PREMIÈRE PARTIE -

LES CONSOMMATEURS : NOUVELLES ATTENTES,
NOUVELLES OPPORTUNITÉS
Table ronde n° 1 :
Comment identifier les attentes des nouveaux consommateurs ?

Sont intervenus :

M. Jean-Noël BOSSÉ, directeur associé de la Société pour l'expansion des ventes de produits agricoles et alimentaires (SOPEXA)
M. Vincent NORGUET, chef du service « vins et spiritueux » d'UBIFRANCE

Marie-Laetitia BONAVITA

Jean-Noël Bossé va nous donner un avant-goût du film Mondovino, qui traite de la mondialisation du goût et de la globalisation des marchés du vin.

Jean-Noël BOSSÉ

La SOPEXA est présente dans le monde entier à travers 38 implantations. L'essentiel de nos activités consiste en des actions de communication et de promotion de l'agriculture française. Nous travaillons également dans le domaine de l'intelligence économique. Nous écoutons les personnes que nous voulons séduire : le consommateur, le distributeur et le leader d'opinion.

Deux films réalisés sous la forme d'un micro-trottoir présentent leurs points de vue. Le premier a été réalisé aux Pays-Bas en 2000. Le ministère chargé de l'Agriculture avait décidé de contre-attaquer sur ce marché, avec l'ONIVINS et l'interprofession. Les nouveaux pays producteurs y avaient en effet déployé d'importants moyens.

Un mini-film présente le point de vue des Hollandais sur le marché du vin en Hollande, sur le rapport qualité/prix des vins français et sur la perception de l'image « France ».

Je précise d'abord que l'appellation « vins du Nouveau Monde » ne correspond pas à la réalité, bien qu'elle soit acquise. Ces vins sont ceux des nouveaux pays producteurs. Le mot « nouveau » fait vendre et les nouveaux producteurs s'en sont emparés.

Le second film a été réalisé en Angleterre à la mi-octobre 2004. Le ministère chargé de l'Agriculture et l'interprofession ont décidé d'utiliser 1,5 million d'euros sur les 5 millions d'euros alloués en juillet 2004 pour une campagne en Angleterre, ciblée sur la grande distribution. Le micro-trottoir permet de comprendre la perception des Anglais sur les vins.

Un mini-film présente le point de vue de consommateurs et distributeurs anglais sur les mêmes questions.

Marie-Laetitia BONAVITA

On note toutefois les mots « snobisme » et « paresse ».

Vincent Norguet nous présente maintenant le cas du marché danois, où la part de marché française recule.

Vincent NORGUET 1 ( * )

Je suis actuellement chef du service « vins et spiritueux » à l'agence UBIFRANCE. Auparavant, j'occupais les fonctions de chargé de mission agricole responsable du secteur « vins et spiritueux » au Royaume-Uni.

UBIFRANCE a réalisé une étude de consommation sur le Danemark, en accord avec le ministère en charge de l'Agriculture et pour le compte de l'ONIVINS.

Le cas du Danemark est intéressant. Il est symptomatique des difficultés rencontrées par les vins français pour séduire les nouveaux consommateurs.

Le marché des vins au Danemark

Les exportations de vin au Danemark représentent 200 millions de litres. Elles semblent se stabiliser après une décennie de forte croissance. Avec près de 540.000 hectolitres de vins tranquilles exportés par la France en 2003, le Danemark est le neuvième marché en volume et le dixième en valeur. Même si la France reste le premier fournisseur de vin, sa position ne cesse de s'effriter. Sa part de marché est passée de 62 % en 1992 à 30 % en 2003, au bénéfice des vins du Nouveau Monde, qui représentent actuellement 31 % des volumes commercialisés.

La consommation de vin semble se stabiliser au niveau relativement élevé de 31 litres par an et par habitant. La part des vins du Chili, d'Argentine, d'Afrique du Sud et d'Italie croît aux dépens de la part des vins de France, d'Espagne et d'Allemagne. L'Italie profite de l'engouement des Danois pour la cuisine méditerranéenne. Le vin a une image positive : l'effet French paradox est bien présent.

La part des non-consommateurs est faible (11 % de la population). Le nombre de consommateurs occasionnels s'accroît, ce qui compense la baisse des consommateurs réguliers. Pour les vins français, deux classes d'âge sont surreprésentées : les plus de 50 ans et surtout les plus de 60 ans. Cette part a fortement progressé, alors que la consommation des vins français a diminué. Cette évolution est inquiétante pour l'avenir : les jeunes générations se tournent vers les vins italiens et surtout les vins des pays du Nouveau Monde.

La multiplicité des raisons du recul de la position dominante des vins français

L'étude de la consommation donne un éclairage sur le recul des vins français. Elle montre l'inadaptation de l'offre face aux attentes des nouveaux consommateurs.

Les nouveaux consommateurs sont des consommateurs occasionnels. Ils sont en grande majorité jeunes (moins de 39 ans). La population féminine y est surreprésentée. Ils achètent les bouteilles en petites quantités. Ils font preuve d'une grande curiosité. Ils ne recherchent pas spécialement un vin prestigieux et privilégient le goût. Ils préfèrent une étiquette reconnaissable et informative. Ils consomment le vin principalement au foyer, dans les bars et les restaurants.

Ils perçoivent positivement les vins des pays de l'hémisphère sud. Leur perception des vins français est floue : ils ne connaissent pas l'offre. Ils ont de ce fait de grandes difficultés à choisir un vin de France. Ils craignent de faire un choix risqué. Un Danois interviewé estime qu'il n'y a que 50 % de chance de choisir un bon vin.

Le consommateur doit donc être rassuré. La perception négative de l'offre des vins français, jugée confuse, inaccessible et compliquée, est un frein considérable. Il faut mettre en place des référents pour le rassurer sur l'acte d'achat : marques (commerciale, éponyme, de distributeur), vecteurs informatifs (étiquette, cépage) et éducation (dégustation, publicité). Ces référents doivent répondre aux deux questions posées par le nouveau consommateur devant le linéaire de supermarché ou la carte des vins au restaurant : vais-je apprécier ce vin ? Est-il adapté pour l'occasion ?

Les facteurs d'achat

Sur le marché danois, les deux facteurs influençant le nouveau consommateur dans le choix du vin sont le prix et la connaissance du vin ou sa familiarité.

Le facteur prix est essentiel. Le consommateur a développé une forte sensibilité aux promotions, qui le conforte dans son impression d'avoir fait une bonne affaire et d'avoir un vin présentant un bon rapport qualité/prix. Près de 70 % des volumes commercialisés dans la grande distribution ont fait l'objet d'une promotion. Comme son homologue britannique, le consommateur danois est devenu un sales addict , c'est-à-dire un drogué de promotions.

L'autre facteur déterminant est la reconnaissance d'un vin déjà dégusté ou dont la marque est connue. Ce facteur implique de rassurer le consommateur.

Plus globalement, les exportateurs doivent constamment avoir le souci de l'adaptation de l'offre à l'évolution de la demande. Une personnalité du monde viticole précisait récemment dans le magazine « Monde 2 » : « Un nouveau code de lecture d'inspiration anglo-américaine s'est progressivement substitué à la grille française. Pour ces consommateurs, le vin est un truc simple : une couleur, un cépage, un plaisir et un bon rapport qualité/prix. Et que l'on ne vienne pas les embêter avec nos histoires de crus classés, de traditions historiques et de réglementations compliquées. »

Caractéristiques de la consommation et réponses à apporter

Les nouveaux consommateurs apprécient les vins ronds, souples et fruités. Nous devons donc adapter nos vinifications pour proposer des vins correspondant à ce style. Un journaliste britannique de renom avait fait ce commentaire sarcastique à un producteur français : « Vous pourrez toujours produire le vin qu'il vous plaît de faire, mais vous ne pourrez jamais forcer le consommateur à le boire. »

Par ailleurs, le nouveau consommateur est néophyte. Il découvre l'univers du vin. Il faut donc simplifier l'offre et mettre en avant les cépages, seul identifiant reconnaissable pour le nouveau consommateur danois.

Ce dernier consomme davantage les vins hors des repas : il faut donc lui proposer des vins aromatiques au plaisir immédiat et ne nécessitant pas un accord avec un mets.

Il recherche l'assurance d'une qualité constante : il faut développer des marques qui la garantissent.

L'offre est de plus en plus large : il faut la simplifier et proposer des étiquettes lisibles et visibles.

Tous ces efforts d'adaptation aux goûts et aux attentes du nouveau consommateur doivent permettre à l'offre française d'entrer dans le cercle vertueux emprunté par les concurrents du Nouveau Monde. Les efforts d'adaptation de l'offre à la demande apportent une plus-value au produit, un accroissement de la demande et la possibilité d'un positionnement « prix » plus élevé, ou du moins un meilleur positionnement sur le coeur du marché où se font les volumes, ce qui permet d'accroître les marges et apporte des moyens pour investir dans la communication.

Le souci premier doit être de placer le consommateur au coeur de la stratégie commerciale de chaque société exportatrice. Connaître les consommateurs, savoir les distinguer, répondre à chacune de leurs attentes et leur permettre de vivre un moment agréable sont des impératifs pour commercialiser le vin. Une étude « consommateurs » doit être réalisée avant toute démarche export. Elle doit s'inscrire dans la compréhension globale du marché. Aucune segmentation de l'offre n'est viable sans l'identification des attentes des consommateurs de vin de chaque pays.

Marie-Laetitia BONAVITA

Un représentant d'une association de consommateurs devait participer à cette table ronde. Un problème l'en a empêché.

Jean-Michel CAZES, producteur de vins à Bordeaux

Je suis stupéfait d'entendre des recommandations connues depuis quinze ans. Elles ont été présentées en détail dans le rapport Booz Allen en 1992, dans le rapport Berthomeau puis dans le rapport de Gérard César en 2002. On redécouvre la lune.

Marie-Laetitia BONAVITA

C'est effectivement inquiétant.

Philippe WALBAUM, producteur dans la région Rhône-Alpes

Il n'est pas inutile de redécouvrir la lune, car les progrès dans les comportements des professionnels n'ont pas été marquants.

Le contraste est saisissant. D'un côté, nous sommes prétentieux. Nous demandons aux consommateurs de faire l'effort de nous apprécier. Nous leur demandons de nous remercier lorsque nous avons bien voulu leur vendre du vin. De l'autre côté, le Nouveau Monde a une démarche anglo-saxonne, plus pragmatique et plus compétente. Il sait mieux se vendre.

Face à un marché nouveau, nous devons avoir un comportement nouveau. Les négociants les plus importants doivent se battre sur ce plan.

Cependant, il ne faut pas oublier le vin « prétentieux » et perçu comme compliqué : c'est une référence historique, culturelle et traditionnelle. Même s'il ne représente que 5 à 20 % du marché, il est une réalité, certes réservée à une élite. Autrefois, le vin était acheté par des personnes cultivées et qui savaient l'apprécier. Aujourd'hui, le vin est devenu non seulement un produit de masse, mais également un produit mondialisé.

Ces vins « prétentieux » et de qualité doivent faire l'objet d'une démarche spécifique. Il faut également les commercialiser et faire de la communication.

Marie-Laetitia BONAVITA

Faut-il fabriquer des produits de masse ou des produits d'élite ? Pourquoi en est-on toujours là aujourd'hui, alors que le constat est ancien ?

Jean-Noël BOSSÉ

Il existe de grandes marques françaises qui ne visent pas le grand public mondial. Gevrey-Chambertin est toujours une marque mondiale auprès d'un certain public. Ses prix continuent d'augmenter. Le Château Grenouille et le chably sont vendus sur pied aux Anglais. La notion de marque doit donc être étudiée par rapport aux cibles visées. La cible peut être réduite. Dans le monde entier, le consommateur éduqué existe toujours. Il est même de plus en plus éduqué.

Existent par ailleurs des vins de masse, qui nécessitent d'autres mesures. La démarche doit être plus agressive pour tenir compte des modifications comportementales vis-à-vis des vins. La politique doit être plus proche des souhaits de la grande distribution.

Vincent NORGUET

Sur le marché britannique, la présence des vins haut de gamme français est importante, car elle donne une image de qualité.

Cependant, le marché a évolué, notamment en ce qui concerne la distribution. La grande distribution est concentrée. 80 % des volumes y sont commercialisés. Il faut des opérateurs capables de fournir de gros volumes pour répondre à cette demande. Mon intervention était ciblée sur cette consommation de masse.

Les vins commercialisés au-dessus de 4 euros ne représentent que 5 %. Les professionnels doivent décider s'ils se concentrent sur ces 5 % où s'ils s'attaquent également au marché de masse. De toute façon, les deux marchés sont importants pour l'image.

François PANDELFY

Nous confondons trop souvent les vins dans nos discours. Nous avons la chance de disposer d'une soixantaine de crus d'excellence qui font le renom des vins français et tirent l'image de marque. Pourtant, l'offre « inférieure » est extrêmement morcelée. L'une des raisons en est la réglementation. Par exemple, en Bourgogne, nous n'avons pas le droit de mélanger les années ou les cépages. De ce fait, nous vendons ce que Dame Nature veut, malgré les progrès que nous avons faits. D'autres raisons existent.

Le consommateur ne peut pas comprendre la proposition française. Par exemple, certaines étiquettes n'indiquent même pas que le vin est un bourgogne. Ce problème n'apparaît pas pour le bordeaux. Les notions d'AOC ou de vin de table ne sont pas présentes à l'esprit et ne peuvent pas servir de référence. Le consommateur étranger mélange tout et ne connaît pas l'existence des différentes strates. Le minimum consisterait à avoir une visibilité sur les étiquettes, notamment pour les AOC, strate qui a le plus de difficultés à s'adapter aux impératifs de la commercialisation actuelle.

Christian DELPEUCH, Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux

Après avoir fait des constats pendant quinze ans, il faudrait rapidement passer à l'action. Si aucune solution n'est trouvée dans les prochains mois, la crise sera grave.

Je pose deux questions. La viticulture veut-elle se donner les moyens d'adapter ses produits aux nouveaux consommateurs ? Les hommes politiques sont-ils prêts à nous accompagner dans cette révolution ? J'emploie le terme de « révolution », car il s'agit d'une véritable révolution culturelle. Nous avons besoin d'une modification rapide de la législation pour pouvoir adapter nos produits. Nous avons également besoin d'une aide financière forte pour l'exportation. Ce sera moins coûteux que de soutenir les propriétés viticoles qui disparaîtront.

Marie-Laetitia BONAVITA

Hervé Gaymard vient d'accorder une enveloppe de 5 millions d'euros. Est-elle suffisante pour mieux vendre l'image du vin français ?

Jean-Noël BOSSÉ

Le premier message est de faire comprendre que l'empire s'est réveillé. Les Anglo-Saxons sont désabusés par les promesses que nous leur avons faites. A la SOPEXA, nous avions donné deux rendez-vous à la presse anglo-saxonne. Nous ne les avons pas tenus. Ils doivent penser que nous sommes des « charlots ».

Par ailleurs, il faut cesser de penser que nous sommes les leaders partout. Notre attitude de leader exaspère : nous disons aux consommateurs d'acheter du vin français parce que nous sommes les plus gros et les meilleurs. Nous devons avoir une attitude de challenger pour reprendre les parts de marché que nous avons perdues.

La démarche consiste à donner du contenu à l'image « France ». Il ne suffit plus de dire « ce vin est français ». Il faut préciser l'intérêt d'acheter du vin français. En d'autres termes, il ne faut plus dire « made in France », mais « made by France ».

Laurent DULAU, Société de marketing VINIDEA

Ma société crée des outils de marketing. Dans ma carrière, j'ai beaucoup travaillé en Californie. Je ne crois pas que le facteur nouveauté soit la seule raison de la réussite des vins californiens ou australiens.

Il faut d'abord avancer tous ensemble, professionnels et politiques. C'est ce qu'ont fait les Australiens. Leur première marque a été l'Australie. Ils ont simplifié l'offre à l'extrême.

Les Anglo-Saxons utilisent notamment le matching funding . Ce système permet à une société privée de réaliser des opérations dont la moitié est financée par le gouvernement.

La filière avance donc de façon globalisée et dispose d'un support politique réel. Un système similaire semble possible en France. Une opération mondiale pourrait être menée non seulement pour la promotion, nécessaire en raison de la mauvaise image de la France, mais également pour l'éducation du consommateur. Aujourd'hui, nous disposons d'outils pour éduquer, mais nous n'avons pas les moyens de les utiliser, car la filière n'est pas globalisée.

Il est urgent de réagir. Beaucoup d'entre vous pensent que nous sommes très forts sur le haut de gamme. Ils devraient comparer la situation des vins d'excellence avec celle de l'industrie du luxe. Elle est de plus en plus concurrencée par les Anglo-Saxons, les Italiens, les Japonais, etc. Les fabricants de prêt-à-porter peuvent « monter » dans le luxe, mais le luxe ne peut pas « descendre » dans le prêt-à-porter. Pétrus ou Grenouille sont des marques mondialement reconnues. Ce sont des marques de luxe. La stratégie marketing des Australiens consiste à fidéliser les nouveaux consommateurs, qui se tourneront demain vers le luxe que les Australiens produiront.

La viticulture française a un atout, car elle sait déjà faire du luxe. Elle doit apprendre à faire du prêt-à-porter. C'est également un risque face à la stratégie de ceux qui attaquent le marché par le bas.

De la salle

L'approche mondiale du vin est indispensable. Cependant, une approche trop globale risque de conduire à des erreurs. Il est faux de dire que rien ne va en France et que tout va bien dans le Nouveau Monde.

Par exemple, l'Australie et le Chili ont des stocks importants. Mondavi supprime son haut de gamme, alors que d'autres licencient du personnel et suppriment leur force de vente en France.

Plutôt que de dire que les vins français sont « ringards », il est préférable de dire que tels points sont positifs et tels points le sont moins. Il faut être plus optimiste.

Marie-Laetitia BONAVITA

Les vins français ont non seulement un problème d'image, mais également un problème de prix.

Xavier CARREAU, président de la Fédération des syndicats des grands vins de Bordeaux

La viticulture est consciente qu'elle doit évoluer. Nous avons un besoin urgent de l'appui des politiques et des pouvoirs publics pour faire évoluer la réglementation. Cependant, nous avons également besoin de conserver la typicité de nos terroirs, que le monde nous envie.

* 1 Voir en annexe I les documents projetés lors de l'intervention de M. Vincent Norguet.

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