Mme Sylvie Bocquet, rédactrice en chef de Famille et Education
N'est-ce pas l'accumulation d'événements violents qui le constituent qui amène à cette impression que le journal n'est plus regardable ? En une demi-heure nous avons le droit à l'attentat, à la catastrophe naturelle, etc., ce à quoi vient s'ajouter depuis moins longtemps le fait divers bien sanglant ! N'est-ce pas un peu trop ? Cette accumulation, par ailleurs, n'est-elle pas contraire à la nécessité d'analyse et de dialogue ?
M. Jean-Claude Allanic, médiateur de la rédaction de France 2
Tous les ans les médiateurs font un rapport présenté à Marc Tessier d'abord, et mis en ligne sur Internet, ensuite. Sans dévoiler son contenu, je puis vous dire que l'un des chapitres est intitulé « Les journaux passés au crible » ; ce chapitre s'ouvre sur : « Une place trop grande accordée aux faits divers ». Ceci émane des remarques des téléspectateurs, qui me paraissent sur ce point pertinentes et justifiées.
Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
Pour
avoir été très sensible à la belle intervention
d'artiste de Emmanuelle Sardou, je voudrais en complément lire un texte
qui va dans le même sens, même s'il est bien plus prosaïque.
«
Les sociétés démocratiques ont appris
à se montrer très précautionneuses à l'égard
de la restriction de la liberté des opinions, d'expression et de
communication que réclament à cor et à cri les
sociétés despotiques. Elles ont bien raison, notamment pour tout
ce qui touche à la vie et aux moeurs privées des individus qui,
en démocratie, sont placées sous leur seule responsabilité.
Les artistes, qui sont toujours des visionnaires et représentent la
beauté et la laideur, le grotesque et le sublime du monde à venir
déjà pressenti dans leurs oeuvres par leur imaginaire, demandent
justement que celles-ci soient respectées dans leur liberté. Les
peintres du Quattrocento représentaient l'espace infini de la science
moderne avant que Galilée et Newton n'aient mis au point leurs
équations ; Jacques-Louis David a peint en 1784 « Le
Serment des Horaces », avant que le Serment du Jeu de Paume n'ait
été juré en 1789 ; Kafka, Musil ou Klimt ont
pressenti dans un art que les nazis jugeaient
dégénéré ce que ces derniers allaient faire de la
civilisation ; Agatha Christie a écrit « Dix petits
nègres », roman policier dont tous les protagonistes sont
devenus des meurtriers, en 1939, avant le déclenchement de la Seconde
Guerre mondiale. [...]
En d'autres termes, la liberté de création est indispensable,
parce qu'inscrits dans la finitude, les pauvres humains que nous sommes
n'arrivent à la vérité approchée, à la
solution juste, à la représentation exacte que par leurs erreurs
rectifiées
».
Ceci, Madame Sardou, est un extrait du rapport sur la violence à la
télévision...
Dans le traité en quelque sorte spinoziste que vous nous avez
proposé des passions qui abaissent la puissance d'agir et la
liberté de création, à savoir la peur, la crainte, je veux
vous dire simplement que ce rapport n'entre en aucune manière.
Lisez-le. Ne vous fiez pas à des résumés impropres.
Pour ce qui me concerne, une philosophe qui a passé sa vie à
enseigner l'État de droit et à développer des arguments
philosophiques pour protéger la liberté de conscience et la
liberté de création, il eût été
invraisemblable que cela fût mis en cause dans un rapport à la
rédaction duquel j'ai participé. Il en est de même pour
tous les artistes ou journalistes qui participaient à cette commission.
Il s'agit d'un malentendu absurde. Nous avons refusé totalement toute
censure. Je suis personnellement non seulement sensible mais sourcilleuse au
fait que la liberté d'expression soit respectée et
encouragée.
L'épaisseur de ce malentendu, entre deux intentions absolument
identiques, nous donne finalement une mesure de l'immense difficulté
à dialoguer clairement dans notre pays.