A-T-ON
ENCORE BESOIN
D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ?
M.
Nicolas Jacquet, Délégué de la DATAR
En introduction, nous devons nous poser deux questions : Avec la décentralisation, avons-nous encore besoin d'aménagement du territoire ? Et si oui, quelle politique renouvelée d'aménagement du territoire doit être construite pour accompagner l'acte II de la décentralisation ?
Nous avons encore besoin d'aménagement du territoire pour quatre raisons. Tout d'abord, nous sommes entrés, avec le XXI e siècle, dans une grande période de turbulences, qui résultent à la fois de l'internationalisation des économies et de chocs technologiques majeurs qui vont se produire. Ensuite, l'élargissement de l'Europe entraîne une donne nouvelle, et enfin parce que les inégalités subsistent en France.
Il nous faut intégrer le fait qu'avec l'élargissement de l'Europe, nous allons subir une augmentation de la population de 28 %, pour une augmentation de richesses de 5 % seulement. Les écarts existants avec les nouveaux arrivants sont considérables, et vont entraîner des perturbations. Par exemple, l'écart entre le salaire industriel de base est de 1 à 8 entre les pays de l'élargissement et la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Si on prend en compte les charges, l'écart est de 1 à 10. Il est donc évident qu'il faut s'attendre à des conséquences en termes de localisation des entreprises manufacturières. C'est un enjeu majeur. La Grande-Bretagne, malgré un taux de chômage faible, inférieur à 5 %, a néanmoins perdu l'année dernière environ 135.000 emplois manufacturiers. Si nous n'y prenons pas garde, nos territoires seront affectés par cela. Nous sommes bien ici dans le sujet de l'aménagement du territoire, car il s'agit de préserver nos capacités industrielles.
Parallèlement, des mutations technologiques sont en train de se dérouler. La montée en puissance des nouvelles technologies, et l'explosion de la bulle des télécommunications ont profondément affecté certains territoires. L'accélération dans ces secteurs, dont le cycle de production est de plus en plus court, affecte les hommes et les femmes qui travaillent dans ces usines et est très perturbant pour les territoires.
Se préparer à ces accélérations et à ces mutations relève de l'aménagement du territoire.
Tout ce qui résulte des mutations de modes de vie et des comportements des Français doit également être pris en compte. 15 millions de Français travaillent aujourd'hui dans une commune différente de leur commune de résidence, et 5 millions dans un département différent. Les territoires ruraux périurbains ont gagné, ces dernières années, 70 % de population. Ces modifications entraînent de profonds changements dans l'habitat des Français et la façon dont ils s'installent sur le territoire, dont ils y vivent et organisent leur relation avec le reste du territoire.
On ne peut pas laisser les territoires seuls face à ces mutations. Il est nécessaire de construire un accompagnement, outil de cohésion territoriale. La période où l'État à lui seul pouvait remplir cette fonction est révolue. Ce sont aujourd'hui les forces conjuguées des collectivités territoriales et de l'État, des entreprises et des universités qui peuvent permettre de faire évoluer les choses. La petite révolution de la décentralisation consiste, à la fois, à donner plus de liberté d'action aux collectivités territoriales et plus d'énergie pour le terrain, mais aussi, derrière ces choix et ces enjeux, à raisonner à partir de l'idée des forces des territoires. Ces forces économiques et sociales, résultat de la mise en réseau de tous les acteurs qui font évoluer le territoire, peuvent être un excellent mode de réponse. Lorsque les entreprises sur un territoire travaillent ensemble, sont en phase avec le monde de la formation, dialoguent avec les centres de recherches et les collectivités locales, la décentralisation est un partage de la responsabilité avec les acteurs. L'État ne sait pas rassembler l'ensemble des interlocuteurs.
La décentralisation est un apport majeur au niveau de la méthode de co production de l'aménagement du territoire, c'est à dire le fait de construire ensemble de nouvelles politiques territoriales. L'État doit apporter sa contribution tant financière qu'intellectuelle mais, fondamentalement, l'initiative doit venir du terrain. La coproduction et la cohérence doivent être pensées au niveau régional. L'État conserve ses compétences sur les grandes infrastructures (ferroviaire, autoroutes, aéroports). Il doit également apporter sa contribution aux projets des collectivités, à la définition de ce qui va permettre de donner plus de compétitivité à nos territoires.
A ces principes de coproduction et de cohérence s'ajoute celui de contractualisation. Voici les chantiers de demain. MM. les Présidents, je pense donc en effet que la décentralisation permet bien de donner un nouvel élan à l'aménagement du territoire.
M. Émile Blessig : Merci, M. le Délégué. Je donne la parole à M. Bertrand Pancher.