INTRODUCTION : VERS UNE ADHÉSION DE LA TURQUIE
À L'UNION
EUROPÉENNE ?
La Turquie se trouve à la croisée des religions et des continents. Istanbul est à cet égard symbolique de la multiplicité des influences qui ont constitué la Turquie moderne. Siège de l'empire romain d'orient, sa chute en 1453 constitue un tournant dans l'histoire de l'Europe, quelques décennies avant la chute de Grenade (1492) et la « Reconquista » des rois catholiques espagnols. Depuis toujours, la Turquie a constitué un carrefour stratégique essentiel, et en particulier, Istanbul, compte tenu de sa situation géographique : elle contrôle l'accès de la sphère d'influence russe aux mers chaudes, et constitue un point de passage entre l'Europe, l'Asie centrale et le Proche-Orient. Marquée au travers de l'histoire par de multiples influences (empire romain d'Orient, passage des croisés, empire ottoman, rivalités avec les grecs...), la Turquie conserve aujourd'hui plusieurs visages. Là encore, Istanbul en est la métaphore : du quartier occidental d' Istiqlal kaddesi aux banlieues dortoirs où se pressent les émigrés d'Anatolie, la ville offre mille portes d'entrées différentes.
Cette diversité est importante à rappeler, à une période où des enjeux essentiels se dessinent pour l'avenir de la Turquie et de l'Union européenne , et dans un contexte où les fantasmes sont nourris par les craintes de la mondialisation de l'économie et la menace de la montée d'un islamisme intolérant.
La question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne se pose depuis plus de 40 ans. Elle n'a jamais été autant d'actualité, alors que l'élargissement à 10, bientôt 12 nouveaux pays, est désormais une réalité. Cet élargissement pose la question toujours pendante du statut de Chypre, et celle du devenir des Etats des Balkans, qui apparaissent déjà comme une enclave au sein de l'Union européenne ayant une vocation « naturelle » à se résorber. La Turquie, qui a toujours réaffirmé sa vocation européenne, n'est pas dans cette position favorable de « prétendant naturel » à l'adhésion. Aux confins de l'Union, elle en constitue indubitablement une marche, une frontière. Mais doit-elle être à l'intérieur ou à l'extérieur des frontières de l'Union européenne européenne ? Cette question n'est pas au coeur du présent rapport d'information, mais c'est la question que les interlocuteurs turcs ont souvent posée à votre rapporteur spécial, et c'est également la question qui se pose quant à l'évolution de notre coopération avec ce pays.
L'historique des négociations entre la Turquie et l'Union européenne
12 septembre 1963 : Premier accord d'association entre la Communauté européenne et la Turquie (dit accord d'Ankara), qui fixe les objectifs fondamentaux de l'association tels que le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques et la mise en place d'une union douanière.
14 avril 1987 : La Turquie devient officiellement candidate à l'adhésion à la Communauté européenne.
18 décembre 1989 et 5 février 1990 : La Commission puis le Conseil européen déclarent que la Turquie peut se porter candidate mais refusent son adhésion.
Juin 1993 : Le Conseil européen de Copenhague définit les critères d'adhésion à l'Union européenne.
15 décembre 1995 : Le Parlement européen ratifie le traité d'union douanière signé en mars entre les Quinze et la Turquie, qui doit entrer en vigueur à la suite de l'adoption par le Parlement turc de réformes démocratiques.
12-13 décembre 1997 : Au sommet de Luxembourg, les négociations d'adhésion sont ouvertes avec tous les demandeurs sauf la Turquie.
4 mars 1998 : La Commission adopte la communication « Stratégie européenne pour la Turquie ». Le rapprochement des législations et la reprise de l'acquis communautaire figurent parmi les principaux éléments de la stratégie de pré-adhésion vis-à-vis de la Turquie.
Juin 1998 : A Cardiff, la Turquie n'est pas admise à adhérer en même temps que les anciens pays d'Europe de l'est, mais la Commission propose de l'assister pour préparer sa candidature.
13 décembre 1999 : Le Conseil européen d'Helsinki marque l'acceptation définitive de la Turquie dans les pays candidats : « Au vu des éléments positifs qui ont récemment marqué l'évolution de la situation en Turquie, et que relève d'ailleurs la Commission européenne dans son rapport sur les progrès réalisés par les pays candidats, le Conseil européen déclare que la Turquie est un pays candidat ayant vocation à rejoindre l'Union européenne sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres pays. La Turquie bénéficiera donc d'une stratégie de préadhésion visant à encourager et à appuyer ses réformes. Elle aura également la possibilité de participer à des programmes communautaires, d'être associée à des organismes de la Communauté et de prendre part à des réunions organisées entre les pays candidats et l'Union dans le cadre du processus d'adhésion » .
12 décembre 2002 : Au Conseil européen de Copenhague, les Etats de l'Union européenne entérinent l'élargissement à 25 membres, et repoussent l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie à décembre 2004, en insistant sur le respect des « critères de Copenhague ».
Décembre 2004 : L'Union européenne doit se prononcer sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie.
Source : La Turquie aujourd'hui - Olivier Roy
La Turquie fait peur à l'Europe. C'est une réalité peu contestable, la relative impopularité de l'idée d'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne 3 ( * ) et la prudence des responsables politiques européens, voire leur opposition affichée, en témoigne largement. Quant au gouvernement français, il privilégie une approche prudente sur ce sujet sensible, comme en témoigne l'encadré ci-après.
La position du gouvernement français sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne
En réponse à une question orale de notre collègue député Philippe de Villiers, le 7 avril 2004, M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, indiquait : « Le processus d'une éventuelle adhésion de la Turquie ne date pas de 1999, mais a été confirmé en 1999 au cours d'un Conseil européen auquel ont participé le Président de la République et le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin. Ce processus a été engagé en 1963 et j'ai dit tout à l'heure, en faisant attention à ce que je disais, que les chefs d'Etat des deux principaux pays de l'Union étaient à l'époque le général de Gaulle et le chancelier chrétien-démocrate allemand Konrad Adenauer. Déjà, à cette époque, ces hommes d'Etat européens pensaient à autre chose qu'aux seuls intérêts nationaux et ne regardaient pas derrière eux. Ils ne vivaient pas tournés vers le XIXème ou le XVIIIème siècle, mais tenaient compte de la géopolitique (...).
« Ce n'est donc pas par hasard qu'ils ont voulu engager un dialogue avec ce grand pays qui est à la charnière, en effet, entre deux continents. Depuis 1963, cette perspective n'a jamais été interrompue.
« Je confirme qu'il n'est pas question d'une entrée de la Turquie à moyen ou à court terme dans les circonstances actuelles. Les critères sont connnus. Quand on veut adhérer à l'Union européenne, il faut respecter un cahier des charges extrêmement précis qui touche à la fois aux conditions politiques - droits de l'homme, démocratie - et aux conditions économiques et sociales. Pour l'instant, je constate que la Turquie ne respecte pas le cahier des charges, même si elle s'y prépare. (...)
« Il reviendra à la Commission, comme c'est son rôle, de proposer d'engager des négociations d'adhésion. Ce n'est pas le cas aujourd'hui .
« Monsieur de Villiers, quand vous dites, comme vous allez le répéter dans les prochaines semaines, que la Turquie entrera dans l'Union européenne demain ou après-demain, ce n'est pas la vérité. (...)
« Je vous recommande d'aborder ce débat en ayant le souci de la vérité et de la sincérité. C'est en tout cas de cette manière que je suis prêt à débattre avec vous et tous ceux qui le voudront » 4 ( * ) .
Par ailleurs, en réponse à une question orale de notre collègue député Hervé Morin, M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, indiquait : « le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne n'a rien de léger ni de superficiel. Nous le savons tous, les eaux du Bosphore sont turques. Pourtant, si une rive est asiatique, l'autre est européenne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
« La question est donc complexe et le débat mérite d'être ouvert dans tout le pays. Pour le Gouvernement, il s'articule en trois étapes.
« La première étape est le parcours turc pour atteindre les critères de Copenhague : critères de démocratie, critères économiques, critères sociaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle).
« Deuxième étape, l'Union européenne devra apprécier ce parcours. C'est seulement à ce moment-là que - troisième étape - des négociations pourront éventuellement s'engager. Il faut donc que le débat ait lieu, mais il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas de confusion dans l'esprit des Français. Une décision d'ouverture sera prise prochainement à Copenhague. Dix pays aujourd'hui sont en phase finale d'adhésion. La Turquie n'est pas dans ce cas. Elle est en phase préalable. Nous devons donc bien faire la différence. Au nom de la France, je souhaite qu'à Copenhague puisse être lancé un message de consensus qui soit un message d'ouverture, mais aussi de vigilance, car nous ne jugerons le Gouvernement turc que sur ses actes, et le peuple turc que sur sa capacité à adhérer à nos valeurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) » 5 ( * ) .
Le Président de la République, Jacques Chirac, a adopté, de manière constante, une position plus ouverte sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. A l'occasion du sommet de l'OTAN d'Istanbul, le 28 juin 2004, il a répondu à plusieurs questions de journalistes sur ce sujet :
« QUESTION - Monsieur le Président, vous avez eu un entretien avec le Président Sezer : pouvez-vous nous parler des sujets essentiels de l'entretien ?
« LE PRESIDENT - Je n'ai pas pour vocation de commenter les propos du Président Sezer, mais nous avons évoqué d'une part, l'organisation de ce Sommet, deuxièmement les relations franco-turques, pour constater que dans les domaines politiques, économiques, culturels, elles sont excellentes. Troisièmement, nous avons évoqué la procédure d'examen de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. C'est un sujet qui préoccupe beaucoup les autorités turques et en particulier le Président Sezer. Je lui ai redit quelle était ma position dans ce domaine.
« J'ai toujours pensé que l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne était souhaitable dès qu'elle serait possible, naturellement. D'abord parce que la Turquie a une vocation européenne, historique, très ancienne. Ensuite, parce que depuis plus de quarante ans maintenant, la Turquie s'est vue offrir la perspective d'entrer un jour dans l'Union européenne, ceci s'agissant de la France, par tous les chefs d'Etat et tous les chefs de gouvernement successifs depuis cette période. Cette perspective a été, je le rappelle, confirmée en 1999 lors du Sommet européen d'Helsinki avec la reconnaissance du statut de candidat, et la France était représentée au Sommet d'Helsinki à la fois par moi-même comme Président de la République, et par M. Lionel Jospin comme Premier ministre.
« Ensuite, au-delà de ces problèmes de principe, je pense que cette vocation est justifiée parce que c'est de notre intérêt politique européen, de notre intérêt économique également, d'avoir une Turquie stable, démocratique, moderne, et qui a fait le choix de la laïcité depuis 1923. C'est de notre intérêt de l'avoir avec nous et non pas en dehors. Elle pourrait d'ailleurs, à ce titre, servir d'exemple à beaucoup de parties de la grande région dans laquelle elle se trouve. Alors avant de pouvoir rentrer, il faut comme toujours dans tous les clubs, si j'ose dire, respecter les règles. Les règles ce sont ce que nous appelons les critères de Copenhague, c'est-à-dire les règles relatives aux droits de l'homme, aux libertés et à l'économie de marché.
« Chacun reconnaît que la Turquie a fait un effort considérable depuis ces dernières années, notamment sur le plan législatif et institutionnel pour assumer ces critères de Copenhague, sur ces sujets. Personne ne le conteste. Par conséquent, la Commission européenne va, au mois d'octobre, transmettre au Conseil européen un rapport dans lequel elle portera un jugement. Est-ce que la Turquie remplit la totalité des conditions, ou est-ce qu'elle n'est pas tout à fait prête à remplir ces conditions ? Est-ce que ces conditions, qui ont été incontestablement décidées au niveau législatif, constitutionnel, sont bien arrivées jusque sur le terrain ?
« Il ne m'appartient pas de préjuger de ce que sera le rapport de la Commission, mais ce rapport, nous en prendrons connaissance. Et si la Commission dépose un rapport favorable, à ce moment-là, il appartiendra au Conseil européen, sur la base de ce rapport, de décider l'engagement des négociations d'adhésion dont il ne faut pas se faire d'illusions, elles seront longues et difficiles, aussi bien pour l'Europe que pour la Turquie. Car la mise en commun de nos forces vives dans tous les domaines, économique, politique, culturel, social, etc prendra du temps, mais enfin, on commencera. Si d'aventure la Commission estimait que la Turquie n'est pas encore prête, alors il faudrait différer de six mois, d'un an Nous verrons ce que proposera la Commission.
« Mais si voulez mon sentiment, je crois qu'aujourd'hui, le mouvement conduisant à l'entrée de la Turquie, dans l'avenir, et dès qu'il sera possible, des deux parties, des deux côtés, ce mouvement est irréversible et au total souhaitable ».
(...)
« QUESTION - Monsieur le Président, j'aurais voulu revenir sur la question de la Turquie. Le Président BUSH a affirmé que l'Union européenne devrait ouvrir immédiatement des négociations afin de faire entrer pleinement la Turquie comme Etat membre de l'Union européenne. Vous semblez plaider un peu plus pour la lenteur. Est-ce que vous trouvez que le Président BUSH a été un peu trop loin ?
« LE PRESIDENT - D'abord, je ne plaide pas pour la lenteur, je plaide pour la raison. Ensuite, si le Président BUSH a véritablement dit cela, tel que je l'ai lu, eh bien, non seulement il est allé trop loin mais il est allé sur un terrain qui n'était pas le sien. Et il n'avait aucune vocation à donner une indication ou une voie quelconque à l'Union européenne dans ce domaine. Un peu comme si j'expliquais aux Etats-Unis la façon dont ils doivent gérer leurs relations avec le Mexique ».
Source : site internet de la présidence de la République
Il existe une appréhension, une peur, qui peut s'expliquer par plusieurs facteurs, et en particulier, par l'image distordue que nous avons de ce pays, et qui résulte, pour une part, du passé : rôle des militaires, régime répressif, comme a pu l'illustrer un film comme Midnight Express , et du présent : l'image de la Turquie qui nous est donnée par les populations ayant émigré en Europe est surtout celle des régions arriérées du centre et de l'est du pays, d'où ces populations sont originaires.
Le premier facteur, celui qui est sans doute le plus fortement ancré dans l'inconscient collectif, tient à la nature même de l'identité européenne . C'est le caractère essentiellement musulman de la population turque (98 % de sa population est musulmane) qui, sans que l'on ose toujours se l'avouer, pose problème. Certes, il s'agit d'un pays laïc, au sein duquel l'islam est largement encadré, et même administré, par l'Etat. Toutefois, dans un contexte de politique internationale largement marqué par l'émergence d'un « terrorisme islamiste », et compte tenu de l'existence d'un gouvernement qualifié d'« islamiste » en Turquie, cette question prend une dimension particulière.
Le caractère essentiellement musulman de la population turque constitue à l'évidence un élément central des questions que soulève la problématique de son intégration dans l'espace européen. Il serait toutefois réducteur de la rapporter à cette seule dimension. Nous avons dit plus haut que les pays des Balkans constituent des « prétendants naturels » à l'adhésion à l'Union européenne. Or, ces pays comptent parmi eux des pays dont la population est, à l'instar de la Turquie, majoritairement musulmane. Il convient donc de discerner d'autres paramètres distinguant et singularisant la problématique turque.
La Turquie, à la différence de la Bosnie ou de l'Albanie, pèserait lourd au sein de l'Union européenne, compte tenu de sa puissance économique et militaire mais surtout, de son dynamisme démographique , alors que les pays d'Europe centrale et orientale qui ont d'adhéré récemment à l'Union connaissent depuis plusieurs années un phénomène de dépopulation lié tant à l'émigration des élites qu'à leur faible dynamisme démographique. Aujourd'hui forte de 65 millions d'habitants, la population turque pourrait rapidement dépasser celle de l'Allemagne, et devenir durablement le pays le plus peuplé de l'Union. Cela pose évidemment les problèmes en termes institutionnels et politiques : quel sera le poids politique de la Turquie dans les institutions de l'Union ? Le problème de l'adhésion de la Pologne, déjà complexe (notamment du fait de la question agricole, mais aussi des frontières et de la taille du pays) se trouverait amplifié dans le cas de la Turquie, qui serait inévitablement un bénéficiaire important des aides européennes.
Par ailleurs, il convient de peser les conséquences de l'inclusion de la Turquie dans l'Union européenne du point de vue de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), que la France souhaiterait voir développée au sein de l'Union européenne. De ce point de vue, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne verrait cette dernière confrontée à de nouvelles problématiques stratégiques, compte tenu des frontières terrestres de la Turquie avec la Géorgie, l'Arménie, l'Iran, l'Irak et la Syrie . L'Europe doit à l'évidence mesurer tant les intérêts que les risques liés à la position géostratégique centrale de la Turquie. Les risques sont plus que jamais évidents, compte tenu de la situation particulièrement confuse et instable en Irak. Les avantages doivent également être pesés : à cheval sur deux continents, la Turquie est en mesure de jouer un rôle d'intermédiaire utile pour l'avenir de l'Europe. C'est également un pays de transit pour le gaz et le pétrole du Caucase, une plate forme d'influence pour l'Asie Centrale turcophone, et un point d'appui important dans la lutte contre les trafics de drogue mondiale et pour le contrôle de l'immigration vers l'Europe.
Sur ces questions, votre rapporteur spécial s'interroge sur les raisons de l'encouragement très évident et constamment réaffirmé des Etats-Unis à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne : les Etats-Unis ne souhaiteraient-ils pas, par ce biais, diviser l'Europe, ou à tout le moins, éviter la création d'une politique étrangère et de défense autonome ?
A contrario , on rappellera que la Turquie est un pays laïque, pro-européen, se voulant occidental (l'ambition kémaliste était très ancrée dans l'Occident, la substitution de l'alphabet latin à l'alphabet arabe en est un vibrant témoignage). L'accord d'association avec la Turquie date de 1963, ce qui en fait le plus ancien pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. En 1995, elle a signé un accord douanier avec l'Union européenne.
Par ailleurs, le gouvernement islamiste actuel prend de nombreuses mesures d'ajustement pour mettre en conformité la législation turque avec les conditions fixées par l'Union européenne, tant en matière politique qu'économique. Les mesures prises au cours des dernières années par le présent gouvernement et le gouvernement précédent ont été importantes, s'agissant en particulier de l'abolition de la peine de mort et de la reconnaissance des langues minoritaires. Conformément aux demandes de l'Union européenne, le rôle de l'armée dans les institutions est progressivement réduit. Cette politique rencontre toutefois des résistances, tant de la part de l'administration (en particulier, dans les domaines régaliens), qui est relativement impopulaire, que de l'armée, qui, elle, a conservé une très grande popularité dans le pays et est perçue comme le garant de la laïcité et de la stabilité des institutions. Toutefois, il convient de souligner qu'aucun conflit majeur n'est intervenu à ce jour, en dehors des frictions ayant eu lieu sur le sujet essentiel de l'éducation.
Enfin, en mars 2002, un sondage montrait que 75 % de la population turque souhaitait l'adhésion du pays à l'Union européenne 6 ( * ) , à une date qui pourrait être comprise entre 2010 et 2015. Si l'adhésion à l'Union européenne est populaire en Turquie, il convient d'apporter quelques réserves à ce constat, car la population est mal informée sur les exigences liées à la reprise de l'acquis communautaire, et ont une vision quelque peu magique de l'Europe, avant tout perçue comme le mirage de la prospérité.
Quel que soit le règlement final de la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, votre rapporteur spécial souligne la nécessité pour la France de tenir compte de cette aspiration, et de l'inéluctable rapprochement de la Turquie vers l'Europe : la coopération française est appelée à s'orienter davantage, à l'avenir, vers des actions co-financées par l'Union européenne.
* 3 Il convient de rappeler qu'un sondage de l'institut BVA, publié en date du 19 avril 2004 par l'hebdomadaire « Marianne » a indiqué que 51 % des Français étaient favorables à une adhésion de la Turquie à l'Union européenne « dans quelques années », tandis que 39 % y étaient défavorables.
* 4 In Journal Officiel Questions Assemblée Nationale, 1 ère séance du 7 avril 2004, page 2678.
* 5 Journal Officiel Débats Assemblée nationale du 11 décembre 2002.
* 6 Sondage CNN-Turkey, mars 2002.