(2) Le dispositif de dispense de recherche d'emploi apparaît très désincitatif
Les
chômeurs âgés peuvent, en effet, bénéficier,
sous certaines conditions de durée de cotisation à
l'assurance-chômage, de prestations plus avantageuses que celles
versées aux chômeurs plus jeunes. Ils peuvent, en particulier,
bénéficier d'une période d'indemnisation prolongée
(qui leur permet d'attendre l'âge de la retraite), et être
dispensés de recherche d'emploi tout en continuant à percevoir
leurs indemnités.
L'OCDE calcule ainsi qu'«
un travailleur de 56 ans licencié
peut recevoir des indemnités de chômage représentant entre
57 et 75 % de son salaire pendant 3 ans et demi, sans aucune obligation de
recherche d'emploi. De plus, cette période compte comme autant
d'années de service pour le calcul de la pension
». Et
l'OCDE de conclure que «
dans ces conditions, il ne semble pas
surprenant, et cela paraît bien être le cas, que les travailleurs
et les entreprises soient d'accord pour licencier les travailleurs
âgés - soit pour les remplacer par des individus plus jeunes,
moins coûteux et peut-être plus flexibles, soit pour réduire
leurs effectifs
»
19(
*
)
.
Ces remarques rejoignent les analyses du rapport Quintreau
20(
*
)
, de mars 2002, qui évoquait une
«
coalition d'intérêts entre entreprises et
salariés pour reporter sur la collectivité (l'Etat, le
système de protection sociale) le coût financier d'un
départ anticipé en retraite des salariés dès
55 ans
».
Au total, en 2002, 520.000 travailleurs âgés étaient
couverts soit par un programme de préretraite, soit par un programme de
l'UNEDIC, ce qui représente plus du tiers des personnes
âgées de 55 à 60 ans.
Programmes de préretraite et d'indemnisation du
chômage
|
|||||
|
1992 |
1995 |
2000 |
2001 |
2002 |
|
En pourcentage de la population âgée de 55 à 60 ans |
||||
Programmes de préretraite |
|
|
|
|
|
Conventions ASFNE |
10,9 |
10,6 |
4,0 |
2,8 |
2,3 |
ARPE |
|
0,2 |
5,8 |
4,3 |
3,3 |
CATS |
|
|
0,3 |
0,6 |
0,7 |
Programmes de préretraite pour les travailleurs de l'amiante CAATA |
|
|
0,3 |
0,5 |
0,5 |
Cessation progressive d'activité |
0,9 |
3,6 |
2,8 |
2,5 |
2,6 |
Congé de fin d'activité (CFA) |
|
|
1,2 |
1,3 |
1,3 |
Sous-total |
11,8 |
14,1 |
14,4 |
12,0 |
10,7 |
Programmes liés à l'indemnisation du chômage pour les travailleurs âgés |
|||||
Exemption de recherche d'emploi |
0,0 |
0,0 |
15,1 |
14,1 |
|
Prolongation des droits |
0,0 |
0,0 |
8,1 |
7,2 |
|
Sous-total |
0,0 |
0,0 |
23,2 |
21,3 |
|
Total général |
11,8 |
14,4 |
37,6 |
33,3 |
|
Source : OCDE.
Les estimations de l'INSEE
21(
*
)
suggèrent que «
l'effet des préretraites sur le taux
d'activité des 55-59 ans a été massif. Il explique
l'essentiel de la chute des taux d'activité des hommes de cette tranche
d'âge, qui est passé entre 1970 et 1998 d'une valeur moyenne de
84 % à un niveau inférieur de plus de 15 points. L'effet est
moins marqué chez les femmes que chez les hommes, sans doute parce que
ces derniers représentent l'écrasante majorité des
préretraités
».
Il apparaît aussi que «
cet effet des préretraites
est amplifié par les dispositifs de dispense de recherche d'emploi. Le
taux de dispensés d'emploi
est en effet une variable explicative
du taux d'activité très significative pour
les
hommes
»
La réforme des retraites votée l'été dernier
modifie en profondeur les règles applicables aux régimes de
retraites et de préretraite. Il est naturellement trop tôt pour
que cette loi fasse sentir ses effets, mais l'on reviendra,
ultérieurement, sur les incitations nouvelles qu'elle créé
à la prolongation de l'activité.
-
-
-
- 3. Les entreprises sont incitées à se séparer de leurs salariés âgés et peu qualifiés pour des raisons liées au coût du travail
Les études statistiques mettent toutes en évidence un lien positif entre l'âge et le coût du travail - sans qu'il soit possible toutefois de faire la part entre les augmentations de salaire dues aux promotions (qui reflètent l'acquisition de compétences par les salariés), et celles résultant de l'application des règles de rémunération à l'ancienneté . Pour l'OCDE, les actifs entre 50 et 55 ans sont ainsi payés 40 % de plus que les débutants. Les statistiques réalisées par la DARES sur données françaises confirment la relation entre âge et coût du travail.
Profil par âge et qualification du coût salarial horaire moyen
Source : DADS 2000, INSEE.
L'augmentation du coût du travail est spectaculaire pour les
salariés très qualifiés
: ceux-ci
bénéficient d'importantes progressions de carrière
auxquelles sont associées des revalorisations salariales
régulières.
Les salariés sans qualification n'ont pas,
ou peu, de progression de carrière
: à leur niveau,
l'augmentation des salaires résulte, essentiellement, de l'application
des règles de rémunération à l'ancienneté.
L'écart avec les salariés jeunes est alors beaucoup plus
réduit
,
mais peut être suffisant pour influer sur les
comportements d'entreprises
employant beaucoup de main-d'oeuvre peu
qualifiée, et soumises à une forte concurrence sur les prix.
Ce n'est, bien sûr, pas l'augmentation de salaire en elle-même qui
peut inciter une entreprise à se séparer de ses salariés
âgés, mais plutôt l'écart qui peut apparaître
entre le coût du travail et la productivité des salariés
concernés. Pour les salariés qualifiés, l'âge
s'accompagne de l'acquisition d'expériences, ou d'un réseau
relationnel plus étoffé, qui améliorent leur
productivité, et justifient des prétentions salariales plus
élevées. Pour les salariés qui occupent des postes peu
qualifiés, l'âge n'apporte généralement pas de gains
de productivité ; il peut même, au contraire, s'accompagner
d'une certaine usure, ou d'une démotivation au travail, qui diminue la
productivité. La progression des salaires serait donc, pour ces
travailleurs, décorrélée de celle de la
productivité. Ceci crée une incitation pour les entreprises
à se séparer de leurs salariés âgés et peu
qualifiés.
Comment évaluer l'écart entre productivité et
salaire ?
Didier Blanchet en propose une estimation par le biais d'une
comparaison entre la France et l'Allemagne
.
En 1995
,
le gain
salarial entre 21 et 60 ans, toutes choses égales par ailleurs,
était de 31 % en France, contre 12 % en Allemagne
. Si l'on
suppose que les effets d'âge et ou de génération sur la
productivité n'ont pas de raison d'être à l'avantage de la
France,
cela signifie qu'il existerait dans notre pays un effet pur
d'ancienneté au moins égal à 20 % du salaire en fin
de carrière
. Exprimé autrement, le ratio salaire ou
coût du travail sur productivité y croîtrait d'environ
20 % entre le début et la fin de la carrière
22(
*
)
.