PREMIÈRE
PARTIE :
LA PLACE DES ACTIONS DANS LE PATRIMOINE DES
MÉNAGES
L'épargne peut être définie comme la fraction du revenu disponible des ménages qui, chaque année, n'est pas affectée à la consommation immédiate, mais à la consommation future. Elle s'analyse donc comme à un flux financier. Sur la durée, l'épargne accumulée constitue un stock qui représente le patrimoine des ménages. La valeur du patrimoine des ménages est affectée par les variations des flux d'épargne, mais aussi par les variations de la valeur des actifs dont il est composé. La valeur des actions, en particulier, est sujette régulièrement à des variations de grande ampleur, comme l'illustrent les fluctuations récentes des cours boursiers.
Evaluer la place des actions dans le patrimoine des ménages est une tâche moins aisée qu'il peut sembler à première vue. Elle suppose en effet de lever de sérieuses difficultés de méthode.
En premier lieu, il est difficile de connaître la valeur des actions des sociétés non cotées. La valeur des actions des sociétés cotées est publique, et résulte de la rencontre de l'offre et de la demande d'actions sur les marchés boursiers. La valeur des actions des sociétés non cotées n'est pas connaissable directement, et doit faire l'objet d'une évaluation indirecte, qui peut prêter à controverse.
En second lieu, une proportion non négligeable de l'épargne des ménages est placée en actions de manière indirecte, c'est-à-dire par l'intermédiaire de produits proposés par des investisseurs institutionnels, tels que les compagnies d'assurance (assurance-vie) ou les fonds d'investissement (OPCVM notamment). Ce sont, juridiquement, ces investisseurs institutionnels qui sont propriétaires des actions, mais ils les détiennent pour le compte des ménages épargnants qui sont leurs clients. Il est donc indispensable, si l'on veut avoir une vision juste de la place des actions dans le patrimoine des ménages, de rendre « transparents » ces intermédiaires financiers, afin de prendre en compte les actions qu'ils détiennent pour le compte des ménages.
Il ne faut pas oublier, enfin, la grande volatilité de la valeur des actions. Celle-ci doit conduire à bien distinguer les variations de flux des variations de stocks. Une forte appréciation de la valeur du patrimoine en actions des ménages ne signifie pas nécessairement que ceux-ci achètent massivement des actions, mais peut simplement être la conséquence de l'appréciation en Bourse du stock d'actions existant. La même observation vaut bien sûr, en sens inverse, en cas de baisse des cours.
Il faut donc se féliciter de la publication récente de travaux du Commissariat général du Plan consacrés à ces questions. Un premier rapport, intitulé « Actions non cotées » 3 ( * ) , s'est efforcé de résoudre la première difficulté susmentionnée, et propose désormais une évaluation crédible de la valeur des actions non cotées en France. Un second rapport, relatif à « La place des actions dans le patrimoine des ménages » 4 ( * ) , a étudié de manière approfondie les statistiques disponibles en France comme à l'étranger, et propose un utile état des lieux, dans une perspective comparative. Par ailleurs, une étude a été commandée, pour le compte de votre délégation, au Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE), dont un volet propose une intéressante « radiographie du patrimoine financier des ménages résidant en France ». Elle enrichira également notre réflexion.
I. LES ACTIONS OCCUPENT UNE PLACE CROISSANTE DANS LES PLACEMENTS DES FRANÇAIS
Depuis une vingtaine d'années, la place des actions dans l'épargne des ménages tend indiscutablement à s'accroître. Une « culture actionnariale » se répand peu à peu dans la population française.
A. L'ÉPARGNE FINANCIÈRE TEND À PROGRESSER DANS LE TOTAL DE L'ÉPARGNE DES MÉNAGES
Une première distinction doit être opérée entre l'épargne financière et l'épargne non financière des ménages. Actions, obligations, sommes détenues sous forme de numéraires, ou déposées sur un compte bancaire, composent l'épargne financière des ménages. L'épargne non financière est constituée principalement d'actifs immobiliers (logements et terrains).
En 2001, le patrimoine brut des ménages français s'élevait à 5 665,9 milliards d'euros (le patrimoine net de dettes représentant, pour sa part, 4 990,5 milliards d'euros). L'épargne financière représentait 44 % de ce total (cf. graphique infra ).
Graphique 1
Composition du patrimoine brut des
ménages français en 2001
Source : Rapport Garnier (2002).
Une tendance à l'accroissement de la part des actifs financiers dans le patrimoine des ménages se dessine sur longue période . Les actifs financiers représentaient seulement 31,5 % du patrimoine des ménages en 1980, et 43 % en 1990 ; à la fin des années 1990, la part des actifs financiers a dépassé les 50 % (le seuil étant franchi en 1996), avant de refluer à 44 % en 2001. Les données, encore provisoires, disponibles pour 2002 suggèrent que ce mouvement de reflux s'est poursuivi (42,3 %). Ces variations de grande ampleur s'expliquent pour l'essentiel par la volatilité du cours des actions. En 2001 et 2002, la baisse des cours de Bourse a été telle qu'elle a provoqué une diminution de la valeur du patrimoine financier total des ménages.
Si l'on s'en tient à une analyse en termes de flux, on observe que, en moyenne, sur la période récente (1995-2001), le montant des placements financiers des ménages est proche de 95 milliards d'euros par an 5 ( * ) . Les produits d'assurance-vie représentent 60% de ces nouveaux placements. Les livrets d'épargne en représentent 11%, et l'épargne contractuelle (Plan d'épargne populaire, Plan d'épargne logement) 16%.
La forte accumulation dans les OPCVM monétaires, réalisée entre 1989 et 1993, a laissé place à un reflux jusqu'en 1998. Leur contribution redevient positive entre 1999 et 2001. Un mouvement de substitution s'est opéré des OPCVM monétaires et obligataires vers les OPCVM actions et diversifiés.
La souscription nette d'actions cotées (détenues en direct par les ménages) n'est positive qu'en 2000. La contribution des actions non cotées est positive sur la période (2% du flux global).
La contribution des fonds d'investissement divers, parmi lesquels on trouve, notamment, les Fonds communs de placement d'entreprise, qui drainent une partie de l'épargne salariale, est de 4% par an en moyenne.
Flux des placement financiers 1995-2001, en %
Codes |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Moyenne 95-01 |
|
AF21 |
Billets et pièces |
0.2 |
0.2 |
0.5 |
0.4 |
2.6 |
-0.2 |
-14.1 |
-1.5 |
AF22 |
Dépôts transférables |
12.9 |
-4.6 |
2.7 |
5.8 |
15.5 |
-4.7 |
16.6 |
6.3 |
AF293 |
Epargne contractuelle |
27.7 |
43.8 |
29.7 |
15.6 |
8.9 |
-14.8 |
-2.5 |
15.5 |
AF29 6 ( * ) |
Autres dépôts |
29.0 |
-3.3 |
12.5 |
8.4 |
-2.1 |
8.2 |
24.1 |
11.0 |
AF3 |
Titres hors actions |
5.2 |
-2.9 |
-19.8 |
-3.3 |
-2.0 |
-3.7 |
-2.2 |
-4.1 |
AF4 |
Crédits |
1.9 |
1.8 |
3.6 |
-8.4 |
1.9 |
5.1 |
1.4 |
1.1 |
AF42 |
Crédits à long terme |
1.6 |
0.8 |
2.3 |
-8.7 |
2.3 |
5.1 |
1.7 |
0.7 |
AF511 |
Actions cotées |
-5.7 |
-1.2 |
-3.8 |
-0.6 |
-3.5 |
9.2 |
-1.4 |
-1.0 |
AF512 |
Actions non cotées |
4.4 |
3.4 |
5.0 |
2.2 |
-0.9 |
-2.0 |
1.9 |
2.0 |
AF513 |
Autres participations |
3.3 |
5.6 |
3.6 |
3.1 |
6.8 |
4.3 |
4.7 |
4.5 |
AF521 |
Titres d'O.P.C.V.M. monétaires |
-23.1 |
-23.0 |
-11.4 |
-5.2 |
1.2 |
-3.4 |
5.3 |
-8.5 |
AF522 |
Titres d'O.P.C.V.M. généraux |
-17.6 |
-0.4 |
-8.6 |
3.6 |
4.8 |
12.7 |
0.8 |
-0.7 |
AF523 |
Titres de fonds d'investissement divers |
0.3 |
3.1 |
5.0 |
3.7 |
6.0 |
7.4 |
0.3 |
3.7 |
AF61(a) |
Assurance vie |
56.7 |
75.6 |
73.2 |
52.3 |
39.5 |
70.4 |
54.7 |
60.3 |
AF61(b) |
Fonds pension |
6.1 |
0.1 |
2.8 |
5.9 |
7.4 |
10.8 |
10.1 |
6.2 |
AF62 |
Réserves primes et sinistres |
2.6 |
0.6 |
4.0 |
5.2 |
6.0 |
3.7 |
2.3 |
3.5 |
AF7 |
Autres comptes à recevoir ou à payer |
-3.8 |
1.0 |
1.0 |
11.0 |
7.9 |
-3.2 |
-1.7 |
1.8 |
AF98 |
Total |
100.0 |
100.0 |
100.0 |
100.0 |
100.0 |
100.0 |
100.0 |
|
Total en millions d'euros |
86 808 |
83 331 |
94 751 |
89 459 |
125 275 |
84 585 |
98 327 |
94 648 |
Source : BIPE (2002)
Le montant du patrimoine financier des ménages varie aussi en fonction de réévaluations de la valeur des actifs, en particulier des actions.
Les tableaux suivants permettent de préciser les contributions respectives des flux et des effets de valorisation aux variations du patrimoine financier des ménages. Le premier tableau décompose la croissance annuelle du patrimoine financier en distinguant le flux de nouveaux placements financiers, le montant des réévaluations d'actifs dues aux mouvements de prix, et un troisième facteur, « autres variations en volume », apparu récemment dans les comptes nationaux et d'importance plus marginale 7 ( * ) . Le second tableau fait apparaître, en pourcentage, la croissance annuelle des patrimoines financiers, et les contributions de chacun de ces trois facteurs, en pourcentage du montant du patrimoine de début d'année.
Les facteurs d'évolution du patrimoine financier
1995-2001,
en millions d'euros
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
|
Flux |
Nd |
83 330 |
94 752 |
89 461 |
125 276 |
84 583 |
98 327 |
Réévaluations |
Nd |
70 356 |
64 956 |
105 512 |
188 454 |
9 850 |
-101 217 |
Autres variations en volume |
Nd |
6 917 |
1 981 |
-28 396 |
-22 331 |
-3 684 |
0 |
Patrimoine financier total |
1 713 803 |
1 874 407 |
2 036 094 |
2 202 670 |
2 494 070 |
2 584 818 |
2 581 927 |
Source : Comptes nationaux, calculs BIPE
Les facteurs d'évolution du patrimoine financier
1995-2001,
en % du patrimoine d'ouverture, 1995 = 100
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Moyenne 96-01 |
|
Flux |
4,9 |
5,1 |
4,4 |
5,7 |
3,4 |
3,8 |
4,5 |
Réévaluations |
4,1 |
3,5 |
5,2 |
8,6 |
0,4 |
- 3,9 |
3,0 |
Autres variations en volume |
0,4 |
0,1 |
- 1,4 |
- 1,0 |
- 0,1 |
0,0 |
- 0,3 |
Croissance annuelle |
9,4 |
8,6 |
8,2 |
13,2 |
3,6 |
- 0,1 |
7,2 |
Patrimoine financier total (croissance cumulée) |
109,4 |
118,8 |
128,5 |
145,5 |
150,8 |
150,7 |
Source : Comptes nationaux, calculs BIPE
En moyenne, sur la période 1995-2001, le patrimoine financier des ménages a crû de 7,2 % par an. Le profil de cette période est heurté, avec une progression très forte de 1996 à 1999, puis une rupture en 2000, avec l'éclatement de la « bulle » boursière, qui s'est produit à peu près au même moment dans tous les pays développés. La croissance du patrimoine financier des ménages a été nettement plus rapide que celle du revenu disponible brut des ménages (+ 4 % par an en moyenne).
* 3 « Actions non cotées », Rapport du groupe de travail présidé par Jean-Paul Milot, Commissariat général du Plan, décembre 2002.
* 4 « La place des actions dans le patrimoine des ménages », Rapport du groupe de travail présidé par Olivier Garnier, Commissariat général du Plan, décembre 2002.
* 5 Les données qui suivent sont issues de l'étude du BIPE, publiée en annexe, relative aux « comportements financiers des ménages résidant en France, 1995-2001 ».
* 6 Excepté AF293 - épargne contractuelle
* 7 La rubrique « autres variations en volume » comptabilise des changements de nature des actifs (par exemple, une action non cotée qui devient une action cotée), ou des changements de classement des unités économiques (une entreprise individuelle qui prend la forme sociétaire, par exemple, quitte le secteur « ménages » pour entrer dans le secteur « sociétés»).