B. MODÉRER LES INÉGALITÉS
Si l'uniformité des conditions financières est économiquement et sportivement inefficace et inéquitable et, par conséquent, indésirable, l'exacerbation des tensions et des inégalités que comportent les systèmes de différenciation financière excessives n'est pas davantage soutenable.
1. Harmoniser au niveau européen les conditions de répartition des recettes de commercialisation des compétitions
Les analyses économiques disponibles conduisent à recommander un bon dosage entre équilibre compétitif et distribution équitable des retours financiers des compétitions. L'équilibre compétitif implique une distribution égalitaire des produits, mais cela peut nuire à la qualité du spectacle ; l'équité suppose de graduer la répartition en fonction de critères discriminant les acteurs sur des bases pertinentes reposant sur plusieurs critères, dont deux sont essentiels, le nombre de supporteurs, la performance sportive.
Dans les faits, aucun des systèmes de distribution des produits commerciaux des compétitions de football n'est parfaitement égalitaire . Dans chacun d'entre eux l'équité est, d'une manière ou d'une autre, prise en compte. Dans les cas où la distribution des produits est collectivisée , des critères s'inspirant de l'équité sont présents, tels que les critères de notoriété , censés représenter l'intérêt du public, ou de performance sportive , qui récompense l'habilité des clubs à remplir les objectifs de toute compétition sportive. On pourrait être tenté d'estimer que, dans les systèmes d'individualisation des droits , l'équité, au moins au sens économique, est pleinement atteinte puisque les retours perçus par chaque participant résultent d'une valeur de marché, qui serait l'expression de la valeur de la contribution de l'équipe au spectacle sportif. Cette présentation repose sur une analyse trop simpliste . Elle revient à confondre la valeur économique des droits à l'image d'une équipe et sa contribution à la valeur de la compétition à laquelle elle participe. Or, la première est influencée par des facteurs qui conduisent à ce qu'elle dépasse la seconde. Par exemple, tout comme dans d'autres domaines relevant de l'économie du droit à l'image, dans les systèmes de commercialisation individuelle des droits, une prime à la notoriété intervient. Cette prime accordée aux clubs les plus en vue est payée par les clubs de second ordre, en moins-values de recettes. Dans de tels systèmes, les recettes perçues par les grands clubs entraînent une concentration des ressources à leur profit au détriment de la rémunération équitable de la contribution des petits clubs à l'intérêt de la compétition. Ce processus ne peut par conséquent être considéré comme aboutissant à une distribution équitable des produits engendrés par la compétition .
L'argument économique essentiel fondant la recommandation d'une modération des systèmes de rétributions financières réside dans les contradictions des systèmes excessivement hiérarchisés, qui provoquent une exacerbation de la course aux armements.
Il semble qu'une relation directe existe entre l'ampleur des pertes et l'inégalité des systèmes de rétribution financière des performances sportives. Dans le football européen, les performances sportives conditionnent assez étroitement les recettes des clubs, notamment à travers les systèmes de répartition des droits-télé, mais aussi parce qu'elles favorisent l'accès aux sponsors aux marchés des produits dérivés, etc. La course à la performance sportive est donc aussi une course aux recettes. Cette course aux recettes entraîne des investissements en capital humain croissants. Chacun essaye d'avoir les meilleurs joueurs afin de se différencier de l'adversaire. Il y a une véritable « course aux armements ». Le problème est que ces stratégies individuelles de différenciation ne sont jamais suffisantes pour que l'aléa sportif soit entièrement maîtrisé, et, avec lui, l'aléa financier. Il reste toujours une part d'incertitude, et, même si les clubs sont très segmentés, au regard de leurs moyens, le nombre de concurrents dans chaque segment fait qu'il y a toujours plus d'appelés que d'élus. Tout ceci conduit à des pertes structurelles.
Or, plus l'espérance individuelle de gains est importante, plus cette mécanique est puissante et déstabilisante. Plus alors l'augmentation des coûts dans chaque club est importante avec, pour conséquence, une amplification des pertes subies par les vaincus et une diminution des profits des vainqueurs. Dans un secteur économique de droit commun, ceci peut être admis : il y a des gagnants et des perdants. On appelle cela le jeu du marché. Dans le football, il est difficile d'accepter ce jeu. Les adversaires sont des concurrents mais aussi des partenaires qui participent à une même compétition Il est donc normal de limiter les éventualités d'exclusion du marché, c'est-à-dire de la compétition. On doit ajouter qu'une certaine égalité des forces doit être préservée afin que l'intérêt sportif et, avec lui, la valeur commerciale des compétitions soient préservés.
Le système d'incitations existant dans le football doit tenir compte de l'ensemble de ces paramètres.
Face à une somme d'ambitions individuelles inconciliables, on pourrait idéalement imaginer qu'un régulateur intervienne pour rendre compatibles les stratégies individuelles des acteurs. C'est extrêmement difficile dans les faits parce qu'alors il faut rendre des arbitrages et qu'on manque de base pour intimer à un agent d'adopter une stratégie donnée.
C'est donc en amont qu'il faut intervenir. Il faut modérer les ambitions, plutôt que de les exacerber, et, au minimum 71 ( * ) , plafonner le ratio entre les ressources attribuées au club le plus et le moins rétribué à partir des produits résultant de la commercialisation des compétitions. Un ratio -plafond de 3 paraît raisonnable. Ce ratio -plafond devrait être en vigueur dans chaque pays en Europe pour des raisons évidentes tenant à l'internationalisation des marchés sur lesquels le football agit.
* 71 Il faut, à ce propos, rappeler qu'aux Etats-Unis, la distribution égalitaire des recettes commerciales concerne dans certains sports, le football américain en particulier, un champ extrêmement large comprenant le « merchandising » et le « sponsoring »