Audition de M. Philippe LAURENT,
Président-directeur général de Philippe Laurent Consultants


(9 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - J'accueille maintenant M. Philippe Laurent, expert en financement des collectivités territoriales. Je ne doute pas que son témoignage va enrichir notre réflexion.

Monsieur Laurent, nous sommes à la veille d'une consultation sur les nouvelles étapes décisives de la décentralisation. Nous nous interrogeons sur la faisabilité des dispositions contenues dans un projet de loi constitutionnel. Ledit projet, s'il n'institue pas d'autonomie financière, évoque tout de même le caractère déterminant des ressources fiscales, des ressources propres et des subventions que des collectivités territoriales pourraient percevoir d'autres collectivités territoriales. Il pose également le principe d'une péréquation au profit des collectivités les plus démunies.

Voilà dans quelles perspectives se situe notre réflexion. Je vous remercie d'y apporter votre contribution. Arrivera ensuite le temps des questions des commissaires ici présents.

M. Philippe LAURENT, président-directeur général de Philippe Laurent Consultants - Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir convié à cette audition.

Je suis ici en tant que Président fondateur du cabinet de conseil Philippe Laurent Consultants . Nous comptons une trentaine de collaborateurs et nous travaillons uniquement dans le domaine des finances locales. Nous abordons notamment beaucoup les questions intercommunales. Je dois toutefois vous dire, au nom de la transparence, que je suis également élu local : je suis en effet maire de Sceaux et je siège au conseil général des Hauts-de-Seine (donc à ce titre membre du Comité des finances locales). Je m'exprimerai devant vous en séparant mes deux fonctions, même si cela peut parfois se révéler difficile. J'y suis jusqu'à présent parvenu et j'espère que cela pourra continuer.

Au risque de paraître un peu provocateur, je suis de ceux qui pensent que notre système de fiscalité locale, s'il doit certes évoluer, n'est pas si mauvais que certains veulent bien le dire. Ou du moins l'était-il. J'ai ainsi eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que la taxe professionnelle, telle qu'elle évoluait avant la « réforme Strauss-Kahn », me semblait être un impôt qui avait certains atouts.

Je pense aussi que des erreurs ont été commises, par exemple la suppression de la vignette, dont je ne comprends toujours pas la justification exacte. Je ne vois pas non plus de justification à un certain nombre d'autres suppressions et dégrèvements qui ont pu avoir lieu ces dernières années. À part peut-être la volonté de faire plaisir à telle ou telle catégorie d'acteurs de notre pays.

C'est donc avec l'idée que notre système avait tout de même un certain nombre de qualités que j'ai répondu aux questions que vous m'avez préalablement posées.

Les recettes fiscales dans le budget des collectivités territoriales

Votre première demande consistait à savoir si l'importance des recettes fiscales dans le budget des collectivités territoriales avait un impact sur la manière dont une collectivité était gérée. Autrement dit, le fait qu'une collectivité tire une part importante de ses ressources de ses impôts influence-t-il sa gestion ?

J'y réponds bien entendu oui : oui parce qu'il y a un facteur de responsabilité, oui parce qu'il y a un frein éventuel de la dépense publique, mais surtout oui parce que cela permet une prise de risque raisonnée, notamment pour certains niveaux de collectivités territoriales, dans le développement territorial ou économique. Si une entité économique n'a pas la possibilité de se dire qu'elle pourra bénéficier, ou compenser, un choix stratégique, alors elle gèrera en bon père de famille, ce qui est bien, mais surtout en notaire, ce qui est moins souhaitable. Par conséquent, l'idée du retour sur investissement, positif ou négatif, me paraît tout à fait importante. Si elle sait qu'elle a une responsabilité fiscale, l'assemblée locale aura certainement plus à coeur de prendre des risques de développement.

C'est notamment la raison pour laquelle la taxation de l'activité économique me semble, contrairement à ce qui est souvent dit, tout à fait importante. Je ne vois pas comment taxer l'activité économique sans le faire sur les facteurs de production, ce que sont les salaires ou les investissements.

La responsabilité politique en matière de vote de taux

Une autre question m'avait été posée, celle se savoir comment arriver à une plus grande responsabilité politique en matière de vote de taux. Je pense que cela est à l'heure actuelle possible pour le niveau communal, un peu moins pour le niveau intercommunal, mais certainement pas pour les niveaux départemental et régional. Cela est dû à la relative difficulté pour le citoyen de percevoir le coût et l'apport direct des actions menées à ces niveaux. Ce qui est évidemment beaucoup plus simple au niveau communal puisqu'il y a un lien direct avec la vie quotidienne.

Cette responsabilité politique ne pourra être obtenue que par une certaine spécialisation de l'impôt local, qu'il est toutefois peu souhaitable de pousser à l'extrême. J'estime donc que deux impôts, l'un principal et l'autre secondaire, doivent coexister dans chaque collectivité. Cette spécialisation est actuellement menée à bien, puisque l'on a déjà supprimé la part régionale de la taxe d'habitation et que la taxe professionnelle a été passée au niveau des groupements intercommunaux, qui rassemblent les trois-quarts de la population. Une grande partie de la population française habite sur un territoire soumis au régime fiscal de la taxe professionnelle unique (TPU).

Surtout, cette responsabilité politique ne pourra être obtenue que par une possibilité beaucoup plus importante de fixer le taux, sans entraves particulières. Remarquons que l'on peut aussi obtenir une meilleure responsabilité fiscale en permettant aux assemblées locales de fixer des règles de modification d'assiettes.

Une première avancée sur la possibilité de fixer le taux a été réalisée par le Gouvernement au travers du projet de loi de finances sur la déliaison des taux. C'est encore, de mon point de vue, notoirement insuffisant. Mais le symbole est tombé et il reviendra au Parlement de « s'engouffrer » dans cette porte légèrement entrouverte.

Je voudrais d'ailleurs dire que le taux de la taxe professionnelle n'est pas le seul en cause. Le foncier non bâti, important pour un certain nombre de collectivités et notamment les communes, et les droits de mutation, sont également concernés. Il y a dans tous les secteurs de la fiscalité, qu'elle soit directe ou indirecte, un certain nombre de blocages qui ne sont pas totalement justifiés.

L'utilisation actuelle des marges de manoeuvre fiscale

Un certain nombre d'obstacles à une plus grande utilisation des marges de manoeuvre existent. Ils me semblent d'abord d'ordre législatif et réglementaire, par exemple la liaison des taux, et ils ont conduit les assemblées locales à ne plus vraiment se poser la question de savoir si elles pouvaient ou non adopter des politiques fiscales différenciées. Le nombre de collectivités territoriales ayant, année par année, augmenté ou diminué leurs taux de manière différenciée est d'ailleurs très faible. Très peu de collectivités jouent donc des maigres possibilités qui leur sont données. Les documents de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et le rapport de l'Observatoire des finances locales le prouvent.

Quant à l'assiette, elle représente un point important puisque nous sommes aujourd'hui dans un système où les assiettes, notamment les valeurs locatives, la taxe foncière et la taxe d'habitation, sont fixées depuis 1970 et que la réforme de 1990 n'a pas été mise en oeuvre. Selon moi, même si les assiettes actuelles ne sont plus très pertinentes, avoir une assiette fiscale sur le foncier me paraît être une idée-force qu'il faut à tout prix conserver. Il s'agit en effet d'un impôt localisé, très bien adapté à la commune.

Je pense aussi, pour avoir étudié de très près la question, que la révision de 1990 n'entraînerait pas forcément d'amélioration sensible dans certains cas, le découpage des secteurs législatifs ayant été insuffisamment travaillé. On le voit surtout dans les agglomérations. L'idée de ne pas se contenter des limites des communes est donc bonne, mais elle ne règle pas la question très réelle de l'inéquité des valeurs locatives et des revenus cadastraux. Il serait donc certainement nécessaire de s'orienter vers un système déclaratif prenant en compte, sur la base du prix de vente ou d'achat, la valeur vénale des propriétés. Je n'ai pas davantage creusé cette idée souvent émise mais difficile à mettre en oeuvre, mais il me semble que nous pourrions nous en inspirer.

S'agissant de la taxe d'habitation, je pense qu'il faut prendre en compte le revenu. C'est déjà le cas pour un bon nombre de foyers français, probablement la moitié, grâce au plafonnement et aux dégrèvements, mais j'estime qu'il faut aller plus loin. Je crois également nécessaire de prendre en compte le nombre de personnes de la famille, non pas en moins mais en plus : plus il y a de gens, plus la taxe devrait être élevée. C'est une démarche qui a fait parler d'elle et qu'il faut creuser.

Autre point très important, celui de la taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée. On nous dit toujours que c'est la solution ; or, dans le passé, avant la suppression de la part salaires, nous n'étions pas très loin de ce système.

M. le Président - C'était de la valeur ajoutée !

M. Philippe LAURENT - Pas tout à fait, il manquait les résultats de l'entreprise.

M. le Président - Heureusement.

M. Philippe LAURENT - Et puis on ne prend pas en compte la dotation aux investissements.

M. le Président - Cela y ressemblait...

M. Philippe LAURENT - C'est plus cumulatif, Monsieur le Président. On prend en compte la valeur brute additionnée, ce qui explique la dynamique importante sur la taxe professionnelle. Dès que la situation économique dans une région à vocation industrielle est bonne, cette taxe augmente très rapidement. Elle augmentait même encore plus vite à l'époque de forte inflation car on remplaçait au prix de l'époque des machines payées très peu chères.

Si nous nous basons sur la valeur ajoutée, nous ne serons plus dans la même logique et nous dépendrons des politiques fiscales nationales en matière d'amortissement, ce qui ne me paraît pas très bon.

Et pour finir, j'ajouterai que la part des salaires dans la valeur ajoutée est plus importante maintenant qu'elle ne l'était précédemment dans la base de la taxe professionnelle. En tout cas à l'arrivée, parce que la part salaire avait tendance à diminuer alors que la part investissement avait tendance à augmenter. La part salaire était en fait passée de 60 à 30 %, alors que dans la valeur ajoutée, les salaires avoisinent les 50 %. Ce qui veut dire que prendre en compte la valeur ajoutée revient à taxer davantage les salaires. Il y a là un raisonnement que je ne m'explique pas très bien de la part de l'Etat.

Un autre problème se pose, celui de la localisation. La valeur ajoutée est appréciée au niveau de l'entreprise et pas de l'établissement. Des solutions existent, comme répartir la valeur ajoutée en fonction du nombre de salariés de chaque établissement ou de la valeur locative des investissements, mais elles seraient compliquées à mettre en oeuvre. Toujours est-il que la valeur ajoutée, selon moi, n'amène rien à la situation précédant la « réforme Strauss-Kahn ».

L'impôt local idéal

D'après moi, il doit être :

- facilement localisable ;

- équitable pour l'ensemble des contribuables et proportionné à leurs facultés contributrices ;

- suffisamment sensible à la conjoncture pour sensibiliser les élus locaux aux difficultés de tous ;

- suffisamment stable pour assurer un niveau et une qualité de services constants ;

- suffisamment dynamique, afin de permettre les progressions nécessitées par le financement de compétences sans cesse plus lourdes ;

- simple à comprendre et à contrôler pour le contribuable ;

- simple à recouvrer et à contrôler pour l'administration fiscale ;

- adaptable localement afin de tenir compte de la diversité du territoire.

En observant tout cela, on voit donc que l'impôt foncier, l'ancienne taxe professionnelle et même les taxes départementales sur le revenu, qui n'ont vécu qu'un été, ne sont pas mal du tout.

Les impôts d'Etat dont tout ou partie du produit serait attribuable aux collectivités

Je tiens à préciser que si l'on module le montant de la fraction qui serait reversée en fonction de la loi, on sort du champ de l'impôt local pour entrer dans celui de la dotation, certes indexée sur une ressource, mais déguisée. Par conséquent, si nous parlons d'impôt local, nous ne pouvons évoquer qu'un impôt dont le taux et éventuellement l'assiette sont fixés par l'assemblée locale. Si l'on vous promet de donner une partie de la TIPP aux régions, par exemple 20 % du produit recouvré, il ne s'agira pas véritablement d'un impôt local. Nous ne pouvons donc parler ici que d'impôts avec un taux additionnel.

Je pense que l'impôt sur le revenu des personnes physiques pourrait faire l'objet d'un impôt additionnel. Cela se déroulerait au niveau régional plus que local, la région permettant d'atténuer un peu les disparités de ressources.

Je crois également que dans les systèmes nationaux de péréquation, le potentiel fiscal ne constitue plus un bon indicateur pour déterminer les dotations versées. Il ne reflète en effet pas la capacité contributive des habitants du territoire, et devrait donc être apprécié en fonction des revenus des personnes physiques comme des acteurs économiques. Si l'on fait de la péréquation au niveau national, on devrait prendre en compte ces deux éléments sur le territoire pour lequel on pérèque. C'est relativement simple, et c'est surtout révélateur de la capacité contributive des acteurs économiques du territoire. Il s'agit donc selon moi d'un point tout à fait majeur.

Je souhaiterais pour conclure aborder un dernier point. Nous sommes aujourd'hui sous l'emprise du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre. Je suis pourtant convaincu que nous ne pourrons pas rénover notre système fiscal et notre système de péréquation si l'on ne considère pas qu'un niveau de collectivité peut avoir une influence sur un autre niveau de collectivité. Voilà pourquoi j'estime que la péréquation par rapport aux charges - kilomètres de voiries, élèves, logements sociaux, ... - doit se faire au niveau de la région et non de l'Etat. À charge pour la région de recevoir une péréquation globale au niveau national. Là réside toute l'ambiguïté du débat, révision constitutionnelle y compris : personne ne veut dire que tout ceci nous conduira à ce qu'une collectivité ait un pouvoir sur une autre. Or, ne rien dire nous posera de graves problèmes demain. J'en suis convaincu.

M. le Président - Merci, Monsieur Laurent. J'ai maintenant quatre demandes de parole et j'invite M. Adnot à ouvrir le débat.

M. Philippe ADNOT - Je ne sais par où commencer... Je pense que l'élu des Hauts-de-Seine a très fortement influencé les propos du consultant.

Dire que dans les départements et les régions, le contribuable ne se sent pas concerné par le système fiscal me paraît extraordinaire.

Dire que l'on obtiendra une plus grande responsabilité par une spécialisation de l'impôt me semble tout aussi faux : le citoyen se montre responsable lorsqu'il sait qu'en contrepartie d'une de ses demandes, il va devoir payer quelque chose.

Dire qu'il y moins besoin d'autonomie fiscale pour les départements que pour les communes revient à ignorer complètement ce qu'il se passe réellement dans un département au niveau des infrastructures. Ce sont évidemment les départements qui font les choix stratégiques en matière d'infrastructures !

Toutes ces affirmations ne correspondent en rien à la réalité. Nous devons parvenir à une fiscalité qui vise le contribuable et l'élu, c'est-à-dire à une fiscalité responsable et diversifiée. Si nous adoptons une fiscalité sur le revenu, nous allons « déménager » le territoire, parce que tout le monde ira là où le maximum de services est offert pour un même niveau d'impôt. Je ne vois pas pourquoi quelqu'un resterait dans un petit village en payant un impôt élevé, sous prétexte que cet impôt est assis sur le revenu, alors qu'il ne bénéficie d'aucun service. Ce sont des théories liées au fait d'habiter un département très urbain dans lequel n'existe pas la même problématique qu'à la campagne.

Il est enfin dangereux de dire que l'on va réunir les impôts au niveau régional pour ensuite en faire de la répartition. Cela signifie que l'on constituera demain une administration supplémentaire et que l'on va augmenter les prélèvements. Or, la France cherche plutôt à diminuer le niveau des prélèvements.

Comme vous l'aurez tous compris, je n'ai pas trouvé grand chose de positif dans les propos de Monsieur Laurent !

M. Yves FRÉVILLE - Je voudrais revenir sur les caractéristiques du bon impôt et les appliquer à la taxe professionnelle et à l'impôt foncier.

L'élu local en a une définition tout à fait différente : il pense que le bon impôt est celui qui rapporte beaucoup et qui n'est pas payé par ses contribuables.

Une part importante de la taxe professionnelle correspond à cette définition. Ce ne sont par exemple pas les habitants de Flamanville qui paient la taxe professionnelle de la centrale nucléaire qui alimente la commune et tout le département. Qu'une partie d'un impôt soit levée sur l'entreprise pour les services et la nocivité générés par celle-ci me paraît normal, mais la marge est tellement grande entre cet impôt et les externalités négatives créées par cette entreprise qu'en fait, l'impôt est exporté et ne correspond pas à la création de service. Telle est bien la base de notre système de taxe professionnelle et après avoir créé un tel impôt, on injecte des sommes folles pour faire de la péréquation et corriger des inégalités qui ne devraient pas exister.

Nous avons maintenant deux ou trois types de taxe professionnelle. Pour les entreprises industrielles, la valeur ajoutée en est l'assiette actuelle. Toutes les grandes entreprises industrielles - les usines automobiles, EDF, France Télécom - sont plafonnées, de telle sorte que pour certaines d'entre elles, et pour éviter les ennuis, il a fallu plafonner le plafonnement. Le secteur industriel paie donc la taxe professionnelle à la valeur ajoutée. D'ailleurs, cette taxe professionnelle, n'imposant pas les salaires, fait en sorte que toutes les activités économiques des centres urbains ne paient plus beaucoup d'impôts. Nous nous retrouvons donc avec un système de taxe professionnelle tout à fait préhistorique, puisqu'il taxe l'industrie des Trente Glorieuses et pas les entreprises qui peuplent les centre-villes. Il faut donc revoir au plus vite la question de son assiette et si nous ne réintroduisons pas les salaires, cet impôt deviendra vite anti-économique.

Concernant maintenant les impôts fonciers, je dois vous dire que je suis opposé à la valeur vénale car elle entretient un élément spéculatif et peut conduire à un impôt confiscatoire pour les ménages dont la localisation n'est pas adaptée au plan de construction. La bonne assiette est selon moi représentée par la valeur locative.

M. Joël BOURDIN - Permettez-moi tout d'abord une observation. Dans le rapport de l'Observatoire, on note bien que la base de la taxe professionnelle s'élevait à environ 30 % de la part salariale dans les petites communes et à environ 45 % dans les grandes. Ce qui revient à dire que les entreprises situées dans les grandes communes sont celles qui bénéficient le plus de l'exonération de la part salariale.

D'autre part, j'estime que nous avons jusqu'à présent très peu parlé de l'intercommunalité. Or, des inégalités se manifestent, notamment entre les communautés de communes qui sont à la TPU (taxe professionnelle unique) et celles qui n'y sont pas. Ces inégalités sont-elles justifiées alors que ces communautés ont toutes fait le même type d'efforts ?

Autre remarque, nous n'avons que très peu parlé des redevances qui sont des ressources affreusement dynamiques pour les collectivités territoriales. Pourtant, elles se multiplient : celles sur les ordures ménagères augmentent parfois au rythme de 7 à 8 % par an ! Dans certaines communes rurales, le contribuable de base paie quelquefois plus en taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères qu'il ne paie au titre de la taxe d'habitation. Par ailleurs, les redevances d'assainissement croissent elles aussi. Alors je ne veux pas rejoindre Philippe Adnot dans ses propos sur les départements urbains et les départements ruraux, mais dans ces derniers, la loi sur l'assainissement non collectif, parce qu'elle va obliger les petites communes à consentir de gros investissements, va encore donner du poids à une redevance supplémentaire.

Nous voyons donc monter des ressources de redevance à côté de la fiscalité locale et j'ai bien peur que l'on en réinvente encore. De plus, j'observe une montée en force des services à caractère industriel et commercial financés par des redevances. N'y a-t-il pas quelque chose à faire ?

M. Denis BADRÉ - La réflexion que nous avons ici doit se nourrir des expériences locales. Si dans les Hauts-de-Seine, nous nous inspirons beaucoup de ce que font les départements plus ruraux, la réciproque doit aussi être vraie. Et ce d'autant plus que si aucun département ne ressemble à un autre, il y a également de fortes disparités à l'intérieur des départements. Les communes dont Philippe Laurent et moi-même avons la charge font ainsi partie des plus pauvres des Hauts-de-Seine pour la simple raison que nous ne percevons pas de taxe professionnelle, celle-ci étant mobilisée à La Défense. Ce sont pourtant nos administrés qui y travaillent, pour lesquels nous avons créé des crèches, des écoles, etc. Il y a donc une réflexion à développer là-dessus.

Par ailleurs, je tiens à souligner que le consentement à l'impôt constitue l'un des principes de base de notre démocratie et il est bon que ce consentement s'exprime dans chacune de nos communes à travers les votes du conseil municipal. De ce point de vue-là, le meilleur impôt sera toujours le plus lisible et le plus simple, même s'il est légèrement injuste.

Le dernier point de mon intervention touche à l'impôt foncier dont Philippe Laurent a fait l'apologie. Je rappelle pourtant qu'en 2000, la mission sur l'expatriation des capitaux, des compétences et des entreprises, dont j'étais le président, avait souligné que le patrimoine était quatre fois plus taxé - impôt foncier, ISF, successions et plus-values -, que tout cela faisait beaucoup et qu'il serait peut-être bon de parvenir à un remembrement. Nous avions nous-mêmes pensé à combiner droits de succession et ISF. Ma question est donc la suivante : l'impôt foncier doit-il être le seul à rester une fois que nous aurons remembré tout cela, ou doit-il faire l'objet d'une attention plus vigilante de notre part ?

M. le Président - L'impôt foncier a l'immense avantage de correspondre à une matière qui n'est pas délocalisable, contrairement à d'autres assiettes fiscales.

M. Philippe LAURENT - Peut-être me suis-je mal exprimé mais je n'ai pas dit qu'il fallait concentrer les impôts au niveau de la région pour qu'ensuite celle-ci les redistribue. Je parlais en fait de la péréquation, avec l'idée que l'Etat organise dans les régions une péréquation basée sur les capacités contributives des habitants et des acteurs économiques. Les régions mettraient à leur tour en place un système de péréquation au niveau départemental ou communal. Tout cela constituerait un système très simple.

J'ai ensuite estimé que le loyer était le gros problème du foncier. Que le propriétaire d'une maison paie un impôt foncier, nous en sommes tous d'accord. En revanche, il n'y a pas de raison de taxer l'habitant d'une maison. On doit pouvoir lui laisser le choix. Il n'y a aucune raison de taxer quelqu'un dont le choix de vie est de consacrer au loyer une part importante de son revenu. Voilà pourquoi, selon moi, la taxe d'habitation ne peut pas reposer sur la même base que la taxation du propriétaire.

Au sujet de l'intercommunalité, je suis totalement d'accord pour reconnaître que la différence de taux ne se justifie absolument pas. Mais cela relève tout à la fois d'une question historique et d'une question législative, liée à la loi Chevènement qui avait déterminé certains montants.

Je reconnais que les redevances augmentent. Vous avez parlé de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères mais nous pourrions tout aussi bien évoquer le cas du versement « transport »: aujourd'hui, certaines entreprises paient plus en versement « transport » qu'elles ne paient en taxe professionnelle. Faut-il pour autant établir un lien entre les matières imposables et les compétences ? Ce n'est pas forcément souhaitable. En fait, tout dépend de la conception que nous nous faisons des collectivités territoriales et de la décentralisation. Si nous considérons que les collectivités territoriales sont là pour rendre un certain nombre de services, il faut fixer un tarif en fonction des compétences. Si elles sont en revanche un lieu d'exercice de pouvoir par des élus, l'impôt dépendra des capacités contributives. La question est de savoir quelle est la légitimité des collectivités territoriales. Plus les redevances et les taxes indirectes se développeront, plus nous irons vers des collectivités gestionnaires de services se finançant sur une recette liée au service rendu et moins vers des espaces de solidarité redistributeurs.

Enfin, concernant la péréquation de taxe professionnelle, dont j'ai assez peu parlé car ce n'était pas le point central de mon exposé, je pense que l'absence d'une réforme d'ensemble ne constitue pas le vrai problème. Il nous incombe à nous, élus d'Ile-de-France, de nous mobiliser pour mettre en place au plus vite la taxe professionnelle unique. Je suis convaincu que cela viendra progressivement.

M. le Président - Monsieur Laurent, nous vous remercions.

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