C. LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LA MINUK
L'action de la MINUK depuis 1999 a permis au Kosovo de se relever dans de nombreux domaines : élections, mise en place d'institutions d'autonomie désormais investies des compétences qui devaient leur revenir, « kosovarisation » de la police... Cependant l'objectif central d'une coexistence interethnique n'est à l'évidence pas atteint et la participation serbe aux institutions reste négligeable. Le redémarrage économique est très problématique ; quant à la situation des minorités, le processus de retour des Serbes déplacés avait certes permis, en 2003, un nombre de retours supérieur à celui des partants et c'est ainsi que depuis 2000, 5 400 personnes s'étaient réinstallées, mais les événements de mars ont malheureusement conduit au déplacement de 4 000 Serbes -sur un total de quelque 80 à 90 000 Serbes des « enclaves ».
Plusieurs facteurs expliquent les difficultés de la MINUK que les événements de mars ont rendu à la fois plus visibles et plus graves.
1. La coopération MINUK-gouvernement autonome : une confiance impossible ?
Le bon fonctionnement du régime d'autonomie proposé par la résolution 1244 et mis en place par le premier RSSG M. Bernard Kouchner suppose une coopération et une confiance étroites sur la méthode et les objectifs, entre la MINUK et le RSSG, d'une part, et les autorités politiques qui animent les institutions provisoires, d'autre part. Or c'est peu dire que ces éléments, qui n'étaient pas forcément réunis avant les événements de mars, ont été lourdement fragilisés depuis. Certains mécanismes comportaient en effet déjà en eux des éléments de discorde.
. Le principe des pouvoirs transférés/pouvoirs réservés est une première source de « frictions » entre l'organisation internationale et les institutions provisoires. Si tous les pouvoirs susceptibles d'être transférés l'ont été à la fin 2003, les responsables kosovars albanais souhaitent désormais avoir la responsabilité de certaines compétences réservées, au premier rang desquelles figurent les privatisations, mais aussi la justice et la sécurité.
La demande des institutions provisoires pour des compétences nouvelles concerne, en effet, en premier lieu, les privatisations des conglomérats publics économiques et de quelque 400 entreprises en propriété collective. Elles sont un enjeu économique majeur et revêtent une dimension politique essentielle. La création, en juin 2002, de l'agence fiduciaire des privatisations (KTA) n'a permis la privatisation que de 16 sociétés d'Etat. La découverte d'irrégularités diverses a entraîné la suspension du processus en octobre 2003 et l'ONU a par ailleurs demandé une clarification du statut de plusieurs sociétés privatisées au cours des dix dernières années. Cette stratégie, juridiquement scrupuleuse, a suscité l'irritation des responsables kosovars albanais qui a entraîné, en avril 2004, le remplacement, par le RSSG, de la responsable américaine des privatisations au sein du pilier 4. Le processus -à la symbolique politique forte et à l'impact économique décisif- ne pourra redémarrer que lentement, en dépit de son urgence.
La justice, la sécurité et l'ordre public sont les domaines où s'expriment également les revendications albanaises. Lors des entretiens de la délégation avec le Premier ministre Rexhepi et M. Thaci, président du PDK, ceux-ci ont émis le voeu de se voir confier plus de responsabilités dans les domaines de la justice et de la sécurité. Cela participerait, estiment-ils, à une auto-responsabilisation accrue des institutions provisoires dans ces domaines sensibles préfigurant une prise en main concrète de leur destin.
Cette stratégie de la responsabilisation par le transfert de nouvelles compétences dans des domaines sensibles, « réservées » en application du « cadre constitutionnel » ne serait pas sans mérites : l'actuel Premier ministre Rexhepi, de l'avis général, exerce ses responsabilités d'une façon qui mérite d'être saluée. Cette personnalité constitue sans conteste une exception au sein de la classe politique kosovare albanaise et tout ce qui peut contribuer à conforter sa position à l'égard des autres responsables politiques comme de la population elle-même, doit être mis à profit. Il reste que la société kosovare n'est pas encore mûre pour l'exercice d'une responsabilité élargie de la province.