M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Est-il exact que vous avez préconisé que certains films soient interdits aux moins de cinq ans ?
Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, auteur de « Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés par les différents supports de communication »
Non,
bien entendu.
Les pédopsychiatres nous ont dit, par contre, qu'il manquait en France
ce qui existe déjà dans d'autres pays, à savoir une
catégorie « moins de sept ans ». Lorsque qu'un film
problématique est présenté à la commission de
classification, elle ne peut que le classer en moins de 12 ans. À notre
sens, l'approche doit être affinée, ce qui limiterait le recours
à la catégorie « moins de 12 ans ».
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Serge Tisseron, vous avez été chargé par le ministère, en 1997, d'une recherche sur les mécanismes des effets des images chez les enfants et adolescents. Vos conclusions sur la violence télévisuelle ne correspondent pas forcément avec les rapports que nous venons d'entendre.
M. Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, auteur de « Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? »
Les
recherches citées par Madame Kriegel ou Madame Brisset sont totalement
indiscutables. Mais l'important, ce sont les conclusions que l'on en tire et
les préconisations que l'on décide ensuite de faire passer en
priorité. Or, de ce point de vue, aider les enfants à prendre
plus de distance par rapport à toutes les images qu'ils voient me semble
la priorité la plus réaliste et la plus utile.
En effet, lorsque l'être humain a créé les images, il a
aussi créé les moyens de s'en protéger, en se dotant de
moyens pour prendre de la distance vis-à-vis d'elles. Mais la
nouveauté, aujourd'hui, est qu'on ne peut plus laisser à l'ordre
du hasard ou du bricolage personnel l'apprentissage de ces moyens, et qu'ils
doivent faire l'objet d'une « éducation aux images ».
En effet, les images ont changé.
Elles sont tout d'abord de plus en plus réalistes, les trucages sont de
moins en moins visibles, la distinction fiction/actualité tend à
s'effacer dans les représentations.
Elles sont par ailleurs de plus en plus imprévisibles : nous
l'avons vu le 11 septembre, nous le verrons probablement durant la guerre
d'Irak...
Enfin, des images qui n'ont pas un contenu explicitement violent peuvent
malmener et faire violence à certains spectateurs, soit par leur contenu
qui peut leur rappeler un traumatisme personnel, soit seulement par leur
montage : des images qui durent une ou deux secondes, présentent
des variations lumineuses importantes et sont accompagnées de bruits
cardiaques ou respiratoires sont émotionnellement très
stressantes.
Ces trois caractères amènent, surtout chez les plus jeunes, une
grande confusion émotionnelle et une perte du sens face aux images.
Cette confusion peut se produire face à des spectacles de fiction,
d'actualité ou de publicité.
Cette confusion et cette perte de sens peuvent être le point de
départ de comportements individuels ou collectifs violents,
anti-sociaux, grégaires, etc.
Les études américaines citées par Madame Kriegel montrent
notamment que les images violentes ont des effets sur les comportements. Mais
il faut aussitôt ajouter que les mêmes études montrent que
ces effets sont modulables : on constate ainsi que les enfants
malmenés verbalement dans leur foyer, ou se trouvant plus
généralement en grande précarité, sont plus
sensibles aux effets de violence des images.
Nos propres recherches ont montré que les enfants étaient
effectivement malmenés par les images violentes. Il en résulte
angoisses, peurs, dégoûts, etc. Les jeunes répondent
facilement qu'ils ont l'habitude, que cela ne leur fait plus rien... mais si
l'on prend le temps d'en parler avec eux, on arrive à ce qu'ils
expriment les douleurs que cela provoque.
Surtout, les enfants utilisent spontanément un certain nombre de moyens
pour reconstruire leurs repères, moyens qu'il est essentiel de mieux
connaître pour pouvoir les aider. Ainsi, ils parlent beaucoup des images
violentes, peu des autres : c'est là un appel d'interlocuteur.
Certains peuvent avoir besoin de passer par la création d'images pour
voir ensuite autrement les fictions ou l'actualité. D'autres enfin
peuvent avoir besoin de mettre en forme ce qu'ils ont éprouvé
face aux images, ceci par des activités corporelles, par des jeux de
rôles, le théâtre, etc. Pouvoir imiter « pour de
faux » permet d'éviter le risque d'imiter « pour de
vrai ».
Enfin, quelle que soit la technique mise en oeuvre, le moyen principal
qu'utilisent les enfants pour prendre de la distance par rapport aux images est
de se demander comment elles ont été fabriquées.
Mon enquête concluait sur la nécessité de créer,
dans le cadre associatif et à l'éducation nationale, des lieux
offrant ces possibilités aux enfants, afin qu'ils puissent mieux se
protéger contre les effets de perte de sens des images.
Quelles transformations de la télévision peut-on envisager
à partir des éléments de cette recherche ?
Tout d'abord, toutes les images devraient être
« sourcées » à l'aide d'un indicateur visuel
présent pendant l'ensemble de leur passage, mentionnant leur provenance
et leur date de création.
Ensuite, la télévision française devrait s'engager dans la
réalisation de
making off
, ce dont d'ailleurs tous les
adolescents sont friands. Ces
making off
pourraient concerner les
fictions, les publicités, bien sûr, mais aussi les
actualités.
Enfin, le législateur devrait faire obligation aux chaînes
publiques de diffuser des émissions d'éducation aux images, comme
l'actuelle « Arrêt sur image », issue d'ailleurs
d'une demande politique.
Un contrôle des images en amont est bien entendu nécessaire, comme
cela a été précédemment exposé, mais un tel
contrôle total est impossible. Il faut donc mettre aussi en place des
dispositifs qui permettent aux spectateurs, et notamment aux plus jeunes,
d'apprendre à prendre de la distance par rapport aux images, à
les traiter comme des constructions, des sortes de mondes parallèles
à notre monde quotidien, même si elles peuvent aussi nous informer
sur celui-ci, à condition qu'elles puissent être sujettes à
échanges.
L'éducation aux images ainsi envisagée pourrait permettre de
« vacciner » un certain nombre d'enfants contre les
conséquences dangereuses des images violentes, mais surtout de les
préparer tous à vivre en paix avec les images, plus responsables
et plus heureux.