Audition de M. Philippe LAURENT,
Président-directeur
général de Philippe Laurent
Consultants
(9
octobre 2002)
M.
Jean ARTHUIS, président
- J'accueille maintenant M. Philippe
Laurent, expert en financement des collectivités territoriales. Je ne
doute pas que son témoignage va enrichir notre réflexion.
Monsieur Laurent, nous sommes à la veille d'une consultation sur les
nouvelles étapes décisives de la décentralisation. Nous
nous interrogeons sur la faisabilité des dispositions contenues dans un
projet de loi constitutionnel. Ledit projet, s'il n'institue pas d'autonomie
financière, évoque tout de même le caractère
déterminant des ressources fiscales, des ressources propres et des
subventions que des collectivités territoriales pourraient percevoir
d'autres collectivités territoriales. Il pose également le
principe d'une péréquation au profit des collectivités les
plus démunies.
Voilà dans quelles perspectives se situe notre réflexion. Je vous
remercie d'y apporter votre contribution. Arrivera ensuite le temps des
questions des commissaires ici présents.
M. Philippe LAURENT, président-directeur général de
Philippe Laurent Consultants
- Monsieur le Président,
mesdames et messieurs, je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir
convié à cette audition.
Je suis ici en tant que Président fondateur du cabinet de conseil
Philippe Laurent Consultants
. Nous comptons une trentaine de
collaborateurs et nous travaillons uniquement dans le domaine des finances
locales. Nous abordons notamment beaucoup les questions intercommunales. Je
dois toutefois vous dire, au nom de la transparence, que je suis
également élu local : je suis en effet maire de Sceaux et je
siège au conseil général des Hauts-de-Seine (donc à
ce titre membre du Comité des finances locales). Je m'exprimerai devant
vous en séparant mes deux fonctions, même si cela peut parfois se
révéler difficile. J'y suis jusqu'à présent parvenu
et j'espère que cela pourra continuer.
Au risque de paraître un peu provocateur, je suis de ceux qui pensent que
notre système de fiscalité locale, s'il doit certes
évoluer, n'est pas si mauvais que certains veulent bien le dire. Ou du
moins l'était-il. J'ai ainsi eu l'occasion de dire à plusieurs
reprises que la taxe professionnelle, telle qu'elle évoluait avant la
« réforme Strauss-Kahn », me semblait être un
impôt qui avait certains atouts.
Je pense aussi que des erreurs ont été commises, par exemple la
suppression de la vignette, dont je ne comprends toujours pas la justification
exacte. Je ne vois pas non plus de justification à un certain nombre
d'autres suppressions et dégrèvements qui ont pu avoir lieu ces
dernières années. À part peut-être la volonté
de faire plaisir à telle ou telle catégorie d'acteurs de notre
pays.
C'est donc avec l'idée que notre système avait tout de même
un certain nombre de qualités que j'ai répondu aux questions que
vous m'avez préalablement posées.
Les recettes fiscales dans le budget des collectivités
territoriales
Votre première demande consistait à savoir si l'importance des
recettes fiscales dans le budget des collectivités territoriales avait
un impact sur la manière dont une collectivité était
gérée. Autrement dit, le fait qu'une collectivité tire une
part importante de ses ressources de ses impôts influence-t-il sa
gestion ?
J'y réponds bien entendu oui : oui parce qu'il y a un facteur de
responsabilité, oui parce qu'il y a un frein éventuel de la
dépense publique, mais surtout oui parce que cela permet une prise de
risque raisonnée, notamment pour certains niveaux de
collectivités territoriales, dans le développement territorial ou
économique. Si une entité économique n'a pas la
possibilité de se dire qu'elle pourra bénéficier, ou
compenser, un choix stratégique, alors elle gèrera en bon
père de famille, ce qui est bien, mais surtout en notaire, ce qui est
moins souhaitable. Par conséquent, l'idée du retour sur
investissement, positif ou négatif, me paraît tout à fait
importante. Si elle sait qu'elle a une responsabilité fiscale,
l'assemblée locale aura certainement plus à coeur de prendre des
risques de développement.
C'est notamment la raison pour laquelle la taxation de l'activité
économique me semble, contrairement à ce qui est souvent dit,
tout à fait importante. Je ne vois pas comment taxer l'activité
économique sans le faire sur les facteurs de production, ce que sont les
salaires ou les investissements.
La responsabilité politique en matière de vote de taux
Une autre question m'avait été posée, celle se savoir
comment arriver à une plus grande responsabilité politique en
matière de vote de taux. Je pense que cela est à l'heure actuelle
possible pour le niveau communal, un peu moins pour le niveau intercommunal,
mais certainement pas pour les niveaux départemental et régional.
Cela est dû à la relative difficulté pour le citoyen de
percevoir le coût et l'apport direct des actions menées à
ces niveaux. Ce qui est évidemment beaucoup plus simple au niveau
communal puisqu'il y a un lien direct avec la vie quotidienne.
Cette responsabilité politique ne pourra être obtenue que par une
certaine spécialisation de l'impôt local, qu'il est toutefois peu
souhaitable de pousser à l'extrême. J'estime donc que deux
impôts, l'un principal et l'autre secondaire, doivent coexister dans
chaque collectivité. Cette spécialisation est actuellement
menée à bien, puisque l'on a déjà supprimé
la part régionale de la taxe d'habitation et que la taxe professionnelle
a été passée au niveau des groupements intercommunaux, qui
rassemblent les trois-quarts de la population. Une grande partie de la
population française habite sur un territoire soumis au régime
fiscal de la taxe professionnelle unique (TPU).
Surtout, cette responsabilité politique ne pourra être obtenue que
par une possibilité beaucoup plus importante de fixer le taux, sans
entraves particulières. Remarquons que l'on peut aussi obtenir une
meilleure responsabilité fiscale en permettant aux assemblées
locales de fixer des règles de modification d'assiettes.
Une première avancée sur la possibilité de fixer le taux a
été réalisée par le Gouvernement au travers du
projet de loi de finances sur la déliaison des taux. C'est encore, de
mon point de vue, notoirement insuffisant. Mais le symbole est tombé et
il reviendra au Parlement de « s'engouffrer » dans cette
porte légèrement entrouverte.
Je voudrais d'ailleurs dire que le taux de la taxe professionnelle n'est pas le
seul en cause. Le foncier non bâti, important pour un certain nombre de
collectivités et notamment les communes, et les droits de mutation, sont
également concernés. Il y a dans tous les secteurs de la
fiscalité, qu'elle soit directe ou indirecte, un certain nombre de
blocages qui ne sont pas totalement justifiés.
L'utilisation actuelle des marges de manoeuvre fiscale
Un certain nombre d'obstacles à une plus grande utilisation des marges
de manoeuvre existent. Ils me semblent d'abord d'ordre législatif et
réglementaire, par exemple la liaison des taux, et ils ont conduit les
assemblées locales à ne plus vraiment se poser la question de
savoir si elles pouvaient ou non adopter des politiques fiscales
différenciées. Le nombre de collectivités territoriales
ayant, année par année, augmenté ou diminué leurs
taux de manière différenciée est d'ailleurs très
faible. Très peu de collectivités jouent donc des maigres
possibilités qui leur sont données. Les documents de la direction
générale des collectivités locales (DGCL) et le rapport de
l'Observatoire des finances locales le prouvent.
Quant à l'assiette, elle représente un point important puisque
nous sommes aujourd'hui dans un système où les assiettes,
notamment les valeurs locatives, la taxe foncière et la taxe
d'habitation, sont fixées depuis 1970 et que la réforme de 1990
n'a pas été mise en oeuvre. Selon moi, même si les
assiettes actuelles ne sont plus très pertinentes, avoir une assiette
fiscale sur le foncier me paraît être une idée-force qu'il
faut à tout prix conserver. Il s'agit en effet d'un impôt
localisé, très bien adapté à la commune.
Je pense aussi, pour avoir étudié de très près la
question, que la révision de 1990 n'entraînerait pas
forcément d'amélioration sensible dans certains cas, le
découpage des secteurs législatifs ayant été
insuffisamment travaillé. On le voit surtout dans les
agglomérations. L'idée de ne pas se contenter des limites des
communes est donc bonne, mais elle ne règle pas la question très
réelle de l'inéquité des valeurs locatives et des revenus
cadastraux. Il serait donc certainement nécessaire de s'orienter vers un
système déclaratif prenant en compte, sur la base du prix de
vente ou d'achat, la valeur vénale des propriétés. Je n'ai
pas davantage creusé cette idée souvent émise mais
difficile à mettre en oeuvre, mais il me semble que nous pourrions nous
en inspirer.
S'agissant de la taxe d'habitation, je pense qu'il faut prendre en compte le
revenu. C'est déjà le cas pour un bon nombre de foyers
français, probablement la moitié, grâce au plafonnement et
aux dégrèvements, mais j'estime qu'il faut aller plus loin. Je
crois également nécessaire de prendre en compte le nombre de
personnes de la famille, non pas en moins mais en plus : plus il y a de
gens, plus la taxe devrait être élevée. C'est une
démarche qui a fait parler d'elle et qu'il faut creuser.
Autre point très important, celui de la taxe professionnelle assise sur
la valeur ajoutée. On nous dit toujours que c'est la solution ; or,
dans le passé, avant la suppression de la part salaires, nous
n'étions pas très loin de ce système.
M. le Président
- C'était de la valeur
ajoutée !
M. Philippe LAURENT
- Pas tout à fait, il manquait les
résultats de l'entreprise.
M. le Président
- Heureusement.
M. Philippe LAURENT
- Et puis on ne prend pas en compte la dotation aux
investissements.
M. le Président
- Cela y ressemblait...
M. Philippe LAURENT
- C'est plus cumulatif, Monsieur le
Président. On prend en compte la valeur brute additionnée, ce qui
explique la dynamique importante sur la taxe professionnelle. Dès que la
situation économique dans une région à vocation
industrielle est bonne, cette taxe augmente très rapidement. Elle
augmentait même encore plus vite à l'époque de forte
inflation car on remplaçait au prix de l'époque des machines
payées très peu chères.
Si nous nous basons sur la valeur ajoutée, nous ne serons plus dans la
même logique et nous dépendrons des politiques fiscales nationales
en matière d'amortissement, ce qui ne me paraît pas très
bon.
Et pour finir, j'ajouterai que la part des salaires dans la valeur
ajoutée est plus importante maintenant qu'elle ne l'était
précédemment dans la base de la taxe professionnelle. En tout cas
à l'arrivée, parce que la part salaire avait tendance à
diminuer alors que la part investissement avait tendance à augmenter. La
part salaire était en fait passée de 60 à 30 %, alors
que dans la valeur ajoutée, les salaires avoisinent les 50 %. Ce
qui veut dire que prendre en compte la valeur ajoutée revient à
taxer davantage les salaires. Il y a là un raisonnement que je ne
m'explique pas très bien de la part de l'Etat.
Un autre problème se pose, celui de la localisation. La valeur
ajoutée est appréciée au niveau de l'entreprise et pas de
l'établissement. Des solutions existent, comme répartir la valeur
ajoutée en fonction du nombre de salariés de chaque
établissement ou de la valeur locative des investissements, mais elles
seraient compliquées à mettre en oeuvre. Toujours est-il que la
valeur ajoutée, selon moi, n'amène rien à la situation
précédant la « réforme Strauss-Kahn ».
L'impôt local idéal
D'après moi, il doit être :
- facilement localisable ;
- équitable pour l'ensemble des contribuables et proportionné
à leurs facultés contributrices ;
- suffisamment sensible à la conjoncture pour sensibiliser les
élus locaux aux difficultés de tous ;
- suffisamment stable pour assurer un niveau et une qualité de services
constants ;
- suffisamment dynamique, afin de permettre les progressions
nécessitées par le financement de compétences sans cesse
plus lourdes ;
- simple à comprendre et à contrôler pour le
contribuable ;
- simple à recouvrer et à contrôler pour l'administration
fiscale ;
- adaptable localement afin de tenir compte de la diversité du
territoire.
En observant tout cela, on voit donc que l'impôt foncier, l'ancienne taxe
professionnelle et même les taxes départementales sur le revenu,
qui n'ont vécu qu'un été, ne sont pas mal du tout.
Les impôts d'Etat dont tout ou partie du produit serait attribuable
aux collectivités
Je tiens à préciser que si l'on module le montant de la fraction
qui serait reversée en fonction de la loi, on sort du champ de
l'impôt local pour entrer dans celui de la dotation, certes
indexée sur une ressource, mais déguisée. Par
conséquent, si nous parlons d'impôt local, nous ne pouvons
évoquer qu'un impôt dont le taux et éventuellement
l'assiette sont fixés par l'assemblée locale. Si l'on vous promet
de donner une partie de la TIPP aux régions, par exemple 20 % du
produit recouvré, il ne s'agira pas véritablement d'un
impôt local. Nous ne pouvons donc parler ici que d'impôts avec un
taux additionnel.
Je pense que l'impôt sur le revenu des personnes physiques pourrait faire
l'objet d'un impôt additionnel. Cela se déroulerait au niveau
régional plus que local, la région permettant d'atténuer
un peu les disparités de ressources.
Je crois également que dans les systèmes nationaux de
péréquation, le potentiel fiscal ne constitue plus un bon
indicateur pour déterminer les dotations versées. Il ne
reflète en effet pas la capacité contributive des habitants du
territoire, et devrait donc être apprécié en fonction des
revenus des personnes physiques comme des acteurs économiques. Si l'on
fait de la péréquation au niveau national, on devrait prendre en
compte ces deux éléments sur le territoire pour lequel on
pérèque. C'est relativement simple, et c'est surtout
révélateur de la capacité contributive des acteurs
économiques du territoire. Il s'agit donc selon moi d'un point tout
à fait majeur.
Je souhaiterais pour conclure aborder un dernier point. Nous sommes aujourd'hui
sous l'emprise du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une
autre. Je suis pourtant convaincu que nous ne pourrons pas rénover notre
système fiscal et notre système de péréquation si
l'on ne considère pas qu'un niveau de collectivité peut avoir une
influence sur un autre niveau de collectivité. Voilà pourquoi
j'estime que la péréquation par rapport aux charges -
kilomètres de voiries, élèves, logements sociaux, ... -
doit se faire au niveau de la région et non de l'Etat. À charge
pour la région de recevoir une péréquation globale au
niveau national. Là réside toute l'ambiguïté du
débat, révision constitutionnelle y compris : personne ne
veut dire que tout ceci nous conduira à ce qu'une collectivité
ait un pouvoir sur une autre. Or, ne rien dire nous posera de graves
problèmes demain. J'en suis convaincu.
M. le Président
- Merci, Monsieur Laurent. J'ai maintenant quatre
demandes de parole et j'invite M. Adnot à ouvrir le débat.
M. Philippe ADNOT
- Je ne sais par où commencer... Je pense que
l'élu des Hauts-de-Seine a très fortement influencé les
propos du consultant.
Dire que dans les départements et les régions, le contribuable ne
se sent pas concerné par le système fiscal me paraît
extraordinaire.
Dire que l'on obtiendra une plus grande responsabilité par une
spécialisation de l'impôt me semble tout aussi faux : le
citoyen se montre responsable lorsqu'il sait qu'en contrepartie d'une de ses
demandes, il va devoir payer quelque chose.
Dire qu'il y moins besoin d'autonomie fiscale pour les départements que
pour les communes revient à ignorer complètement ce qu'il se
passe réellement dans un département au niveau des
infrastructures. Ce sont évidemment les départements qui font les
choix stratégiques en matière d'infrastructures !
Toutes ces affirmations ne correspondent en rien à la
réalité. Nous devons parvenir à une fiscalité qui
vise le contribuable et l'élu, c'est-à-dire à une
fiscalité responsable et diversifiée. Si nous adoptons une
fiscalité sur le revenu, nous allons
« déménager » le territoire, parce que tout
le monde ira là où le maximum de services est offert pour un
même niveau d'impôt. Je ne vois pas pourquoi quelqu'un resterait
dans un petit village en payant un impôt élevé, sous
prétexte que cet impôt est assis sur le revenu, alors qu'il ne
bénéficie d'aucun service. Ce sont des théories
liées au fait d'habiter un département très urbain dans
lequel n'existe pas la même problématique qu'à la campagne.
Il est enfin dangereux de dire que l'on va réunir les impôts au
niveau régional pour ensuite en faire de la répartition. Cela
signifie que l'on constituera demain une administration supplémentaire
et que l'on va augmenter les prélèvements. Or, la France cherche
plutôt à diminuer le niveau des prélèvements.
Comme vous l'aurez tous compris, je n'ai pas trouvé grand chose de
positif dans les propos de Monsieur Laurent !
M. Yves FRÉVILLE
- Je voudrais revenir sur les
caractéristiques du bon impôt et les appliquer à la taxe
professionnelle et à l'impôt foncier.
L'élu local en a une définition tout à fait
différente : il pense que le bon impôt est celui qui rapporte
beaucoup et qui n'est pas payé par ses contribuables.
Une part importante de la taxe professionnelle correspond à cette
définition. Ce ne sont par exemple pas les habitants de Flamanville qui
paient la taxe professionnelle de la centrale nucléaire qui alimente la
commune et tout le département. Qu'une partie d'un impôt soit
levée sur l'entreprise pour les services et la nocivité
générés par celle-ci me paraît normal, mais la marge
est tellement grande entre cet impôt et les externalités
négatives créées par cette entreprise qu'en fait,
l'impôt est exporté et ne correspond pas à la
création de service. Telle est bien la base de notre système de
taxe professionnelle et après avoir créé un tel
impôt, on injecte des sommes folles pour faire de la
péréquation et corriger des inégalités qui ne
devraient pas exister.
Nous avons maintenant deux ou trois types de taxe professionnelle. Pour les
entreprises industrielles, la valeur ajoutée en est l'assiette actuelle.
Toutes les grandes entreprises industrielles - les usines automobiles, EDF,
France Télécom - sont plafonnées, de telle sorte que pour
certaines d'entre elles, et pour éviter les ennuis, il a fallu plafonner
le plafonnement. Le secteur industriel paie donc la taxe professionnelle
à la valeur ajoutée. D'ailleurs, cette taxe professionnelle,
n'imposant pas les salaires, fait en sorte que toutes les activités
économiques des centres urbains ne paient plus beaucoup d'impôts.
Nous nous retrouvons donc avec un système de taxe professionnelle tout
à fait préhistorique, puisqu'il taxe l'industrie des Trente
Glorieuses et pas les entreprises qui peuplent les centre-villes. Il faut donc
revoir au plus vite la question de son assiette et si nous ne
réintroduisons pas les salaires, cet impôt deviendra vite
anti-économique.
Concernant maintenant les impôts fonciers, je dois vous dire que je suis
opposé à la valeur vénale car elle entretient un
élément spéculatif et peut conduire à un
impôt confiscatoire pour les ménages dont la localisation n'est
pas adaptée au plan de construction. La bonne assiette est selon moi
représentée par la valeur locative.
M. Joël BOURDIN
- Permettez-moi tout d'abord une observation. Dans
le rapport de l'Observatoire, on note bien que la base de la taxe
professionnelle s'élevait à environ 30 % de la part
salariale dans les petites communes et à environ 45 % dans les
grandes. Ce qui revient à dire que les entreprises situées dans
les grandes communes sont celles qui bénéficient le plus de
l'exonération de la part salariale.
D'autre part, j'estime que nous avons jusqu'à présent très
peu parlé de l'intercommunalité. Or, des inégalités
se manifestent, notamment entre les communautés de communes qui sont
à la TPU (taxe professionnelle unique) et celles qui n'y sont pas. Ces
inégalités sont-elles justifiées alors que ces
communautés ont toutes fait le même type d'efforts ?
Autre remarque, nous n'avons que très peu parlé des redevances
qui sont des ressources affreusement dynamiques pour les collectivités
territoriales. Pourtant, elles se multiplient : celles sur les ordures
ménagères augmentent parfois au rythme de 7 à 8 % par
an ! Dans certaines communes rurales, le contribuable de base paie
quelquefois plus en taxe sur l'enlèvement des ordures
ménagères qu'il ne paie au titre de la taxe d'habitation. Par
ailleurs, les redevances d'assainissement croissent elles aussi. Alors je ne
veux pas rejoindre Philippe Adnot dans ses propos sur les départements
urbains et les départements ruraux, mais dans ces derniers, la loi sur
l'assainissement non collectif, parce qu'elle va obliger les petites communes
à consentir de gros investissements, va encore donner du poids à
une redevance supplémentaire.
Nous voyons donc monter des ressources de redevance à côté
de la fiscalité locale et j'ai bien peur que l'on en réinvente
encore. De plus, j'observe une montée en force des services à
caractère industriel et commercial financés par des redevances.
N'y a-t-il pas quelque chose à faire ?
M. Denis BADRÉ
- La réflexion que nous avons ici doit se
nourrir des expériences locales. Si dans les Hauts-de-Seine, nous nous
inspirons beaucoup de ce que font les départements plus ruraux, la
réciproque doit aussi être vraie. Et ce d'autant plus que si aucun
département ne ressemble à un autre, il y a également de
fortes disparités à l'intérieur des départements.
Les communes dont Philippe Laurent et moi-même avons la charge font ainsi
partie des plus pauvres des Hauts-de-Seine pour la simple raison que nous ne
percevons pas de taxe professionnelle, celle-ci étant mobilisée
à La Défense. Ce sont pourtant nos administrés qui y
travaillent, pour lesquels nous avons créé des crèches,
des écoles, etc. Il y a donc une réflexion à
développer là-dessus.
Par ailleurs, je tiens à souligner que le consentement à
l'impôt constitue l'un des principes de base de notre démocratie
et il est bon que ce consentement s'exprime dans chacune de nos communes
à travers les votes du conseil municipal. De ce point de vue-là,
le meilleur impôt sera toujours le plus lisible et le plus simple,
même s'il est légèrement injuste.
Le dernier point de mon intervention touche à l'impôt foncier dont
Philippe Laurent a fait l'apologie. Je rappelle pourtant qu'en 2000, la mission
sur l'expatriation des capitaux, des compétences et des entreprises,
dont j'étais le président, avait souligné que le
patrimoine était quatre fois plus taxé - impôt foncier,
ISF, successions et plus-values -, que tout cela faisait beaucoup et qu'il
serait peut-être bon de parvenir à un remembrement. Nous avions
nous-mêmes pensé à combiner droits de succession et ISF. Ma
question est donc la suivante : l'impôt foncier doit-il être
le seul à rester une fois que nous aurons remembré tout cela, ou
doit-il faire l'objet d'une attention plus vigilante de notre part ?
M. le Président
- L'impôt foncier a l'immense avantage de
correspondre à une matière qui n'est pas délocalisable,
contrairement à d'autres assiettes fiscales.
M. Philippe LAURENT
- Peut-être me suis-je mal exprimé mais
je n'ai pas dit qu'il fallait concentrer les impôts au niveau de la
région pour qu'ensuite celle-ci les redistribue. Je parlais en fait de
la péréquation, avec l'idée que l'Etat organise dans les
régions une péréquation basée sur les
capacités contributives des habitants et des acteurs économiques.
Les régions mettraient à leur tour en place un système de
péréquation au niveau départemental ou communal. Tout cela
constituerait un système très simple.
J'ai ensuite estimé que le loyer était le gros problème du
foncier. Que le propriétaire d'une maison paie un impôt foncier,
nous en sommes tous d'accord. En revanche, il n'y a pas de raison de taxer
l'habitant d'une maison. On doit pouvoir lui laisser le choix. Il n'y a aucune
raison de taxer quelqu'un dont le choix de vie est de consacrer au loyer une
part importante de son revenu. Voilà pourquoi, selon moi, la taxe
d'habitation ne peut pas reposer sur la même base que la taxation du
propriétaire.
Au sujet de l'intercommunalité, je suis totalement d'accord pour
reconnaître que la différence de taux ne se justifie absolument
pas. Mais cela relève tout à la fois d'une question historique et
d'une question législative, liée à la loi
Chevènement qui avait déterminé certains montants.
Je reconnais que les redevances augmentent. Vous avez parlé de la taxe
d'enlèvement des ordures ménagères mais nous pourrions
tout aussi bien évoquer le cas du versement
« transport »: aujourd'hui, certaines entreprises paient
plus en versement « transport » qu'elles ne paient en taxe
professionnelle. Faut-il pour autant établir un lien entre les
matières imposables et les compétences ? Ce n'est pas
forcément souhaitable. En fait, tout dépend de la conception que
nous nous faisons des collectivités territoriales et de la
décentralisation. Si nous considérons que les
collectivités territoriales sont là pour rendre un certain nombre
de services, il faut fixer un tarif en fonction des compétences. Si
elles sont en revanche un lieu d'exercice de pouvoir par des élus,
l'impôt dépendra des capacités contributives. La question
est de savoir quelle est la légitimité des collectivités
territoriales. Plus les redevances et les taxes indirectes se
développeront, plus nous irons vers des collectivités
gestionnaires de services se finançant sur une recette liée au
service rendu et moins vers des espaces de solidarité redistributeurs.
Enfin, concernant la péréquation de taxe professionnelle, dont
j'ai assez peu parlé car ce n'était pas le point central de mon
exposé, je pense que l'absence d'une réforme d'ensemble ne
constitue pas le vrai problème. Il nous incombe à nous,
élus d'Ile-de-France, de nous mobiliser pour mettre en place au plus
vite la taxe professionnelle unique. Je suis convaincu que cela viendra
progressivement.
M. le Président
- Monsieur Laurent, nous vous remercions.