Première table ronde :

Mieux comprendre le cadre et les enjeux de Natura 2000

1. M. Bertrand-Pierre Galey, directeur général du Muséum national d'histoire naturelle

Le Muséum national d'histoire naturelle joue dans le cadre de Natura 2000 le rôle auquel le destine sa mission générale, à savoir une mission de recherche, de conservation, d'expertise, d'enseignement et de diffusion de la culture scientifique. Il est ce que j'appelle un centre de ressources sur la nature et sur les relations de l'homme avec celle-ci. À ce titre, le ministère de l'Écologie et du Développement durable nous met à contribution de diverses manières :

Nous intervenons, en effet, dans les processus de protection de la faune et de la flore, et dans les processus d'inventaires de la nature vivante sur le territoire national. Nous conseillons le ministère sur les aspects scientifiques quantitatifs concernant les habitats, la présence des espèces et l'évaluation scientifique des politiques de protection envisagées.

Nous sommes également consultés par les DIREN dans un premier temps, par le ministère lui-même lors des étapes suivantes, et au moment de l'intervention du Conseil national du patrimoine naturel.

Nous nous appuyons sur les travaux de nos scientifiques et travaillons en collaboration très étroite avec les collectivités territoriales et les associations ou administrations présentes sur le terrain. Nous centralisons et ordonnons les données que nous utilisons ensuite pour des travaux prospectifs ou pour fournir au gouvernement les éléments nécessaires à ses prises de décisions. Nous avons, enfin, dans certaines de nos missions, des relations très fécondes avec les collectivités territoriales qui nous demandent d'être, en quelque sorte, leur prestataire de service.

2. M. Pascal Ferey, secrétaire général adjoint, en charge de Natura 2000, à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Depuis 1991, je travaille sur un territoire sensible. Les agriculteurs le désertent car il est difficile à exploiter et la gestion des niveaux d'eau est source de conflits permanents. Entre l'agriculture, la chasse, la pêche et le tourisme les tensions sont quotidiennes.

À l'initiative d'un certain nombre d'élus, des cellules de réflexion, dans lesquelles les agriculteurs se sont impliqués, ont été mises en place.

De ce fait, lorsque la directive Habitats est entrée en scène, avec, notamment, l'établissement des DOCOB, nous n'avons pas été surpris. Les tensions étaient apaisées depuis longtemps, la confiance s'était à nouveau installée entre les acteurs et ce document a ainsi pu être établi sans difficultés.

M. Jean-Laurent Bernard, rédacteur en chef de France Bleu Provence

Votre expérience est-elle représentative de celle d'une majorité d'agriculteurs ?

M. Pascal Ferey, secrétaire général adjoint, en charge de Natura 2000, à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Le message que je suis habilité à porter au nom de la FNSEA est majoritaire. Le monde agricole a des devoirs, et depuis fort longtemps, il cultive un patrimoine aujourd'hui très riche. Mais ce monde agricole a aussi des droits, qu'il tient à préserver. Il est engagé sur la conservation des sites, sans le savoir, et ce depuis toujours. Aujourd'hui, on lui dit qu'il faut le faire...

C'est en ce sens qu'un long chemin reste à parcourir pour rétablir un climat de confiance entre les différents partenaires. Dans un certain nombre de territoires, les discussions à venir vont être difficiles.

Tous les acteurs devront respecter leurs engagements. L'État, tout d'abord, dans le cadre de la loi contractuelle sur les contrats territoriaux d'exploitation (CTE). Il est prévu qu'une majoration de 20 % soit versée aux personnes engagées. Or, cela n'a pas été fait. Si l'État agit ainsi, pourquoi les autres acteurs impliqués devraient-il se sentir tenus par leurs engagements ? Ainsi, ceux qui avaient fait preuve de bonne volonté sont devenus méfiants vis-à-vis de ces mesures.

Certaines DIREN ont fait un remarquable travail pédagogique, mais pas toutes. Le dialogue devra donc être renoué, voire engagé, dans certains départements. De même, si sur certains territoires les agriculteurs ont fourni d'importants efforts, ailleurs, il arrive qu'aucune initiative n'ait été prise.

Je crois qu'il faudra faire table rase du passé. D'une part pour progresser sur les engagements déjà pris, d'autre part, pour se conformer aux nouvelles obligations à venir. Et il est à prévoir que d'importantes difficultés seront soulevées sur les territoires où rien n'a été entrepris.

La FNSEA privilégie depuis longtemps la voie du contrat par rapport à celle du règlement. Passer en force par la voie réglementaire serait le signe d'une mort annoncée ! De nombreux acteurs, dont les agriculteurs, se retireront, et nul n'ignore ce que devient une zone humide sans bovins et sans paysans...

Pour éviter cela, les DOCOB ne devront pas tomber dans des excès de pointillisme, mais ils devront tirer les grands traits des actions à mener.

Par ailleurs, l'information devra être totalement transparente, il faudra répondre précisément aux questions que se poseront les propriétaires. À l'échelle départementale, des comités de pilotage présidés par des élus devront être mis en place. Ces derniers devront alors assumer leurs responsabilités.

Le plus difficile reste à venir : le suivi, l'évaluation et les enseignements à en retirer.

Il faudra garder à l'esprit que tout ce qui sera au-delà de la réglementation devra être compensé, indemnisé, rémunéré. Par ailleurs, les activités de chasse, de pêche et de tourisme doivent aussi être prises en compte. Enfin, l'État français doit tenir ses engagements... Il est en effet inadmissible que dans une république, les premiers manquements aux engagements proviennent de l'État lui-même.

Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Les réflexions de M. Pascal Ferey me semblent fondamentales pour nos échanges. Elles relèvent du bon sens, et traduisent une obligation morale d'agir qu'il faut saluer. Les agriculteurs sont les acteurs et gestionnaires les plus présents pour la gestion de nos espaces ruraux et donc les premiers concernés par Natura 2000.

3. M. Michel Métais, directeur de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)

En préambule, je trouve intéressant de rappeler qu'en 1992, chasseurs et protecteurs de la nature demandaient conjointement au ministre de l'Environnement de l'époque l'adoption de la directive Habitats en discussion à Bruxelles. Les associations de protection de la nature souhaiteraient une plus grande mobilisation des collectivités territoriales pour cet outil majeur de protection du patrimoine naturel.

Juridiquement, la mise en oeuvre de Natura 2000 correspond à la déclinaison de directives et non de règlements européens. À ce niveau, les engagements de l'État français portent essentiellement sur la désignation suffisante de sites et la retranscription en droit interne des directives Oiseaux et Habitats. Sur cet aspect, le travail fait en France est juridiquement solide.

La retranscription nationale des directives Habitats et Oiseaux étant de la responsabilité des pays membres, au nom du principe de subsidiarité, et reposant sur la contractualisation avec les ayants droit, il suffit que la France ait prévu un dispositif de gestion des habitats et espèces des annexes de la directive, ce qu'il fait avec l'élaboration des DOCOB, pour qu'elle soit en règle avec les directives. Seule « contrainte » auprès des collectivités et des particuliers : les aménagements nouveaux qui ne prendraient pas en considération leur impact sur tel habitat ou telle espèce (article 6 de la directive Habitats), mais ce n'est pas une nouveauté car le recours à l'étude d'impact est obligatoire en France, qu'on soit dans une zone Natura 2000 ou non.

La France, à la différence d'autres pays d'Europe, a voulu une démarche contractuelle plutôt que réglementaire et une mise en oeuvre au plus près du terrain et des acteurs locaux.

Il s'agit d'élaborer le DOCOB, sorte de charte de territoire élaboré en concertation avec tous les partenaires locaux. Ce document fait l'objet d'une validation par le préfet, après avis du comité de pilotage du site. Il donne la possibilité aux ayants droit qui supportent concrètement la gestion conservatoire de passer une convention avec l'État sur le même mode que les agriculteurs qui passent des contrats OLAE, sur la base du volontariat.

Les conditions au succès du dispositif adopté reposent sur la participation effective des acteurs locaux et la disponibilité des fonds publics pour honorer les contrats. D'où ces deux interrogations : qui pilote Natura 2000 sur le terrain à l'issue de l'adoption des DOCOB et des moyens financiers suffisants sont-ils disponibles pour la politique contractuelle sur les sites désignés ?

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Je me réjouis de la juxtaposition des propos de MM. Pascal Ferey et Michel Métais. En effet, il me semble qu'aujourd'hui nous devons tout d'abord faire émerger les convergences plutôt que les divergences. Or les convergences sont très fortes sur les objectifs, sur la manière de les atteindre et sur le fait que l'échelon local est incontournable.

J'ajouterai une remarque corollaire. Lorsque l'on dit que l'État doit réaffirmer son engagement, n'oublions pas que l'État... c'est nous ! Il est clair que ce sont bien les élus qui doivent s'approprier la démarche de restauration du processus de Natura 2000. Nous éviterons ainsi l'écueil des initiatives trop personnelles et que l'on tolère, mais chez son voisin.

4. M. Dominique Hoestlandt, président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM)

L'utilisation de l'espace par notre activité ne peut se comparer avec celle de l'agriculture ou de la sylviculture car les carrières n'occupent que 0,2 % du territoire national. Pourtant, nous rencontrons des difficultés grandissantes à obtenir les autorisations nécessaires à l'extraction de matériaux tels que granulats, roches, gypse, qui sont, rappelons-le, nécessaires à l'aménagement de notre pays.

Nos trois mille carrières ont ces dernières années -réglementations aidant- acquis une bonne expérience environnementale, et nous avons pu voir émerger, au sein de nos professions, de vraies compétences sur ces sujets. Par exemple, depuis plus de 10 ans, la filière Granulat, sur une base volontaire, s'est donné une charte qui a financé une série d'études concernant les carrières bien entendu, mais présentant aussi un intérêt général sur le plan de la maîtrise environnementale.

Il est donc clair que nous comprenons et partageons les objectifs de Natura 2000.

Dans la pratique, des difficultés existent toutefois, vis-à-vis desquelles nous désirons formuler cinq propositions.


• Améliorer encore la concertation sur la définition des zones et des DOCOB, et ce, même si au niveau départemental, les choses se passent bien avec les préfets. Il serait plus efficace que nous fassions partie du comité de pilotage national. Nous pourrions ainsi réfléchir à la mise au point de contrats de gestion spécifiques aux carrières situées dans les zones Natura 2000.


• Au moment de la rédaction des DOCOB, nous souhaitons avoir accès aux documents scientifiques qui ont fondé les propositions de classement, de manière à mesurer exactement les problèmes à régler. Cette demande de transparence ne vise qu'à une meilleure compréhension du processus par les différents acteurs.


• Les documents relatifs à Natura 2000 ne tiennent pas compte de la notion de richesse du sous-sol. Il est vrai que celle-ci n'est pas un facteur de dérangement ni de perturbation, tant que l'on ne s'en sert pas ! Au moment où les zones sont classées, il serait utile d'intégrer cette notion de richesse.


• Par ailleurs, la protection des espèces concerne le très long terme ; or une activité extractive n'est que temporaire, environ 20 ou 30 ans, ce qui est court rapporté aux enjeux de protection de la biodiversité. Il serait souhaitable d'assouplir certains DOCOB ou certains textes réglementaires, pour leur faire accepter plus facilement cette occupation temporaire, sous réserve de remettre en valeur les sites exploités ce qui, d'ailleurs, est obligatoire en France.


• Enfin, lorsqu'une carrière a un impact sur le biotope ou sur des espèces locales, il devrait être possible de définir des compensations, même lorsqu'on ne peut exciper de l'intérêt général du projet. Ce régime de compensations, qui est intéressant, devrait voir son application élargie à d'autres types de projets.

5. M. Jean-Marc Février, professeur de droit public à l'université d'Auvergne

Je ne reviendrai pas sur les avanies qu'a connues l'application de la directive Habitats, même si celles-ci expliquent les difficultés de mise en oeuvre que nous connaissons aujourd'hui. Pressé de toutes parts, il semble que l'État en ait fait à la fois trop et trop peu.

« Trop » dans la mesure où dans le cadre de la réglementation et de la législation ont été mis en place des éléments qui n'étaient pas forcément utiles ou pertinents. Il en est ainsi de la pétition de principe selon laquelle les activités piscicoles ou cynégétiques ne sont pas intrinsèquement perturbatrices et qui n'a juridiquement parlant aucun intérêt au plan contentieux. Il s'agit donc d'un message politique adressé sous forme juridique !

Les acteurs parlent fréquemment du manque d'information concernant Natura 2000. En revanche, le législateur et le pouvoir réglementaire ont organisé une procédure de demande d'avis des communes et des établissements publics de coopération intercommunale, procédure qui n'a aucun intérêt puisque le préfet étant en situation de quasi-compétence liée, il doit automatiquement surmonter les avis négatifs.

Le souci de rassurer a laissé une place disproportionnée au procédé de gestion contractuelle. Si ce choix est louable, les aspects de la réglementation ne sont cependant pas suffisamment développés, ce qui risque de poser problème...

L'État en a par ailleurs fait « trop peu » en ne transposant pas suffisamment la directive Habitats sur certains points. Il existe ainsi une béance entre le moment où un site est déclaré d'intérêt communautaire, et le moment où il est effectivement classé par le ministre « zone spéciale de conservation ». La directive implique l'existence d'un régime de protection au même titre que si le site était déjà classé en ZSC. Certes, des jurisprudences assurent une protection, mais la Cour de justice des Communautés européennes a par exemple condamné le Luxembourg dans un arrêt du 13 février 2002.

Une autre insuffisance concerne les études exigées pour les projets d'aménagement affectant une zone Natura 2000, lorsque ce projet se situe hors périmètre, et qui se limitent aux seules études d'impact nécessaires selon le droit de l'environnement classique. Or, il se peut qu'un tel projet induise une influence directe sur le milieu et l'arsenal législatif et réglementaire ne propose rien en ce sens.

Enfin, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé que la gestion contractuelle était non seulement possible mais même souhaitable, mais qu'il était absolument nécessaire pour chaque État-membre de prévoir un dispositif réglementaire pouvant assurer une couverture à 100 % des zones Natura 2000. Rien ne précise aujourd'hui les conditions d'élaboration de cette réglementation « de substitution ».

Compte tenu sans doute de la rapidité du renouvellement du dispositif, pour satisfaire aux exigences communautaires, la mise en cohérence avec ce qui existe déjà par ailleurs sur le plan juridique a manqué. Ainsi en 2001, selon le ministère, le DOCOB n'était en aucun cas un acte réglementaire. Or le décret du 20 décembre 2001 affirme que « pour ouvrir droit à rémunération, les contrats Natura 2000 doivent être nécessairement conformes au cahier des charges fixé par le DOCOB ». Il y a donc caractère obligatoire d'au moins une partie du cahier des charges, ce qui est la définition d'un acte réglementaire ! Comment va-t-on alors le combiner avec d'autres formes d'expression juridique comme les réglementations d'occupation des sols ? Doit-on aller vers l'indépendance ou vers la coordination des réglementations ?

On peut, en définitive, regretter que, du fait de certaines hésitations, on n'ait pas su « vendre » Natura 2000 en accompagnant le dispositif de moyens de valorisation, comme des systèmes de labels par exemple. Enfin, la mise en oeuvre de ce réseau n'a pas été l'occasion de remettre à plat notre code de l'environnement, devenu aujourd'hui plus imposant que notre code civil !

M. Pascal Ferey, secrétaire général adjoint, en charge de Natura 2000, à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Nous devrions effectivement réfléchir à la mise en place d'une charte qualitative de produits agricoles issus de zones Natura 2000. Il s'agirait ainsi de valoriser un cahier des charges concerté. Mais nous avons déjà tellement de marques et de labels, parmi lesquels le consommateur est finalement perdu. La valorisation doit aller de pair avec la lisibilité, sous peine de n'aboutir qu'à un cahier des charges beaucoup plus draconien.

Je dirai donc : « Oui mais... ».

6. M. François Bland, directeur de projet Natura 2000 à la direction de la Nature et des Paysages (DNP), ministère de l'Écologie et du Développement durable

Je me félicite aussi de la convergence de bien des propos tenus ici, convergence qui ne peut que renforcer le sens donné à Natura 2000.

Malgré les questions de moyens encore en suspens, ce processus semble aujourd'hui être dans une situation plus favorable. Ainsi la voie contractuelle, approche nouvelle, moderne et complémentaire, suscite l'adhésion des acteurs et des comportements nouveaux et nous disposons aujourd'hui des outils nécessaires en termes de textes, de cadrage et de structures pour passer concrètement à la gestion. Par ailleurs, sur le terrain, les démarches entreprises se déroulent plutôt bien, parce que la concertation et la co-construction s'installent progressivement. On travaille au niveau local, sur du concret, dans le cadre des DOCOB et les premiers travaux se mettent en place.

Le réseau Natura 2000 français, s'il n'est pas encore complet, atteint désormais des dimensions qui permettent de passer à la gestion. Les difficultés réelles, déjà largement évoquées, doivent aussi nous aider à progresser et à voir l'avenir. Certaines sont liées à l'état des relations de notre société avec la nature, d'autres au fait que ce réseau écologique européen repose sur une approche nouvelle qui bouscule les choses et les acteurs - tous les acteurs ! Pour l'avenir nous devons consolider les consensus et la crédibilité qui sont en train de naître, ceci même dans un contexte budgétaire difficile qui pourrait faire douter des réelles intentions et de la détermination de l'État.

Quoi qu'il en soit, ce sont des enjeux très forts qui nous portent et nos engagements européens et internationaux doivent nous aider à maintenir le cap sur un projet à long terme durablement engagé. Par ailleurs, notre société exprime des aspirations fortes dont il faut tenir compte. Il en est ainsi de la volonté de participer, du besoin d'être informé, de l'expression de valeurs générales sur le bien-être et la santé, ou encore de l'ensemble des questions environnementales.

La démarche Natura 2000 s'inscrit résolument dans une approche globale et intégratrice qui dépasse la seule protection de la nature pour appréhender aussi les intérêts économiques, les activités du territoire et les enjeux sociaux. Mais elle suit aussi une approche locale. Les actions proposées doivent être partagées et appropriées au sein d'un projet de territoire. La gouvernance qui se met progressivement en place pour la gestion des sites est significative de cette voie.

Nous devrons, je crois, cibler nos actions sur des sites où elles auront une valeur d'exemple maximale, aussi bien en termes de désignation que de concertation, ou encore de gestion ou de communication. La construction de notre réseau doit s'appuyer maintenant sur de telles réalisations concrètes exemplaires en fonction des moyens dont nous disposons. C'est ainsi que nous bâtirons la confiance, élément-clé de la réussite et de la mutualisation de moyens, mais aussi que nous amplifierons l'implication des élus locaux, qui ont la légitimité de l'animation des territoires.

Débat avec la salle

M. Jean-Philippe Derosier, assistant parlementaire

Pour travailler sur la transposition de la directive Natura 2000 en France et en Allemagne, je reviendrai sur les propos tenus par M. Michel Métais, à savoir que l'approche française était beaucoup plus décentralisée que centralisée. Ma vision « universitaire » m'a montré que le rôle de l'État était particulièrement prépondérant, même si les travaux du sénateur Jean-François Le Grand tentent de replacer les collectivités territoriales au centre du débat.

La décentralisation est en marche, certes, mais on ne pourra pas nous faire croire ici que la France est un État véritablement décentralisé, comme cela peut être le cas en Allemagne par exemple.

M. Michel Métais, directeur de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)

L'État a la responsabilité de donner un support réglementaire par la transposition de la directive Habitats, mais dans le contenu, c'est le DOCOB qui sera essentiel, et celui-ci est élaboré par des acteurs locaux.

M. Jean-Philippe Derosier, assistant parlementaire

M. Jean-Marc Février parlait de la « compétence quasi liée du préfet »... En quoi cette compétence est-elle liée ?

M. Jean-Marc Février, professeur de droit public à l'université d'Auvergne

Le préfet avise les collectivités que le Muséum a constaté la présence d'espèces ou d'habitats recensés par les annexes I et II de la directive. Ensuite on demande son avis à la collectivité concernée. Au stade de l'inventaire celle-ci peut exprimer son désaccord. Le préfet prendra acte de ce désaccord, mais il ne pourra pas ne pas recenser le site ou l'espèce en question. La jurisprudence communautaire est parfaitement explicite sur ce point : l'inventaire réalisé par les autorités de l'État doit être absolument exhaustif et fondé exclusivement sur des critères scientifiques, ce qui exclut toute pondération en fonction de critères socio-économiques par exemple.

Tel est l'état du droit actuellement. La procédure de demande d'avis n'est donc guère utile. Une information simple aurait suffi. On aurait pu par contre renforcer l'information des propriétaires qui, au stade de l'inventaire, est pratiquement inexistante.

M. Hervé Benoit, chargé de mission à l'Association nationale des élus de montagne (ANEM)

Il me semble déceler un contresens dans vos propos. Il ne s'agit pas « d'inventaire », mais de procédure d'identification et de désignation. Il s'agit à partir de l'existant connu de dire qu'à tel ou tel endroit on peut délimiter un périmètre Natura 2000. La démarche est différente et justifie que les collectivités locales aient leur mot à dire sur ce type de projets.

M. Jean-Marc Février, professeur de droit public à l'université d'Auvergne

La phase 1 consiste à réaliser un inventaire sur le territoire qui permet simplement de constater la présence de telles espèces et de tels habitats correspondant aux annexes I et II de la directive.

Cet inventaire est transmis à la Commission, qui réalise ensuite le classement en « sites d'intérêt communautaire ». Ce n'est qu'à partir de ce classement que l'on peut ensuite classer les zones spéciales de conservation en zones Natura 2000.

M. François Bland, directeur de projet Natura 2000 à la direction de la Nature et des Paysages (DNP), ministère de l'Écologie et du Développement durable

Le processus de désignation se fonde sur des critères scientifiques. Les données valorisées font appel aux éléments de connaissance du milieu, dont des inventaires. Ces inventaires ne sont pas transmis à la Commission. Ce processus ne vise pas l'exhaustivité, mais évalue la représentativité et la qualité écologique. A l'échelle du site, le préfet recueille l'avis des collectivités sur un périmètre de consultation et cette phase peut amener à recaler les limites d'un site. Le préfet envoie ensuite son dossier au ministère, puis l'Etat, après examen interministériel, transmet une proposition de site à la Commission.

L'analyse des propositions nationales de sites est effectuée d'une manière transparente par des séminaires scientifiques organisés par la Commission avec les États-membres, en présence de leurs experts scientifiques.

M. Patrice Camillieri, pilote opérationnel du projet ISO 14001 au Réseau de transport d'électricité (RTE)

Nous parlons d'un réseau, Natura 2000, de sites ainsi classés, de cohérence, de concertation et de compensations. En cas de conflit d'intérêts, on pourra dans le cadre du réseau envisager des compensations, mais cela s'avérera certainement difficile au niveau des concertations par site. Quels dispositifs sont donc envisagés pour garantir la cohésion ?

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Le fait de disposer à l'échelle de micro-territoires de commissions départementales permettrait d'assurer cette cohérence, comme je le signalais dans mon propos introductif. Ce n'est pas la notion de proximité qui devra régir ces commissions, mais la notion de cohérence vis-à-vis du site considéré. Ainsi le Parc des Vosges concerne trois départements, trois préfets et trois DIREN. Il faut prendre en compte des entités naturelles identifiées sur lesquelles l'ensemble des acteurs puisse s'exprimer. C'est cette concertation-là qui aboutira à la cohérence.

M. Pascal Ferey, secrétaire général adjoint, en charge de Natura 2000, à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Cette cohérence départementale est une demande forte depuis de longues années. Les commissions départementales ont existé, mais la circulaire les concernant a disparu. Nous revenons enfin à cette idée qui permet d'avoir connaissance de ce qui se passe dans les DOCOB, et éventuellement, donc, une cohérence.

Mme Catherine Truchet, trésorière de l'Association Les petites îles de France

Concernant la question des inventaires préalables, notre association a vécu ce que décrivait M. Jean-Marc Février. Les inventaires réalisés dans les petites îles dont nous connaissons les adhérents l'ont été sans que nous soyons prévenus, en violant même les règles de la propriété privée... En termes de concertation, on peut trouver mieux ! Cela privait de plus les autorités concernées d'éléments intéressants que nous aurions pu apporter.

Intéressés par Natura 2000, nous aimerions que les choses se déroulent dans le cadre de contrats qui présentent un intérêt pour tous.

M. François Bland, directeur de projet Natura 2000 à la direction de la Nature et des Paysages (DNP), ministère de l'Écologie et du Développement durable

Vos remarques rejoignent la question de la transparence, déjà évoquée. Des efforts sont certainement à faire encore en ce sens.

Les contrats que vous souhaitez voir mis en place vont dans le sens de l'idée de label et d'une adhésion à la mise en place du réseau.

M. Pascal Ferey, secrétaire général adjoint, en charge de Natura 2000, à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Ne nous berçons pas d'illusions : la France n'a pas d'argent et l'Europe non plus ! Quant aux contrats qui pourraient être proposés, notamment au niveau agricole, j'attire l'attention des élus et des représentants de l'administration : n'opposez pas les territoires aux paysans !

Des contrats territoriaux d'exploitation ont été mis en place. Ils ont été suspendus pour des raisons politiques que je respecte. Aujourd'hui on nous propose des contrats d'agriculture durable (CAD), mais ne refaisons pas les mêmes erreurs ! La FNSEA s'opposera au fait que, de facto, les CAD soient réservés aux zones Natura 2000 car ce contrat doit être ouvert à l'ensemble de l'agriculture.

Des mesures légères de conservation et de protection, avec un peu d'argent, suffisent souvent amplement. A l'époque, je m'étais insurgé lorsque, pour l'entretien d'une zone humide, on proposait 1.800 francs à l'hectare, alors que 300 francs auraient suffi ! Il faut savoir être responsable et rendre des comptes à la société.

M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du Conseil général de la Manche

Des pratiques de bon sens ont favorisé le maintien d'habitats et d'espèces. Dès lors que de bonnes pratiques induisent des situations satisfaisantes, il n'est effectivement pas nécessaire d'y ajouter des dispositifs particuliers. Cette réflexion est totalement partagée, du fait de la raison... et du manque d'argent.