INTRODUCTION GÉNÉRALE
La société moderne exprime une attente croissante de sécurité dans les domaines les plus variés. Cette attente est légitime dans la mesure où elle est la marque d'une conception du progrès mis au service de la population et non des seuls impératifs financiers.
La loi du 1 er juillet 1998 a créé une architecture institutionnelle et fonctionnelle novatrice qui constitue une nouvelle étape dans la réalisation de la sécurité sanitaire en France.
On ne partait certes pas du néant car bien des éléments avaient déjà été créés antérieurement au cours de la précédente décennie avec, par exemple, l'Agence du médicament. En outre, des dispositifs plus traditionnels constituaient déjà des structures répondant aux besoins les plus courants : les laboratoires de l'INRA, du CNEVA ou de la DGCCRF en attestent ; leurs contributions supportaient sans difficulté la comparaison avec ceux de pays européens comparables à la France. Mais le déficit conceptuel qui s'était fait jour progressivement ou à l'occasion de crises telles que l'ESB (la « vache folle ») ou l'hormone de croissance, sans oublier le cas très spécifique du sang contaminé, avait clairement montré la nécessité de construire cette nouvelle architecture sans pour autant ignorer les acquis des dispositifs anciens mais en imposant les principes qui caractérisent le mieux cette nouvelle architecture : séparation des acteurs de l'évaluation du risque et de sa gestion, indépendance de l'expertise, transparence des situations et des décisions, désignation d'objectifs précis à chacun des intervenants.
La loi du 1 er juillet 1998 avec les agences sanitaires qu'elle a créées et les mécanismes qu'elle a systématisés, a répondu à ces besoins clairement identifiés.
Cette législation novatrice a été élaborée à la suite de travaux approfondis menés au sein de la commission des affaires sociales du Sénat à partir de 1996 sous l'impulsion et la persévérance constante et éclairée de M. Claude Huriet, alors rapporteur au sein de cette commission de la mission d'information sur « les conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme en France » puis co-auteur et rapporteur de la proposition de loi qui en est issue, ainsi que de M. Charles Descours, Président de cette mission. Il convient de souligner la qualité des travaux de ces parlementaires.
Par son article 30, cette loi comporte une disposition prévoyant son évaluation par le Gouvernement et par l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, préalablement à un nouvel examen dans un délai de cinq ans à compter de son entrée en vigueur. Il s'agit donc là d'une « saisine automatique » prévue par le législateur. A ce jour, la seule saisine de ce type qui ait eu lieu a été celle comprise dans la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 « relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal 1 ( * ) » désignée couramment sous le nom de « loi sur la bioéthique » ; elle était prévue (art. 21) exactement dans les mêmes termes que ceux retenus pour la saisine dont nous sommes chargés aujourd'hui.
Telle est l'origine du présent rapport.
On se trouve évidemment ici dans un domaine complètement différent donc dans des situations peu comparables à ce seul précédent. L'éclairage principalement lié à l'éthique, au développement de découvertes scientifiques et de possibilités technologiques qui caractérisaient les dispositions sur la bioéthique ne se retrouvent pas ici, où il s'agit d'évaluer des dispositions visant de nouveaux mécanismes et structures de la sécurité et de la veille sanitaire et ce, en parallèle avec l'évaluation propre dont le Gouvernement est chargé de son côté, ce qui est tout à fait inédit.
En outre, la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001 créant l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale d'une part, et l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, par fusion de l'IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire) et de l'OPRI (Office de protection contre les rayonnements ionisants) d'autre part, a également prévu, sur le même modèle, la saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
S'agissant de l'IRSN, un rapport d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale qui faisait suite à un contrôle sur pièces et sur place a été publié le 29 avril 2004, M. Philippe Rouault, député, en étant l'auteur. Il y a été procédé à l'analyse de la mise en place de l'IRSN, qui a donné lieu à des appréciations critiques sur les difficultés administratives et budgétaires rencontrées ; sur ce dernier point, il indiquait notamment (Rapport d'information, page 23, n° 1580 XIIè législature) : « Non seulement l'IRSN, établissement public à caractère industriel et commercial, a été créé sans apport de fonds de roulement de la part du CEA dont l'Institut est issu pour l'essentiel, mais encore la dotation budgétaire complémentaire qui lui a été allouée pour faire face, sans perte de substance, à ses nouvelles obligations fiscales de droit commun a été au départ sous-évaluée ».
De son côté, dans un rapport très récent sur le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs, la Cour des Comptes « a critiqué l'incapacité récurrente des pouvoirs publics à désigner les dirigeants de certains organismes en temps utile : à deux reprises, le conseil d'administration et le président de l'ANDRA n'ont pas été renouvelés (octobre 1997 à janvier 1999 ; depuis décembre 2003) ; créé en février 2002, l'IRSN ne sera doté d'un président et d'un directeur général qu'en janvier 2003 ; depuis septembre 2003, le CSSIN (Conseil Supérieur de la Sûreté de l'Information Nucléaire) ne se réunit plus faute de renouvellement du mandat de ses membres » . (Synthèse du rapport - janvier 2005).
Ces retards et insuffisances et donc l'ensemble de l'application de la loi du 9 mai 2001 pour ce qui concerne l'IRSN pourraient être examinés spécifiquement dans un rapport de l'Office.
La nature et le cadre particuliers de ces saisines ont amené à réaliser le présent rapport selon des modalités adaptées. Il ne saurait être question de se livrer aux travaux d'analyse qui ne sont pas dans la vocation de l'Office lequel n'en n'a d'ailleurs pas les moyens, travaux du type de ceux que réalise la Cour des comptes, qu'il s'agisse de rapports proprement dits ou d'audits. Il ne s'agit pas plus de refaire les travaux des commissions parlementaires (Finances, Affaires sociales) dans le cadre des lois de finances annuelles. Il ne s'agit pas davantage, et pour les mêmes raisons, de réaliser des missions du genre de celles dont les inspections générales ont été ou sont chargées pour le compte du Gouvernement.
C'est vers l'adéquation aux objectifs fixés des institutions et mécanismes nouveaux dans le domaine de la sécurité sanitaire que le rapport a été orienté et ce, dans la perspective qui avait été tracée lors de l'examen de la loi du 1 er juillet 1998 d'une part, mais aussi à la lumière des évolutions observées depuis qui révèlent souvent de très rapides changements voire des bouleversements à travers certains événements, qu'il s'agisse de la crise de la canicule ou du problème posé par les produits phytosanitaires, et, plus récemment, par la crise du médicament.
En effet, l'analyse des situations et de leurs évolutions dans ces domaines depuis près de six ans, révèle des changements considérables quant aux réalités concrètes, mais qui doivent être mis en perspective.
Dès lors, il est logique de constater que si les choix faits en 1998 se sont révélés adaptés et judicieux dans le cadre de l'analyse de l'époque, et que la mise en application s'est faite d'une manière satisfaisante pour l'essentiel, l'évolution de certaines situations amène à prendre en compte d'autres considérations. Certaines démarches doivent être soit complétées, soit, au contraire, remises en cause ; cette remise en cause devra intervenir notamment lorsque l'illusion du risque zéro finit par obséder les décideurs en raison de pressions médiatiques excessives alors même que l'on ignore des risques réels qui ne bénéficient pas de coup de projecteur. Ajoutons que des énergies sont parfois mobilisées en pure perte sur des questions dont la consistance même n'a jamais été avérée (cas emblématique des antennes-relais de téléphonie mobile) et que des cas limites entraînent des dispositions fondées sur des normes injustifiées au seul motif que des instruments de mesure encore plus fins existent. Une lecture juste, pertinente, anticipatrice et raisonnable du principe de précaution serait souvent opportune.
L'ambition contenue dans la loi de 1998 était donc légitime et a été concrétisée dans les textes puis sur le terrain de façon satisfaisante. En revanche, elle a pu donner l'illusion que la construction d'une architecture institutionnelle bien adaptée, l'existence de principes clairs et respectés et d'une transparence assurée permettraient de maîtriser tout type de situation. L'éclairage médiatique, nécessaire mais parfois réducteur, conduit à une déformation des proportions ; tout incident, toute intoxication sont d'emblée qualifiés de « crise sanitaire », même si on aperçoit assez rapidement que dans un cas de listeria la chaîne du froid n'a pas été respectée par les consommateurs pour un produit qui s'est révélé irréprochable, ce qui n'a pas empêché le fabricant de faire ensuite faillite. Les notions d'alerte, de « veille sanitaire », de crise, doivent être bien définies, mais le cahier des charges de chacun des acteurs, s'il doit être précis, ne peut pas se présenter comme un mécanisme d'horlogerie. La loi et le règlement, ne sauraient tout prévoir à tous les échelons à tout moment ; l'organisation anticipative poussée à l'excès à travers des programmes exclusifs de l'esprit de veille peut entraîner de graves erreurs de jugement comme on a pu le constater avec la canicule.
La FDA (Food and Drug Administration) américaine elle-même, qui est longtemps apparue comme la référence suprême, suscite aujourd'hui des incertitudes sur sa structure et son fonctionnement.
Les évolutions rapides des réalités concrètes tant technologiques que politiques, appellent également une remise en perspective des mécanismes et des objectifs en matière de sécurité sanitaire. Les risques nutritionnels ont pris une dimension nouvelle et quelquefois dramatique au cours des dernières années : en peu de temps, on est passé du niveau des simples retouches nécessaires dans un paysage plutôt progressif avec, par exemple, l'amélioration de la prévention générale des maladies cardio-vasculaires (graisses, sel, exercice) à une prise de conscience très brutale et récente de l'irruption de l'obésité, aux multiples conséquences, avec des comportements alimentaires régressifs.
Sous un autre angle, la mondialisation accélérée dans le domaine alimentaire exige de véritables prouesses si l'on veut que le haut niveau de sécurité atteint aujourd'hui se maintienne. La traçabilité pour la viande a fait des progrès considérables à la suite de la crise de la vache folle mais on voit tout de suite à quels nouveaux défis la sécurité alimentaire est confrontée avec la multiplication des échanges et ses conséquences pour la préparation de plats élaborés aux matières premières d'origine très diverses. La recherche fructueuse réalisée en urgence en mai 2003 par la DGCCRF et l'AFSSA à la recherche d'un colorant cancérogène dans un piment importé illustre ce type de défi. L'ouverture à dix nouveaux membres de l'Union européenne est en train de révéler certaines difficultés nouvelles dans ce même domaine alimentaire et dans celui du médicament.
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L'ensemble de ces éclairages, administratifs et factuels, contribuent à l'évaluation des différents aspects du dispositif de sécurité sanitaire français et à sa mise en perspective par rapport aux objectifs affichés, aux besoins réels et aux exigences légitimes.
A travers une analyse générale, on notera les acquis indiscutables et nombreux que la législation de 1998 a apportés mais aussi les interrogations que sa mise en place suscite aujourd'hui où la tentation de tangenter le risque zéro pose de réels problèmes dans les secteurs les plus divers de la sécurité sanitaire.
On traitera ensuite plus particulièrement le domaine de la sécurité sanitaire des aliments en consacrant un développement particulier à l'AFSSA, y compris sous l'angle européen.
L'AFSSAPS, son fonctionnement et son domaine d'activité feront de la même manière l'objet d'un examen ; au-delà du fonctionnement courant, deux développements seront consacrés à des questions d'une intense actualité dans le domaine des produits de santé soulevés notamment par certains médicaments, et, en second lieu, dans l'apparition de nouvelles formes de dispensation de médicaments qui pourrait préfigurer des régressions à haut risque.
Une réflexion d'ensemble sur l'architecture institutionnelle générale, notamment le positionnement de l'AFSSE (loi du 9 mai 2001) constituera la quatrième partie de cette évaluation.
* 1 Les rapporteurs de l'OPECST ont été M. Alain Claeys, député et M. Claude Huriet, sénateur.