N° 340

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 mai 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1), sur les apports du Traité constitutionnel en matière de politique étrangère et de défense ,

Par M. Serge VINÇON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert Del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Francis Giraud, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Que fait l'Europe ?

A l'évocation des désordres du monde, comme les crises africaines ou le conflit israélo-palestinien, cette question surgit fréquemment, témoignage d'une attente profonde, d'une exigence impérieuse.

Cette question peut venir des responsables eux-mêmes en quête d'un recours ou soucieux d'un rapport plus équilibré dans les relations internationales mais aussi, au premier chef, de nos concitoyens et des citoyens européens pour qui la puissance de l'Europe relève moins de l'interrogation que du constat, celui d'une entité à même de s'affirmer sur la scène internationale et qui doit en assumer les conséquences et les responsabilités.

Sans que le contenu en soit toutefois défini, les citoyens européens sont massivement favorables à une politique étrangère commune et même à une défense commune et désignent ces domaines comme ceux où ils attendent prioritairement des progrès de l'Union.

Tout en reposant sur une ambiguïté fondatrice quant à ses objectifs, la politique étrangère et de sécurité commune a connu des avancées significatives ces dernières années entre le traité de Maastricht, qui évoque pour la première fois ces questions et le Conseil européen de Laeken qui déclare l'opérationnalité de la PESC. Les événements du Kosovo ont fondé un consensus que la nécessité de lutter contre le terrorisme soutient aujourd'hui.

La stratégie européenne de sécurité adoptée en décembre 2003 définit une analyse commune des risques et menaces, assignant à la politique étrangère et de sécurité commune des objectifs plus clairs.

En dotant l'Union européenne d'outils d'analyse et de décision, en renforçant ses moyens et en précisant ses missions, les apports du Traité constitutionnel à la politique étrangère et de sécurité commune, dont certains sont mis en oeuvre de façon anticipée, figurent au nombre des principaux changements introduits par ce Traité. Votre rapporteur se propose de livrer le descriptif de ce nouveau cadre institutionnel.

I. UNE POLITIQUE AUX OBJECTIFS MIEUX IDENTIFIÉS...

La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) est une compétence particulière, sui generis , de l'Union, à laquelle l'article I-12 du Traité, qui définit les catégories de compétence, réserve un paragraphe spécifique qui précise que la compétence de l'Union comprend « la définition progressive d'une défense commune ».

L'article I-16 en donne une définition très large puisqu'il prévoit que la compétence de l'Union couvre « tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union ». Le deuxième paragraphe de l'article est relatif à « l'esprit de loyauté et de solidarité mutuelle ».

A. LES OBJECTIFS DE LA PESC

Le paragraphe 4 de l'article I-3, consacré aux objectifs de l'Union dans ses relations extérieures, élargit les objectifs de l'Union dans ce domaine, notamment aux questions de développement et de promotion des droits de l'homme : « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et intérêts. Elle contribue à la paix, à la sécurité (...) ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations-unies ».

Elle mène des politiques communes afin de « sauvegarder ses valeurs, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité ».

1. Les principes de la stratégie européenne de sécurité

La définition d'une stratégie européenne de sécurité, au titre programmatique « Une Europe plus sûre dans un monde meilleur », adoptée par le Conseil européen de décembre 2003, est relativement tardive dans le processus de construction de la politique étrangère et de sécurité commune.

Le processus ouvert à Saint-Malo en 1998 a tout d'abord porté sur les capacités avant l'identification des menaces et des objectifs.

La stratégie européenne de sécurité part du constat de l'ouverture et de l'interdépendance des Etats membres pour établir leur besoin de coopération devant des risques et menaces qui concernent essentiellement les populations civiles et n'appellent pas une réponse strictement militaire : le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux et les Etats déliquescents ainsi que la criminalité organisée.

La stratégie envisage des réponses multiformes : diplomatie, actions économiques et financières, coopération au développement, politique de « voisinage » et promotion du multilatéralisme. Elle souligne aussi la nécessité d'une plus grande cohérence pour l'Union et d'une efficacité accrue pour ses moyens d'action.

La stratégie n'est pas l'équivalent d'un « livre blanc », avec un corps de doctrine structuré mais, après les divisions intervenues au moment de la guerre d'Irak, elle témoigne du besoin des Etats membres de consacrer la communauté de leurs analyses et d'assigner des objectifs plus clairs à la politique étrangère et de sécurité commune.

C'est cette démarche que le Traité constitutionnel complète.

2. Un champ d'intervention élargi

Aujourd'hui défini par les « missions de Petersberg », qui vont de l'évacuation de ressortissants à des missions de rétablissement de la paix, le champ d'intervention de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) est élargi par le Traité, à l'article I-41 : l'Union peut y recourir dans « des missions, en dehors de l'Union afin d'assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies ».

L'article III-309 définit ces missions avec plus de précision : elles « incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits ».

B. UNE ALLIANCE EUROPÉENNE ?

A ces missions désormais reconnues et mises en oeuvre de maintien de la paix, le Traité constitutionnel ajoute une problématique nouvelle, celle de la protection des citoyens de l'Union.

1. L'objectif d'une défense commune

L'article I-41 du Traité stipule que la politique de sécurité et de défense commune inclut la définition d'une politique de défense commune de l'Union. Il prévoit, le moment venu, une décision du Conseil européen dans ce sens.

La rédaction du texte permet de prendre en compte deux contraintes : d'une part, le respect de la neutralité de certains Etats membres 1 ( * ) et donc « le caractère spécifique » de leur politique de sécurité et de défense, et les engagements liés à l'appartenance à l'OTAN pour dix-neuf des vingt-cinq Etats membres, d'autre part.

L'article I-5, consacré aux relations entre l'Union et les Etats membres, et qui définit le partage des rôles, précise que l'Union respecte les fonctions essentielles des chaque Etat : assurer son intégrité territoriale, maintenir l'ordre public et sauvegarder la sécurité nationale.

2. La clause de défense mutuelle

La clause de défense mutuelle, introduite à l'article I-41, paragraphe 7, représente une avancée importante sur le plan de la symbolique politique. Actuellement, dix-neuf des vingt-cinq Etats membres sont liés par la clause de défense mutuelle fondée sur l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord. Dix-huit de ces Etats sont par ailleurs liés à cette même fin par l'article V du Traité de Bruxelles modifié, dans le cadre de l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Les quatre neutres et le Danemark ont un statut d'observateurs à l'UEO.

Concrètement, la clause de défense mutuelle introduite par le Traité ne s'étend donc qu'à Malte et à Chypre et représente un engagement moins contraignant que celui qui lie les membres des autres organisations, OTAN et surtout UEO. Le texte évoque en effet, pour les Etats membres, un « devoir d'aide et d'assistance par tous les moyens en leurs pouvoirs » en cas d'agression armée sur le territoire d'un Etat membre.

La clause de défense mutuelle ne se substitue pas aux engagements de solidarité existants, qui concernent d'ailleurs aussi des Etats non membres de l'Union européenne. Lors du Sommet de Nice de décembre 2000, l'Union européenne a décidé de reprendre à son compte la fonction de gestion de crise de l'UEO ainsi que certaines de ses structures. L'UEO a été maintenue pour assurer les deux fonctions qui n'ont pu être reprises par l'Union européenne. Le mécanisme d'assistance réciproque prévoit que « au cas où l'une des Hautes parties contractantes serait l'objet d'une agression armée en Europe, les autres lui porteront, conformément aux dispositions de l'article 51 de la Charte des Nations unies, aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres ». Il s'agit d'un engagement de sécurité collective automatique et particulièrement contraignant dont la clause de défense mutuelle n'est pas l'équivalent. Autre fonction de l'UEO, le contrôle parlementaire de la politique de défense européenne, prévu sous forme d'un rapport annuel à l'Assemblée de l'UEO, composée de parlementaires nationaux, n'est pas repris par le Traité, qui prévoit une information et une consultation régulière du Parlement européen. A la différence d'Europol et Eurojust, les offices européens de coopération en matière de police et de justice, le Traité ne prévoit pas d'intervention des Parlements nationaux. Les Parlements nationaux interviennent par le contrôle de leur propre Gouvernement, dans un domaine, il est vrai, régi par la règle de l'unanimité. Le Protocole n° 24 établit que l'Union, en collaboration avec l'Union de l'Europe occidentale, élabore des arrangements visant à améliorer la coopération entre les deux organisations.

Le texte du Traité réaffirme la primauté -déjà mentionnée à l'article 17 du Traité de l'Union européenne-, pour les Etats qui en sont membres, des engagements souscrits au sein de l'OTAN qui reste « le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre ».

Certes, la défense collective, prévue par le Traité constitutionnel, offre des garanties moindres que celles prévues dans le cadre de l'OTAN et de l'UEO, dans le cadre de l'Union européenne que dans d'autres instances. Mais la notion « d'agression armée » d'un Etat membre renvoie à une conception « classique » de la menace militaire représentée par des forces armées étatiques. A lire la stratégie de sécurité de l'Union, une menace de ce type pesant sur le territoire de l'Union apparaît relativement théorique et ce n'est pas à ce type de menace que répond prioritairement la politique européenne de défense. La décomposition des Etats des Balkans et ses conséquences sur leur stabilité, sur les relations interethniques et sur le développement de la criminalité, aux conséquences tout aussi dramatiques pour les populations, apparaît bien davantage comme l'archétype des risques aux frontières de l'Union. L'implication croissante de l'OTAN dans la gestion des crises témoigne de la prise en compte de cette évolution.

3. La clause de solidarité

L'article I-43, relatif à la clause de solidarité, introduit dans le Traité constitutionnel un engagement de solidarité plus contraignant dans deux hypothèses : celles d'une attaque terroriste ou d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine.

Il prévoit non seulement l'assistance des Etats membres, mais aussi la mobilisation de tous les moyens de l'Union, y compris les moyens militaires, pour la prévention de la menace terroriste.

Les conditions de mise en oeuvre de la clause de solidarité sont précisées à l'article III-329. Cet article prévoit que les autres Etats membres portent assistance à l'Etat concerné, à la demande de ses autorités politiques, selon un mode presque automatique.

Ces modalités de mise en oeuvre sont fixées par une décision européenne, adoptée à l'unanimité lorsqu'elle a des implications en matière de défense ou à la majorité qualifiée, lorsque ce n'est pas le cas, sur proposition conjointe du ministre des Affaires étrangères et de la Commission. Chargé de la coordination, le Conseil est assisté du COPS et du comité permanent de sécurité intérieure.

Les attentats du 11 mars 2004 à Madrid ont mis en lumière le profond paradoxe qui caractérise la politique actuelle de défense de l'Union, qui ne prévoit pas, spécifiquement, pour l'heure, la possibilité d'une intervention sur le territoire de l'Union alors que le risque terroriste est avéré. Ces attentats ont conduit à l'adoption d'une « déclaration sur la solidarité contre le terrorisme » lors du Conseil européen du 25 mars 2004, qui anticipe sur l'adoption du traité et l'entrée en vigueur des stipulations de l'article I-42.

* 1 Autriche, Finlande, Irlande et Suède

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