INTRODUCTION DU COLLOQUE
M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche,
président du Conseil général de la Manche

L'organisation de ce colloque, consacré à la mise en oeuvre de Natura 2000 sur notre territoire, a pour ambition de faire la synthèse, avec vous, des nombreuses auditions que j'ai menées au Sénat depuis le mois de mars dernier, ainsi que des déplacements que j'ai effectués en province et à Bruxelles, dans le cadre d'une mission qui m'a été confiée sur ce sujet par la Commission des Affaires économiques du Sénat.

Je tiens d'ailleurs à remercier très chaleureusement toutes les personnes entendues à ces différentes occasions, et que pour la plupart d'entre elles j'ai le plaisir de retrouver aujourd'hui. Chacune et chacun d'entre eux m'ont fait partager leur volonté de s'impliquer dans la mise en oeuvre de cet objectif communautaire ambitieux, ou ont mis l'accent sur les freins, les difficultés, les obstacles qu'ils rencontraient, ou encore m'ont fait toucher du doigt le handicap majeur qu'a connu ce processus depuis son origine, que l'on pourrait résumer dans une formule un peu simpliste, mais vraie sur le fond : « c'est Bruxelles qui veut, c'est Bruxelles qui décide, c'est Bruxelles qui impose et nous on ne nous demande pas notre avis ».

En avril 1997, j'avais pu établir un constat dans un premier rapport que la Commission des Affaires économiques m'avait confié sur Natura 2000 et que j'avais sous-titré : « De la difficulté de mettre en oeuvre une directive européenne ».

Plusieurs éléments réunis ensemble auraient pu faire tourner au psychodrame la mise en oeuvre de ce projet communautaire. « Un texte mal connu et mal interprété, une règle du jeu quasi inexistante, un défaut majeur de communication et de concertation, des acteurs locaux se sentant pris au piège ou en butte à un « intégrisme » écologiste poursuivant des enjeux de pouvoirs forts » : c'est ainsi que je qualifiais, il y a six ans, le déroulement de la mise en oeuvre de Natura 2000.

La situation est aujourd'hui très différente, comme j'ai pu le constater à travers les auditions et mes déplacements, même si des incertitudes et des inquiétudes légitimes demeurent, incertitudes et inquiétudes qu'il est indispensable de lever pour restaurer un climat de confiance.

En quoi est-ce différent aujourd'hui ?

D'une part, la transposition de la directive Habitats a été réalisée par l'ordonnance du 11 avril 2001 et celle-ci a été ratifiée par le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

D'autre part, les décrets du 8 novembre et du 20 décembre 2001 arrêtent les modalités d'application de la directive, s'agissant de la transmission des propositions de sites à la Commission européenne et des mesures de gestion dans le réseau ainsi constitué. Plusieurs circulaires sont venues également compléter ce corpus réglementaire.

Sur le plan des désignations, et malgré un certain retard qui a valu à la France d'être condamnée à deux reprises par la Cour de justice des Communautés européennes, notre pays a réalisé des avancées significatives. Ont été ainsi proposés près de 4 millions d'hectares au titre de la directive Habitats, ce qui représente 7,4 % du territoire national et 1.174 sites. Au titre de la directive Oiseaux, 930.000 hectares ont été désignés, soit 1,7 % du territoire et 119 zones de protection spéciale (ZPS).

Pour tenir nos engagements européens, et nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la journée, il nous reste principalement à compléter le réseau des ZPS. Je voudrais, ici, affirmer avec un peu de solennité que ceci ne pourra se faire qu'en renforçant la concertation au niveau local , qu'il s'agisse de la définition des périmètres, ou de la définition et de l'éventuelle prise en compte de la perturbation ou du dérangement.

Il faut enfin souligner que, contrairement à beaucoup d'autres États-membres, la France s'est, parallèlement à cette première phase de désignations, engagée résolument dans la deuxième étape de mise en oeuvre de la directive à travers la rédaction de documents d'objectifs (DOCOB).

Dans près de 600 sites, la concertation sur le dispositif de gestion est engagée et elle est achevée dans 170 d'entre eux. Trois cents DOCOB devraient être ainsi rédigés fin 2003.

Tout ceci témoigne de l'intérêt que les acteurs locaux et les pouvoirs publics portent à la mise en oeuvre de ce réseau écologique européen, identifiant des zones protégées pour contribuer à préserver la diversité biologique de nos territoires. Il s'agit d'un enjeu majeur tant au niveau mondial qu'européen.

Mais ne doit-on pas, en outre, se poser la question : « Avons-nous les uns et les autres pris le temps de définir ce qu'était Natura 2000 ? ». Il s'agit avant tout d'un objectif destiné à préserver la biodiversité, c'est-à-dire, en termes simples, qu'il s'agit de ne pas laisser disparaître les espèces végétales ou animales existant encore aujourd'hui. Pour atteindre cet objectif, il faut à la fois protéger les espèces, cela a été l'objectif de la directive Oiseaux de 1979 et, parallèlement, protéger leurs habitats.

Pourquoi faut-il sauver la biodiversité ? Tout simplement parce qu'il s'agit d'un enjeu essentiel pour la survie de l'espèce humaine. Tout affaiblissement de la diversité biologique menace tout autant notre sécurité alimentaire que notre énergie, que nos ressources naturelles, que la photosynthèse, ou la production d'oxygène. Cet appauvrissement aurait des conséquences sur la santé humaine et sur l'ensemble de nos activités économiques ou culturelles. Aucun des facteurs constituant notre vie quotidienne ne serait épargné.

Je pourrais multiplier encore les exemples mais je préfère simplifier en disant que maintenir la biodiversité, c'est tout simplement garantir la survie des générations futures.

Une fois l'objectif défini, il reste à déterminer les moyens d'y parvenir. Ces moyens demandent une méthodologie ; appliquer une méthodologie nécessite des acteurs, et c'est cet ensemble là que l'on appelle Natura 2000 .

La première partie de notre colloque va d'ailleurs nous permettre de reprendre et de préciser ces enjeux fondamentaux.

Ensuite, à travers une présentation de plusieurs sites, animée par les acteurs et les gestionnaires eux-mêmes de ces sites - que je remercie d'être parmi nous - nous allons essayer de définir les règles qui vont permettre d'assurer le succès de cette entreprise, en replaçant Natura 2000 au coeur d'un aménagement partagé et concerté de nos territoires.

Pour guider notre réflexion, je souhaite à présent évoquer les propositions qui pourraient être les miennes, concernant la définition de ces règles, et je souhaite que nous en débattions.

En ce qui concerne la désignation des sites, et plus particulièrement les propositions de sites d'intérêt communautaire, il est impératif que la concertation se poursuive en toute transparence et avec une meilleure information des gestionnaires et des ayants droit des territoires concernés.

Après que ces sites auront été validés par la Commission européenne, il conviendra ainsi de réfléchir sur la nécessité de préciser leur périmètre en s'appuyant notamment sur des limites physiques clairement identifiées. Une meilleure information devrait se traduire également par un affichage en mairie, voire une transmission aux chambres consulaires.

À propos des ZPS, identifiées au titre de la directive Oiseaux, la démarche doit reprendre pour compléter les désignations françaises, traduire la richesse et la diversité des espèces présentes sur le territoire national, et préserver leurs habitats. Elle doit s'inscrire impérativement dans une démarche concertée confiant aux comités de pilotage concernés le soin de définir ce qui relève de la perturbation ou du dérangement.

S'agissant des DOCOB, notre réflexion doit porter tant sur la méthodologie de leur élaboration que sur leur contenu et leur portée. La procédure d'élaboration de ce document est pour l'instant placée sous la seule responsabilité de l'administration déconcentrée, qui a mis en place une étroite concertation avec les acteurs de terrain et les élus locaux, à travers un comité de pilotage propre à chaque site. Ce comité est en effet présidé par le préfet, et celui-ci choisit également un opérateur technique chargé de l'élaboration du DOCOB. Enfin, c'est le préfet qui est chargé de l'approuver et tous les six ans il devra en réaliser l'évaluation.

La composition très large du comité de pilotage associe des représentants des collectivités territoriales intéressées et de leurs groupements, des représentants des exploitants agricoles, des forestiers, des propriétaires, mais aussi des organismes consulaires, des concessionnaires d'ouvrages publics ou encore des représentants des activités de tourisme et de protection de la nature. Ce comité est associé à l'élaboration du document d'objectifs, des contrats Natura 2000 et à l'évaluation de la mise en oeuvre du DOCOB.

D'après les expériences, on s'aperçoit que lorsqu'un DOCOB est réussi, c'est toujours au bénéfice d'une très forte implication des collectivités territoriales qui font de Natura 2000 un outil d'aménagement et de mise en valeur de leur territoire.

C'est la raison pour laquelle je propose que la présidence du comité de pilotage soit confiée aux collectivités territoriales, à charge pour elles de définir le bon niveau de compétence qui peut varier selon la taille du site, sa diversité et son organisation territoriale. Le choix de l'opérateur reviendrait alors au comité de pilotage qui suit l'élaboration du document d'objectifs.

En revanche, son approbation doit rester de la compétence du préfet, de même que son évaluation tous les six ans compte tenu des obligations de l'État français vis-à-vis de l'Europe.

D'un point de vue méthodologique, je propose tout simplement de m'inspirer de la procédure d'élaboration de la charte des parcs naturels régionaux. Cette charte est conçue par la région avec l'accord de l'ensemble des collectivités territoriales concernées et en concertation avec les partenaires intéressés, puis approuvée par décret, ce qui vaut classement pour 10 ans.

Cette méthodologie me semble essentielle pour permettre aux élus locaux de s'approprier la démarche Natura 2000.

S'agissant du comité départemental de suivi, instance d'information et de communication sur ce réseau écologique européen au niveau départemental, je proposerai qu'il soit coprésidé par le préfet et le président du conseil général et que son rôle soit renforcé afin qu'il assure une réelle cohérence territoriale de l'ensemble des documents d'objectifs et puisse jouer un éventuel rôle d'arbitrage en cas de désaccord local.

Le DOCOB définit les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre l'objectif et les mesures à prendre pour gérer l'espace dans l'esprit de l'objectif. Il doit être un document consensuel et dire ce qu'il est, ne rien cacher de ce qu'il comporte. Il n'a pas de portée juridique directe, il n'est pas opposable aux tiers. Une fois encore, la similitude avec la charte constitutive d'un parc naturel régional doit être recherchée.

Enfin, mon troisième axe de réflexion a porté sur les financements à trouver pour mettre en oeuvre Natura 2000.

D'une part, il faut trouver des financements pour poursuivre la réalisation des DOCOB, financer les études, les équipes d'animation et les opérateurs . Il s'agit d'un enjeu fort à court et moyen terme pour ne pas casser la dynamique enclenchée. J'ai bien entendu les appels en ce sens lors de mes déplacements en province ou lors de mes auditions. L'État doit honorer sa parole pour rester crédible.

S'agissant de la mise en oeuvre des mesures de gestion , il faut se féliciter de ce que la France entende privilégier la voie contractuelle , à la différence semble-t-il de bon nombre d'États-membres qui ont plutôt choisi une approche de type réglementaire pour la gestion des sites Natura 2000.

Que l'on soit sur un territoire « banal » ou sur un espace Natura 2000, les différentes réglementations relatives à la protection de l'environnement s'appliquent de la même manière : les sites d'intérêt communautaire ne sont ni des espaces de non-droit ni des espaces sanctuarisés, et on y appliquera également la réglementation sur les déchets ou sur l'eau. Ainsi, si leurs périmètres recouvrent des espaces protégés au titre de mesures nationales de protection, type réserves naturelles, parcs nationaux, sites classés, loi littoral ou encore arrêtés de biotopes... avec ou sans Natura 2000, même s'il s'agit là d'une redondance, les règles continuent de s'appliquer. La mise en oeuvre des objectifs fixés par la directive Habitats ne doit pas conduire à plus de réglementation et doit passer par une contractualisation avec les gestionnaires des espaces concernés.

La question du financement des mesures de gestion est donc fondamentale pour répondre à nos obligations.

Il faut d'abord considérer qu'une bonne partie des objectifs de conservation des sites a pu et pourra continuer d'être atteinte par le maintien des activités qui s'y pratiquent et qui ne nécessitent donc pas de financements spécifiques.

S'agissant des activités agricoles, largement concernées par les sites Natura 2000, on remarque que l'application d'un socle de bonnes pratiques a permis de remplir une grande partie des objectifs. Pour ma part, il s'agit d'une invitation au bon sens et au pragmatisme.

Au delà, et le représentant du ministère de l'Agriculture sera nécessairement sollicité sur ce point, il faudra pouvoir mobiliser des mesures spécifiques pour rémunérer les agriculteurs qui s'engagent dans des pratiques culturales respectueuses de l'environnement en allant au-delà de la réglementation, ce qui correspond exactement à la définition d'un contrat Natura 2000.

Lors de notre déplacement à Nantes, la semaine dernière, mes interlocuteurs ont particulièrement insisté sur l'impact très positif des opérations locales agri-environnementales, les OLAE, ciblées sur les zones humides. Au passage, j'invite les responsables à lever les incertitudes qui demeurent après 2002-2003 quant à leur pérennisation. La définition et la mise en place des contrats d'agriculture durable doivent également permettre d'apporter une réponse spécifique aux territoires comportant un enjeu particulier. Nous avons besoin de l'avis et des propositions de la profession agricole à ce sujet, et je sais d'ores et déjà que nous pouvons compter sur elle. Je ne peux pas m'empêcher de rappeler ici que parmi toutes les professions majeures que nous connaissons en France, les agriculteurs sont ceux qui ont sans doute connu les plus grandes mutations dans un laps de temps très court. Ils ont toujours su répondre aux grands défis de notre pays. Ils ont une légitimité à gérer les espaces que personne ne peut leur contester .

Par ailleurs, je préconise la mobilisation d'une palette d'outils financiers, voire fiscaux qui permettraient de soutenir les efforts engagés et consentis par les collectivités territoriales et les acteurs de terrain pour gérer un site Natura 2000.

Nous devons à cet égard faire preuve d'imagination : ainsi, pourquoi ne pas introduire de la dotation globale de fonctionnement (DGF) bonifiée pour les communautés de communes qui gèrent des sites d'intérêt communautaire au titre de leur compétence « environnement » ? Pourquoi ne pas aller plus loin dans la fiscalité appliquée aux espaces naturels afin qu'elle ne pénalise plus les espaces non productifs mais riches en biodiversité. Pourquoi ne pas imaginer une exonération totale ou partielle du foncier non bâti, ou des droits de succession en contrepartie d'un engagement de gestion pris dans le cadre d'un contrat Natura 2000 ?

Bien entendu, il ne faut pas oublier les financements communautaires, puisque la directive prévoit que l'Europe cofinance certains coûts liés à la gestion des sites du réseau. Force est de constater, cependant, qu'aucun cadre précis n'a été établi pour gérer la programmation de ce financement, et nous n'avons en outre aucune visibilité à court et moyen terme sur les montants envisagés.

M. Nicholas Hanley, représentant de la direction générale Environnement à la Commission, sera bien évidemment sollicité pour faire le point sur ce dossier délicat. Il pourrait notamment rendre compte de l'avancée de la communication que la Commission entend faire devant le Parlement et le Conseil européens sur son évaluation des coûts de mise en oeuvre de la directive, et sur le cofinancement communautaire qu'elle est prête à mettre en place.

En définitive, notre débat d'aujourd'hui et les propositions que je serai amené à faire dans mon rapport doivent nous inviter à réfléchir à ce qui doit être fait pour protéger et mettre en valeur notre patrimoine naturel, à l'instar de ce qui se fait pour notre patrimoine architectural.

Il nous faut redonner du sens à Natura 2000 en permettant aux collectivités territoriales et aux acteurs locaux de se réapproprier cette démarche.

Dans toute oeuvre humaine, la réussite passe par l'implication des acteurs... C'est vrai pour la définition de l'objectif : un projet n'est bon que s'il est partagé par tous ; c'est vrai dans la mise en oeuvre des moyens pour atteindre cet objectif : c'est à nous, hommes de terrain, qu'il appartient de porter et de vivre notre terroir...

En nous impliquant dans la sauvegarde ou le maintien de leurs paysages, dans la mise en valeur des richesses naturelles de leurs territoires, nous rendrons aux habitants la fierté « d'être d'ici ».