2. Un « esprit des lois » du sport
Alors que l'organisation du sport américain est considérablement influencée par la prise en compte des objectifs commerciaux de ses acteurs professionnels, le sport européen, et, en particulier, le football, se déploie dans un contexte où s'appliquent, dans une certaine pureté, des lois marquées par « l'esprit du sport ».
En effet, certaines grandes caractéristiques des règles de fonctionnement du sport constituent la seconde composante du modèle européen du sport. On peut évoquer un « esprit européen des lois » du sport.
La première de ces caractéristiques fait écho à la « glorieuse incertitude du sport » . Les compétitions de type championnat sont, en Europe, marquées par un système de promotion-relégation . Autrement dit, ces championnats sont ouverts. Une conséquence essentielle doit ici être soulignée : dans le football européen, l'aléa sportif occupe une place centrale et lie la réussite économique à la réussite sportive à un double titre : il faut à un club de football européen éviter la relégation dans une catégorie inférieure et rechercher les moyens d'une promotion réussie 40 ( * ) .
Cet « aiguillon » sportif et économique exerce sur les acteurs professionnels une influence importante à travers leurs dispositions propres par rapport au risque sportif et, par conséquent, au risque économique. La réussite sportive est « payante » mais suppose des investissements que l'échec peut rendre ruineux. Des ambitions sportives modérées peuvent être jugées économiquement justifiées.
Enfin, l'ouverture des compétitions professionnelles trouve un prolongement dans la relative proximité des clubs professionnels européens avec le sport amateur qui ne se constate que très épisodiquement outre-Atlantique.
3. Une consécration politique du sport
Le sport, et ceci s'applique au football, est en Europe l'objet d'une reconnaissance politique qui concerne non seulement l'activité sportive en elle-même, mais aussi son modèle d'organisation.
De cette reconnaissance témoigne pleinement la déclaration (n° 29) annexée au Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, par laquelle les Etats de l'Union européenne ont d'abord souhaité souligner « l'importance sociale du sport et en particulier son rôle de ferment de l'identité et de trait d'union entre les hommes », et invité les institutions de l'Union européenne « à consulter les associations sportives lorsque des questions importantes ayant trait au sport sont concernées » en souhaitant qu'il soit « tenu tout spécialement compte des particularités du sport amateur ».
Le premier volet de cette déclaration consacre les vertus de la pratique sportive en elle-même ; les autres volets insistent sur deux caractéristiques importantes du modèle européen l'amateurisme et la gestion du sport par ses participants.
Cette consécration politique générale s'assortit d'une déclinaison plus détaillée faisant ressortir les fonctions du sport au service d'objectifs d'intérêt général identifiés comme tels.
Dans un document de travail de la Commission européenne relatif aux perspectives de l'action communautaire dans le sport (septembre 1998), on insiste ainsi successivement sur cinq fonctions éminentes remplies par le sport :
une fonction éducative ;
une fonction de santé publique ;
une fonction sociale , le sport étant considéré comme « un instrument approprié pour promouvoir une société plus inclusive, pour lutter contre l'intolérance et le racisme, la violence, l'abus d'alcool ou l'usage de stupéfiants, ou encore pour contribuer à la lutte contre le chômage » ;
une fonction culturelle , la pratique sportive étant souvent synonyme d'enracinement dans un territoire ;
une fonction ludique enfin, la pratique sportive représentant une composante importante du temps libre et du divertissement individuel et collectif.
Enfin, le sport se voit reconnaître une fonction des plus éminentes, celle de jouer « un rôle moralisateur » lié aux valeurs qui y sont associées : le « fair-play », la solidarité, la concurrence loyale, l'esprit d'équipe...
A côté de cet ensemble de fonctions à dimensions culturelles, le document de la Commission évoque les aspects économiques du sport . Il observe que le sport représente un secteur en développement rapide avec le « sponsoring » sportif (15 milliards de dollars au niveau mondial), la vente des droits de télévision (42 milliards) et la vente des tickets (50 milliards) 41 ( * ) . Pratique culturelle reconnue, le sport l'est donc également pour sa dimension économique.
Plus largement la popularité acquise par le football professionnel, globalement, ainsi que par les clubs, localement, aimante la sympathie des responsables politiques. Ce comportement est presque un invariant historique. Il peut avoir pour revers de favoriser l'exercice de pressions dont il est utile de se prémunir par l'adoption de règles strictes.
Enfin, la consécration politique du sport doit avoir des prolongements dans l'implication des pouvoirs publics pour défendre les équilibres souhaitables lorsque ceux-ci paraissent menacés.
* 40 Soit dans le cadre domestique, soit par accès aux compétitions européennes.
* 41 Le sport européen représenterait 36 % de ce « commerce », et seuls les Etats-Unis avec 42 % feraient mieux. En Europe, la part respective des Etats membres dans ce « commerce » est estimée comme suit : Allemagne (30 %), Royaume-Uni (22 %), Italie (17 %), France (15 %).