Quatrième table ronde :

Quelle stratégie pour développer un consensus ?

1. Mme Marie Anne Isler Béguin, députée européenne, membre de la Commission de l'environnement du Parlement européen

La directive Habitats constitue une étape importante pour la protection de l'environnement et plus particulièrement la préservation de la biodiversité. L'enjeu est important, mais je crois qu'en 1992 personne ne s'est vraiment rendu compte de l'impact qu'elle pouvait avoir sur l'aménagement du territoire. C'est sans doute cette ignorance, alliée au manque de concertation qui a entraîné les défaillances dans l'application de Natura 2000. Les scientifiques ont procédé à leur travail d'inventaire, mais aucun outil de mise en oeuvre n'était en place !

Natura 2000 est un outil d'aménagement et de développement et une zone désignée n'est pas une zone que l'on va isoler ! Après 10 ans de balbutiements, je crois qu'aujourd'hui le dispositif est bien compris et il faut souligner d'ailleurs que dans les secteurs où le travail s'effectue de manière concertée, les gestionnaires sont satisfaits.

Mon inquiétude concerne plutôt la contractualisation. En effet, si l'on met en place de tels contrats, ce qui semble être la bonne voie, il faut bien penser aux moyens dont nous disposons pour les honorer, sous peine de créer des déceptions et des frustrations énormes. Nous en sommes aujourd'hui à ce point : Natura 2000 est un outil extraordinaire et révolutionnaire, mais ni l'Union européenne ni les États-membres ne mettent les moyens financiers suffisants pour assurer une véritable politique de l'environnement.

Il serait dommage qu'un tel outil, capable d'impulser de telles dynamiques en matière d'aménagement, reste ainsi inutilisé. Nous devons donc informer encore et encore les acteurs, et demander au ministère de donner à Natura 2000 les moyens d'exister.

2. M. Maurice Bruzek, président de la Fédération française de randonnée pédestre

C'est en tant que représentant du plus grand stade naturel de France, sur lequel nous pourrions apposer un panneau où nous lirions : « A chaque heure du jour Natura 2000, nous sommes pour ! », que j'interviens. Par ma voix, ceci peut également être considéré comme le message du Comité national olympique et sportif français.

Nous ne savons peut-être pas assez, en tant que « spécialistes », que le mouvement associatif a fait sien Natura 2000. Ainsi la Fédération française de randonnée pédestre aménage le territoire, avec plus de 200.000 kilomètres de sentiers de grande randonnée et de promenade, un travail accompli en harmonie avec les collectivités territoriales. Elle participe au développement économique, à travers le tourisme. Une telle fédération peut donc constituer un acteur majeur du travail réalisé et à venir.

Sait-on par ailleurs que le Comité national olympique a créé il y a six ans le Conseil national des sports de nature ? Celui-ci regroupe 40 fédérations qui travaillent sur Natura 2000 et le développement durable. Ce Conseil attend aujourd'hui que se mettent en place les commissions départementales des espaces, des sites et des itinéraires. Ces CDESI joueraient le rôle d'un parlement départemental où seraient représentés tous les acteurs d'un territoire. Nombre de conflits d'usage pourraient être résolus au sein de telles commissions départementales, ce niveau étant celui qui permet aujourd'hui le plus facilement de se rencontrer. Ces CDESI seraient aussi un moyen de mutualiser les compétences. Puisque l'on demande au milieu associatif de se professionnaliser, de telles assemblées lui permettraient de recueillir les connaissances et les savoir-faire nécessaires de chaque acteur.

Le Comité national olympique et sportif a passé un accord Natura 2000, voici trois ans, avec le Syndicat intercommunal des Gorges de l'Ardèche et de leur région naturelle (SIGARN), et avec le CREPS Rhône-Alpes. Le Comité a financé à hauteur de 35.000 euros des études et des travaux sur les pratiques sportives en milieu naturel. L'objectif est, entre autres, de diffuser les résultats de ces travaux à toutes les fédérations sportives. Ces exemples nous prouvent que les fédérations sportives, et plus largement les associations, veulent participer, afin d'être acteurs paritaires du tissu territorial.

3. M. Frédéric Léonard, président de l'agence de communication Hickory, spécialisée dans le développement durable

Certains projets Natura 2000 entrent en phase de gestion, ce qui va poser des problèmes de financements, je n'y reviendrai pas, mais aussi des problèmes de communication, notamment parce que les zones désignées ne sont pas des enclos au sein des territoires : elles seront donc traversées par des gens à qui il faudra expliquer ce qui s'y passe.

La communication devra ainsi s'organiser autour d'un vocabulaire qui soit compréhensible par tous et qui évite les écueils de sens. Il faudra expliquer, se concerter et entretenir ce processus. À l'échelon local, des exemples nous ont montré que cela était possible sans trop de difficulté.

Au niveau départemental ou régional, par contre, des retours de communication devront être organisés en direction du plus grand nombre. En effet, il s'agira de valoriser les résultats de six années d'efforts fournis par les bénévoles ou les agents, et il faut surtout éviter le phénomène d'usure.

Au-delà, au niveau national, il conviendra de mettre en oeuvre une communication afin de soutenir les porteurs de la démarche : élus, préfets, responsables d'associations.

Si l'on veut que la démarche connaisse le succès en France, si l'on veut que tout ce qui a été entrepris ait un sens, il faut avoir le souci d'utiliser un vocabulaire simple, compréhensible par le plus grand nombre, qui a justement envie de retrouver la nature et de comprendre un minimum les choses.

Notons que cette communication n'est pas obligatoirement très onéreuse, mais qu'elle demande surtout du bon sens et une bonne connaissance des territoires.

4. Mme Agnès Fortier, chargée de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)

J'interviens ici, au nom du réseau Grenat qui est un groupe de recherches sur la nature, réunissant plusieurs chercheurs, sociologues, appartenant à des institutions diverses (Université, CNRS, INRA). Nous travaillons sur la mise en oeuvre de la directive Habitats en France depuis 1997.

A l'occasion d'une première réflexion engagée au cours de la phase d'inventaires, nous avons montré que les difficultés de mise en oeuvre de cette directive renvoient à des conflits d'intérêts et de légitimité entre deux mondes qui s'affrontent : celui des acteurs de la protection de la nature -administratifs, scientifiques et naturalistes- et les principaux gestionnaires de l'espace rural réunis au sein du Groupe des Neuf. Même si ces deux entités sont loin d'être homogènes, l'étendue des controverses est à la hauteur des enjeux qu'elle comporte. En effet, la directive Habitats remet en cause la conception classique de la politique de la nature à la fois dans ses objectifs et dans ses modalités d'application. Il ne s'agit plus de préserver les espèces ou les espaces qualifiés de remarquables, mais de prendre en compte les différents niveaux d'organisation du vivant et ce, sur l'ensemble du territoire, y compris les espaces cultivés. Par ailleurs, la conservation de la biodiversité ne repose plus sur une logique de protection, mais sur une démarche de gestion qui intègre une pluralité d'acteurs. La directive Habitats constitue de ce point de vue un enjeu important en terme de recomposition sociale et territoriale.

Les travaux que nous menons actuellement se concentrent sur la réalisation des DOCOB. L'une de nos pistes de réflexion concerne précisément les processus de concertation à l'oeuvre dans ce cadre. Pour favoriser l'appropriation de la démarche par les acteurs locaux, le ministère de l'Écologie et du Développement durable a choisi de recourir à un dispositif qui vise à impliquer l'ensemble des acteurs concernés. D'où la mise en place de multiples lieux de débats, de discussion sous forme de comité de pilotage, groupe de travail, secrétariat technique etc. En tant que sociologues, nous analysons ce qui s'opère au sein de ces collectifs, en adoptant comme postulat que la concertation n'a rien de mécanique. Il ne suffit pas de décréter la mise en place d'espaces de débats, de négociation, pour qu'un véritable travail d'échange, de confrontation, de co-production de connaissances voie le jour.

Nos premières analyses nous amènent à faire le constat suivant : la démarche de concertation engagée concourt à un rapprochement des structures et des acteurs mobilisés. Elle permet à un certain nombre d'entre eux qui n'avaient jamais été amenés à travailler ensemble de se rencontrer, d'échanger, de confronter leurs savoirs et leurs expériences. La prise en compte des intérêts et des contraintes de chacun conduisent ainsi à des phénomènes d'apprentissage mutuels. Mais cela ne signifie pas pour autant que les controverses aient disparu, car des conflits de pouvoir et des rapports de force subsistent. L'intérêt précisément de ces collectifs est de permettre l'expression de ces divergences, la mise à plat des tensions susceptibles de déboucher ensuite vers la recherche d'accords et de compromis.

La question qui se pose aujourd'hui est celle de l'impact et des conséquences de ces accords. Va t-on assister à l'émergence de nouvelles formes de lien social entre acteurs et institutions ? Les rôles et les compétences de chacun vont-ils être redéfinis ? Tout ceci doit, et devra être envisagé au cas par cas compte tenu de la diversité des situations locales.

Pour conclure, je voudrais insister sur le caractère pragmatique et expérimental de cette démarche avec toutes les difficultés et les incertitudes qu'elle comporte. Incertitudes sur le plan scientifique, la science n'étant pas en mesure de fournir des réponses à l'ensemble des questions posées. Contraintes sociopolitiques ensuite, qui freinent la mise en place d'une démarche de type partenariale. Et enfin, contraintes financières qui n'incitent pas les acteurs locaux à s'engager dans la démarche. Dès lors, il n'est pas surprenant que la mise en oeuvre de cette directive soit lente, parfois confuse, et délicate à entreprendre.

5. M. Jean-Louis Joseph, président de la Fédération des parcs naturels régionaux de France

Les parcs naturels font depuis longtemps du développement durable et du Natura 2000.

Notre métier est d'élaborer et de mettre en oeuvre une charte de manière concertée, et d'associer ainsi la démocratie participative à la démocratie élective. Des exemples en ce sens ont été évoqués ce matin, exemples dans lesquels la concertation indispensable n'a pu se mettre en place qu'en s'impliquant vraiment sur le terrain, avec les pêcheurs ou les bergers, les agriculteurs ou les chasseurs !

Je partage ainsi l'idée que les comités de pilotage devraient être menés par des collectivités territoriales et que les préfets gardent leur fonction de contrôle, d'expertise et d'évaluation.

J'insiste également sur l'investissement en moyens humains et en outils de sensibilisation indispensables pour une concertation réussie ce qui nécessite que le soutien financier soit pérenne.

Ce colloque marque un tournant important : du temps de l'incompréhension, nous passons à celui de la concertation, avant de nous engager dans la gestion, véritable enjeu de la réussite de Natura 2000. Enfin, il faut rappeler que ce réseau écologique est un bon label du patrimoine commun européen, et il ne faut surtout pas oublier qu'ainsi nous construisons l'Europe.

Débat avec la salle

Mme de la Sauzay, présidente du Syndicat de la propriété privée rurale

La propriété privée est-elle toujours privée dans un réseau Natura 2000 et qu'en est-il de la perturbation du portefeuille du propriétaire... ?

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Si vous habitez dans un village qui présente des spécificités architecturales et esthétiques, est-ce que l'on remet en cause votre droit de propriété si l'on vous demande de repeindre votre porte en vert ou en bleu ? Non ! Nous sommes ici dans le même cas de figure : la propriété n'est pas remise en cause.

Ne diabolisons pas le dispositif, surtout avec la rumeur, cette arme terrible qui détruit tout...

Intervention de la salle

La cartographie des sites n'utilise pas le cadastre. Pourtant, on pourrait être plus précis dans la désignation et cela serait utile pour les propriétaires comme pour la gestion des sites. Par ailleurs, cela permettrait de trouver les propriétaires, que l'on pourrait ainsi prévenir directement, ce qui éviterait bien des réticences.

M. le sénateur Jean-François Le Grand peut-il s'engager ici à ce que les propriétaires soient ainsi systématiquement prévenus officiellement de la désignation des zones Natura 2000 qui les concernent ?

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

La réponse est « oui » ! Cela rejoint la notion de concertation, largement abordée depuis ce matin. En ce sens, il faut comprendre que le degré de ce qui est communiqué doit tout de même dépendre du niveau d'élaboration du document. Lorsqu'il y a potentialité de désignation d'une zone, il serait bon qu'en amont, les propriétaires interviennent pour manifester éventuellement leurs craintes, ou en tout cas pour signifier leurs interrogations.

M. Guy Monjou, Fédération des chasseurs de Charente

Les chasseurs sont ceux qui payent le plus pour utiliser la nature. Il me semblerait logique que tous les utilisateurs de cette nature, quels qu'ils soient, payent aussi s'ils veulent la conserver en bon état...

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

On ne peut mener une politique de riche sans en avoir les moyens...

Nous devons distinguer le souhaitable du possible. Visons d'abord le possible, sans abandonner l'idée de continuer à aller vers le souhaitable.

Mme Geneviève Magnon, chargée de mission Natura 2000, Communauté de communes du plateau de Frasne Val-de-Drugeon

Un certain nombre de sites en France n'en sont plus aux DOCOB, mais à la phase de contractualisation, ce qui représente un travail très important...

Pour ces contrats il est nécessaire de trouver des propriétaires volontaires, que nous devons aller chercher sur le terrain. L'animation se poursuit donc... et doit continuer à être financée.

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Lorsque l'on s'engage pour cinq ans, la question que l'on se pose immédiatement sur le terrain est : « Et après ? »... Nous devons effectivement répondre à cela, et nous en avons une certaine expérience via les parcs naturels, qui n'ont pas été créés pour cinq ans !

L'engagement dans un territoire est financier, certes, mais plus encore sociétal, et c'est la force de ce dernier qui fait socle. Mon rapport proposera quelques suggestions dans le sens de la pérennisation des engagements.

M. Arnaud Colson, directeur environnement, Groupe Lafarge

Ne serait-il pas possible de disposer aujourd'hui d'une grille de lecture de la mise en oeuvre de la directive européenne, pays par pays ? Quels problèmes se posent ? Comment la France se positionne-t-elle ?

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Une telle grille de lecture sera intégrée au rapport que je prépare, mais souvenons-nous que les actions sont très disparates...

Je sais que l'Espagne désigne beaucoup (25 % de son territoire...), se disant que cela apportera plus de moyens financiers. Le résultat est que nos voisins hispaniques sont loin de la phase de gestion...

Un ministre espagnol me disait dernièrement qu'ils allaient s'engager sur la voie réglementaire, puisque de toute façon il n'y aura pas d'argent pour procéder autrement. Je ne sais quelle sera la réaction « culturelle » face à cette manière de procéder.

Malgré les retards que nous avons pris, je me félicite de la voie empruntée par notre pays : engager concomitamment la désignation, les DOCOB et la gestion nous évitera certainement des réveils douloureux.

Mme Marie Anne Isler Béguin, députée européenne, membre de la Commission de l'environnement du Parlement européen

Voie réglementaire ou voie contractuelle : il a déjà été remarqué qu'il s'agissait là d'un faux débat. N'oublions pas que la démarche est expérimentale et souple : ce sont les plans de gestion qui in fine vont mener les choses, et ceux-ci doivent être adaptés aux territoires, aux espèces et aux espaces. Même les gestionnaires en action depuis parfois 10 ou 15 ans sont amenés à faire évoluer leurs plans en fonction des connaissances nouvelles ou de tout autre changement.

En ce sens nous constatons une forte demande pour la création d'un bureau-relais européen auquel tout acteur puisse se référer. Il recevrait les retours des différentes expérimentations menées dans les Etats-membres. Pour combler cette lacune, la Commission est actuellement en train de créer un bureau indépendant et ouvert qui contribuera largement à ce que chacun s'y retrouve au sein de tous ces micro-laboratoires d'expériences de développement durable sur le territoire européen.

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Sans vouloir prolonger ce débat, puisque effectivement il s'agit toujours de mettre en oeuvre un assemblage de contrats et de réglementations, je noterai tout de même que la voie contractuelle est celle qui permet d'engager la concertation, dont nous avons montré qu'elle était strictement indispensable.

Nos débats vont s'arrêter ici, et nous allons laisser la place aux conclusions du Président Gérard Larcher et de Mme la ministre Roselyne Bachelot.

Je vous remercie tous d'avoir participé pour faire en sorte que le rapport dont j'ai la charge soit le plus constructif et efficace possible.