CONCLUSION DU COLLOQUE

M. Gérard Larcher,
sénateur des Yvelines,
président de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat

Madame la Ministre, vous m'avez récemment fait part de votre préoccupation de faire de Natura 2000 un lieu de rencontre ou de retrouvailles : ce fut le cas ici-même aujourd'hui.

Ce rendez-vous important, sans écarter les difficultés, fait de la concertation et du consensus de proximité un outil majeur pour entrer dans une phase effective de mise en oeuvre de Natura 2000.

Je rappellerai quelques évidences.

L'espace naturel en France appartient toujours à quelqu'un. Les premiers utilisateurs de ces espaces sont soit les propriétaires, soit les exploitants, qui ont été durant quelques années considérés comme les « manants des savants »... Là réside je crois l'une des causes de l'échec de l'application de Natura 2000 sur le terrain. Nous devons donc reconstruire cette rencontre essentielle entre le citoyen et le scientifique .

Nos débats cet après-midi traitaient du bon usage des directives. Cela me rappelait un débat récent sur la chasse qui soulignait que tout allait bien lorsque les services du ministère de l'Agriculture et ceux du ministère de l'Environnement travaillaient en réseau.

S'agissant des mesures de gestion à préconiser sur les sites désignés, la reconnaissance et la poursuite des activités en cours assorties de l'acceptation d'une veille d'observation suffiraient dans bien des cas à atteindre les objectifs de la directive. Les manants, dont je suis, doivent accepter cette veille.

Si nous nous sommes montrés optimistes quant à l'outil lui-même, le pessimisme est apparu quant aux moyens à définir pour honorer les contrats. Des choix ciblés seront à faire, à la lumière de nos expériences, comme celles des parcs régionaux par exemple.

Nous avons évoqué le deuxième pilier de la PAC. Celle-ci ne pourrait-elle financer un certain nombre de contrats qui intègrent Natura 2000 ? Je pense en l'occurrence aux aménagements forestiers, aux schémas cynégétiques ou piscicoles. À un moment où l'argent public est rare, il nous en faut imaginer une meilleure utilisation.

La nécessité de redonner du sens à Natura 2000 a également été soulignée, notamment par le choix d'un vocabulaire accessible, qui réconcilie les citoyens avec le dispositif, tant il est vrai qu'une politique ne peut se mettre en place que si elle est acceptée par tous.

C'est avec pragmatisme et loin des intégrismes que nous pourrons réussir Natura 2000.

ALLOCUTION DE CLÔTURE
Mme Roselyne Bachelot-Narquin,
ministre de l'Écologie et du Développement durable

Le moment est venu de conclure ce colloque au titre mobilisateur : « Réseau Natura 2000, pour une mise en valeur concertée du territoire ».

D'abord, Monsieur le président Gérard Larcher, je tiens à saluer l'initiative de la Commission des affaires économiques et du Plan du Sénat d'avoir lancé une réflexion et un débat sur Natura 2000. Le fait que votre commission se soit impliquée n'est pas neutre. Il témoigne de votre souci de porter Natura 2000 non pas comme une contrainte, mais bien comme une opportunité de valorisation des territoires concernés.

Pour ce faire, vous avez confié il y a quelques mois une mission d'information au sénateur Jean-François Le Grand. Je m'en réjouis car vous avez fait là avant tout le choix de l'expérience :


• expérience du terrain car, dans son département de la Manche, le président Jean-François Le Grand a engagé un travail exemplaire de démocratie participative pour faire progresser la protection de l'environnement dans la voie du développement durable ;


• expérience du parlementaire, car le sénateur Jean-François Le Grand a déjà commis un rapport parlementaire en 1997 sur les difficultés de Natura 2000, et interpellé le précédent gouvernement pour relancer l'indispensable concertation.

Ce colloque aura été l'occasion d'un débat ouvert, à un moment charnière où le réseau de sites se concrétise et où il nous faut passer à la gestion. Vos échanges ont été riches et je souhaite que des temps de mobilisation aussi fructueux se reproduisent à l'avenir.

En effet, il faut, comme l'a souligné le sénateur Jean-François Le Grand, redonner du sens à Natura 2000 et oeuvrer à son appropriation locale.

J'ai eu l'occasion de le dire à de nombreuses reprises, l'ambition du gouvernement est de faire de la labellisation « Natura 2000 » un outil privilégié de mise en valeur et de développement durable de territoires ruraux remarquables par leur biodiversité.

Il s'agit ni de nier les difficultés de mise en oeuvre, ni d'imputer à ce processus des difficultés qui relèvent d'autres procédures juridiques, ou de mutations autrement profondes.

Au lendemain de l'adoption en Conseil des ministres de la charte de l'environnement, qui consacrera, dans le préambule de notre Constitution -c'est-à-dire au plus haut niveau de notre droit- la prise en compte de l'environnement, cette volonté prend toute sa signification. Sur mes instantes demandes, le gouvernement français a par ailleurs veillé, et veillera encore, à ce que la future Constitution européenne reprenne les principes de notre charte. Elle est encore trop modeste sur ce thème.

Natura 2000 constitue une chance, un juste retour, pour le monde rural qui veille au quotidien sur l'essentiel de nos ressources naturelles (l'eau, le sol, la faune, la flore...) et qui est à l'origine des pratiques qui ont permis le façonnage et la conservation de ce patrimoine.

Dès mon arrivée au ministère, il y a un an, ma priorité a été de relancer la concertation et le travail qui a été effectué ces derniers mois sur le terrain est notoire.

Ce réseau écologique ne peut se construire que localement, autour d'un projet de territoire, conformément aux principes de la gouvernance locale auxquels, comme beaucoup d'entre vous, je suis très attachée. Il nous faut faire confiance aux habitants, propriétaires et gestionnaires locaux -agriculteurs, forestiers, chasseurs, pêcheurs- et leur restituer une part des bénéfices que la société dans son ensemble tire de leur action au quotidien.

Avec la multiplication et l'avancée des concertations locales, les oppositions formelles aux procédures font peu à peu place au dialogue et à l'adhésion. Cependant, je note que la compréhension du projet Natura 2000, et donc son acceptation, demeurent encore fragiles, particulièrement pour les zones de protection spéciale et pour les oiseaux.

Le réseau est encore perçu avec méfiance, et parfois vécu sur le terrain comme une « interdiction » ou, pis, comme une « confiscation », alors que ce sont les populations rurales qui ont façonné, sauvegardé et patiemment entretenu ces milieux aujourd'hui reconnus exceptionnels pour leur biodiversité.

Natura 2000 est d'abord un objectif : celui de contribuer à l'enjeu national et international de lutte contre la réduction de la biodiversité sur notre planète . C'est une responsabilité de chacun à l'égard d'un héritage vulnérable dont nous sommes collectivement dépositaires. À cet égard, la France produira d'ici 2004 sa stratégie nationale pour la diversité biologique, conformément à ses engagements multilatéraux.

Mais la préservation de la biodiversité dépasse la seule protection de la nature et doit être entendue et valorisée comme un atout pour nos territoires et pour la société, pour nos campagnes et leurs habitants.

Des espaces riches de biodiversité apportent des services considérables à l'homme, non toujours perceptibles par le citoyen. Citons par exemple le rôle hydrologique régulateur des milieux aquatiques et des zones humides, leur formidable capacité à dépolluer, la productivité primaire exceptionnelle des estuaires et leur rôle essentiel dans le cycle de vie de nombreuses espèces de poissons faisant l'objet d'une activité de pêche, le rôle de stockage de carbone des forêts, sans oublier le remarquable cadre de vie que les espaces naturels constituent bien souvent. Ils permettent aussi de générer des activités économiques, particulièrement dans les domaines pharmaceutiques ou touristiques, et de contribuer ainsi à la lutte contre le déclin de certains territoires.

Or, en Europe, comme ailleurs dans le monde, ces habitats et ces espèces continuent de se dégrader et les analyses à notre disposition montrent bien l'urgence qu'il y a à agir dans ce domaine, pour les générations actuelles et les générations futures. Cet axe est d'ailleurs clairement identifié dans la stratégie nationale du développement durable adoptée le 3 juin dernier en comité interministériel.

Il s'agit, dans « l'esprit de Rio », cher au Président de la République, de chercher à concilier simultanément cette préservation avec l'utilisation rationnelle du territoire et des ressources naturelles.

Une fois l'objectif défini, comment progresser pour construire et gérer notre réseau Natura 2000 ? Je vous propose une méthode et une priorité.

Natura 2000 passe par la définition d'une méthode et par la mobilisation des acteurs. Cette démarche doit être intégratrice : intérêts écologiques, économiques, sociaux et culturels y sont en effet très intimement mêlés.

Il est donc primordial que les élus locaux soient à la pointe de l'implication, du dialogue et de la concertation autour de Natura 2000 sur le terrain. Les collectivités locales ont un rôle capital à jouer dès la phase d'élaboration des DOCOB, dans le choix de l'opérateur, dans l'animation, dans la définition des orientations de gestion, le choix des outils à mobiliser, qu'ils soient locaux ou nationaux.

Sur ce point, nous ne partons pas de rien ! Je veux rappeler et saluer le travail à l'oeuvre depuis longtemps au niveau des collectivités en faveur de la nature : que ce soit les conseils régionaux, dont certains ont créé des agences régionales pour l'environnement, ou les conseils généraux, à travers l'utilisation de leur TDENS (taxe départementale sur les espaces naturels sensibles), ou les parcs naturels régionaux, ou encore les collectivités gérant des territoires du conservatoire du littoral, des opérations grands sites, etc.

L'État doit, quant à lui, rester garant des objectifs du réseau Natura 2000, c'est-à-dire comptable de ses engagements européens, gardien des libertés fondamentales, éditeur de normes et de références. Il importe qu'il conserve en quelque sorte le « logiciel central » du dispositif, notamment afin de veiller à la cohérence du réseau au niveau local et garder la capacité d'évaluation.

Les échelons de la concertation doivent être multiples :

- l'échelon local , via les comités de pilotage des sites, où toutes les questions doivent être ouvertement abordées, sans tabou. Vous avez, Jean-François Le Grand, suggéré que les comités de pilotage puissent être présidés par des élus. Cette proposition rejoint mes préoccupations et elle pourrait être rapidement mise en oeuvre.

En revanche, la validation du DOCOB devrait rester, à mon sens, et je vous rejoins également sur ce point, une prérogative de l'État pour garantir l'objectif général. On est bien là dans une démarche contractuelle : débat local porté par les élus, labellisation par l'État. On peut s'inspirer de l'expérience de la politique des parcs naturels régionaux, où les collectivités disposent de l'initiative et sont responsables de la gestion, mais où l'État donne le label.

- l'échelon départemental : le bénéfice d'un dialogue au niveau départemental apparaît aujourd'hui à tous incontestable s'il est conduit de façon systématique et régulière. Il permet l'information de tous les acteurs sur l'avancement et le fonctionnement du réseau au plan local, mais aussi sur ce qui est conduit au niveau national et communautaire.

Le rôle du préfet est ici essentiel, car il s'agit de veiller à la cohérence avec les autres politiques publiques : agricole, forestière, touristique, d'aménagement de l'espace, d'urbanisme et de discuter de l'évaluation des DOCOB. Dans cette instance d'information, d'échanges et de mise en cohérence, je crois très souhaitable la présence active, aux côtés du préfet, des élus départementaux et régionaux.

- l'échelon régional : j'ai demandé aux préfets de se rapprocher des présidents des Conseils régionaux afin d'organiser et de développer ensemble l'information, le partenariat, l'évaluation de la politique et des moyens engagés. J'ai souhaité aussi qu'ils s'appuient sur les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel qui doivent apporter la caution scientifique.

- enfin, un échelon plus large , par exemple le massif ou le rivage, pourrait permettre de donner toute sa cohérence, dans des zones aux conditions écologiques homogènes, et avec l'appui par exemple des conservatoires botaniques nationaux, à la construction du réseau national des sites.

La gestion des sites passe prioritairement par la contractualisation. La démarche d'élaboration des DOCOB est actuellement engagée sur plus de 600 sites, achevée sur environ 170 d'entre eux. Ces sites portent déjà ou porteront des contrats Natura 2000 dans un objectif « gagnant-gagnant ».

Le sénateur Jean François Le Grand a insisté sur la notion de « bonnes pratiques de gestion » qui n'appellent pas de rémunération particulière au titre de Natura 2000 et je soutiens son analyse car cela est en effet essentiel.

À ce titre, la mise en oeuvre de Natura 2000 est l'occasion d'examiner la cohérence de l'action publique au regard des enjeux multiples et d'identifier les mécanismes les plus efficaces et les moins coûteux qui seraient susceptibles d'encourager un comportement de bon gestionnaire de la part des propriétaires, des exploitants et des usagers.

Les contrats d'agriculture durable, mis en place par mon collègue Hervé Gaymard, vont dans le sens de mes préoccupations, notamment par le renforcement du caractère territorial du dispositif et par le ciblage plus affirmé sur les enjeux environnementaux.

Pour ma part, dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, je défends l'affectation de moyens nécessaires à l'animation des DOCOB et au lancement des contrats Natura 2000.

Concernant la contribution européenne, j'ai tenu à ce que la France prenne une initiative, lors du Conseil des ministres de l'environnement du 13 juin dernier à Luxembourg, pour notamment accélérer la mise en place de financements européens. En particulier, la France a proposé de cibler davantage la mobilisation du fonds LIFE sur le réseau Natura 2000, et de mieux structurer la réflexion commune sur la question cruciale du financement.

Comme vous le voyez, mon objectif n'est autre que de rendre Natura 2000 enfin concret.

À l'instar de ce qu'a fait la région wallonne en Belgique, je souhaite également que la voie de l'allégement fiscal soit explorée et je remercie le sénateur Jean-François Le Grand des suggestions qu'il a faites ce matin dans ce domaine ; j'ai récemment obtenu l'agrément de mon collègue Francis Mer pour étudier la question.

Comme vous le savez, le processus d'identification des sites devant constituer le réseau Natura 2000 a été long et difficile. Le retard pris par la France dans la constitution de son réseau lui a valu d'être condamnée deux fois par la Cour de Justice des Communautés européennes, sur chacune des directives, Habitats et Oiseaux.

Aujourd'hui, on constate des avancées significatives, qu'il faut néanmoins consolider. La France a proposé à l'Europe 1.202 sites (environ 4 millions d'hectares), au titre de la directive Habitats, et 119 zones de protection spéciale (ZPS) ont été désignées au titre de la directive Oiseaux, qui représentent plus de 930.000 hectares. Aboutir à un réseau complet est impératif pour éviter de nouvelles condamnations de la Cour de justice des Communautés européennes, caractérisées cette fois-ci par de lourdes astreintes. Inutile de rappeler que ces astreintes seraient à la charge de l'Etat, donc des contribuables.

Les efforts les plus importants à consentir concernent les ZPS, tant les méfiances sont encore vives sur certains sites. Pour avancer, il nous faut changer de méthode en introduisant, comme le souligne le sénateur Jean-François Le Grand, davantage de démocratie participative dans un processus défini en toute transparence. En premier lieu, il s'agit de disposer d'une évaluation du réseau actuel des 119 ZPS et des propositions que m'ont transmises les préfets. J'ai demandé cette évaluation scientifique au Museum et je la communiquerai aux membres du Comité national de suivi dès qu'elle m'aura été remise. En second lieu, je veillerai à ce que la sélection et la désignation des ZPS se fassent dans la transparence, sur la base de critères scientifiques. À cette fin, je vais proposer au Comité national de suivi un processus de travail mobilisant l'expertise de scientifiques nationaux et associant les acteurs concernés de ce Comité. Il est indispensable de construire des méthodes de travail ouvertes et transparentes, pour cadrer les efforts qui restent à accomplir pour construire notre réseau de ZPS.

Je sais que de nombreux acteurs restent préoccupés par la notion de « perturbation ». À ceux qui trouvent que trop d'incertitudes subsistent, je rappelle que les grands principes ont déjà été définis au niveau national par le comité national de suivi et que les conditions d'appréciation de la perturbation se discutent et se définissent au niveau du site, dans le cadre du comité de pilotage, à travers la démarche du DOCOB. Le préfet aura naturellement à veiller au respect du cadre national et assurera un rôle d'arbitrage, le cas échéant, pour garantir la prise en compte des intérêts en présence.

Monsieur le sénateur Jean-François Le Grand, je serai très attentive à vos propositions rapides sur ce dossier des ZPS pour en finir avec le contentieux européen et passer à la gestion des sites avec les acteurs.

Natura 2000 ne se fera pas contre mais avec nos concitoyens. Il est temps de faire reconnaître ce réseau comme une marque de qualité de nos espaces en termes de richesse naturelle, et un exemple de nouvelle gouvernance pour des territoires remarquables . Pour réussir, il nous faut engager une dynamique de confiance avec les acteurs locaux, entreprendre un travail de conviction vers une véritable démocratie participative autour de projets de territoire.

Cette dynamique est en marche sur le terrain : je l'ai constatée dans mon département, en Maine-et-Loire, mais aussi lors de mes déplacements, notamment en Auvergne, en Vendée, et tout récemment en Savoie. Partout dans le monde, le patrimoine naturel véhicule des valeurs universelles de responsabilité à l'égard de la biodiversité et d'appartenance à des territoires culturels. Je compte sur vous pour que les dynamiques en marche contribuent dans notre pays à la consolidation de ces valeurs universelles.