire mise en oeuvre par la haute juridiction financière. Dans cette perspective, je demande expressément à chaque interlocuteur de présenter très brièvement ses principales conclusions afin de laisser toute sa place à un débat le plus interactif et constructif possible.
M. Michel Camoin, conseiller-maître de la Cour des comptes, présentera dans un premier temps les conclusions du rapport sur les comptes de DCN-Développement et DCN-SA communiqué à notre commission, puis les représentants de la société DCN et du ministre de la défense pourront répondre aux observations de la Cour des comptes. Enfin, je vous inviterai, mes chers collègues, ainsi que les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à intervenir si vous le souhaitez.
Conformément à l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, il nous appartiendra à la fin de cette audition de statuer sur la publication du rapport transmis et qui, sur le plan juridique, est une « communication » de la Cour des comptes.
La parole est donc à M. Michel Camoin pour la présentation du rapport sur les comptes de DCN-Développement et de DCN-SA.
M. Michel Camoin - Merci, Monsieur le Président.
Je commencerai par un rappel des communications et échanges antérieurs avec le Sénat sur ce dossier.
Nous avons transmis en fait jusqu'à aujourd'hui trois documents concernant DCN : un référé, le 34-406, établi à l'occasion du dernier contrôle de la Cour des comptes sur Thomson-SA, qui portait sur les exercices 1997 à 2001, un référé, transmis par la Cour des comptes le 20 janvier 2003, portant sur la mise en oeuvre des synergies entre DCN et Thalès, dossier qui fut ensuite appelé « Convergence ». Après un délai légal de trois mois, le référé et les réponses reçues des tutelles ont été transmises aux deux assemblées. Vous avez eu à l'époque communication de ce texte et des réponses.
Sur ce premier référé, il y avait eu un contact plus personnalisé avec le Sénat, en la personne du rapporteur spécial du titre V des crédits de la défense, M. Maurice Blin, qui avait demandé à entrer en contact avec les rapporteurs de la Cour des comptes dans la perspective, notamment, des manoeuvres industrielles en cours sur les chantiers navals allemands Howaldtswerke-Deutsche Werft (HDW). Ce contact a eu lieu à la Cour des comptes le 7 octobre 2003.
Nous trouvons ensuite, dans l'ordre chronologique, la communication au titre de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001. C'est le document qui nous réunit aujourd'hui. Cette communication a été effectuée le 17 février 2005 et consiste en un rapport, comme l'a rappelé le président, portant sur l'examen de l'activité, de la gestion et des comptes des sociétés DCN-Développement pour l'exercice 2002 et DCN-SA pour l'exercice 2003.
Enfin, le dernier document que vous venez de recevoir est le référé 41-038. A la suite du contrôle dont on parlera aujourd'hui, la Cour des comptes avait également transmis un nouveau référé ; à ce référé était annexé un rapport en tout point identique à celui que vous avez reçu, transmis d'abord au Sénat, puis adjoint au référé en question.
La seule information que nous avons reçue, le 22 mars 2005, a été une lettre émanant du Premier ministre nous disant que les ministres de la défense et de l'économie étaient chargés de la réponse. Ces réponses ne nous sont pas parvenues et, le délai de trois mois étant écoulé, le 3 juin, nous vous avons envoyé le référé. Il doit être entre vos mains aujourd'hui.
Je ferai d'abord un rappel du champ et de l'objectif du contrôle en ce qui concerne le document d'aujourd'hui, établi au titre de l'article 58-2 de la loi du 1 er août 2001. La commande était passée par le Sénat mais nous avons pensé qu'il n'était pas inutile de contrôler DNC juste après l'apport. DCN devenant une entreprise de premier rang, elle est soumise au contrôle périodique de la Cour des comptes qui, normalement, en période de croisière, devrait se faire tous les trois à quatre ans. Celui-ci se fait à un rythme plus accéléré puisque c'est le début de la société. Pour le moment, on « programme » DCN pratiquement chaque année.
L'idée était, si nous avions eu une observation à formuler, de pouvoir agir avant l'arrêté des premiers comptes. C'est ce qui explique que l'on ait commencé le contrôle avant même que DCN ait arrêté ses premiers comptes 2003.
Peu de temps après, pendant notre enquête, les comptes sont tombés. Entre-temps, nous avions vérifié que nous n'avions pas de problèmes. Plus concrètement, nous avons examiné les conditions de l'apport qui avait fait l'objet d'une procédure du commissariat aux apports, non obligatoire mais que les tutelles et la société avaient choisie d'entreprendre, qui étaient à la base du bilan d'entrée.
En revanche, nous avons moins analysé l'activité et la gestion de DCN du fait que, ainsi que le président l'a rappelé, un certain nombre de contrôles avaient déjà portés sur les divers arsenaux de la marine.
Dans ce cadre assez précis et limité, quelles sont les principales observations de la Cour des comptes ? Elles sont au nombre de quatre et concernent d'abord et principalement les modalités de l'opération initiale d'apport, ainsi que le plan de charge du groupe public, les principaux défis de gestion et l'évolution des relations entre DCN et la société Thalès.
En ce qui concerne les modalités de l'opération d'apport, on peut résumer l'opinion de la Cour des comptes en deux constats.
L'idée de procéder en deux étapes, d'abord la création de DCN-Développement, qui préfigurait DCN-SA mais sans apport, puis la procédure du commissariat aux apports, a été, d'après la Cour des comptes, une bonne initiative par rapport à d'autres opérations passées de création d'entreprises publiques à partir de régies publiques de l'Etat.
Cette procédure a notamment permis de bien filtrer l'ensemble des risques et de bien faire la séparation entre ce qu'il convenait d'apporter à la nouvelle société et ce qu'il convenait de laisser entre les mains de l'Etat. J'en profite pour vous présenter M. Jacques Bousquet, qui a enquêté sur le « Service à compétence nationale (SCN) résiduel », c'est-à-dire sur ce qui reste dans l'Etat une fois qu'on a fait les apports initiaux à DCN.
Le second point porte sur des opérations qui ont immédiatement suivi l'apport, à savoir l'acquisition de DCN-International, la dotation initiale en capital et la mise en place des organes de gouvernance de DCN-SA.
Là également, le constat de la Cour des comptes est positif, mise à part une réserve sur une certaine clause liée à l'acquisition de DCN-International. En revanche, nous estimons que la dotation en capital n'est ni trop ample, ni trop courte et qu'elle correspond à l'expertise des besoins de la société au moment de sa création. D'autre part, la mise en place des organes de gouvernance prenait en compte toutes les évolutions de ces dernières années et nous a parue être en ligne avec les prescriptions actuelles en la matière.
La deuxième série de remarques porte sur le plan de charge du nouveau groupe public. On peut également résumer notre constat en deux observations. La première est un peu banale mais mérite d'être rappelée : on constate tout de même -ce qui est à la fois une force et une faiblesse- que la marine nationale demeure, et de très loin, le principal client de DCN.
Le deuxième corollaire de cette prééminence est que, dans ce cadre, le sort du groupe est indissolublement lié au lancement effectif de deux programmes, à savoir les frégates multimissions (FREMM) et les sous-marins nucléaires d'attaque, les Barracuda. On s'est quelque peu étendu sur ce problème parce qu'à l'époque, il existait une certaine prévention contre l'idée d'un financement dit « innovant » pour les FREMM. Cette question n'est plus d'actualité puisqu'elle a été abandonnée.
La question a tellement évolué que ce sera plutôt à la société et à ses tutelles de vous expliquer la façon dont se présentent maintenant ces deux programmes.
En ce qui concerne les défis de gestion, la Cour des comptes avait fait une remarque assez classique portant sur la comparaison des objectifs du contrat d'entreprise initial avec les premières réalisations et constaté un certain décalage, ce contrat étant très en deçà des premières performances atteintes par la société.
Il nous avait semblé que ce décalage n'était peut-être pas une bonne chose. Les tutelles nous avaient expliqué qu'elles ne voulaient pas pêcher par excès d'optimise et avaient donc fait un contrat qui fixait les limites inférieures en-deça desquelles il ne fallait pas passer. Notre opinion était que dans le cadre de discussions avec des industriels, il n'était peut-être pas forcément judicieux d'afficher des objectifs inférieurs à la réalité.
La question a tellement évolué qu'il nous semble qu'elle n'est plus véritablement d'actualité, d'autant que DCN produit régulièrement des mises à jour de ses perspectives qui collent à la réalité. Je pense que ces documents font foi.
Deuxième remarque sur les principaux défis de gestion pour décerner un franc satisfecit à la mise en oeuvre par DCN des nouvelles souplesses offertes en matière de gestion des achats. C'était probablement ce qu'il y avait de plus facile à faire, mais il fallait le faire. DCN a en effet fait tout ce qu'il fallait pour profiter de la nouvelle organisation en termes de compétition, de prix, de rapports avec les fournisseurs.
Troisième observation -et il ne faut pas surévaluer notre remarque parce qu'elle vient très tôt dans la création de DCN- à propos de la maîtrise de l'évolution des frais de personnels de la nouvelle entité. Sur 13.000 personnes, à l'époque, 10.000 ouvriers étaient sous statut d'Etat sur la base d'une convention. Ces personnels présentent certaines caractéristiques -avantages sociaux, salaires, etc. Par ailleurs, DCN devait recruter de nouveaux profils sous la convention de la métallurgie.
Nous pressentions un risque mineur « d'échelle de perroquet », les uns demandant les avantages correspondant à la catégorie des autres et inversement. C'est une mise en garde et non un constat sur lequel nous ne pourrions apporter de données chiffrées.
Le dernier dossier que nous avons regardé, et qui a beaucoup bougé, concerne l'évolution des relations entre Thalès et DCN. A l'époque, nous nous fondions sur un document évoqué dans le rapport, qui était un protocole entre l'Etat, Thalès et DCN mais qui n'a jamais été signé. Nous avions analysé son contenu, qui a beaucoup vieilli. Le dispositif nous paraissait, du point de vue de DCN, un excellent moyen d'assurer l'ouverture de DCN sur un partenariat commercial élargi.
Nous avions approuvé ce schéma il y a un an et demi, mais je crois que la question se présente sous un jour très différent aujourd'hui.
M. Jean Arthuis, président - Je vous remercie de ces précisions.
Ce rapport est globalement encourageant s'agissant des procédures mises en oeuvre et de la clarté des opérations conduites pour mettre en place DCN-SA.
Je salue le président Fragonard, qui est avec nous aujourd'hui.
Monsieur Poimboeuf, en votre qualité de président de DCN-SA, voulez-vous nous faire part de vos observations à la suite d'un rapport qui n'a rien d'accablant, bien au contraire ?
M. Jean-Marie Poimboeuf - Je vais reprendre les quatre points exposés par M. Camoin.
S'agissant des modalités de l'apport, je n'ai pas grand-chose à ajouter, si ce n'est confirmer que DCN, en préparation à son changement de statut, s'était effectivement mis dans la position d'une reprise d'activité qu'il convenait d'examiner avec attention, en ce qui concerne tous les éléments qui seraient apportés à la nouvelle société, en particulier en termes de risques.
C'est bien ce qu'a relevé la Cour des comptes et c'est en ce sens que nous avons travaillé.
Les premiers résultats de l'entreprise montrent que le « benchmarking » et les comparaisons en termes de dotations en capital, fondés sur une analyse des industries comparables à l'activité de DCN, se sont révélés corrects.
En ce qui concerne le plan de charge, s'il est vrai que l'activité pour la marine nationale représente 70 % de celui-ci, il n'en reste pas moins que l'activité à l'export est significative depuis longtemps, à hauteur d'un tiers. C'est un élément important que DCN compte bien poursuivre à travers sa filiale commune avec Thalès, Armaris.
La charge actuelle de DCN est satisfaisante au niveau de l'ensemble de ses sites industriels. Ceci étant, l'avenir de DCN repose effectivement sur deux grands projets qui vont structurer les dix prochaines années, à savoir, pour l'activité des bâtiments de surface, le projet des frégates multimissions et, en ce qui concerne l'activité sous-marine, le projet des sous-marins nucléaires d'attaque, les Barracuda.
En ce qui concerne les frégates multimissions, nous sommes à la fin du processus de négociation avec la délégation générale pour l'armement (DGA). Ce projet est une coopération franco-italienne. Il s'agit d'un programme de vingt-sept frégates de 5.500 tonnes, donc importantes en taille. Dix-sept sont pour la marine française et dix pour la marine italienne. Le maître d'oeuvre est Armaris, conformément aux accords de création d'Armaris, qui porte toute l'activité internationale et la coopération. Armaris est contrôlé à parité par Thalès et DCN, avec une responsabilité de DCN sur l'ensemble de la plate-forme et une responsabilité partagée sur le système de combat.
Le contrat en cours de finalisation portera sur une tranche ferme de huit frégates, avec deux tranches conditionnelles, la première pour quatre et la seconde pour cinq frégates. Dans la tranche ferme, nous trouvons bien entendu les dépenses de développement et de réalisation des huit premières frégates ainsi -et c'est une novation- que la maintenance pendant six ans de ces huit premières frégates.
La signature du contrat est prévue courant juillet pour une mise en application à l'automne, ce délai étant nécessaire pour passer de la signature à la mise en vigueur du contrat.
Chaque frégate représente pour DCN environ 2 millions d'heures de travail, ce qui est conséquent
Le projet Barracuda de six sous-marins nucléaires d'attaque est un projet purement national. DCN est associé à Technicatome pour la réalisation de la chaufferie nucléaire de ce sous-marin. Ce sont des sous-marins de 4.750 tonnes.
Nous travaillions actuellement sur la définition de ce sous-marin. Le contrat a été signé en 1992. Nous attendons la signature avant fin juillet d'un contrat de prestations à long délai. C'est un contrat de 100 millions d'euros dont une tranche ferme de 40 millions d'euros. Nous allons présenter l'offre pour le développement et la réalisation des trois premiers sous-marins avant fin juin, pour une négociation qui durera plus de six mois. Nous attendons donc la signature du contrat de développement et de réalisation début 2006.
Ce planning est tout à fait conforme à ce qui était prévu dans le contrat d'entreprise. Il n'en reste pas moins que nous attendons un certain nombre de contrats à l'export qui sont importants pour l'avenir de DCN. Je pense en particulier à un contrat de six sous-marins classiques pour l'Inde qui viendront également conforter l'activité internationale de DCN.
Sur le troisième volet des objectifs de gestion, je me réjouis que la Cour des comptes n'ait relevé aucune zone d'ombre sur les comptes de DCN.
Certes, les résultats sont plutôt en avance par rapport au contrat d'entreprise. Il est vrai que nous avions fait deux projets de business plan pour DCN, l'un plutôt entrepreneurial, avec des perspectives de développement de son activité, l'autre plus prudent. C'est ce dernier qui avait été retenu dans le contrat d'entreprise.
En réalité, les deux premières années qui viennent de s'écouler sont plutôt conformes au plan à moyen terme, qui était considéré comme ambitieux à l'époque. Là encore, c'est le principe de précaution qui avait été retenu.
Effectivement, DCN, dans ces deux premières années, a mis en place les fondamentaux d'organisation de toute entreprise. Tout d'abord en matière de gouvernance, le conseil d'administration a mis en place trois comités : un comité d'audit et des comptes, un comité des offres et un comité des rémunérations et des recrutements, ce qui est maintenant le référentiel souhaité pour une bonne gouvernance d'entreprise.
Par ailleurs, dès 2004, un accord d'entreprise a été signé avec les partenaires sociaux. Les organes sociaux de l'entreprise -comité d'entreprise et comité central d'entreprise- ont été progressivement mis en place à l'automne 2004 et fonctionnent aujourd'hui d'une manière régulière et récurrente.
Les deux premières années ont été bien sûr utilisées pour créer le nouveau référentiel d'achats, dont M. Michel Camoin a parlé. Une de mes priorités a été de le mettre en place dès le changement de statut, le 1 er juin. Les résultats de réduction de coût en matière d'achats sont effectifs. Nous avons fait, en 2004, plus de 90 millions d'euros de réduction de coût sur un volume de 900 millions d'euros d'achats.
Ces réductions de coût font l'objet d'une approbation de la filière « contrôle de gestion ». Ce ne sont donc pas les acheteurs qui évaluent les gains sur leurs achats.
Par ailleurs, nous avons également mis en place de nouvelles pratiques en matière de management, en particulier sur les ressources humaines. Ceci a constitué un effort considérable puisque, pendant ces deux années, plus de 3.000 personnes avaient à choisir entre rester dans l'entreprise ou rejoindre l'Etat ; 85 % des fonctionnaires, militaires et contractuels qui n'avaient pas le statut d'ouvriers d'Etat ont choisi de rester dans l'entreprise et de prendre un contrat de droit privé ; 15 % ont préféré rejoindre l'Etat. Aujourd'hui, plus d'un tiers des personnels de l'entreprise ont donc un contrat en convention collective avec DCN, tous les autres ayant un statut d'ouvrier d'Etat.
Par ailleurs, un important renouvellement et une profonde réorganisation de toutes les ressources humaines, ainsi qu'une meilleure adaptation des compétences et des emplois ont été opérés à travers le recrutement de 1.200 personnes et 2.000 départs depuis le changement de statut. C'est ainsi que nous sommes passés, en deux ans, d'un taux d'encadrement de 21 %, au moment du changement de statut, à plus de 25 % aujourd'hui.
La fonction « ressources humaines », la filière financière, la fonction juridique, la fonction « achats » ont été soit entièrement créées parce qu'elles n'existaient pas dans le cadre du champ de l'administration, soit entièrement renouvelées, avec ces mouvements d'entrées et de sorties, de manière à mettre en place toutes les compétences nécessaires à une entreprise.
En ce qui concerne la maîtrise des frais de personnels, le risque de voir mise en concurrence la référence des personnels à statut ouvrier avec celle des personnels sous convention collective est maîtrisé, d'autant que les recrutements qui ont été réalisés sont en grande majorité destinés à renforcer l'encadrement.
Sur les 1.200 personnes dont je parlais, ce sont plus de 600 ingénieurs qui ont été recrutés.
Enfin, en ce qui concerne l'évolution des relations entre Thalès et DCN, la problématique reste exactement ce qu'elle était lors de l'analyse de la Cour des comptes. Le secteur naval de défense est un secteur qui est extrêmement éparpillé en Europe. Je donnerai deux chiffres : l'activité du secteur naval, au niveau mondial, représente 25 milliards d'euros, sans compter l'activité services. C'est 10 à 12 milliards d'euros aux Etats-Unis, et 8 à 10 milliards d'euros en Europe !
Cette activité est organisée, aux Etats-Unis, par quatre grands industriels maîtres d'oeuvre, avec six chantiers, alors qu'en Europe, on trouve plus de douze grands industriels et plus d'une vingtaine de chantiers.
L'objectif, si nous voulons être capables de continuer à proposer aux marines européennes des produits à très forte intégration et à très fort niveau technologique dans un cadre budgétaire contraint -car les navires armés sont des produits à très forte technologie, à haute valeur ajoutée- il est indispensable de réduire le nombre de développements. En effet, les développements des navires armés sont extrêmement coûteux. Par exemple, le coût de développement d'une frégate multimissions représente l'équivalent du coût de réalisation de deux frégates. Il en va de même pour les sous-marins.
Pour réduire le nombre des développements en Europe, il faut donc se regrouper et commencer à le faire au niveau national.
C'est ce qui est en train de se faire au niveau européen. Les Allemands se sont regroupés à travers TKMS, créé en janvier dernier, qui regroupe toute l'activité navale de Thyssenkrupp Werften et HDW ; les Espagnols sont également en train de se restructurer, avec la création d'une nouvelle société, il y a deux mois, Navantia, qui a pris la suite d'Izar en séparant les activités commerciales et les activités de défense.
En Grande-Bretagne, une réflexion est engagée pour regrouper les quatre grands acteurs que sont BAE Systems, Vosper, Babcock et DML.
En France, ce mouvement avait été initié en 2002 avec la création d'Armaris, filiale commune de DCN et de Thalès. L'objectif est d'aller plus loin maintenant, en regroupant les trois acteurs du domaine en France : Thalès Naval France dans sa partie non équipementière, Armaris et DCN.
Ce projet est toujours à l'étude. Il est toujours important de le réaliser. Le sens stratégique de ce projet est partagé par tout le monde et, aujourd'hui, on continue à discuter de ses modalités.
M. Jean Arthuis, président - Dans l'exercice de vos fonctions de président de DCN, quelle est la tutelle que vous ressentez comme la plus prégnante ? S'agit-il du ministère de la défense, du ministère de l'économie ou de l'Agence des participations de l'Etat ?
M. Jean-Marie Poimboeuf - Nous discutons activement et de manière étroite avec le ministère de la défense et celui des finances. Très souvent, nos réunions sont tripartites et les discussions, en particulier en matière de mouvements stratégiques, se font de façon coordonnée entre ces deux tutelles.
M. Jean Arthuis, président - Puis-je demander à M. Denis Samuel-Lajeunesse de nous donner son appréciation en sa qualité de directeur général de l'Agence des participations de l'Etat ? Le reporting se fait-il bien ?
M. Denis Samuel-Lajeunesse - Je voudrais souligner le succès de la transformation de DCN en société anonyme, avec tout l'appareil utile de gouvernance. Nous avons veillé ensemble à ce qu'il y ait dans les différentes instances du conseil d'administration des administrateurs qualifiés et indépendants. Nous avons également, à la tête du comité d'audit et du comité des offres, des gens de qualité, MM. Denoyel et Michot.
Nous considérons donc que la société fonctionne bien. Je voudrais souligner l'amélioration du reporting et du processus comptable, ce qui a permis à la société d'arriver à arrêter ses comptes de plus en plus rapidement -le 15 avril cette année- et on anticipe, pour l'exercice 2005, l'arrêté des comptes aux environs de la mi-mars. DCN aura alors rejoint le droit commun en la matière.
Je voudrais également souligner qu'un certain nombre de réserves des commissaires aux comptes sur le premier arrêté des comptes ont été levées ; il en y avait quatre ; il n'en reste plus qu'une qui se lèvera d'elle-même, liée au lettrage des comptes clients-fournisseurs. C'est un sujet bien bordé et en voie de règlement.
M. Jean Arthuis, président - On a des problèmes pour y voir clair dans les comptes clients et fournisseurs ?
M. Denis Samuel-Lajeunesse - Il s'agit en fait de contrats anciens de la marine qui n'étaient pas calibrés comme aujourd'hui.
Je trouve que, dans l'ensemble, les choses se passent bien. Nous avons des rapports étroits avec DCN sur ces sujets ainsi que sur des sujets stratégiques, comme le dossier Thalès-DCN ou d'autres dossiers de la défense, où la coopération avec le ministère de la défense, comme avec la DGA, est excellente.
M. Jean Arthuis, président - Quel est point de vue du ministère ?
M. Jean-Baptiste Gillet - Je prends acte avec satisfaction des observations et commentaires faits par la Cour des comptes sur la qualité du processus de transformation de DCN en entreprise.
Pour l'avenir le président de l'entreprise a fourni un point d'actualité complet sur l'état des deux programmes majeurs mis en évidence par la Cour des comptes comme structurants et déterminants pour le plan de charge de l'entreprise.
S'agissant du programme FREMM, l'hypothèse d'un financement innovant, étudié de manière très approfondie par l'Etat durant toute une partie de 2004, a finalement été écartée. Considérant que les avantages liés à ce mode de financement ne permettaient pas d'en compenser le surcoût, le gouvernement a arrêté le principe d'un financement budgétaire de ce programme.
De ce point de vue, le ministère de la défense dispose, dès 2005, des montants d'autorisations de programme qui permettront la notification du contrat, dès lors que sa finalisation sera totalement assurée, dans les prochaines semaines, dans les termes et dans les conditions indiquées par le président de l'entreprise.
Les crédits de paiement seront ouverts selon des modalités et un échéancier qui s'inscrit naturellement dans le cadre du processus d'élaboration du budget 2006 et des années suivantes, en tenant compte des besoins de paiement du programme sur cette période.
M. Jean Arthuis, président - La parole est à M. Philippe Jost, ingénieur général à la DGA.
M. Philippe Jost - Dans l'appréciation que nous portons sur le bon départ de DCN -et nous souscrivons à tout ce qui a été dit jusqu'à présent- nous prenons bien évidemment en compte la qualité du service rendu au client France, qui se constate à la fois sur les constructions neuves et les programmes en cours, comme la première frégate Horizon et le bâtiment de projection et de commandement (BPC), qui avance bien, ainsi que le sous-marin lanceur d'engins (SNLE) n° 4, qui tient bien son calendrier pour le moment.
Dans l'appréciation du service rendu à la marine, il convient d'évoquer le maintien en condition opérationnelle, essentiel pour la disponibilité de la flotte et pour l'équilibre de DCN.
DCN a la chance, au moment où elle est créée, d'être pleinement installée dans son rôle d'industriel du maintien en condition opérationnelle pour les bâtiments de la marine nationale. C'est une activité très importante qui correspond à un flux d'environ 500 millions d'euros par an.
Dans le contrat d'entreprise, nous avions stipulé des conditions de contractualisation pour la période 2003-2008 que nous mettons en oeuvre et qui permettent de constater que nous sommes d'ores et déjà sur ce flux, ce qui permet à DCN et aux sites de Toulon et de Brest de disposer de la charge nécessaire, mais aussi et surtout à la marine de constater une amélioration de ces prestations.
Je ne peux que confirmer ce qui a été dit sur les grands programmes majeurs à venir, comme le Barracuda et les FREMM.
Je précise que l'Italie vient de se rallier elle aussi à un financement « classique » du programme FREMM, ce qui lève l'incertitude. Ils ne prévoient certes pas une tranche ferme portant sur huit frégates mais au moins prendront-ils leur part de la mise en place du contrat, ce qui était indispensable.
Pour terminer, je voudrais dire que, quelques satisfaits que nous soyons, il est trop tôt pour se réjouir pleinement du succès de la transformation de DCN en entreprise. Nous n'avons que deux ans de recul pour le moment. Nous avons fait un contrat d'entreprise qui couvre une durée de six ans et nous pensons qu'il faut un peu plus de temps pour pouvoir dire en toute quiétude que nous avons mené une opération pleinement réussie, à la différence peut-être de l'expérience antérieure.
Parmi les points à examiner avec attention, j'en signale deux qui ont été déjà évoqués. Le premier concerne la nécessité que DCN ne reste pas dans un tête-à-tête trop exclusif avec son client défense nationale. Aujourd'hui, le marché export est un marché difficile dans tous les domaines, mais également dans le domaine naval. Il convient de s'assurer que DCN puisse prendre, dans les années qui viennent, des commandes export qui continueront à lui donner une diversification et lui permettront de rester au niveau d'un tiers, évoqué par le président Poimboeuf.
En second lieu, il est à l'évidence essentiel que DCN ne soit pas un acteur isolé sur ce marché ; la question des alliances est donc primordiale. Nous y travaillons. Elle permettra également, au-delà de la rationalisation du tissu européen, qui est nécessaire, que DCN ne demeure pas, quel que soit le marché export, dans ce tête-à-tête avec le client défense.
M. Jean Arthuis, président - Quel est le point de vue de l'utilisateur, amiral Forissier ?
M. Pierre-François Forissier - Je voudrais d'abord resituer les besoins opérationnels de la marine qui nous préoccupent. Les missions que l'Etat confie à la marine reposent sur deux piliers, un premier pilier qui est la dissuasion nucléaire à base de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins et un deuxième qui est la projection de forces à partir du groupe aéronaval embarqué sur un porte-avions.
Ces deux piliers nécessitent pour vivre une flotte de sous-marins d'attaque et de bâtiments de combat de surface.
C'est le coeur opérationnel de la marine, non seulement pour mener les opérations, mais également pour acquérir un savoir-faire tactique, opérationnel et professionnel pour nos marins.
Compte tenu de l'état du parc de nos bateaux et surtout de leur âge, il nous est apparu, lorsque nous avons travaillé, à la fin du siècle dernier, sur la marine du XXI ème siècle, qu'il y avait deux programmes vitaux pour l'avenir de la marine, d'une part, en marine de surface, le programme des frégates qui, depuis, s'est appelé « frégates multimissions » et, d'autre part, le programme de génération de sous-marins d'attaque du XXI ème siècle qui, aujourd'hui, s'appelle « Barracuda ».
Dans le paysage de la construction navale de cette époque, compte tenu des contraintes qui sont celles de l'Etat, ce challenge était quasiment impossible à relever et il fallait changer notre façon d'acquérir des bateaux.
C'est pourquoi nous avons milité, soutenu et accompagné l'évolution de notre industriel, que nous surveillons aujourd'hui de très près, dont il faut souligner ici que nous ne pourrons pas nous passer.
Il a été souligné que nous étions son client principal, mais nous n'avons pas tellement le choix, dans la mesure où la spécificité de nos bateaux est telle qu'il n'y a pas réellement d'alternative crédible pour trouver sur le marché les bâtiments dont nous avons besoin. Il nous faut donc absolument disposer d'un industriel national fort, performant et qui puisse, pour un prix acceptable pour le contribuable, nous fournir les bateaux dont nous avons besoin.
Nous avons fait des efforts assez importants, puisqu'une partie des charges qui reviennent à l'Etat sont portées par la marine nationale pour accompagner ce changement. Nous avons participé très activement à toute la démarche non seulement de préparation, mais aussi d'exécution de ce changement, en particulier la reprise des immobilisations dans les arsenaux, le transfert intégral de toutes les pièces de la marine gérées par DCN, la reprise des activités de pyrotechnie, avec des transferts massifs de personnels de DCN vers la marine. Tout cela a été géré dans l'unique but de faire de DCN une entreprise performante.
Après trois ans de fonctionnement, nous pouvons dire que nos espoirs n'ont pas été déçus. Les premiers signes sont encourageants. Nous avions vu jusqu'à présent les difficultés que nous avions à construire de grands bâtiments, qui se traduisaient essentiellement par des surcoûts et des allongements de délais. A l'heure où je vous parle, « le Mistral », dont la première tôle a été posée en fond de bassin à l'été 2003, est en train de faire ses essais à la mer. C'est un bateau qui aura été construit en un peu plus de deux ans avant d'être livré à la marine de façon opérationnelle.
C'est une performance que je salue ici, d'autant que son « petit frère », « le Tonnerre », suivra six mois plus tard. Les marins qui vivent à Brest ont vu concrètement le changement s'opérer sous leurs yeux et nous sommes, de ce point de vue, d'un optimisme certes raisonnable, mais assez affiché quand même.
Tout l'argent que nous consacrons à entretenir les vieux bateaux, c'est autant que nous ne pouvons consacrer à l'achat de bateaux neufs. L'entretien de nos bateaux a donc lui aussi fait, ces dernières années, un progrès considérable, pas tellement en termes de coût puisque nous n'avons pas encore observé de réduction très significative mais, en revanche, nous avons constaté une amélioration considérable du service rendu.
Le taux de disponibilité de la flotte, qui a connu les années passées des difficultés assez graves, est en cours de redressement. Aujourd'hui, sur les principaux bâtiments de combat, nous avons un taux de disponibilité tout à fait satisfaisant, obtenu grâce à la négociation de contrats d'entretien global. Actuellement tous les sous-marins font l'objet d'un tel contrat. Récemment, les frégates de Toulon ont également pu être traitées avec un contrat du même type.
Nous espérons continuer dans cette voie vertueuse et, après avoir connu une augmentation de la qualité, engranger des gains de productivité et assister à une réduction des coûts dont le client final espère bien bénéficier.
M. Jean Arthuis, président - On dit que le taux de disponibilité des bâtiments de la marine nationale vous laissait cependant des marges considérables de progression. Le taux de disponibilité n'était pas très élevé...
M. Pierre-François Forissier - Non, le taux de disponibilité a chuté, à la fin des années 90 et a atteint des degrés qui étaient plus que préoccupants.
Quant un bateau met un an supplémentaire pour sortir d'un grand carénage qui doit durer un an, c'est qu'il y a des choses qui ne vont pas du tout ! Lorsque, sur un parc de six sous-marins nucléaires d'attaque, vous n'arrivez à en mettre à la mer qu'un seul, il y a des choses qui ne vont pas !
Aujourd'hui, nous avons réussi à reprendre une activité normale.
M. Jean Arthuis, président - Il s'agit donc d'une inversion des tendances ?
M. Pierre-François Forissier - Absolument. A l'heure où je vous parle, nous arrivons à déployer trois sous-marins nucléaires d'attaque.
Je rappelle qu'aux termes du contrat que nous avons avec l'état-major des armées, nous devons avoir « 3,5 » sous-marins nucléaires d'attaque déployés en permanence entre la méditerranée, l'Atlantique et l'Océan indien. Pendant deux ou trois ans, nous n'avons résolument pas tenu notre contrat ; d'ailleurs, sur la scène militaire internationale, nous avons eu des difficultés sérieuses vis-à-vis de nos partenaires.
M. Jean Arthuis, président - Tout cela est prometteur. Peut-être l'Etat a-t-il dû faire des sacrifices et mettre tout ce qu'il y avait de plus satisfaisant dans la corbeille de la mariée pour que DCN s'impose d'emblée comme une société compétitive, efficace. Peut-être a-t-on laissé dans la sphère étatique, en périphérie, des pesanteurs et des charges que l'Etat va devoir assumer...
M. Jacques Bousquet, rapporteur de la deuxième chambre, qui a conduit des investigations sur les périphéries de la DCN, peut-il nous donner en quelques mots son appréciation de la situation ?
M. Jacques Bousquet - Il est vrai que, dans cette opération de création de DCN-SA, chacun a été très attentif à n'apporter à la société que des actifs qui lui soient utiles, sans lui confier de passif engendré par les activités antérieures de l'ancienne DCN.
Cette approche est celle qui a été suivie. La Cour des comptes s'en est félicitée, à la lumière notamment des expériences passées puisque la création de DCN-SA était la troisième étape de la transformation des activités industrielles du ministère de la défense en société nationale. Il y avait d'abord eu la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), dès 1970, puis GIAT Industries.
Dans les deux cas, force est de constater que les apports qui avaient été faits avaient consisté à prendre les activités sous forme d'établissement, de personnel, sans prendre de précautions et à apporter tout cela à une nouvelle société.
La pollution des sous-sols, que « traîne » la SNPE par exemple, est un problème latent tant que les activités industrielles continuent mais qui ressort lorsque les activités cessent et qu'on ferme l'établissement. On se trouve alors devant un véritable imbroglio. Les apports ont été faits à la société, mais les pollutions, dans la majorité des cas, sont très antérieures à la création de la société. Le fait que cette précaution n'a pas été prise a conduit les sociétés en question -c'est la même chose pour GIAT Industries- à supporter un risque d'abord latent, puis qui risque d'éclater.
Dans le cas de DCN, l'Etat gardera à sa charge tous les risques qui résultent d'activités antérieures. Quels sont ces risques ? J'ai évoqué les risques environnementaux, la pollution des sols et des sous-sols, les arsenaux de la marine, avec des histoires très anciennes et très tourmentées -guerre, bombardements. Dans quel état exact est le sous-sol de Cherbourg, Brest ou Lorient ? Il suffirait pour le savoir de tout raser et d'aller voir ! Comme on ne peut le faire, il est impossible de fixer un volume de risques pour le cas où on aurait à envisager la dépollution -ce qui n'est pas le cas tant que les activités industrielles continuent mais qui devient obligatoire si les activités en question cessent.
De la même façon, l'Etat gardera à sa charge les risques liés aux personnels et résultant des activités antérieures, comme par exemple le risque de contamination à l'amiante. Beaucoup de personnels exposés à l'amiante peuvent bénéficier des dispositifs législatifs qui ont été pris.
La troisième catégorie est constituée des contentieux de toutes sortes que DCN pouvait avoir avec ses fournisseurs et ses clients antérieurs. Tous ces contentieux antérieurs à la date de création de la société continueront à être traités par le ministère de la défense.
Enfin, le dernier risque est celui des affaires prises par DCN avant la création de DCN-SA. Lorsqu'il s'agissait d'affaires à l'exportation, la garantie de l'Etat était accordée à la part DCN, mais on peut imaginer que d'autres risques surviennent, comme des contentieux de tous ordres. Là aussi, l'Etat a accepté le principe de prendre à sa charge tout risque d'espèce supérieur à 20 millions d'euros.
En effet, pour les activités à l'exportation, DCN, au sein du ministère de la défense, disposait d'une société de commercialisation, DCN-International, créée au début des années 1970, qui portait pour elle des activités de commerce, ce qu'une direction du ministère de la défense pouvait difficilement faire.
La société DCN-I était une filiale de l'Etat, vendue à DCN à sa création ; on a prévu une provision de 20 millions d'euros dans les comptes de DCN-SA pour supporter tous les sinistres inférieurs à cette somme, l'Etat, si des risques supérieurs à 20 millions d'euros survenaient, acceptant d'en faire son affaire.
Ceci a d'ailleurs conduit, lors de l'opération de vente de DCN-I à DCN, à imaginer une clause résolutoire : si ce risque advenait, la vente serait réputée nulle et non avenue. La Cour des comptes a d'ailleurs noté que la mise en oeuvre de cette clause serait peut-être difficile.
En ce qui concerne les évaluations, l'idée initiale de la Cour des comptes était d'avoir un chiffre. Malheureusement, notre enquête a été vaine. Comme pour les risques environnementaux, un chiffrage est difficile. Je crois savoir néanmoins que cette évaluation, portée par le ministère de la défense, non seulement pour les anciens arsenaux de DCN, mais également pour les établissements qu'il a gardés, est en cours. Je ne crois pas qu'elle ait abouti. Je ne peux donc donner le moindre chiffre sur le risque que l'Etat a accepté de garder à sa charge.
M. Jean Arthuis, président - Vous aurez dans quelques mois à exprimer une opinion et à certifier les comptes de l'Etat. Par conséquent, vous devrez vous faire une opinion sur l'évaluation de ces risques que, sans doute, M. Gillet aura chiffrés plus précisément.
M. Jean-Baptiste Gillet - M. Jacques Bousquet a parfaitement résumé la situation au regard des charges conservées par l'Etat. C'était une des conditions du succès de la transformation et de la création de DCN-SA. Le détourage, selon un certain nombre de critères et de principes, des charges apportées à l'entreprise et de celles conservées par l'Etat, était extrêmement important.
Le critère essentiel de ce détourage repose sur la notion de charges liées à l'activité antérieure à la création de DCN-SA et les risques ou charges relevant de l'activité postérieure, avec un principe selon lequel l'Etat conserve, dans un cadre défini dans les conventions d'apport, les risques et charges antérieurs à la création de DCN-SA.
S'agissant des charges environnementales, un certain nombre de provisions ont été inscrites au moment de l'opération d'apport dans les comptes de DCN. L'engagement de l'Etat s'applique, pour la part qui excède ses provisions, dans les conditions rappelées par M. Jacques Bousquet, en cas de cessation de l'activité industrielle et de vente des actifs en question. Ces conditions ne diffèrent pas des règles qui s'appliquent à l'ensemble des actifs immobiliers du ministère de la défense.
La question de l'évaluation est fort complexe. Elle se pose pour la société DCN mais aussi, d'une manière générale, pour le ministère de la défense comme pour l'ensemble des administrations de l'Etat, avec une acuité particulière au ministère de la défense, dans le cadre de la préparation du bilan d'ouverture lié à la mise en oeuvre de la LOLF.
C'est une opération extrêmement complexe qui peut surtout s'avérer extrêmement coûteuse puisque l'identification des coûts de dépollution peut nécessiter des investigations lourdes, difficiles à mettre en oeuvre et onéreuses.
Il est donc nécessaire de trouver un juste équilibre entre l'évaluation de ces risques et la simple identification non assortie d'une évaluation précise. Il me semble qu'un critère déterminant de ce point de vue est celui de la probabilité ou non de la cessation de l'activité industrielle ou de l'éventualité de la vente de certains actifs.
En effet, il n'est pas certain que l'Etat assumera, dans un avenir proche, les charges de dépollution s'il conserve la maîtrise de ces emprises, ou si l'activité qui a généré cette pollution subsiste sur ces emprises. C'est donc une question qui se pose de manière plus générale pour l'Etat et pour le ministère de la défense, et pas uniquement dans le cas de la société DCN.
M. Jean Arthuis, président - Peut-être pourra-t-il, d'année en année, constituer progressivement une provision si les marges budgétaires le permettent.
M. Jean-Baptiste Gillet - Il faudra effectivement que l'Etat détermine, selon les normes comptables qui lui sont applicables, dans quelles conditions et selon quel rythme ces provisions seront constituées.
S'agissant des autres risques et charges conservés par l'Etat, il existe quelques procédures contentieuses, mais en petit nombre, instruites par les services du ministère de la défense. On compte une trentaine de procédures en cours, pour un montant cumulé d'une dizaine de millions d'euros.
Sans préjuger de l'issue de ces procédures, pendantes devant les juridictions, deux contentieux au titre de la convention de garantie représentent au total une vingtaine de millions d'euros. Cet ensemble est donc aujourd'hui relativement circonscrit, ce qui n'exclut évidemment pas la possibilité que se présentent d'autres affaires.
Enfin, s'agissant des charges liées aux maladies professionnelles et aux accidents du travail, M. Jacques Bousquet l'a souligné, environ 2.500 ouvriers anciens ou actuels de DCN ont déclaré des maladies professionnelles liées à l'amiante. Les indemnisations sont estimées à une dizaine de millions d'euros par an pour le seul risque amiante.
Pour mémoire, l'Etat conserve à sa charge un certain nombre de mesures d'accompagnement social liées au départ d'agents ou d'anciens agents de la société.
M. Jean Arthuis, président - La parole est au rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général - La question de l'apport de l'Etat mérite-t-elle des commentaires supplémentaires par rapport à ce qu'écrit la Cour des comptes sur le risque éventuel de requalification en aides d'Etat ?
En second lieu, qu'en est-il du litige portant sur la taxe professionnelle, dont la Cour des comptes disait que les sommes les plus anciennes qui auraient dû être réglées préalablement à l'apport, demeuraient en suspens à la mi-2004 ?
M. Jean-Baptiste Gillet - S'agissant du droit communautaire, la position du gouvernement est que la société DCN relève de l'article 296 du traité qui vise les activités à caractère militaire. De ce point de vue, il n'y a pas lieu de considérer que l'on est en présence d'une aide d'Etat devant faire l'objet d'une notification.
M. Jean Arthuis, président - En irait-il autrement si DCN s'engageait sur des activités civiles ?
M. Jean-Marie Poimboeuf - C'est effectivement une contrainte.
M. Jean Arthuis, président - Cette contrainte vous prive-t-elle d'une ouverture vers des activités civiles ?
M. Jean-Marie Poimboeuf - Pour l'instant, il conviendrait de ne pas s'engager rapidement dans des activités civiles très importantes. De toute façon, aujourd'hui, pour s'engager dans des activités civiles, il faudrait changer l'objet social de la société.
M. Denis Samuel-Lajeunesse - Un complément, tiré de l'expérience Izar. Navantia peut conserver un certain nombre d'activités civiles, même si l'essentiel a été séparé. La Commission européenne a considéré que 20 % serait la marge tolérée, en tenant compte de ce précédent.
M. Jean des Courtis - Je suis directeur financier de la société DCN-SA. Nous avons procédé en 2005 au règlement de l'ensemble des sommes dues. A ce jour, nous réclamons les remboursements de trop versés pour un montant de l'ordre de 20 millions. C'est un problème de conciliation avec les registres du SCN-DCN. C'est en phase d'instruction.
M. Jean Arthuis, président - Quelle est votre cotisation annuelle de taxe professionnelle ?
M. Jean des Courtis - Une trentaine de millions d'euros.
M. Jean Arthuis, président - Les versez-vous à l'Etat ou aux collectivités locales ?
M. Jean des Courtis - Nous les versons dans la procédure de droit commun, avec un plafonnement à la valeur ajoutée et donc une somme à la charge de l'Etat, complémentaire à la nôtre.
Ce montant de taxe professionnelle va augmenter significativement, d'au moins 15 millions -c'est-à-dire de 50 %- car DCN a un plan d'investissement important. Il connaît simultanément une réduction de surface de l'ordre de 30 %, suivant les schémas directeurs qui sont en train d'être mis en oeuvre. La valeur nette comptable et la valeur d'origine de toutes nos immobilisations étant très ancienne, l'assiette est très faible. Or, nous avons un plan d'investissement de 300 millions d'euros sur trois ans et demi.
Troisième élément : DCN ayant de bons résultats, le plafonnement s'exerce tous les ans un peu moins ; nous allons donc être rattrapés par un double effet de ciseaux.
Nous avons également engagé, depuis un mois et demi un audit exhaustif de la taxe foncière. Il y en a pour un an et demi de travail. On va essayer de raccourcir cette durée et de le faire à cheval sur deux exercices calendaires. Nous sommes un peu dans l'expectative. Nous vérifions que le cadastre et tous les éléments de base sont bien homogènes, ce qui est toujours compliqué. Cela représente un gros travail et l'entreprise, au-delà du travail fait préalablement au changement de statut, a ainsi beaucoup de choses.
M. Jean Arthuis, président - Tout ce travail a dû être fait lors des apports !
M. Jean des Courtis - Le cadastre a dû être fait. La transcription effective dans les différents cadastres et les calculs d'assiette ne sont pas toujours traités dans des délais extrêmement rapides. Nous avons considéré qu'au bout de deux ans, il était temps d'aller vérifier ce qu'il en était, étant donné les sommes en jeu. On parle là d'une assiette d'une dizaine de millions d'euros.
M. Jean Arthuis, président - La parole est au rapporteur spécial.
M. Yves Fréville, rapporteur spécial - Je constate que cette réforme du pôle industriel de l'industrie navale semble avoir réussi. Cependant, comme le disait l'amiral Forissier, le prix en est-il acceptable pour le contribuable ?
Je voudrais rappeler que cette réforme, qui s'est étendue sur dix ans, a coûté environ 2 milliards d'euros au contribuable national. Je ne parlerai même pas des 700 millions d'euros des plans sociaux, puisque ce n'est pas à l'ordre du jour, mais quand même : le comblement du passif a atteint près de 700 millions d'euros et l'augmentation du capital, qui n'est pas encore totalement réalisée, s'est élevée à 560 millions d'euros.
On peut par conséquent considérer que l'Etat a bien fait son devoir, puisqu'on se trouve avec une entreprise rentable dès le départ. Il s'agit de savoir dans quelle mesure ceci est dû à cela.
Je voudrais poser une ou deux questions sur le traité d'apport, jugé satisfaisant par la Cour des comptes -ce dont je me réjouis- par rapport aux autres industries du même type.
Le solde d'encours non contractualisés s'est élevé à environ 340 millions d'euros par redéploiement des crédits défense. C'est un problème qui a été vivement ressenti par la marine nationale. Quelle est la nature de ces redéploiements qui, sur un certain nombre de points, modifiaient, je crois, l'économie de la loi de programmation militaire ?
D'autre part, les appels d'augmentation de capitaux prévus en 2005, 2006 et 2007 seront-ils bien réalisés ?
Enfin, les activités de maintien en condition opérationnelle sont-elles assujetties à la taxe professionnelle ? Je croyais que celles-ci, étant considérées comme des activités militaires, n'avaient pas à l'être. J'aimerais avoir la répartition de ce qui est ou non assujetti à la taxe professionnelle dans les activités de DCN.
Je voudrais maintenant m'intéresser aux défis de gestion dont parlait M. Poimboeuf. Quand on regarde les comptes de DCN, on voit l'importance des produits financiers par rapport aux produits d'exploitation -qui sont positifs. On se demande si ce qu'a apporté l'Etat à DCN ne lui assure pas un certain matelas financier.
Or, les valeurs de placements se montent à 1,5 milliard d'euros. A quoi cela est-il dû ? Je sais le caractère spécifique du financement des avances qui se cumulent jusqu'à la fin de la construction d'un navire et de l'augmentation parallèle des actifs, mais je voudrais savoir dans quelle mesure une structure spécifique intervient ici, de manière à ce que les intervenants extérieurs qui voudraient un jour entrer en relation avec vous, comme de grandes entreprises que vous avez citées, puissent bien distinguer, derrière les résultats financiers, la solidité industrielle même de DCN.
Un mot sur le problème des achats : où se sont situées les économies les plus fortes. Vous, société DCN, faites les achats sans avoir à assurer la procédure des marchés publics mais les activités de rechange ayant été mises à la charge de la marine et plus particulièrement du service de soutien de la flotte (SSF), tous les contrats sont pris sous le régime des marchés publics, avec toute la lourdeur administrative qui en résulte.
Peut-être est-ce une critique injuste, mais si vous avez profité de votre nouveau statut pour faire ce qu'il convenait de faire, la marine n'est pas débarrassée pour autant des difficultés de gestion des activités, considérées, dans la répartition de celles-ci, comme des activités d'Etat.
Par ailleurs, concernant l'avenir du contrat d'entreprise, j'ai bien entendu ce qui a été dit sur l'importance des contrats FREMM et Barracuda et du maintien en condition opérationnelle. Je n'ai pas entendu parler du porte-avions n° 2. Comment ceci sera-t-il ou non intégré dans le plan de charge de DCN ?
Enfin, s'agissant du partenariat industriel, quelles que soient les alliances, nous sommes, me semble-t-il, en matière de construction navale, sur un marché plat, où les perspectives de croissance à long terme sont tout à fait différentes de celles de l'aviation ou de celles que l'on a pu connaître quand EADS a été créé. Nous avons là un partage de marché borné supérieurement plutôt qu'une croissance du marché.
Cela dépend évidemment des perspectives à l'exportation. Vous avez dit clairement leur importance pour DCN. J'ai entendu parler du contrat avec l'Inde. Nous avons tous lu dans la presse que certaines difficultés de concurrence avec les chantiers allemands se faisaient sentir, y compris sur le plan technique, et je serais heureux d'avoir quelques précisions.
M. Jean-Baptiste Gillet - Les encours non contractualisés peuvent s'analyser non pas comme une charge nouvelle, mais comme une dette de la marine, dont l'apurement était nécessaire au moment de la constitution de la société. Sur la base de l'évaluation qui en a été faite, des conditions d'étalement ont été convenues entre l'Etat et l'entreprise.
La réforme a d'ailleurs eu d'autres impacts sur le budget de la marine, par exemple avec la remise à niveau de certains sites industriels. L'impact fiscal a, quant à lui, fait l'objet d'une compensation à caractère budgétaire, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée.
D'une certaine façon, la prise en compte de ces charges, qui n'avaient pas été inscrites lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire, a été l'une des raisons, parmi d'autres, qui ont conduit le ministère de la défense à envisager une solution de financement innovant pour le programme FREMM, dont on sait aujourd'hui la conclusion, avec la décision d'apporter un financement budgétaire.
Je pense donc que les choses se sont relativement équilibrées dans le cadre de l'exécution de la loi de programmation militaire, dont le ministre de la défense rappelle régulièrement qu'elle est à ce jour strictement respectée depuis qu'elle a été adoptée par le Parlement. Ceci s'inscrit dans un cadre maîtrisé par le ministère de la défense, pour la marine nationale en particulier.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Pour ma part, s'agissant du coût de la réforme, il n'y a que la mise en place du capital. Tout le reste n'est pas lié à la réforme. C'est en tout cas l'analyse que j'en fais.
M. Jean Arthuis, président - Peut-être M. Fréville a-t-il voulu dire qu'un certain nombre d'opérations restaient en plan et qu'il a fallu les financer à un moment.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Je ne sais pas ce que recouvrent les 700 millions d'euros, mais si c'est la remise à niveau d'un certain nombre d'installations, ce n'est pas lié à la réforme !
M. Jean Arthuis, président - Disons qu'il pouvait y avoir un peu de désordre dans la comptabilité de l'Etat !
M. Jean-Marie Poimboeuf - Ce n'est pas un problème de comptabilité : ce sont des coûts de remise à niveau d'un certain nombre d'immobilisations. C'est un débat dans lequel il serait très intéressant d'aller au fond, car les éléments dont on parle n'ont rien à voir avec le changement de statut de DCN.
Il y avait des éléments de remise à niveau d'un certain nombre d'installations et d'immobilisations qu'il fallait faire, qui n'ont pas été faits, c'est vrai, mais les budgets n'étaient pas là !
M. Yves Fréville - Je suis d'accord pour dire que c'est le coût de la remise à niveau et non de la réforme, mais la remise à niveau était une nécessité, car il y avait malgré tout une dégradation de la situation industrielle qui n'était pas due à DCN-SA auparavant.
M. Jean-Marie Poimboeuf - ... Qui était due à l'Etat !
M. Yves Fréville - Je parlais du coût global pour le contribuable, quelle que soit l'organisation interne de l'Etat.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Il me semble cependant qu'on ne peut lier cet investissement au changement de statut de DCN.
M. Jean Arthuis, président - Toujours est-il qu'il y avait un certain laisser-aller et qu'il convenait de remettre de l'ordre dans la maison.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Etant à la fois juge et partie et président de DCN-SA, je ne puis laisser dire qu'il y avait du laisser-aller. Il existait une contrainte majeure qui était d'exercer des activités industrielles au sein de l'Etat. Avec un certain nombre de mes collaborateurs, nous avons engagé un processus pour remettre la maison dans une certaine dynamique qui n'était plus possible au sein de l'Etat. Il y avait une démobilisation de DCN.
Permettez-moi d'être passionné par le sujet ! Je pense que nous étions dans une situation extrêmement préoccupante. Si nous n'avions pas changé de statut, DCN serait morte ! Nous étions dans une spirale négative, due au fait que les contraintes étaient trop grandes pour exercer une activité de services au bénéfice de la marine nationale au sein de l'administration.
Le statut a permis de redonner du dynamisme à une maison qui n'en avait plus. On peut estimer qu'il s'agissait de laisser-aller, mais je crois que c'était inévitable dans la structure dans laquelle nous étions.
M. Jean Arthuis, président - Cette structure connaissait donc un déficit de moyens selon vous.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Quand vous êtes critiqué tous les jours parce que vous n'êtes pas capable de fournir un bon service et que vous n'en avez pas les moyens structurels en matière d'achats et de ressources humaines, vous perdez toute motivation.
M. Jean Arthuis, président - Il était donc indispensable de mettre en oeuvre les crédits nécessaires et donner l'impulsion en termes d'organisation.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Le statut de société est justement là pour permettre à une activité d'être efficace.
M. Jean des Courtis - Depuis le changement de statut, DCN aura procuré à l'Etat environ 900 millions d'euros en deux ans, dont pour l'impôt sur les sociétés : 140 millions d'euros, pour les taxes professionnelle et foncière : environ 60 millions d'euros, pour la TVA : 300 millions d'euros (payés par l'Etat mais qui reviennent à l'Etat et qu'on ne peut donc compter deux fois). Le taux de distribution des bénéfices est de l'ordre de 30 %, ce qui est beaucoup. Enfin, nous avons racheté à l'Etat DCN-International, comme il l'a été mentionné, pour 189 millions d'euros.
Faire la photo au jour du changement est donc un peu réducteur. Il faut voir qu'il y aura un retour sur investissement, sans compter la valorisation des actifs et des titres de DCN pour l'actionnaire, que nous souhaitons tous, qui sera bien évidemment supérieure au coût de la transformation.
M. Jean Arthuis, président - Il était bon de revenir sur cette phase. Nous sommes d'accord.
M. Jean-Marie Poimboeuf - S'agissant de la taxe professionnelle pour les activités de maintien en condition opérationnelle, nous allons le vérifier, mais je pense que celle-ci est payée. Nous vous le confirmerons dans les 24 heures.
En ce qui concerne la trésorerie de DCN, celle-ci vient essentiellement de l'activité à l'exportation.
M. Jean de Courtis - On a un milliard de trésorerie de plus que ce qui était prévu dans le contrat d'entreprise fin 2004.
Quatre chiffres expliquent cette situation : le client français est en retard de 350 millions d'euros environ, dont 100 millions d'euros pour le programme des FREMM et 250 millions environ du fait de la régulation budgétaire de décembre dernier.
A l'export, c'est exactement l'inverse. Nous avons encaissé environ 600 millions d'euros de plus que ce que nous prévoyions. C'est là essentiellement le résultat des programmes engrangés autrefois et du bon avancement des projets.
Autre montant très important : nous avions pris une hypothèse de réduction des avances à compte du client français qui, pour le coup, ne s'est pas produite, engendrant un delta de l'ordre de 250 millions d'euros par rapport aux prévisions.
Enfin, il était prévu dans le business plan d'avoir deux ans de pertes. Il y a eu deux ans de profits ! Ceci a donc généré une capacité d'autofinancement de l'ordre de 450 millions d'euros.
M. Jean-Marie Poimboeuf - En ce qui concerne les achats, j'avais souligné, dans le cadre du changement de statut, toutes les contraintes liées à ce domaine. Je dois dire que le transfert de la gestion des rechanges a été réalisé à la demande de la marine nationale, qui souhaitait reprendre la gestion des rechanges militaires. La marine se retrouve donc avec les mêmes contraintes que connaissait DCN au sein de l'administration. C'est une responsabilité que connaît toute administration.
Quant au deuxième porte-avions, il se trouve effectivement dans le business plan de DCN. J'ai parlé des FREMM et des Barracuda comme de deux programmes majeurs, non que le porte-avions n'en soit pas un mais je considère que si les programmes FREMM ou Barracuda étaient décalés de manière significative, il y aurait là pour DCN un problème social et industriel de très grande ampleur.
Tel n'est pas le cas du porte-avions n° 2 qui est d'une ampleur financière et industrielle moindre. Ce n'est pas pour autant qu'il n'a pas d'importance pour DCN et il est prévu dans le business plan.
Quant à l'export, il est vrai que le domaine de la construction navale n'est pas en croissance. Ceci étant, par rapport aux activités aéronautique et terrestre, le secteur naval de défense est un des secteurs, pour le moyen terme, qui a le plus d'avenir.
Je considère qu'en termes de croissance et de développement, les services sont le segment d'activité de DCN qui porte le plus de potentialité de développement.
En effet, c'est une activité où l'on sent que l'Etat souhaite externaliser le plus possible. Par ailleurs, la marine a une politique de réduction des équipages extrêmement importante. Les frégates multimissions de 5.500 tonnes auront un équipage de 108 personnes. Les frégates « La Fayette » de 3.700 tonnes comptent 160 personnes ; les bâtiments de même tonnage, il y a vingt ans, en comportaient 250.
Bien entendu, les équipages continueront à faire de l'entretien en mer, mais a minima ; quand ils reviendront, il faudra de plus en plus s'appuyer sur un industriel.
En Grande-Bretagne, Vosper a triplé son chiffre d'affaires dans les services en cinq ans. DCN, aujourd'hui, est en train de travailler, en ce qui concerne son développement stratégique, sur ce segment là en particulier.
M. Jean Arthuis, président - La parole est aux commissaires.
M. Daniel Goulet , membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - Les perspectives d'avenir semblent positives mais, selon mes informations, de très importants marchés sont actuellement en gestation pour l'équipement de plates-formes « off-shore ». Or, ces marchés s'étendraient sur cinq ans et porteraient sur plus de 500 millions de dollars.
Dans ces conditions, et dans l'hypothèse où DCN serait approchée pour ces marchés, pensez-vous opportun pour la société de réactiver cette branche d'activité, au regard notamment de l'organisation matricielle de DCN depuis sa transformation en société commerciale ? C'est une question qui m'apparaît très importante pour ce que vous recherchez, mais aussi pour les créations d'emplois.
En second lieu, le capital de DCN est-il désormais ouvert aux investisseurs privés ? Ne pensez-vous pas que ce serait souhaitable et, si oui, dans quels délais ?
Mme Hélène Luc, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - Cette réunion me paraît intéressante pour tirer le bilan. La semaine prochaine, nous allons à Brest pour visiter DCN. Je ferai partie de cette délégation. Je tenais à être présente aujourd'hui, m'étant beaucoup occupée de GIAT. Nous avons d'ailleurs dit qu'il fallait en tirer tous les enseignements pour ne pas tomber dans les mêmes errements.
La Cour des comptes porte une appréciation positive sur la transformation de DCN en entreprise publique, ainsi que sur son évolution. Il est dit que le changement de statut s'est fait sans tension sociale. Il y a bien dû y en avoir quelques-unes, ce qui est normal...
Je ne partage toutefois pas le même sentiment que M. Fréville -il n'en sera d'ailleurs pas étonné. Si nous voulons que DCN ait un bon départ -et il y a des choses encourageantes, comme en matière de gestion des achats- il faut que l'Etat permette à DCN de partir sur un bon pied.
Je rejoins ce que vous dites, Monsieur le Président -une fois n'est pas coutume- pour dire que ce qui a été donné par l'Etat ne l'a pas été que parce qu'il y a eu un changement de statut mais que, de toute façon, il aurait fallu que l'Etat finance ce qui devait être fait.
Il y a une difficulté évidente : c'est la cohabitation des personnels de droit privé et des personnels de l'Etat. C'est maintenant voté et il faut faire avec, mais -on l'a vu à France Télécom- cela amènera des difficultés ; on l'avait dit mais c'est ainsi ! Les personnels recrutés peuvent apporter des compétences nouvelles et cela me paraît très important.
Je veux insister sur le fait que l'Etat accomplit son devoir, comme il l'avait annoncé. Je sais, Monsieur le Président de la commission des finances, que vous êtes à la recherche d'économies mais je crois qu'il ne faut pas vouloir faire des économies à tout prix. C'est un moment crucial pour DCN. Ma préoccupation porte sur les commandes : j'ai lu dans la presse que le contrat avec l'Inde n'est pas définitif et que si l'on n'a pas ces commandes, il risque d'y avoir des problèmes.
Par ailleurs, les personnels touchés par le problème de l'amiante sont-ils tous à la retraite ?
Enfin, a-t-on repris nos activités au Pakistan après l'attentat qui nous y avions subi ?
M. Jean Arthuis, président - Nous ne cherchons pas à restreindre les dépenses à tout prix, mais je souhaite, en effet, qu'en fonction des objectifs stratégiques que nous avons arrêtés, nous puissions nous doter des systèmes d'armes performants dans un rapport qualité / prix optimal.
Nous ne sommes pas là pour dépenser des milliards, mais pour faire en sorte que nos systèmes d'armes soient opérants. Il y a peut-être des cas où la DGA et les états-majors doivent se préoccuper eux aussi de l'efficacité de la dépense publique. Il est du devoir des parlementaires d'exercer sans cesse une pression sur ceux qui ont pour mission de conduire la politique de l'Etat !
Monsieur Poimboeuf, vous avez la parole.
M. Jean-Marie Poimboeuf - Concernant la question des plates-formes « off-shore », nous en avons réalisées il y a déjà plusieurs années à Brest. Pour l'établissement de Brest, cela a été un challenge extrêmement difficile à relever mais il l'a été avec succès aux niveaux technique et industriel. Par contre, cela a coûté très cher à DCN à l'époque, puisque nous avons enregistré des pertes importantes sur cette opération.
C'est un secteur, malgré tout, qui pourrait avoir un certain intérêt, mais il faudrait faire évoluer la raison sociale de l'entreprise progressivement pour ne pas tomber sous le coup de l'article 296 du traité d'Amsterdam précité.
Ceci mis à part, en termes de positionnement industriel, c'est un segment d'activité qui est extrêmement difficile. Aujourd'hui, je ne pense pas que DCN soit encore à un niveau de compétitivité tel que nous soyons en mesure d'affronter la compétition mondiale.
Cela étant, il peut se faire que la demande parvienne dans un contexte plus particulier en matière de mise en compétition. Mais, si c'est dans le cadre de la compétition mondiale, je pense qu'aujourd'hui DCN ne répondra pas à un tel appel d'offres !
S'agissant de l'ouverture du capital, la loi votée en décembre dernier permet l'ouverture de celui-ci à des capitaux privés ainsi que les rapprochements et la création de filiales communes. Cette possibilité n'est pas simplement ouverte au niveau national et nous menons nos réflexions avec des perspectives européennes.
Nous discutons avec les acteurs européens du domaine, mais c'est une perspective à moyen terme. Nous travaillons d'abord à un rapprochement au niveau français.
En ce qui concerne votre question sur notre activité au Pakistan et en particulier à Karachi, nous continuons à faire face aux engagements de l'Etat français à travers DCN. Le contrat prévoyait la réalisation de trois sous-marins ; nous sommes en train de réaliser le troisième à Karachi, mais les conditions dans lesquelles cette équipe travaille ont été totalement modifiées dans la mesure où, aujourd'hui, cette équipe vit là où elle travaille, de manière à éviter tout déplacement. Elle est logée directement sur la base navale à Karachi, avec des mesures de sécurité spécifiques qui évitent tout transit à Karachi, qui reste une ville extrêmement dangereuse.
En ce qui concerne l'amiante, ce problème concerne des personnels qui sont partis à la retraite, soit près de 300 en 2003 et environ 400 en 2004. Il concerne encore un certain nombre des personnels en activité.
Enfin, l'évolution du statut conduit à une certaine inquiétude parmi le personnel, à laquelle je m'efforce de répondre pour bien faire comprendre l'orientation stratégique de DCN. Nous n'avons pas de choix si nous voulons que DCN se développe dans le secteur naval de défense qui est le sien.
M. Jean Arthuis, président - Nous arrivons au terme de cette audition contradictoire. Je remercie la Cour des comptes et les hauts magistrats pour la communication sur la situation des comptes de DCN-Développement et de DCN-SA pour les années 2002 et 2003. J'ai compris que les comptes de 2004 confirment totalement les tendances très positives des comptes 2003 ; de plus, les commissaires aux comptes ont pratiquement levé toutes leurs restrictions. Il reste à clarifier les comptes clients et les comptes fournisseurs, mais cette opération paraît atteignable dans des conditions satisfaisantes.
Merci à tous ceux qui ont pris part à cette audition contradictoire.
La séance est suspendue.
La commission des finances a ensuite décidé d'autoriser la publication d'un rapport d'information sur la communication de la Cour des comptes relative aux comptes de DCN-Développement pour l'exercice 2002 et DCN-SA pour l'exercice 2003.