Audition de M. Guy GILBERT,
Professeur à
l'Ecole normale supérieure de Cachan,
M. François
VAILLANCOURT,
Professeur à l'Université de
Montréal,
M. Bernard DAFFLON,
Professeur à
l'Université de Fribourg
(9 octobre 2002)
M.
Jean ARTHUIS, président
- Mes chers collègues, nous
poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Guy Gilbert, spécialiste
des problèmes de financement des collectivités territoriales et
de fiscalité locale.
La démarche que nous avons entreprise est liée à la
proximité d'une réforme constitutionnelle. Celle-ci donne une
nouvelle impulsion à la décentralisation et s'efforce de
conforter les ressources propres des collectivités territoriales afin
qu'elles puissent s'administrer plus librement.
Depuis une dizaine d'années, les seules réformes que nous avons
su apporter à la fiscalité locale ont entraîné la
disparition progressive des impôts locaux. De grands travaux ont
été accomplis au début des années 90 pour porter
remède à l'archaïsme et à l'injustice de la matrice
principale de nos impôts locaux. Mais il y avait des gagnants et des
perdants et tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont
refusé d'en appliquer les conclusions.
Professeur, merci d'avoir accepté notre invitation, vous avez maintenant
la parole. Les commissaires présents ne manqueront ensuite pas de vous
soumettre au feu de leurs questions.
M. Guy GILBERT, professeur à l'Ecole normale supérieure de
Cachan -
Merci Monsieur le Président, je suis très
honoré d'être reçu par la commission des finances et
heureux de pouvoir contribuer à ses travaux.
Les finances locales françaises occupent une place tout à fait
singulière au sein des pays membres de l'Union européenne, et ce
pour plusieurs raisons :
- elles constituent une part exceptionnellement importante des ressources dans
les budgets locaux ;
- un tiers de cette part importante est en fait acquitté par
l'Etat ;
- les collectivités territoriales pèsent un poids très peu
élevé dans le PIB ;
- le maillage territorial, qui exprime la densité institutionnelle des
finances locales, est serré et abondant ;
- les disparités de richesse fiscale entre les collectivités sont
exceptionnellement élevées.
La France combine un poids important des impôts dans les ressources des
collectivités territoriales avec une relative modestie des
dépenses locales dans le PIB. Elle est la seule dans ce cas. Elle
combine d'autre part un haut degré d'autonomie fiscale locale avec une
très faible moyenne d'habitants dans ses collectivités de base.
Elle se distingue là encore de ses partenaires européens. La
position de la France n'est donc pas une position moyenne.
Sans réforme de la fiscalité locale, il est raisonnable de
s'attendre à une recentralisation des finances locales. Cette
recentralisation n'est pourtant pas souhaitable, ni politiquement, parce que je
ne la crois pas « faire bon ménage » avec le
principe même de la décentralisation, ni économiquement,
parce qu'elle est gage d'irresponsabilité, de gaspillage de ressources
et d'une concurrence fiscale inefficace entre les territoires.
La direction que semblent prendre aujourd'hui les finances locales est donc
à peu près à l'opposé de celle que l'on pourrait
attendre d'une décentralisation :
- la part de la fiscalité locale diminue ;
- la réforme des bases est à l'oeuvre mais elle s'inscrit en
creux (qu'il s'agisse de la taxe d'habitation ou de la taxe
professionnelle) ;
- la tension fiscale s'accroît avec le transfert de compétences
incomplètement financées ;
- la carte institutionnelle se modifie favorablement avec la montée de
l'intercommunalité à fiscalité unique mais surtout dans le
monde urbain ;
- l'encadrement macroéconomique des finances locales se durcit,
notamment dans le cadre européen à travers les engagements
internationaux pris par la France.
La question des ressources est donc essentielle et ce, pour deux raisons.
D'une part, elle figure au coeur de la stratégie budgétaire des
collectivités. Dans les années 60-70, les budgets locaux
étaient construits à partir des investissements, dont on
déduisait des dépenses de fonctionnement. Aujourd'hui, on part
sur une hypothèse d'évolution de taux et on
« boucle » sur l'investissement. Il n'est ainsi pas inexact
de dire que les ressources fiscales font les dépenses - on peut le
montrer économétriquement -, que les deux tiers des
disparités de dépenses par habitant tiennent aux
disparités de recettes par habitant, et que la solvabilité
financière durable d'une collectivité dépend de son
rendement fiscal.
D'autre part, cette question ne se pose toutefois pas uniquement en
France : en Allemagne, la question de la fiscalité locale est au
coeur du blocage du système global de ressources des
collectivités ; en Italie, des réformes considérables
sont aujourd'hui arrêtées ; elles sont en cours en Espagne,
mais la question de l'approvisionnement financier des collectivités
territoriales se pose ; enfin en Angleterre, les collectivités
n'ont quasiment aucune autonomie fiscale.
Faut-il pour autant réformer la fiscalité locale ou laisser jouer
la concurrence fiscale ? Au Royaume-Uni, une idée très
répandue consiste à dire qu'il n'est pas dommageable pour
l'économie de donner aux collectivités des ressources
décidées ailleurs et de les laisser ensuite se livrer à
une saine concurrence, censée les obliger à réduire leurs
coûts, favoriser les expérimentations, et permettre des gains de
productivité aux collectivités vertueuses, qui auront
gagné des bases, des habitants, des activités économiques.
Les économistes dont je fais partie jugent ce concept trop simpliste
pour deux raisons : d'une part parce que, rationnellement, chaque
collectivité n'est intéressée que par l'augmentation de la
satisfaction de ses ressortissants et a donc tendance à négliger
ses voisins ; d'autre part parce qu'elle repose sur une
légitimité politique tellement faible qu'elle ne se
concrétiserait que par une collection de SIVU (syndicat intercommunal
à vocation unique) et de SIVOM (syndicat intercommunal à vocation
multiple) qui entretiendrait une concurrence tirant les coûts toujours
vers le bas.
Si l'on décide de réformer la fiscalité locale, j'estime
qu'il y a deux voies à emprunter.
La première est la voie « fiscalo-fiscale ». Elle
nécessite que l'on définisse précisément ce qu'est
un bon impôt local.
Un bon impôt local doit comporter des caractéristiques qui,
d'après moi, sont bien plus nombreuses et bien plus difficiles à
rencontrer que celles qui pourraient définir un bon impôt
national. On lui demande en effet d'équilibrer des compétences
(équilibre budgétaire en statique et en
dynamique), de
reposer sur des bases à la fois localisables et fixes (or, dans un monde
où la flexibilité est recherchée, la fixité est de
plus en plus difficile) et de permettre aux collectivités de se
différencier les unes des autres.
Ce « cocktail » de caractéristiques ressemble
à la quadrature du cercle et je ne dénombre que deux bons
impôts locaux : les redevances d'usagers et les impôts
fonciers et immobiliers assis sur des valeurs vénales. On pourrait
à la rigueur songer à l'impôt sur le revenu à base
large et à taux proportionnel, à des impôts sur la valeur
ajoutée perçue au coût des facteurs (sorte de taxe
professionnelle restaurée, c'est-à-dire non amputée) ou
encore à des impôts sur les biens et services
caractérisés par une demande peu élastique par rapport aux
prix et une bonne répartition géographique des bases.
Nous ne pouvons pas dire que cette réforme soit aujourd'hui totalement
en dehors des évolutions que nous constatons. La taxe professionnelle,
de par son plafond, se rapproche en effet de la valeur ajoutée ;
mais parce qu'elle a été amputée de sa part salariale,
elle s'en éloigne tout autant. Quant à la taxe d'habitation, si
elle se rapproche du revenu pour la règle de modulation de la cotisation
des contribuables à faibles revenus, elle en reste tout de même
très éloignée. J'ajouterai que cette réforme
prévoit un début de tunnel en taux (la taxe professionnelle est
largement installée dans un tunnel), mais ce dispositif n'est pas
généralisé à l'ensemble des impôts locaux,
que les évolutions actuelles ne comportent malheureusement rien sur la
réforme des bases foncières et immobilières et que les
taux de fiscalité n'ont aucune signification particulière
puisqu'à la fois déformés et surévalués, ils
ne peuvent constituer de bons indicateurs pour les contribuables.
Au final, cette réforme « fiscalo-fiscale » est
à la fois en route, inachevée, voire contredite par les
évolutions en cours.
La seconde voie de réforme de la fiscalité locale est la version
territoriale.
Elle est elle aussi en cours. Les périmètres fiscaux se
consolident, notamment à travers le développement
extrêmement rapide en milieu urbain de l'intercommunalité à
fiscalité unique. Cela favorise la congruence entre les territoires de
perception de l'impôt et les aires de services collectifs de
proximité, ce qui est bon et du reste la loi de juillet 1999 sur
l'intercommunalité va dans ce sens, mais ne vaut au mieux que pour la
France urbaine. Alors
quid
de la France rurale ?
Des possibilités de réforme fiscale locale existent, mais elles
sont très ambitieuses et reposent sur des hypothèses
particulièrement lourdes.
Il n'y a ainsi pas de décentralisation possible sans pouvoir fiscal
autonome. L'autonomie signifie que les ressources fiscales doivent permettre
la modulation significative des choix et des stratégies, ainsi que
la conduite d'expérimentations locales, que les bases sont
proportionnelles en volume aux compétences (et d'autant plus larges que
le domaine de compétences risque de s'élargir) et que le
« portefeuille fiscal » doit avoir de bonnes
propriétés dynamiques (chaque collectivité se devant
d'avoir plusieurs impôts).
Par ailleurs, il est nécessaire que les collectivités
bénéficient à 100 % des
« effets-bases » c'est-à-dire qu'elles
perçoivent la totalité des effets d'accroissement, ou de
décroissance, des bases attribuables à l'action publique locale.
Il n'y a enfin pas de pouvoir fiscal autonome accru sans une
responsabilité fiscale elle-même accrue. Il faut pour cela une
spécialisation fiscale claire (un niveau de collectivité est
responsable du vote d'un taux) et des bases fiscales pas trop larges pour que
les conséquences fiscales des choix soient perceptibles.
Concrètement, ces principes doivent se traduire par un
élargissement des bases d'imposition locale. A ce titre, le revenu du
type contribution sociale généralisée constitue selon moi
la bonne base et aurait dû s'ancrer sur la taxe professionnelle assise
sur la valeur ajoutée appréciée au coût des facteurs
(la réforme de 1999 a, de ce point de vue, été
particulièrement malheureuse), et la réévaluation des
valeurs cadastrales vers les valeurs vénales me semble de bonne logique.
Mais doter les collectivités de bases modernes et évolutives a un
prix : la restriction de la liberté de vote des taux à une
fixation en tunnel. Cette dernière idée, qui n'est pas une
novation, combinée avec le fait que chaque niveau de collectivité
aurait la possibilité de moduler un taux et un seul, mérite
d'être prise en compte.
Enfin, il importe de découpler la réforme de la fiscalité
au niveau local (communes et intercommunalités) de la réforme de
la fiscalité au niveau des départements et des régions.
Naturellement, réformer la fiscalité locale a des
conséquences d'une extrême importance en matière de
transferts financiers entre l'Etat et les collectivités. Avec des
impôts mieux assis, la réforme fiscale version territoriale
réduirait mécaniquement le besoin de
péréquation : 90 % des écarts de potentiel fiscal
entre les communes provenant des impôts locaux prélevés sur
les entreprises, un élargissement des paramètres fiscaux sur la
base desquels sont votés les taux de TP entraînerait une baisse
des disparités de potentiel fiscal par habitant. Mais du coup, c'est le
besoin de correction des inégalités intra-communautaires qui
s'accroîtrait ; les mécanismes de solidarité
communautaire devraient donc être renforcés. Toujours dans le
même registre, si les impôts étaient mieux assis, l'Etat
aurait moins de raisons d'intervenir massivement dans la fiscalité
locale et le besoin de compensations, d'exonérations ou d'abattements se
réduirait. Au total, la pression mise sur le système de
péréquation diminuerait et se déplacerait et il est
probable que la péréquation financière verticale aurait
à se combiner avec une péréquation financière
horizontale, plus ou moins volontaire, plus ou moins obligatoire.
L'édifice actuel pourrait-il répondre sans modifications à
ce défi ?
L'édifice actuel se chiffre à 20 milliards d'euros par an. Il
réduit d'un tiers les inégalités de potentiel fiscal par
habitant entre communes. Cette performance est obtenue à l'aide de
différents types d'instruments de péréquation :
- des instruments budgétivores et faiblement péréquateurs,
consommant beaucoup plus de ressources qu'ils ne contribuent à la
péréquation (dotation forfaitaire de la DGF) ;
- des mécanismes peu budgétivores mais très faiblement
péréquateurs (dotation de compensation de la TP) ;
- des mécanismes intensément péréquateurs et peu
budgétivores, consommant moins de ressources qu'ils ne contribuent
à la péréquation (dotation d'aménagement de la
DGF) ;
- un mécanisme de péréquation horizontale (fonds
départementaux de péréquation de la taxe professionnelle).
Aucun mécanisme n'est contre-péréquateur.
Si la réforme de la fiscalité locale pouvait se faire, la
pression que l'on mettrait sur le système de péréquation
serait sans doute moins forte.
J'en ai ainsi terminé avec cette présentation liminaire.
M. le Président
- Merci Professeur pour cet exposé dont je
veux saluer la clarté. Les professeurs Vaillancourt et Dafflon ont-ils
une observation à formuler ?
M. François VAILLANCOURT, professeur à l'université de
Montréal
- Au contraire de la France, les municipalités et
communes canadiennes n'ont pas d'existence constitutionnelle, elles sont ce que
nous appelons des « créations provinciales ». Les
Provinces peuvent donc disposer à leur guise de leur nombre, de leur
taille, de leur fiscalité et de leur responsabilité. Tout
récemment, en Ontario puis au Québec, il a ainsi
été procédé à des fusions forcées, et
ce malgré l'opposition des élus locaux. Je citerai l'exemple de
l'île de Montréal où le slogan « une île,
une ville » a été réalisé en fusionnant
28 communes en une seule.
M. le Président
- Qui décide ?
M. François VAILLANCOURT
- L'assemblée législative
de la province.
L'autre point intéressant est la péréquation
intra-communale. L'ancien maire de Montréal, aujourd'hui chef de
l'opposition, disait tout récemment à son successeur qu'il
n'avait pas un problème de ressources, mais un problème
d'allocation des ressources entre l'ancienne ville, historiquement plus pauvre,
et les riches banlieues. Le courage politique consisterait donc à
demander à ces dernières d'aider la partie pauvre. C'est
évidemment très délicat à obtenir.
Enfin, au Canada, la fixation des taux relève de l'entière
discrétion des conseils municipaux, sans aucune balise, tandis que les
assiettes sont soumises à des règles provinciales. Et la
perception est le fait des fonctionnaires municipaux.
M. le Président
- Les services fiscaux sont-ils
complètement décentralisés ou chaque niveau dispose-t-il
de ses propres services fiscaux ?
M. François VAILLANCOURT
- Chaque niveau possède ses
services fiscaux. Au Québec, par exemple, les municipalités
perçoivent les impôts fonciers, les droits d'usager, les taxes
d'ordures ménagères, etc... Le Québec, outre l'impôt
sur les personnes physiques et l'impôt sur les sociétés,
perçoit, pour le compte du gouvernement fédéral, la taxe
sur les produits et services, c'est-à-dire la TVA canadienne, mais il
s'agit là d'une exception qui lui est propre.
En tout état de cause, les municipalités ont une longue tradition
de perception des impôts fonciers sur leur territoire, de gestion de ces
fonds - les vérifications étant effectuées par des
contrôleurs privés - et donc d'indépendance
financière.
M. le Président
- Les Provinces se servent-elles des mêmes
assiettes pour asseoir leurs propres ressources ?
M. François VAILLANCOURT
- Au début des années 60,
les municipalités avaient innové avec l'utilisation d'une taxe de
vente au détail. Dès que la Province du Québec s'est rendu
compte qu'il s'agissait là d'une source de revenus intéressante,
vers 1965, elle a décidé de s'en emparer et d'en augmenter le
taux. Pendant une période transitoire de quinze ans, 25 % du produit de
la taxe a été remis aux municipalités afin de
« leur faire avaler la pilule ». Et au début des
années 80, cette taxe est devenue l'entière
propriété de la Province.
Si les Provinces ne sont donc pas présentes dans l'impôt foncier,
je ne serais pas surpris qu'à moyen terme, elles y jettent une certaine
convoitise.
M. le Président
- Et l'assiette du foncier, est-ce la valeur
vénale ?
M. François VAILLANCOURT
- Oui. La valeur vénale est
établie non par le propriétaire mais par les services
d'imputation qui utilisent la « méthode des
comparables » et ce, en référence au prix de
marché au 31 décembre de l'année n-1 pour le
1
er
janvier de l'année n+1. En général, un
déséquilibrage se produit entre d'une part le résidentiel
qui a tendance à être sous-évalué et d'autre part
l'industriel et le commercial qui ont tendance à être
sur-évalués. Mais un rééquilibrage s'opère
en général tous les trois ans.
M. le Président
- Merci, Professeur Vaillancourt. Professeur
Dafflon, nous souhaiterions avoir votre témoignage.
M. Bernard DAFFLON, professeur à l'université de Fribourg
- Je ne vais pas vous faire une leçon sur les communes suisses, elles
sont comme les communes françaises, parfaitement indépendantes et
intouchables. Elles peuvent ainsi fusionner volontairement, mais il est hors de
question qu'une quelconque autorité les y oblige. Ce qui explique
d'ailleurs qu'il y ait beaucoup trop de petites communes.
J'aimerais par contre réagir à l'idée de bouquet
d'impôts. D'aucuns dans cette salle en sourient, mais cela existe en
Suisse puisque les communes ont à leur disposition neuf sortes
d'impôts : l'impôt sur le revenu et la fortune des personnes
physiques et l'impôt sur le capital et le bénéfice des
personnes morales, partagés avec les cantons et la
confédération, sachant que les 26 cantons établissent
librement leurs barèmes alors que les communes ne décident que du
coefficient annuel ; l'impôt sur les mutations, les successions et
les donations, les bénéfices en capital des plus-values et les
contributions immobilières, pour lesquels les communes, dans certaines
limites, fixent librement les taux ; enfin, toute une série de
petits impôts, relativement insignifiants, sur les dépenses.
Il y a également cinq sortes de redevances d'utilisation : elles
concernent l'eau, les déchets, l'eau usée, la voirie et les
infrastructures.
Pour vous donner un ordre de grandeur, 80 % des ressources locales sont
des ressources propres et 15 % des transferts en provenance des cantons.
Parmi les ressources propres, 60 % proviennent des impôts,
25 % des redevances d'utilisation et 15 % du patrimoine financier.
L'impôt sur le revenu et la fortune représente 40 % du
montant total des impôts, l'impôt sur le capital et les
bénéfices 12 % et la contribution immobilière
8 %.
Nos neuf sortes d'impôts vous étonneront peut-être. Mais
s'ils soulèvent quelques problèmes techniques, ils ne
soulèvent que très peu de problèmes économiques,
mis à part peut-être l'impôt sur le bénéfice
des personnes morales qui crée des problèmes liés à
la compétition, à l'exportation, à la neutralité.
Ce dernier constitue parfois un facteur de délocalisation. C'est la
pierre d'achoppement principale du système fiscal suisse.
M. le Président
- Je vous remercie. Je donne maintenant la parole
aux commissaires qui souhaitent vous poser des questions.
M. Joël BOURDIN
- Merci, Monsieur le Président. Je n'aurai
qu'une seule question à poser à Guy Gilbert. En fin
d'exposé, vous nous avez montré une graphique se reportant
à l'année 1997. N'y a-t-il pas eu depuis des modifications
liées à la création de l'intercommunalité ?
J'ai personnellement le sentiment que l'ensemble des dotations tend vers une
péréquation adoucie.
M. Guy GILBERT -
Je ne peux répondre à cette question.
Notre étude sera bientôt refaite sur de nouvelles données.
Mais mon intuition est que le pouvoir péréquateur de la dotation
forfaitaire de la DGF, assise sur des critères de plus en plus
obsolètes, devrait s'éroder dans le temps. Je m'attends
également à ce que le pouvoir péréquateur
relativement élevé de la dotation d'aménagement
s'accroisse.
Pour ce qui est de savoir ce qu'il se passe réellement au sein de
l'intercommunalité, il faudrait savoir beaucoup de choses sur les
dotations de solidarité intercommunale. Or, aujourd'hui, nous ne
disposons pas d'une base de données suffisante, la période
étant trop courte et les capacités de différenciation des
structures intercommunales encore un peu faibles. Mais je doute que nous
trouvions un effet très significatif sur les premières
données que nous observerons.
M. Yves FRÉVILLE
- Je souhaiterais intervenir au sujet de la
stratégie de réforme que vous avez élaborée.
Pensez-vous que l'on puisse instaurer une CSG locale à côté
de la CSG nationale ? Ou une taxe professionnelle sur la valeur
ajoutée aux coûts de facteurs ?
Je voudrais d'autre part vous livrer deux observations. Les
dégrèvements, notamment celui sur la taxe d'habitation, ne sont
pas pris en compte dans le système de péréquation alors
qu'ils sont très largement contre-péréquateurs. Les
petites communes n'en bénéficient pas, au contraire des villes
fortement imposées du Midi de la France.
Je mène par ailleurs une étude, sur toute l'Ille-et-Vilaine,
consacrée aux mécanismes de péréquation horizontaux
au niveau des communautés de commune. J'y ai déjà
noté une disparité extraordinaire des politiques
menées : certaines communautés ne font pas aucune
péréquation, et elles sont en cela encouragées par l'Etat,
tandis que d'autres, celles qui possèdent des ressources, en font
à tout va.
M. Guy GILBERT -
Sur le partage de la CSG, la première objection
que l'on peut formuler à l'instauration d'une CSG locale consiste
à se demander qui autorisera les collectivités territoriales
à s'asseoir à la même table que les organismes sociaux.
Là réside le vrai problème. On nous reprochera bien vite
de vouloir vider la caisse des organismes de sécurité sociale au
bénéfice des collectivités territoriales.
Par ailleurs, nous ne pourrons pas introduire le revenu au niveau local en
prenant la base de l'impôt sur le revenu. Cette base représente le
tiers du revenu national. Elle est déformée et morcelée et
ne possède donc pas les propriétés qui conviennent.
Voilà pourquoi une base large me semblerait plus raisonnable, le
prélèvement à la source devenant
de facto
possible.
Pour revenir aux cas de la taxe professionnelle et de la valeur ajoutée,
j'estime que le traitement de l'amortissement en représente le plus gros
problème. Mais dès l'instant où l'on aura
décidé de dire que le taux est national ou qu'il est contenu dans
un tunnel de taux étroit, ce problème ne se posera plus
guère. Autrement dit, la restriction des marges de manoeuvre sur le taux
de la TP réduit le problème de la délocalisation.
J'ajouterai que si nous passons à des échelons de gestion
à TP unique, la question de savoir dans quelle commune de banlieue
localiser un équipement se posera en des termes totalement
différents.
Je crois en définitive que si ces problèmes existent, ils ne sont
pas d'une nature telle à empêcher le passage à la valeur
ajoutée.
M. le Président
- La valeur ajoutée pose tout de
même problème parce que les salaires sont par essence
délocalisables. J'ai vu des stratégies de délocalisation.
L'externalisation des collaborations représente un
phénomène nouveau. Il entraîne parfois des
délocalisations d'assiette provoquées par des taux de taxe
professionnelle inférieurs. C'est d'ailleurs lorsque j'ai dressé
ces constats que le Gouvernement a pris l'initiative de purger le
système en faisant disparaître les salaires des assiettes de taxe
professionnelle.
M. Guy GILBERT -
Je ne peux qu'aller dans votre sens. C'est pourquoi je
couple tout élargissement des bases avec une réduction des marges
de manoeuvre sur les taux. Il faut que cela soit dit.
Le chiffon rouge de l'impôt sur le bénéfice des
sociétés, attribué au niveau local en Grande-Bretagne, est
parfois agité. C'est une stupidité puisque cet impôt n'est
pas du tout local. Il s'agit d'un impôt sur le bénéfice des
sociétés mais dont le taux est unique et qui est
redistribué aux collectivités sur une base
per capita
. Si
vous appelez cela un impôt... Je le verrai plutôt comme une
subvention forfaitaire.
M. François MARC
- Je voulais remercier le professeur Gilbert et
ses collègues pour leurs exposés très clairs.
Permettez-moi une observation, que vous jugerez peut-être connotée
politiquement. J'ai surtout le sentiment que la France a besoin, plus que d'une
course en avant vers l'autonomie fiscale, d'une profonde réforme
technique de sa fiscalité locale.
Je voudrais d'autre part, en prolongement de ce qui a déjà
été dit, poser la question suivante : dans l'exposé
des motifs de la marche vers la décentralisation, le ministre Devedjian
a indiqué que le transfert de compétences fiscales au niveau
local génèrerait implicitement des gains de productivité.
Monsieur Gilbert, en tant qu'économiste, pensez-vous qu'il y ait un
optimum dans la recherche du bon niveau de compétences et du bon niveau
de décentralisation ?
M. Guy GILBERT -
Une réponse circonstanciée à cette
question ressemblerait furieusement à du charlatanisme ! Nous ne
possédons pas suffisamment d'éléments probants.
La raison fondamentale pour laquelle on décentralise est que l'on pense
qu'en rapprochant du citoyen ou du consommateur les unités qui
conçoivent les politiques et fournissent les services, on se rapproche
de ce qui est demandé. On sent donc bien que la question du
dégré « idéal » de
décentralisation des activités publiques et celle d'une
fiscalité facilement perceptible par le contribuable sont intimement
liées.
Mais s'agissant du degré idéal de décentralisation pour
telle ou telle activité, je crois que les économistes ne peuvent
apporter de réponse circonstanciée. Ils ne peuvent que donner la
grammaire des arguments.
M. le Président
- À l'inverse, nous pourrions nous
demander quel est le degré idéal de centralisation.
M. François MARC
- J'aurais pour ma part nuancé la
réponse de Guy Gilbert dans le sens où le citoyen d'aujourd'hui
est surtout soucieux d'avoir un service de qualité au moindre
coût, ce qui constitue une donnée socio-économique. Il nous
faut donc introduire des éléments de rationalité
économique.
M. le Président
- Nous avons donc besoin d'instruments
d'évaluation. La mise en application de la loi organique du
1
er
août 2001 nous permettra bientôt de faire face
à ce déficit. Nous sommes garants du respect de ses dispositions.
M. Yves FRÉVILLE
- Je crois qu'il existe une contradiction totale
entre ce qu'enseignent les économistes et ce que veulent les politiques.
Pour les premiers, la décentralisation se caractérise par des
différences, d'une collectivité à l'autre, de niveau de
services publics en fonction des préférences des gens. Les
politiques cherchent quant à eux à égaliser ce niveau de
services.
M. le Président
- Autrement dit, comment passer de l'utopie
à la réalité... ?
J'estime que nous avons intérêt à resserrer les liens entre
les universitaires et les parlementaires afin de pouvoir échanger des
arguments contradictoires.
Messieurs, la commission des finances vous remercie.