M. Joël Wirsztel, SatelliFax
Je suis frappé par le rejet de la télé-réalité. « La télévision, pour quoi faire ? », tel est le sujet, mais on doit ne pas oublier de se demander aussi « pour qui ? ». Le public est capable aujourd'hui de maîtriser et de comprendre les excès de la télé-réalité, et de les sanctionner le cas échéant. Il ne s'agit pas de considérer ces émissions comme de la création au même titre que d'autres oeuvres, mais cela existe et ne mérite sans doute pas d'être systématiquement rejeté.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Nous achevons ainsi cette première table ronde en remerciant tous les participants.
Deuxième table ronde : quels impacts ?
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Blandine Kriegel, vous avez été l'an dernier chargée d'une étude sur la violence à la télévision. Votre rapport, remis en novembre 2002, préconise une série de mesures. Pouvez-vous nous en rappeler l'essentiel et éventuellement leurs effets ?
Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
Certaines de ces mesures ont été
appliquées
rapidement, notamment grâce au dialogue instauré
préalablement avec les directeurs de chaînes : il en est
ainsi du double cryptage, de la mise en place accélérée de
la nouvelle signalétique, de la transformation des modes de
fonctionnement de la commission de classification des films, etc.
Le problème que nous avions à traiter est en fait un conflit
d'intérêts : d'un côté, nous avons la question
du développement de la violence, de l'autre, la nécessité
de préserver la liberté de création. Pour tenter d'ajuster
ce conflit, nous avons tout d'abord dû répondre à la
question posée ici : quels sont les impacts de la
télévision sur les enfants ? C'est sans doute la part de
notre travail qui a fait l'objet de la communication la plus délicate,
et c'est pourquoi je veux principalement y revenir ici.
Le premier constat est, que depuis au moins une décennie, dans toutes
les sociétés démocratiques développées, nous
sommes passés d'un sentiment d'insécurité à un
véritable phénomène d'insécurité. C'est dans
ce contexte que nous avons réfléchi aux responsabilités
éventuelles de la télévision.
Il existait à ce sujet un sentiment public. Un sondage IFOP
effectué en 2002 montrait que l'opinion publique estimait
majoritairement que le nombre de scènes de violence à la
télévision atteignait un niveau inquiétant. En 1998 une
enquête de l'UNESCO avait montré que les jeunes de moins de 12 ans
consacraient quotidiennement trois heures à la télévision,
soit 50 % de plus qu'à n'importe quelle autre activité.
Concernant les impacts eux-mêmes, au moins quatre rapports existaient
déjà, dont celui d'André Glucksmann, sans doute le plus
complet, qui concluait sur l'absence d'effets de la télévision.
Il a fallu que nous relisions ces études, avec l'éclairage de
Sébastien Roché, sociologue, membre de notre commission.
Parallèlement, une étude américaine a travaillé
aussi sur ce phénomène d'impacts, ceci pendant une vingtaine
d'années. Les résultats ont montré que chez les
garçons, des émissions suivies à huit ans étaient
liées de manière modeste à un indicateur
d'agressivité onze ans plus tard. Les garçons qui avaient vu
beaucoup d'émissions violentes étant petits avaient à
tente ans un casier judiciaire plus chargé que les autres, sans que ces
effets soient réductibles à des facteurs sociaux autres. Pour
quantifier cet effet « modeste », les chercheurs ont
indiqué qu'il est comparable à celui qui relie la consommation de
tabac au cancer du poumon. Ces faits établis ont obtenu le consensus de
tous les experts des grandes associations de recherche.
Il existe donc des effets, directs et indirects, de la consommation de
spectacles télévisés. On ne pourra plus dire qu'on ne le
savait pas !
La description clinique des effets induits a évidemment un degré
de validité moindre. Les sociologues parlent néanmoins de baisse
de l'inhibition et du sentiment de culpabilité, de
désensibilisation, de l'acquisition de stéréotypes et
d'imitation. Si les effets sont avérés, ces conclusions, quant
à elles, sont bien entendu en discussion chez les experts.
Les psychiatres que nous avons auditionnés nous ont donné une
batterie d'analyses des émotions provoquées par la vue d'images
violentes : angoisse, colère, peur, etc.
Les études menées par le CSA ont montré qu'existe une
idéalisation des rapports fondés sur la force, un effacement du
cadre juridique et symbolique. Plus fondamentalement, un sociologue
américain exprime que ces spectacles violents provoquent une
représentation manichéenne du monde. Les enfants en arrivent
à surestimer le risque d'agression, la confiance qu'ils accordent au
monde en général diminue : ils ont le sentiment de vivre
dans ce que Gerbner appelle « un grand méchant
monde ».
Notre commission a interrogé nombre de spécialistes de l'enfance
et de l'adolescence. Si leurs observations cliniques ne sont pas
généralisables, nous avons néanmoins été
frappés par la convergence de leurs observations concernant cette
question de l'impact. Tous, selon leurs observations cliniques, constatent des
effets dommageables pour les jeunes exposés quotidiennement à
quelque deux heures de télévision.
Nos sociétés doivent donc prendre en compte ces impacts
maintenant avérés, et mettre en place des régulations qui
protègent les enfants, ceci tout en sauvegardant le principe de
liberté.