Audition de Mme Laurence Tubiana,
directrice de l'Institut du développement durable et des relations
internationales (IDDRI),
le 1er avril 2003
Mme
Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et
des relations
internationales (IDDRI)
, a commencé son
intervention en indiquant que l'Institut qu'elle dirigeait travaillait selon
deux axes de recherche prioritaires. Le premier a trait à la question
des biens publics mondiaux, et à celle de leur financement. Le second
touche au projet de création d'une Organisation mondiale de
l'Environnement (OME). Un débat oppose les partisans de la
création d'une telle organisation, à ceux qui la juge inefficace,
et qui préfèreraient que les préoccupations
environnementales soient intégrées directement dans les
règles du commerce international.
Mme Laurence Tubiana
a ensuite expliqué qu'il existait entre 150
et 200 accords internationaux relatifs à l'environnement, en comptant
les accords régionaux. Beaucoup d'accords ne sont toutefois pas
appliqués, tels les accords relatifs à la lutte contre la
désertification, ou la déforestation. L'accord relatif au climat
n'est toujours pas appliqué.
Puis
Mme Laurence Tubiana
a évoqué la question,
controversée, du lien entre ouverture aux échanges et croissance
économique. Les milieux académiques américains font preuve
aujourd'hui d'une grande prudence. L'idée d'une corrélation
positive entre ouverture aux échanges et croissance est remise en cause
par des économistes tels Dani Rodrick et Joseph Stiglitz.
Elle s'est ensuite interrogée sur la possibilité d'établir
une hiérarchie entre règles de l'Organisation mondiale du
Commerce (OMC) et accords multilatéraux environnementaux (AME). Il
serait possible, selon
Mme Laurence Tubiana
, d'envisager une
procédure d'avis, sollicités par les panels de l'Organe de
règlement des différends (ORD), auprès du
secrétariat de l'accord environnemental concerné.
Mme Laurence Tubiana
est revenue sur l'évolution de la politique
américaine dans le domaine de la gouvernance internationale. De 1995
à 2000, l'idée dominante était celle d'un progrès
continu vers la constitution d'un système complet de droit
international, avec des régimes couvrant à peu près tous
les domaines. L'Administration Clinton défendait des positions
très multilatéralistes, mais sans être soutenue par le
Congrès. Depuis 2000 et l'arrivée aux affaires de
l'Administration Bush, un recul très net est perceptible sur ces
dossiers. Mme Laurence Tubiana a regretté l'échec de la
Conférence de La Haye, en 2000, qui devait préciser les
conditions d'application du Protocole de Kyoto. Un bon compromis avait en effet
été trouvé sur la question de l'observance des accords.
Mme Laurence Tubiana
a proposé de mener une réflexion sur
la pluralité des modalités d'application des traités
environnementaux :
* leur application peut être laissée à l'initiative de
groupes pionniers de pays, qui souhaitent agir en commun;
* on peut concevoir que des accords comme le protocole de Kyoto soient
considérés comme des Chartes guidant la conduite des acteurs
économiques, même sans engagement juridiquement contraignant des
Etats ; ainsi des entreprises américaines ou européennes se
sont-elles volontairement engagées à respecter les objectifs de
Kyoto ( Shell, Lafarge, etc. ) ;
* il faudrait imaginer enfin des outils incitatifs au respect de ces
accords : création de procédures de vérification et
de suivi de l'application des traités, mise en cause publique des Etats
contrevenants, permettant de jouer sur les effets de
« réputation », voire mécanismes de sanctions
économiques. Les pratiques privées, des collectivités
locales,
etc.
devraient aussi faire l'objet d'un suivi.
Le système international actuel résulte d'accords conclus entre
Européens et Américains, auxquels des pays en
développement ont ensuite adhéré. Il est important
d'associer plus fortement, à l'avenir, les pays du Sud à la
définition des règles internationales.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, est alors intervenu pour demander
si les pays en développement étaient, dans l'ensemble, sensibles
aux questions environnementales.
Mme Laurence Tubiana
a répondu que les pays en
développement étaient de plus en plus sensibilisés
à ces questions. Elle a souligné que les autorités
chinoises, par exemple, étaient préoccupées par les
problèmes de pollution urbaine, de pollution des eaux
côtières, qui entrave l'aquaculture, ou par les problèmes
de déforestation. Il est vrai, cependant, que, dans les enceintes
internationales, les pays du Sud accusent fréquemment les pays
développés d'exploiter les questions environnementales à
des fins protectionnistes. Pour se prémunir contre cette critique, il
est important que de grands pays émergents (Chine, Inde,
Brésil...) soient coproducteurs des normes internationales.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a alors évoqué
l'idée de créer une taxe internationale.
Mme Laurence Tubiana
a indiqué que les Etats-Unis s'opposaient,
dans les enceintes onusiennes, à ce que des réflexions soient
menées autour de projets de taxe internationale. Ces projets ont donc
fort peu de chances d'aboutir dans un avenir proche.
L'encadrement des investissements internationaux peut être un autre moyen
de réguler la mondialisation, en tenant compte d'objectifs sociaux et
environnementaux. Des négociations sur l'investissement sont
prévues dans le cadre de l'actuel cycle de négociation de l'OMC.
Les réticences des Etats-Unis et la méfiance des pays en
développement obèrent cependant les chances de succès de
ces négociations.