C. DISSUADER LES VIOLENCES CONJUGALES
1. Un phénomène massif quoique difficile à mesurer
a) L'Enquête nationale sur les violences envers les femmes
D'après l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) présentée en décembre 2000, le terme de « femmes battues », couramment utilisé, ne rend pas compte de la réalité des violences conjugales car, en pratique, les pressions psychologiques y sont prépondérantes.
Selon l'enquête, cette violence psychologique -aussi destructrice que la violence physique- est une forme moderne et contemporaine de la domination d'un sexe sur l'autre, dans un contexte social, en droit, égalitaire.
Deux niveaux de violences sont distingués :
- un niveau grave, qui regroupe les femmes victimes de harcèlement psychologique, d'insultes répétées ou de violences physiques ? voire sexuelles. Il correspond au plus grand nombre et concerne près de 7 % des femmes en couple. Presque un million de femmes connaissent cette situation, sur les 14 millions concernées ;
- et un niveau dit « très grave » qui correspond au cumul de plusieurs types de violences. Près de 3 % des femmes en couple les ont vécus en l'an 2000, c'est-à-dire près de 420 000 femmes, quel que soit leur milieu social. Et le chômage, le retrait du monde du travail, des lieux extérieurs, sont toujours des facteurs aggravants.
Une corrélation assez forte s'observe entre les situations de violences et la répartition inégalitaire du travail domestique et de l'éducation des enfants. On peut ainsi noter que les femmes vivant en couple subissent quatre fois plus de violences graves lorsqu'elles s'occupent seules de leurs enfants.
Lors de la présentation de l'enquête, il avait été également souligné que 2 % des femmes ayant reçu une éducation laïque sont victimes de violences de niveau très grave. Elles sont plus de 5 % à connaître une telle situation parmi celles qui accordent une grande importance à la religion et qui sont le plus souvent issues de l'immigration.
b) « Le huis-clos conjugal, haut lieu des violences »
« Selon une publication de l'Institut national des études démographiques (INED, Population et Sociétés n° 364, janvier 2001), « c'est dans l'intimité de l'espace conjugal que sont perpétrées le plus de violences de toutes natures ». Les agressions et menaces verbales incluent les insultes, les menaces et le chantage affectif (s'en prendre aux enfants, menacer de se suicider). Les pressions psychologiques comprennent les actions de contrôle (exiger de savoir avec qui et où l'on a été, empêcher de rencontrer ou de parler avec des amis ou membres de la famille), d'autorité (imposer des façons de s'habiller, de se coiffer ou de se comporter en public), les attitudes de dénigrement, de mépris ; l'indicateur de « harcèlement moral » correspond aux situations où plus de trois de ces faits ont été déclarés comme étant fréquents. Enfin, les agressions physiques, outre les tentatives de meurtre, les coups et autres brutalités, prennent en compte la séquestration ou la mise à la porte. Les agressions sexuelles se limitent ici aux gestes sexuels imposés et au viol.
Les résultats relatifs aux violences conjugales concernent les femmes qui ont eu une relation de couple, avec ou sans cohabitation, au cours des douze derniers mois. Les pressions psychologiques y occupent une place prépondérante, mais l'importance des violences sexuelles a été dévoilée par les déclarations des enquêtées (1 %). Les deux tiers des femmes contraintes par leur conjoint à des pratiques ou rapports sexuels forcés en ont parlé pour la première fois en répondant au questionnaire. Les femmes qui ne sont plus avec leur partenaire au moment de l'enquête, en particulier les divorcées avec ou sans enfants, ont déclaré trois à quatre fois plus de violences que les autres, notamment pour le harcèlement moral (respectivement 27 % et 7 %).
Les insultes et le chantage affectif où les menaces se conjuguent différemment selon la position sociale : les femmes issues des catégories les plus défavorisées se déclarent plus souvent insultées, tandis que menaces et chantage s'observent dans tous les milieux.
Pour toutes les formes de violences conjugales, les femmes les plus jeunes (20-24 ans) ont déclaré nettement plus de violences que leurs aînées ; dans une moindre mesure, les chômeuses semblent également plus exposées que les femmes ayant un emploi. Selon l'INED, les violences physiques sont perpétrées dans tous les milieux sociaux mais parmi les femmes de plus de 25 ans, les cadres rapportent nettement plus d'agressions physiques, répétées ou non : 4 % en déclarent au moins une, contre 2 % des employées ou professions intermédiaires. La pression psychologique occasionnelle est plus fréquemment dénoncée par les étudiantes et les femmes les plus diplômées.
L'indice global de violences conjugales s'appuie sur le constat établi par les acteurs sociaux qui aident les victimes : les violences psychologiques et verbales répétées seraient aussi destructrices que les agressions physiques. Une femme en couple sur dix vit cette situation et trois femmes sur dix la vivaient parmi celles qui se sont séparées récemment. Dans l'ensemble les violences conjugales sont aussi fréquentes (environ 9 %), que les femmes exercent une activité professionnelle ou qu'elles soient au foyer. En revanche, les chômeuses (14 %) et les étudiantes (12 %) -plus jeunes et quelquefois dans des situations de relative instabilité ou de précarité économique- déclarent plus souvent des relations de couple violentes.
Selon l'enquête, environ 50 000 femmes de 20 à 59 ans ont été victimes de viols en un an. En outre, un indicateur global d'agressions sexuelles a été construit en tenant compte des violences sexuelles subies au cours des douze derniers mois quel qu'en ait été le cadre. Il mesure la proportion de femmes qui ont déclaré avoir subi au moins une fois des attouchements sexuels, une tentative de viol ou un viol ; ces faits concernent 1,2 % des femmes interrogées. Les viols affecteraient 0,3 % des femmes.
Si l'on applique cette dernière proportion aux 15,9 millions de femmes âgées de 20 à 59 ans vivant en France métropolitaine (lors du recensement de 1999), ce sont quelque 48 000 femmes âgées de 20 à 59 ans qui auraient été victimes de viols dans l'année. Cette estimation est à rapprocher des déclarations faites à la police et à la gendarmerie : 7 828 viols en 1998, dont 3 350 concernaient des personnes majeures. Seuls environ 5 % des viols de femmes majeures feraient ainsi l'objet d'une plainte.
Comme le conclut l'INED, un des enseignements de l'enquête a été de mettre en évidence l'ampleur du silence et l'occultation des violences par les femmes qui les subissent. L'interrogation des femmes dans un cadre neutre et anonyme a contribué à lever le voile qui masquait les violences sexuelles : un grand nombre de femmes ont parlé, pour la première fois au moment de l'enquête, des violences sexuelles dont elles ont été victimes. Le secret est d'autant plus fort que la situation se vit dans l'intimité ; il relève probablement d'un sentiment de culpabilité, voire de honte éprouvée par les victimes, et souligne une certaine carence de l'écoute, tant des institutions que des proches.