EXAMEN DU RAPPORT PAR LA COMMISSION DES FINANCES ET LA DÉLÉGATION POUR LA PLANIFICATION
A
l'occasion d'une réunion commune, la commission et la
délégation pour la planification ont entendu une
communication
de
M. Joël Bourdin, président de la
délégation pour la planification
, et de
M. Philippe
Marini, rapporteur général de la commission des finances
, sur
les
réformes fiscales intervenues dans les Etats européens au
cours des années 90.
M. Jean Arthuis, président
, a souligné que, pour la
première fois, la commission des finances et la délégation
pour la planification se réunissaient de manière conjointe. Il a
précisé que la commission des finances avait déjà
publié deux rapports d'information sur la fiscalité en Europe,
respectivement en 1990 et en 1999, s'appuyant chacun sur une étude de
l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il a
ajouté que la présente étude, sur les réformes
fiscales intervenues dans les Etats européens au cours des années
90, que l'OFCE venait de remettre à la commission et à la
délégation pour la planification, était donc la
troisième réalisée sur ce thème pour le
Sénat, et s'est félicité de la qualité de cette
collaboration.
A titre liminaire, après avoir souligné l'imprécision de
la notion de prélèvements obligatoires,
M. Joël Bourdin,
président de la délégation pour la planification,
a
indiqué que ce taux s'était accru, en Europe, de 1,8 point de
PIB, seuls, deux Etats - l'Irlande et les Pays-Bas - l'ayant diminué. Il
a estimé que ce phénomène provenait du fait que certains
Etats du sud de l'Europe, en retard de développement, avaient
considérablement augmenté leur pression fiscale, et que les Etats
européens avaient dû réduire leurs déficits publics
afin de satisfaire aux critères de convergence fixés par le
traité sur l'Union européenne. Il a ajouté que la France
était, avec la Belgique, l'Etat dont le taux de
prélèvements obligatoires était le plus
élevé, à l'exception des Etats scandinaves.
M. Joël Bourdin, président de la délégation pour
la planification,
a également considéré qu'aucun Etat
européen n'avait réalisé de réforme importante de
sa fiscalité, si l'on définissait l'expression
« réforme » comme recouvrant un ensemble de mesures
destinées à modifier sensiblement soit le niveau, soit
l'architecture des prélèvements obligatoires, dans le cadre de la
poursuite d'objectifs clairement énoncés.
Il a ajouté qu'un paradoxe était que l'augmentation du poids des
prélèvements obligatoires dans le PIB des Etats de l'Union
européenne s'était accompagnée d'une diminution des taux
légaux de prélèvement, aussi bien dans le cas de
l'impôt sur les sociétés que dans ceux de l'impôt sur
le revenu, voire de la taxe sur la valeur ajoutée, qui n'entrait pas
dans le champ de l'étude. Il a estimé que ce
phénomène provenait, d'une part, de la structure de la croissance
économique, et, d'autre part, de l'élargissement des bases
d'imposition.
Enfin,
M. Joël Bourdin, président de la délégation
pour la planification
, a estimé que les réductions de
cotisations sociales avaient, en France, pour objectif, moins de réduire
le coût du travail que de compenser la hausse de celui-ci,
suscitée par la réduction du temps de travail et les
augmentations du SMIC.
M. Philippe Marini, rapporteur général,
a estimé
que la « globalisation » de l'économie rendait
d'autant plus nécessaire pour la France de pouvoir faire face, dans des
conditions favorables, à la concurrence fiscale de ses partenaires. Il a
jugé que le « benchmarking », ou
« étalonnage », réalisé par l'OFCE,
suggérait que la situation n'était pas favorable à la
France, que l'on considère le taux de prélèvements
obligatoires, la fiscalité du revenu, celle de l'épargne, celle
des entreprises ou celle du travail.
Il a indiqué que la France avait l'une des fiscalités les plus
lourdes de l'Union européenne, avec un taux de
prélèvements obligatoires de 45,5 % du PIB en 1999 et de 45 % du
PIB en 2001. Il a rappelé que, selon les simulations du Centre
d'observation économique (COE) de la chambre de commerce et d'industrie
de Paris réalisées pour la commission à l'occasion du
débat d'orientation budgétaire pour 2001, il avait
été établi qu'une diminution des
prélèvements obligatoires, compensée par une diminution
équivalente des dépenses publiques, pourrait être
bénéfique à la croissance, en particulier si cette
diminution concernait l'impôt sur le revenu et les cotisations sociales.
Il a indiqué qu'une telle réforme avait été mise en
oeuvre aux Pays-Bas, où le taux de prélèvements
obligatoires avait baissé de 2,6 points de 1991 à 2001, revenant
de 41,8 % à 39,2 % du PIB, essentiellement du fait d'une baisse des
impôts directs sur les ménages (moins 4,8 points de PIB) et des
cotisations sociales (moins 0,8 point de PIB), la réduction
supérieure des dépenses publiques ayant permis, globalement, une
amélioration du solde public structurel.
M. Philippe Marini, rapporteur général,
a
considéré que la fiscalité française était
également mal conçue. Il a affirmé que, sur la base du
critère du taux implicite de taxation des entreprises, la France
apparaissait comme le deuxième Etat le moins bien placé en
Europe. Il a également estimé que l'impôt sur le revenu
était, en France, à la fois parmi les moins productifs, et les
plus désincitatifs, son taux maximum figurant parmi les plus
élevés, et parmi ceux concernant la plus grande proportion de
ménages. Il a considéré que la fiscalité
française était également parmi les plus inadaptées
en ce qui concernait l'épargne, la surtaxation des revenus des actions
par rapport à ceux des obligations, qui existait dans la plupart des
Etats européens, étant, en France, particulièrement
marquée. Enfin, il a jugé qu'en France une part importante des
allégements spécifiques de cotisations sociales pouvait
être imputée, moins à un objectif de réduction du
coût du travail des actifs les moins qualifiés, qu'à la
nécessité de compenser le surcoût salarial
occasionné par la diminution de la durée du travail.
M. Philippe Marini, rapporteur général,
a
considéré que l'harmonisation des fiscalités des Etats de
l'Union européenne était nécessaire, mais que, la
politique fiscale pouvant être considérée comme
l'expression de la souveraineté fiscale des Etats, la vitesse de cette
harmonisation en était nécessairement affectée. Il a
rappelé que, lors de son audition par la commission le 27 mai 2003, M.
Pedro Solbes, commissaire européen chargé des affaires
économiques et monétaires, avait indiqué que les mesures
en matière d'harmonisation fiscale ne devraient, selon lui, être
prises à la majorité qualifiée que dans le cas des
impositions indirectes affectant le marché intérieur. Il a
estimé que les aspects institutionnels de l'harmonisation fiscale
n'avaient pas été suffisamment abordés par la convention
sur l'avenir de l'Europe. Il a néanmoins salué l'adoption par le
Conseil « Ecofin », le 3 juin dernier, d'un
« paquet fiscal », comportant notamment une directive sur
la fiscalité de l'épargne, prévoyant d'instaurer un
échange d'informations entre administrations fiscales.
En conclusion,
M. Philippe Marini, rapporteur général,
a
souligné l'intérêt de travaux tel celui
réalisé par l'OFCE, et la nécessité, pour la
France, de réformer sa fiscalité afin que la concurrence fiscale
ne joue pas en sa défaveur.
Un large débat s'est alors engagé.
M. Jean Arthuis, président
, a estimé que l'harmonisation
fiscale européenne était insuffisante. Il a en particulier
évoqué la récente suppression, par l'Italie, de ses droits
de mutation.
M. Jacques Oudin
a considéré que la réduction du
taux de prélèvements obligatoires était difficile pour les
grands Etats, que certains prélèvements obligatoires
pourraient être utilement transformés en redevances, que
l'efficacité des administrations publiques devait être
améliorée, et que certaines dépenses publiques, comme
celles en matière d'infrastructures de transports, favorisaient le
développement économique.
M. Maurice Blin
s'est interrogé sur la part de l'impôt sur
le revenu dans les ressources fiscales et s'est demandé si la
fiscalité française favorisait trop la demande par rapport
à l'offre. Il a considéré que l'importance des
dépenses relatives à la politique de l'emploi n'empêchait
pas la France d'avoir un taux de chômage élevé, et que la
fiscalité des Etats de l'Union européenne ne leur permettait pas
d'affronter la concurrence fiscale des Etats-Unis dans des conditions
favorables.
Evoquant le cas de distorsions économiques suscitées par les
différences entre les systèmes fiscaux français et
espagnol,
M. Auguste Cazalet
a fait état de son pessimisme quant
à la possibilité d'une réelle harmonisation fiscale entre
Etats européens.
M. Gérard Bailly, membre de la délégation pour la
planification,
a estimé que les nouvelles charges des
collectivités territoriales, telles que l'allocation
personnalisée d'autonomie, allaient susciter une augmentation de leurs
prélèvements obligatoires, alors que le contexte
budgétaire incitait à une réduction des dotations et
subventions de l'Etat aux collectivités territoriales.
M. Jean Arthuis, président
, a estimé que l'harmonisation
fiscale en Europe était très insuffisante. Il a
considéré que la France se caractérisait à la fois
par un taux de prélèvements obligatoires élevé et
par un solde public fortement déficitaire, et que la seule grande
réforme fiscale qu'elle avait réalisée ces
dernières années était l'instauration de la contribution
sociale généralisée (CSG). Il a en outre jugé que,
dans une économie globalisée, l'impôt permettant
d'affronter la concurrence fiscale dans les meilleures conditions était
celui sur la consommation, cette dernière n'étant pas
délocalisable.
En réponse aux différents intervenants,
M. Joël Bourdin,
président de la délégation pour la planification
, a
indiqué que quatre Etats avaient réduit leur taux de
prélèvements obligatoires de 1990 à 2000 (la Suède,
les Pays-Bas, l'Irlande et le Japon). Il a estimé que la proposition de
transformer certains prélèvements obligatoires en redevances
était intéressante, et que l'impact des différents types
d'investissement sur la croissance était difficile à
évaluer.
Continuant à répondre aux questions posées,
M. Philippe
Marini, rapporteur général
, a estimé que la
décentralisation était susceptible de réduire le taux de
prélèvements obligatoires.
MM. Philippe Marini, rapporteur
général, Jean Arthuis, président
,
et Yann Gaillard,
ont déploré l'échec de la tentative de réforme
de l'administration fiscale menée par le précédent
gouvernement.
M. Philippe Marini
a indiqué que la part de
l'imposition du revenu dans le PIB était en France plus faible que dans
la plupart des autres Etats européens, et a estimé que la
fiscalité française était excessivement favorable à
la demande, et pas assez à l'offre. Dans le cas de l'impôt sur les
successions, il a renvoyé au récent rapport d'information
(n° 65, 2002-2003) réalisé par la commission sur
« la fiscalité des mutations à titre
gratuit ». Il a, enfin, estimé que l'éventualité
d'une augmentation du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée ne
devait pas être écartée.
La commission et la délégation pour la planification ont
décidé de publier l'étude de l'OFCE
,
précédée d'un texte de présentation,
sous la
forme
d'un
rapport d'information
commun à la commission et
à la délégation pour la planification.