2. Dérive plébiscitaire ou restauration de l'autorité de l'Etat ?
Depuis la fin de l'Union soviétique, jamais un exécutif n'a disposé d'une assise aussi solide et jamais les contrepouvoirs n'ont paru aussi faibles. L'absence ou la marginalisation, dans le débat public, de formations représentant les sensibilités libérales et sociales-démocrates, laisse la totalité de l'espace politique au Président.
Cette situation nouvelle, dont les prémices étaient clairement perceptibles au cours des dernières années, a alimenté un débat sur l'évolution du régime lui-même. Faut-il parler, comme certains commentateurs, d'une dérive plébiscitaire, voire autoritaire ?
S'agissant du déroulement des deux scrutins successifs , on peut constater qu'il n'a pas donné lieu à des irrégularités massives ou manifestes qui auraient faussé le résultat final, tout en estimant que l'égalité des chances entre les différentes formations n'était pas pleinement assurée . Les difficultés rencontrées par certains candidats, le recours à la « ressource administrative », euphémisme désignant les pressions de diverse nature exercées par les autorités, mais surtout le traitement non équitable des différents partis et candidats dans les médias contrôlés par l'Etat, comme l'a souligné la mission internationale d'observation des élections constituée sous l'égide du Conseil de l'Europe et de l'OSCE, semblent avoir contribué à réduire la concurrence et à amplifier la victoire de l'exécutif.
Plus généralement, le lien étroit entre la télévision d'Etat et l'exécutif comme le ton de moins en moins critique de la presse nationale, au demeurant peu diffusée hors des grandes métropoles, renforcent l'impression d'un affaiblissement du débat démocratique , accentué par l'absence de parti politique susceptible de défendre une alternative crédible.
Dans un autre domaine, l'arrestation du président de la compagnie pétrolière Ioukos, M. Khodorkovski, qui ne cachait pas son soutien aux formations politiques libérales, a montré que le pouvoir n'hésitait pas à user de la manière forte. Le rôle de premier plan occupé par les hommes provenant des « structures de force » (armée, police, service de renseignement), les « siloviki », dont le Président Poutine est lui-même issu, est également fréquemment cité à l'appui des craintes relatives à un raidissement du régime, tout comme les méthodes employées par les forces de sécurité dans le conflit tchétchène.
Tous ces éléments dénotent, sur nombre de points, des écarts sensibles avec les standards de la démocratie pluraliste , lesquels, il est vrai, n'ont guère eu l'occasion d'être pleinement mis en oeuvre en Russie.
Pour autant, la délégation croit pouvoir dire que le résultat des élections législatives et présidentielle traduit un réel soutien populaire à Vladimir Poutine , confirmé d'ailleurs par toutes les enquêtes d'opinion, même si l'abstention élevée en réduit la signification.
Son image d'homme politique moderne, travailleur, réactif, reconnu et écouté sur la scène internationale, tranche évidemment avec celle, très dégradée, de son prédécesseur.
Les dernières années de la présidence Elstine ont été marquées par l'instabilité politique, avec cinq changements de premier ministre en un an et demi, les scandales affectant la famille et les proches du président et les effets de la crise financière de l'été 1998.
À l'inverse, Vladimir Poutine peut incarner, aux yeux de la population, la restauration de l'autorité de l'Etat, y compris au travers des manifestations d'autorité dont il a fait preuve. Il bénéficie également d'une amélioration de la conjoncture économique qui a par exemple permis d'assurer le paiement régulier des traitements et pensions, mettant fin à l'un des dysfonctionnements les plus flagrants des pouvoirs publics.
Aussi a-t-on pu parler à propos du régime politique actuel de la Russie de « pouvoir hybride » , combinant un cadre institutionnel démocratique et des pratiques propres aux exécutifs forts, limitant de fait l'espace dévolu à l'expression des sensibilités divergentes.
Force est de constater que la personnalité énigmatique de Vladimir Poutine continue d'alimenter les interrogations sur l'évolution de la Russie vers les valeurs démocratiques occidentales, ou à l'inverse, vers la restauration de pratiques autoritaires.