COMPTES RENDUS D'AUDITIONS
Audition de M. Charles-Albert Michalet,
professeur
à l'Université Paris-IX-Dauphine, le 12 mars 2003
M.
Charles-Albert Michalet, professeur d'économie à
l'Université Paris IX Dauphine, consultant auprès d'organisations
internationales
, a débuté son exposé en proposant une
définition de la mondialisation. Selon
M. Charles-Albert
Michalet
, la mondialisation est un phénomène
multidimensionnel, qui recouvre trois éléments principaux :
le développement des flux d'échanges ; la
délocalisation de la production ; et les mouvements financiers. Ces
trois éléments sont interdépendants ; la constitution
d'une firme multinationale comme Vivendi par exemple a supposé des
mouvements de capitaux et génère des flux de marchandises et de
services.
Sur le plan politique, les avancées de la mondialisation s'accompagnent
d'un affaiblissement de l'idée d'Etat-Nation, que révèlent
notamment les mouvements d'intégration régionale. Les
références à la balance commerciale sont
dépassées, comme l'illustre le cas américain : les
entreprises américaines vendent énormément à
l'étranger
via
leurs filiales basées hors du territoire
américain. Ces transactions ne sont pas retracées dans les
statistiques de balance commerciale portant sur les exportations.
L'attractivité du territoire est devenue un nouvel objectif de politique
économique.
La globalisation met aussi en cause la gouvernance de l'économie
mondiale. Le modèle de Bretton-Woods, fondé sur la
coopération intergouvernementale apparaît dépassé.
Le « consensus de Washington » a, dans les années
1980, prôné la régulation par le marché, et la
diminution de l'interventionnisme étatique. Or, il apparaît que le
marché mondial, oligopolistique, est très éloigné
du modèle théorique de concurrence pure et parfaite, et est
intrinsèquement instable.
M. Charles-Albert Michalet
a ensuite souligné que la
mondialisation était encore loin d'être un phénomène
planétaire. Seuls certains pays sont concernés : outre les
pays de la Triade -- Union européenne, Amérique du Nord, et
Japon --, il s'agit d'une quinzaine d'économies
émergentes : Chine, Inde, Nouveaux Pays Industrialisés (NPI)
et Tigres d'Asie, Mexique, Chili, et Brésil en Amérique latine,
Pologne, Hongrie, Slovénie et République tchèque en Europe
centrale. Les pays restés à l'écart de la mondialisation
cherchent désespérément à attirer les
investissements étrangers car ils redoutent la marginalisation.
M. Charles-Albert Michalet
en est ensuite venu plus
précisément aux questions d'environnement. Il s'est d'abord
interrogé sur la notion de bien public mondial. Le concept de bien
public a été forgé dans les années cinquante par
les économistes Musgrave et Samuelson. Un pont, un phare, un
réverbère sont des biens publics. Leur fourniture est
assurée par l'Etat, et financée par les contribuables
résidant dans le pays. La transposition de la notion de bien public
à l'échelle mondiale pose la question du financement de la
production de tels biens. S'il est vrai que les problèmes
d'environnement ignorent les frontières, il n'y a pas d'Etat mondial
ayant naturellement vocation à assurer sa protection. Le rapport
« Gouvernance mondiale » du Conseil d'analyse
économique préconise de relancer l'Organisation des
Nations-Unies, et de créer une Organisation mondiale de l'environnement,
qui viendrait compléter ses autres agences spécialisées
(FMI et Banque mondiale, OMS, OIT, etc.). Il est cependant peu crédible
d'envisager la création d'une telle organisation à court terme.
Les initiatives des grands groupes privés ont un rôle à
jouer en matière de préservation de l'environnement. Nombreux
sont ceux qui élaborent des Chartes de bonne conduite en vue d'un
meilleur respect de l'environnement. Les mécanismes de marché
peuvent être utilisés à des fins de protection de
l'environnement, comme le montre le marché de droits à polluer
proposé dans le cadre du protocole de Kyoto.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a demandé à
M.
Charles-Albert Michalet
pourquoi il était sceptique sur la
possibilité de créer une Organisation mondiale de
l'Environnement.
M. Charles-Albert Michalet
a dit douter de l'efficacité d'une
telle institution. Il lui faudrait, pour être efficace, mobiliser
d'importantes ressources. Or, les phénomènes de passagers
clandestins (
free-riders
) risquent d'être massifs. Beaucoup
d'Etats ne voudront pas payer pour financer la lutte contre l'effet de serre,
ou la déforestation.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a alors évoqué la
question des taxes mondiales.
M. Charles-Albert Michalet
a indiqué que la taxe Tobin, sur les
mouvements de capitaux, n'était pas, selon lui, une option viable. Si
une écotaxe internationale était créée, se poserait
la question de savoir quelle institution serait chargée de la percevoir.
Il faudrait que les Etats reversent les prélèvements à une
organisation internationale, et un accord sur ce point paraît difficile
à atteindre. En ce qui concerne l'environnement, les firmes
multinationales peuvent prendre, de leur côté, des initiatives
concertées, comme l'illustre l'initiative du groupe des Sept, dont fait
partie Electricité de France, qui vise à promouvoir des
techniques de production énergétique moins polluantes. Ces
techniques nouvelles entraînent cependant un surcoût de production
de 15 à 20 % ; or, les pays pauvres tendent à
privilégier les prix les plus bas.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a ensuite demandé si la
mondialisation était de nature à creuser les écarts de
niveaux de vie, ou si elle allait au contraire favoriser le décollage
des pays les moins avancés.
M. Charles-Albert Michalet
s'est dit favorable à la
mondialisation. Il a souligné que les pays du Sud souhaitaient
s'industrialiser, exporter, et s'intégrer au mouvement de mondialisation
en cours. Il a cité l'exemple de l'Algérie, qui a adopté
en août 2001 une ordonnance sur les investissements d'inspiration
très libérale, et celui de l'Inde vers laquelle des banques
américaines délocalisent aujourd'hui une part de leurs
activités d'analyse financière. La croissance des pays du Sud est
souvent entravée par des problèmes de gouvernance à
l'échelle locale. L'Algérie a pâti d'un contexte
d'insécurité, et la Russie d'un climat d'incertitude
politique ; les chefs d'entreprise ont besoin d'un horizon de
stabilité politique à cinq ans pour investir. L'Afrique reste,
à ce jour, à l'écart de la mondialisation ; les
investissements étrangers y sont concentrés dans le secteur
minier et dans celui des plantations, soit les mêmes secteurs qu'au
XIX
e
siècle.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a alors souhaité savoir si
la constitution de grands ensembles économiques régionaux
était une réponse adaptée à la mondialisation.
Pour
M. Charles-Albert Michalet
, l'exemple de la Communauté
économique européenne suggère qu'une union
douanière produit de bons résultats lorsqu'elle intervient entre
pays ayant des niveaux de développement économique inégaux
- ce qui constitue une rupture par rapport à l'analyse théorique
traditionnelle présentée par J. Viner il y a 50 ans.
L'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) rassemble des
pays de niveaux de développement inégaux, et a favorisé un
phénomène de division internationale du travail. Les firmes
multinationales recherchent, à la fois, un accès facile aux
marchés et des coûts de production bas. Des investissements au
sein de l'Alena permettent d'atteindre simultanément ces deux objectifs.
L'élargissement de l'Union européenne devrait favoriser des
évolutions similaires.
M. Charles-Albert Michalet
a cité
l'exemple de Peugeot qui peut embaucher des ingénieurs en Slovaquie pour
un coût de 770 euros par mois, contre 13 850 euros, charges
comprises, pour un ingénieur français. L'ASEAN (Association des
nations du sud-est asiatique) offre un autre exemple de division internationale
du travail ; l'intégration économique de la zone a
été assurée par les délocalisations des firmes
japonaises, et par l'action des communautés chinoises. Par ailleurs, les
créations d'emplois dans les pays du Sud présentent l'avantage de
réduire la pression des flux migratoires.
La création de grands ensembles régionaux ne permettra cependant
pas de résoudre certains problèmes environnementaux, qui sont,
par essence, de dimension planétaire. En l'absence d'organisation
satisfaisante à l'échelle de la planète, la fonction de
gouvernance mondiale est assurée, par défaut, par les Etats-Unis
d'Amérique, la puissance dominante.
Pour terminer,
M Serge Lepeltier, sénateur
, a demandé s'il
était plus facile d'améliorer la gouvernance mondiale dans le
domaine de l'environnement que dans celui de l'économie.
M. Charles-Albert Michalet
estime qu'il est vraisemblablement plus
facile de mobiliser les opinions publiques autour d'enjeux écologiques
qu'autour d'enjeux économiques. De ce point de vue, les Etats-Unis font
aujourd'hui figure d'accusés, en raison de leur refus de ratifier le
protocole de Kyoto.