M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Nous pourrions dire que la parole est maintenant à la défense : Dominique Baudis, pouvez-vous tout d'abord nous rappeler le rôle du CSA ?
M. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
La
défense aurait presque envie de se taire : j'ai entendu tellement
de choses gentilles que j'ai peur de gâcher le ciel bleu !
Le CSA a été créé par le législateur et
travaille dans le cadre de la loi et des décrets.
Nous avons vu apparaître des organes de régulation, en France,
dans les secteurs où l'État mettait fin à une situation de
monopole. Ce fut le cas pour la radio-télévision, sans que pour
autant l'État se désengage du secteur : il en demeure un
acteur, aux côtés et en concurrence avec d'autres acteurs,
privés. Cette situation implique un arbitrage indépendant du
Gouvernement mais investi de prérogatives de puissance publique :
c'est aujourd'hui le rôle du CSA.
Il s'agit principalement d'appliquer l'article 1
er
de la loi de
1986 : la communication audiovisuelle est libre, mais cette liberté
s'exerce dans le respect d'autres principes d'égale valeur -pluralisme
politique et diversité des courants de pensée, protection du
jeune public, respect de la dignité de la personne humaine,
encouragement à la production, etc.
Nous devons ainsi veiller à l'équilibre entre la liberté
et les responsabilités qu'elle confère.
Nos missions consistent à réguler le paysage actuel, à
dessiner le paysage futur et à nous positionner sur les champs nouveaux
de régulation.
Nous régulons donc le paysage actuel dans le cadre de la loi et des
décrets, de même que dans celui des conventions que nous passons
avec les radios et les télévisions.
En ce sens, je précise que certaines des
« plaintes » formulées par Etienne Mougeotte ne
concernent pas la régulation, mais les décrets, que le
régulateur ne fait qu'appliquer. Ceci étant dit, je reconnais que
nous devons faire face à beaucoup de complexité, mais cette
« usine à gaz »... produit du gaz ! Le
mécanisme peut être simplifié, mais il faut que la
production continue.
La convergence européenne des régulations qu'envisageait Monsieur
Baer est souhaitable, effectivement, mais à condition que l'on ne
converge pas
a minima
. Les dispositifs construits par les gouvernements
et parlements successifs ont donné des résultats impressionnants,
notamment ce que l'on a appelé « l'exception
culturelle », dont certains ont pu annoncer
prématurément la disparition. On peut ici arguer du fait qu'en
Allemagne, sans toutes ces règles, la production audiovisuelle est
supérieure à la nôtre ; soit, mais notons que, d'une
part, la redevance y est deux fois supérieure, et que, d'autre part, le
secteur dispose de la totalité de la ressource publicitaire.
L'audiovisuel est donc infiniment mieux financé en Allemagne.
La régulation se fait
a maxima
ou
a minima
selon que la
ressource est respectivement limitée, le cas du hertzien, ou
illimitée, le cas du câble ou du satellite. La régulation
s'applique
a minima
dans ce second cas notamment pour éviter des
délocalisations.
Notre mission consiste également à dessiner le paysage
audiovisuel de demain : c'est le grand enjeu de la TNT, qui va permettre
d'offrir à ceux de nos concitoyens qui ne reçoivent que cinq
programmes « en clair » -ce qui est le cas des trois quarts
des téléspectateurs français- la possibilité de
recevoir une vingtaine de programmes, parmi lesquels plusieurs programmes
locaux. Avec le ministère de la Culture et de la Communication nous
mettons actuellement en oeuvre cette TNT qui apportera choix, diversité
et satisfaction.
Nous devons enfin nous positionner sur des champs nouveaux de
régulation, avec les difficultés que cela représente.
Je citerai ici deux domaines essentiels : Internet et les grandes
chaînes internationales.
Concernant Internet, le Parlement et le Gouvernement ont engagé un
travail législatif visant à distribuer les responsabilités
des différents régulateurs sur ce moyen de communication qui peut
être utilisé par les médias audiovisuels, par des personnes
privées, par des opérateurs commerciaux, etc. Ce qui
relève de l'audiovisuel concernera évidemment le CSA.
Le domaine des grandes télévisions globales d'information
permanente m'inquiète beaucoup.
Nous avons vu apparaître CNN, puis Al-Jezira, puis d'autres... Beaucoup
sont en demande de conventionnement avec le CSA sur le satellite. Nous sommes
obligés par la loi sur la liberté de la communication
audiovisuelle, de les conventionner, à condition que le dossier soit
conforme, bien entendu : cela ne se fait pas « à la
tête du client », mais nous n'avons pas à nous
préoccuper de l'origine de leurs financements, par exemple...
Ce sont des chaînes d'information, dont beaucoup en langues
étrangères : se pose donc notamment le double
problème des traductions et de la réactivité. Nous avons
ainsi connu quelques « dérapages » sur Al-Jezira
durant la période écoulée entre le 11 septembre et
les interventions en Afghanistan.
Certaines chaînes sont reçues en Europe,
via
des
plates-formes satellitaires, sans qu'elles y soient domiciliées ou
conventionnées. Il semble que Bruxelles aille dans le sens de la
décision suivante, non encore officielle : le pays de domiciliation
de la plate-forme satellitaire aurait la responsabilité de ces
chaînes et donc serait chargé de les conventionner. Il en serait
donc ainsi pour les chaînes passant par Eutelsat, qui seraient donc sous
l'autorité du CSA vis-à-vis d'un conventionnement. Je signale que
parmi ces chaînes, nous trouvons Irak TV, dont le président est le
fils de Saddam Hussein... Je me vois mal en ce moment le recevoir à
Paris pour conventionner cette chaîne !
J'émettrai donc une alerte : ne produisons pas de
réglementations inapplicables, qui décrédibiliseraient la
régulation.
Je terminerai par la question du dispositif anti-concentration,
évoquée par Étienne Mougeotte.
Nous sommes ici, encore une fois, dans le cadre de la loi, pas de la
régulation. La différence entre 49 % et 51 % n'est
peut-être pas tellement importante, effectivement, dans le cas de TF1 en
l'occurrence. Mais sommes-nous prêts en France à ce qu'une
télévision comme M6 soit à 60 ou 65 % entre les mains
d'un opérateur, européen certes, mais allemand ? Du point de
vue du droit européen, oui, selon la règle
d'égalité de traitement des entreprises européennes. Du
point de vue de l'esprit public, en France particulièrement aujourd'hui,
cela me paraît difficile à concevoir.