6. Audition de M. Serge Poignant, député-maire de Basse-Goulaine, président du SIVOM Loire et Goulaine, gestionnaire du marais de Goulaine, site expérimental Natura 2000 (6 mai 2003)
Ma contribution retrace l'expérience de terrain que j'ai en ma qualité de Président d'un syndicat intercommunal en charge de la mise en oeuvre d'un document d'objectifs sur un marais dénommé Marais de Goulaine en Loire-Atlantique.
Le marais de Goulaine fait partie du site interdépartemental « Vallée de la Loire de Nantes aux Ponts de Cé et zones adjacentes ». Le document d'objectifs de ce site est en cours, mené par le Conservatoire des Rives de Loire, et son achèvement est prévu pour 2003.
Le marais de Goulaine, quant à lui et indépendamment, a fait l'objet de 1996 à 1999 de nombreux travaux d'inventaires et de réflexions qui ont conduit à l'adoption d'un document d'objectifs Natura 2000.
Cette procédure a été menée par deux syndicats intercommunaux : le SIVOM Loire et Goulaine que je préside et le SIDEMG (Syndicat Intercommunal pour la Découverte et l'Etude des Marais de Goulaine), associés au Conseil cynégétique régional des Pays de Loire et à la fédération de Loire-Atlantique pour la pêche et la protection du milieu aquatique, le Conseil cynégétique régional des Pays de Loire étant opérateur du document d'objectifs.
Ces travaux se sont inscrits dans le cadre du programme national mené par le ministère chargé de l'Environnement et animé par l'association Réserves Naturelles de France, visant à l'élaboration expérimentale de documents d'objectifs sur 37 sites.
Le principal intérêt de la procédure menée sur le marais de Goulaine repose sur la démarche de proximité mise en oeuvre par les porteurs de projet qui a abouti à un consensus local sur la nécessité d'intégrer, dans les projets d'aménagement, les productions agricoles et les usages, la prise en compte de la conservation de ce milieu naturel.
Les nombreuses études ont porté sur tous les groupements d'espèces susceptibles de relever d'un intérêt communautaire au titre de la directive Habitats. Les inventaires de terrain ont donné lieu à des restitutions cartographiques.
Une analyse historique et paysagère a permis de préciser l'évolution du milieu et ses caractéristiques. Les activités humaines et les usages ont fait l'objet d'une analyse détaillée, rédigée conjointement par les organismes socioprofessionnels et la cellule d'animation.
Le périmètre d'étude correspond à celui défini par le ministère chargé de l'Environnement sur la base de l'inventaire ZNIEFF et transmis par ce ministère à la Commission européenne dans le cadre de la procédure de désignation de sites français au titre de la directive Habitats. Elle correspond à la zone d'expansion actuelle de la Goulaine soit la zone inondable et sa frange périphérique (1.500 hectares).
Ce sont les acteurs locaux qui, sur la base d'un diagnostic « faune-flore-activités humaines » ont défini les objectifs de conservation par habitat d'intérêt communautaire et les orientations de gestion par grand type de milieux. L'application de ces objectifs de conservation et de ces orientations de gestion retenus a donné lieu à la programmation d'actions d'entretien, de restauration de milieux et de communication. Ces actions ont fait l'objet d'une évaluation technique et financière et ont été regroupées dans un programme d'actions annexé au document d'objectifs.
Le comité de pilotage local présidé par le préfet de Loire-Atlantique et composé de tous les acteurs du marais a eu en charge l'élaboration et la validation de ce document. Des groupes de réflexion où étaient représentés tous les acteurs du marais ont été fréquemment réunis. Le comité de pilotage final s'est tenu le 2 juillet 1999 et le document d'objectifs a été arrêté par le préfet de Loire-Atlantique le 4 novembre 1999.
La problématique Oiseaux a été prise en compte dans le document d'objectifs au même titre que les autres espèces. Mais les acteurs locaux ne veulent pas, dans l'état actuel des choses, que le site soit désigné comme zone de protection spéciale au titre de la directive Oiseaux.
Le préfet de Maine et Loire a souhaité, à la demande d'acteurs locaux qu'une note soit jointe aux documents d'objectifs Vallée de la Loire et Basses Vallées Angevines sur l'interprétation et l'application concrète de cette directive et plus particulièrement des notions de perturbation et de dérangement. Je souhaite pour ma part que les experts scientifiques apportent ces précisions et que le préfet de Maine et Loire puisse se positionner sur cette question.
La mise en oeuvre du document d'objectifs a été précédée, en 1999, d'une action de communication associant le Conseil cynégétique régional des Pays de Loire, le SIVOM Loire et Goulaine et le SIDEMG, l'élaboration et la diffusion d'une plaquette d'information sur le document d'objectifs Natura 2000 du marais de Goulaine aux communes riveraines du marais et à toutes les personnes intéressées.
Le SIVOM Loire et Goulaine, qui regroupe les communes du bassin versant de la Goulaine (élus et riverains) a pour compétence la gestion de ce marais, en particulier la gestion de l'eau et l'entretien des canaux. Il a également en charge la prévention contre les risques d'inondations à travers une station de pompage. Il a été désigné en tant que structure animatrice, en charge de la mise en oeuvre du document d'objectifs. Le comité de suivi Natura 2000, présidé par le préfet et réunissant tous les acteurs du marais se réunit chaque année et des groupes de réflexion thématiques se réunissent à la demande des acteurs (travaux, niveaux d'eau, ...).
Les premières opérations de restauration et d'entretien ont débuté en 2000. Elles ont nécessité le recrutement d'une chargée de mission à temps plein qui a pris ses fonctions en mars 2000 et qui a en charge les dossiers qui touchent les compétences du SIVOM Loire et Goulaine à savoir l'hydraulique, l'environnement et le tourisme sur les 13 communes du bassin versant de la Goulaine. Ce poste bénéficie de l'appui financier de la DIREN dans le cadre de la mise en oeuvre des dispositions du document d'objectifs.
Le SIVOM Loire et Goulaine a d'ores et déjà fait appel à un partenariat technique et financier auprès de la DIREN, de l'Agence de l'Eau Loire-Bretagne, du Conseil général, du Conseil régional et de la fédération de pêche afin de mener à bien, et sur le long terme, ces opérations et pour qu'aucun coût supplémentaire ne soit demandé aux communes et aux propriétaires qui financent déjà le Syndicat Loire et Goulaine pour les travaux d'entretien, effectués auparavant par des entreprises privées.
En effet, le marais de Goulaine, comme toutes les zones humides, souffre de délaissement. Les propriétaires, au nombre de 1.300, n'entretiennent plus leurs parcelles et souhaiteraient pour la plupart d'entre eux les vendre. Une soixantaine d'agriculteurs exploitent encore le marais.
Les actions et opérations réalisées depuis 2000
Les opérations réalisées en 2000 :
- le débroussaillage de parcelles en friche pour l'habitat du Damier de la Succise (espèce d'Intérêt communautaire) et la restauration de mares-abreuvoirs pour l'habitat du Triton crêté (espèce d'Intérêt communautaire) ;
- la mise en place d'échelles de côte pour le suivi des niveaux d'eau ;
- le dévasage de douves et de canaux sur les secteurs très envasés.
Les actions effectuées en 2001 :
- l'étude sur le franchissement des ouvrages par la faune piscicole entre le marais et la Loire (bureau d'étude FISH-PASS) ;
- l'état des lieux des pratiques maraîchères en périphérie du marais de Goulaine (Comité Départemental de Développement Maraîcher) ;
- le suivi batrachologique (Ouest-Aménagement) ;
- le suivi Triton crêté, espèce d'Intérêt communautaire (Ouest-Aménagement) ;
- la première tranche du programme de réduction de la saulaie (28 ha) ;
- la fabrication et la mise en place de ponts expérimentaux (2) ;
- le curage de douves et de canaux et la remise en état de berges ;
- le débroussaillage de parcelles à Damier de la Succise ;
- des travaux d'étudiants : état des canaux et des berges, proposition de réduction de la saulaie sur un secteur, gestion d'un affluent habitat de l'Agrion de mercure (espèce d'Intérêt communautaire).
Les actions réalisées en 2002 :
- l'acquisition d'une pelle à chenilles de marais, de matériels (véhicule, barque, tronçonneuses, ...) et l'embauche d'un agent de marais ;
- le suivi du Triton crêté, espèce d'Intérêt communautaire (Ouest-Aménagement) ;
- la fabrication et la pose de pont ;
- la régulation du ragondin et du rat musqué (développement du piégeage).
Les actions 2003 prévues :
- le suivi du Damier de la Succise, espèce d'Intérêt communautaire (stagiaire) ;
- le suivi du Triton crêté, espèce d'Intérêt communautaire (Ouest-Aménagement) ;
- le curage de canaux envasés et l'entretien de la ripisylve ;
- le suivi et la gestion des niveaux d'eau (suivi et manoeuvre des vannes) ;
- l'adaptation des automatismes d'ouverture et de fermeture des ouvrages hydrauliques pour le franchissement piscicole et la qualité de l'eau ;
- l'entretien de la saulaie et la restauration des milieux en friche (préconisations, stagiaire) ;
- la communication sur la mise en oeuvre du Document d'objectifs (plaquette d'information) ;
- la lutte contre les espèces envahissantes : jussie et ragondin.
Jusqu'à présent, ces actions ont été financées à hauteur de 50 % par le ministère en charge de l'environnement. Le Conseil général, le Conseil régional et l'Agence de l'Eau étaient sollicités en fonction de leur politique et de leurs lignes de crédit sur telle ou telle action.
Le bilan qui peut être établi sur le marais de Goulaine met en avant des réussites certaines, comme :
- Une meilleure connaissance et un plus grand intérêt pour les acteurs locaux pour l'écologie du marais et les améliorations à apporter (techniques d'entretien, gestion des niveaux d'eau, ...).
- L'émergence d'un consensus local entre chasseurs, pêcheurs, agriculteurs, écologistes, élus et riverains.
- Le document d'objectifs est un outil fédérateur et de mise en cohérence des projets et des initiatives locales.
- L'étiquette « Natura 2000 » permet de bénéficier de soutiens financiers offrant des moyens d'intervention plus adaptés (travaux d'entretien, gestion plus fine) et une implication plus forte des collectivités territoriales face au délaissement du marais par les propriétaires privés.
- L'intervention du Conseil cynégétique régional des Pays de Loire a facilité l'élaboration du document d'objectifs.
Mais au titre des difficultés, il faut évoquer :
- La désinformation pratiquée par certains groupes de pression et la mauvaise communication de l'Etat sur Natura 2000 qui n'ont pas aidé à la mise en oeuvre de la procédure.
- La longueur et le flou du dispositif à mettre en place : CTE, mise en oeuvre de contrats, articulation avec les documents d'urbanisme. Sa complication qui induit une incompréhension voire une opposition des acteurs locaux, d'autant plus que la procédure et les critères ne sont pas clairement établis au départ.
- L'obligation de désigner un site et son périmètre avant la définition des objectifs partagés et des mesures de gestion, ce qui ne va pas dans le bon sens.
- Les outils de gestion qui ne sont pas encore en place (aucun contrat de gestion Natura 2000 dans la Région) et la réflexion sur les mesures agri-environnementales qui doit être poursuivie. De plus, la réussite de l'application des contrats d'agriculture durable est une condition pour que la France atteigne les objectifs de conservation fixés. Cela conditionne également le maintien d'une agriculture d'élevage extensive dans des zones difficiles telles que les zones humides.
- Les incertitudes réglementaires, techniques et financières qui ne permettent pas de communiquer aisément sur Natura 2000.
- Les protocoles de suivis scientifiques des habitats et des espèces, et d'évaluation des mesures de gestion qui ne sont pas encore validés au niveau régional.
- Les moyens de la DIREN qui semblent limités face à ce projet ambitieux.
Il importe donc pour conforter la mise en oeuvre de Natura 2000, d'assurer aux gestionnaires et aux structures animatrices l'appui technique et financier de l'Etat pour la mise en oeuvre du document d'objectifs, au minimum jusqu'à son évaluation, soit les 6 années après sa validation.
Il faut également veiller à ce que la structure animatrice soit portée, quand cela est possible, par des élus afin de faciliter l'appropriation du projet et son succès. La consultation des conseils municipaux est nécessaire ainsi que celles des EPCI afin de renforcer l'information des élus locaux. Les autres représentants locaux sont associés dans les comités de pilotage et de suivi. L'information des propriétaires et usagers est l'une des missions de la structure animatrice et il est nécessaire de les informer tout au long de l'élaboration du document d'objectifs via les bulletins municipaux par exemple qui sont un bon outil de communication.
Enfin, il est urgent de définir les outils de gestion (CAD pour les agriculteurs, contrats de gestion) et il est essentiel de définir et de préciser la portée juridique du document d'objectifs .
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