Audition de Mme Carol SIROU,
Directeur du secteur
public, responsable des collectivités territoriales européennes
de Standard & Poor's
et de Mme Alexandra DIMITRIJEVIC,
Directeur,
responsable des critères Secteur public international
de Standard
& Poor's
(9
octobre 2002)
M.
Jean ARTHUIS, président
- Nous poursuivons nos travaux avec
l'audition de Madame Carol Sirou, Directeur du secteur public de
Standard
& Poor's
.
Nous étions nombreux à croire que la régulation ou le
contrôle de légalité étaient de la
responsabilité du préfet. En fait, nous prenons progressivement
conscience que notre accès aux marchés financiers, la
détermination des taux d'intérêt des emprunts que nous
sollicitons, dépendent désormais de quelques autorités
supranationales. Ces autorités portent des appréciations sur la
situation financière de nos institutions publiques, qu'il s'agisse des
Etats, des régions, des départements ou des communes. Il y a
maintenant des agences de notation qui informent les prêteurs et
délivrent des appréciations. Vous avez d'ailleurs acquis, Madame
Sirou, une expertise en cette matière.
Nous sommes à la commission des Finances du Sénat et nous avons
entrepris une réflexion, au moment où le Gouvernement s'engage
dans une politique de décentralisation qui postule une plus grande
autonomie financière des collectivités territoriales. Nous avons
pensé que votre contribution enrichirait notre réflexion.
Madame, vous avez la parole pour environ un quart d'heure. Par la suite, mes
collègues souhaiteront certainement vous poser quelques questions.
Mme Carol SIROU, directeur du secteur public, responsable des
collectivités territoriales européennes de
Standard &
Poor's
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs les
Sénateurs, merci de nous donner l'opportunité d'intervenir
auprès de vous. Je vais vous expliquer très brièvement qui
nous sommes et ce que nous faisons. Mon intervention se focalisera plus
spécifiquement sur les aspects liés à la fiscalité
locale. Elle se révèlera volontairement très brève,
dans l'attente de vos questions.
Standard & Poor's
est une agence de notation fondée à
la fin du siècle dernier. Elle est implantée en France depuis
1990 et note des collectivités territoriales en France et en Europe
depuis 1991. Nous sommes présents un peu partout : nous notons 21
collectivités en France et plus de 150 en Europe.
Les critères de notation
Un
rating
est une opinion qui se fonde sur une analyse financière
et économique. D'autres aspects, plus qualitatifs, entrent aussi en jeu.
Les
ratings
sont délivrés par certains
établissements, dont
Standard & Poor's
. La notation servant
avant tout à entrer sur les marchés financiers, nous mettons
l'accent sur la capacité à rembourser une dette en temps et en
heure. Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas que les aspects financiers qui
entrent en jeu. L'environnement de la collectivité, qu'il s'agisse de sa
situation économique ou démographique, est également
très important. Il permet de mesurer son potentiel fiscal, ses
ressources et l'évolution de ses dépenses ; bref, les
pressions qui peuvent porter sur son budget, du fait par exemple d'une
croissance démographique forte ou d'une structure démographique
bien particulière.
D'autres éléments importants sont liés à
l'organisation interne et à ce que nous appelons le système,
c'est-à-dire tout l'environnement réglementaire dans lequel
s'insère la collectivité. Dans ce cadre-là, nous
regardons, bien entendu, les liens avec les pouvoirs publics,
représentés en France par l'Etat. Nous essayons de comprendre les
équilibres de pouvoir et les pressions ou les évolutions à
moyen terme.
Nous entrons ensuite dans des aspects d'analyse financière plus
classique, qui ne vous surprendront pas et qui sont assez proches de ce que
peuvent faire les banques. Mais nous regardons toujours les performances
budgétaires et financières de la collectivité avec
l'esprit d'analyser ses marges de manoeuvre, qu'il s'agisse de recettes ou de
dépenses. Nous appelons cela la flexibilité financière.
C'est un critère très important.
Nous mesurons
in fine
la capacité d'une entité à
rembourser sa dette, donc son niveau d'endettement et la part que le
remboursement de sa dette représente dans ses dépenses.
Enfin, pour avoir une image vraiment complète de la collectivité
et de ses engagements, il est important d'en avoir une vision
consolidée. Si nous prenons en compte son budget
stricto sensu
,
nous y ajoutons donc tous les engagements hors bilan, comme les dettes
garanties ou les participations éventuelles. Nous essayons vraiment
d'avoir une vision aussi consolidée que possible des engagements de la
collectivité afin d'en mesurer la santé financière.
Vos auditions étant plus particulièrement centrées sur la
fiscalité, mon intervention va maintenant se focaliser sur cet
aspect-là. Je procèderai ensuite à des comparaisons
internationales.
La fiscalité locale française
Revenons légèrement en arrière et regardons la
fiscalité locale française d'une manière un peu plus
large, c'est-à-dire au niveau des collectivités territoriales de
l'Ouest européen (la Russie n'étant pas nécessairement la
comparaison la plus appropriée). Les collectivités territoriales
françaises ont longtemps été considérées, du
moins jusqu'au milieu des années 90, comme ayant une part importante de
ressources propres. Par ressources propres, je parle bien de fiscalité
directe ou indirecte.
Autre élément intéressant à mettre en avant :
les collectivités territoriales françaises disposaient de
ressources fiscales diversifiées qui ne dépendaient pas
uniquement d'un élément particulier. Entre, par exemple, la taxe
d'habitation, le foncier bâti et les droits de mutation, l'exposition au
cycle économique était relativement bien
équilibrée, à la différence de ce que l'on peut
voir en Suède. Si les communes suédoises collectent l'impôt
sur le revenu, ce qui leur offre une part importante de ressources propres,
elles en sont très dépendantes et donc soumises au cycle
économique.
La fiscalité française possède d'autres
caractéristiques, telle cette forte corrélation entre le taux de
fiscalité et la richesse des bases fiscales. Les taux sont ainsi
généralement élevés dès lors que la base
fiscale est faible, ce qui permet de faire face à des engagements assez
lourds. Cette donnée est assez spécifique à la France.
Elle s'explique par le fait que la part de péréquation y soit
finalement très limitée. Si nous prenons une nouvelle fois
l'exemple de la Suède, où la part des ressources propres est
importante, il y a des mécanismes de péréquation beaucoup
plus élaborés que chez nous. Dans d'autres pays où la part
de fiscalité propre est moins forte, la péréquation joue
de manière importante. On peut penser à l'Espagne, un cas en
évolution puisque la part des ressources propres dédiée
aux communautés autonomes augmente. Il s'agit tout de même d'un
pays dans lequel les régions pauvres, par exemple l'Andalousie,
continuent à bénéficier d'une part importante de
péréquation.
Je reviendrai sur ces différents points si vous avez des questions.
Les avantages d'une part plus importante de ressources propres
Du point de vue d'une agence de notation, dont l'objectif, rappelons-le,
consiste à apprécier les marges de manoeuvre et la
capacité de la collectivité à faire face à un choc
externe, cette donnée est importante pour réagir à
l'environnement. Vous avez pu voir récemment les difficultés des
collectivités territoriales allemandes,
Länder
ou communes,
qui ont subi de plein fouet un environnement économique difficile, en
raison du manque de ressources propres sur lesquelles elles peuvent agir.
Une part importante de ressources propres permet donc d'adapter ses structures
en fonction de ses choix d'intervention. La dépendance par rapport
à des ressources émanant de l'Etat ou par rapport à des
impôts redistribués ne laisse pas cette flexibilité dans la
gestion.
Avant-dernier point sur lequel je souhaitais revenir : plus la
collectivité récolte des ressources provenant de son propre
tissu, plus elle a vocation à investir pour bénéficier
d'un éventuel retour sur cet investissement.
Enfin, à partir du moment où la collectivité se retrouve
en charge de ses compétences et de ses choix, elle est plus à
même de pouvoir s'adapter. Elle se sent en quelque sorte plus responsable.
La tendance en Europe
Il est intéressant de noter qu'en Europe, alors même que la France
était encore très récemment en pointe en matière
d'autonomie fiscale, la tendance s'est maintenant inversée. Au cours de
ces cinq dernières années, la plupart des pays européens
ont davantage donné de compétences et de pouvoir fiscal à
leurs collectivités. Cela a notamment été le cas en
Belgique, en Italie et en Espagne, les trois grands pays dans lesquels il y a
vraiment eu des transferts de compétences et de recettes. Ces transferts
se sont souvent déroulés sous forme d'impôts additionnels,
ou sous forme d'impôts précédemment collectés par
l'Etat et dorénavant au seul bénéfice des
collectivités. Ces dernières ont également obtenu du
pouvoir sur la base fiscale, ce qui leur permet de jouer sur les taux mais
aussi d'élargir l'assiette. Dans l'ensemble, les systèmes de
péréquation sont bien établis en Europe, en tout cas bien
plus qu'ils ne le sont chez nous.
Si l'on observe les structures des recettes des collectivités
européennes, on s'aperçoit que bien souvent, les pays dont la
décentralisation est plus récente sont passés d'un
système de dotations pures à des participations dans des
impôts nationaux (TVA ou impôt sur le revenu). Leurs
collectivités commencent donc progressivement à avoir des
ressources propres sur lesquelles elles peuvent intervenir. L'Allemagne et ses
Länder
constituent vraiment un cas très particulier puisque
les ressources modulables des collectivités y sont dérisoires.
Cela explique en partie les très grandes difficultés auxquelles
sont actuellement confrontés les
Länder
, leur endettement
atteignant des sommets. Je reviendrai sur ces éléments si vous
avez des questions.
L'importance des marges de manoeuvre
S'il est essentiel pour noter une collectivité locale de pouvoir
apprécier sa marge de manoeuvre fiscale, cela ne constitue toutefois
qu'un paramètre parmi d'autres. Mesurer la part des recettes
pérennes et des transferts de compétences, c'est-à-dire
observer de quelle manière évolue la couverture entre recettes et
dépenses, est aussi un élément fondamental.
Même chose pour l'analyse des recettes et de leur diversité :
vous l'aurez compris au vu de mon exposé, nous sommes attachés
à une certaine diversité, gage de souplesse pour que la
collectivité puisse faire face à des aléas. Tout aussi
important est le lien avec le tissu économique. Dans notre analyse,
l'appréciation du tissu économique, de ses forces et de ses
faiblesses, tient en effet une part prépondérante.
Enfin, dès lors que l'économie est plus faible, l'existence ou
non de mécanismes de péréquation permettant
d'atténuer les écarts de richesse doit être prise en
compte.
Faut-il plus de pouvoir fiscal ?
Dans l'absolu oui, mais il faut toutefois veiller à ce qu'il n'y ait pas
trop de risques de spécialisation sur un impôt particulier. De ce
point de vue là, si l'on évoque le cas des communautés
urbaines, on s'aperçoit que la taxe professionnelle unique (TPU) offre
un certain nombre d'avantages. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup
d'oeil sur le cas des communautés urbaines qui existaient
précédemment : leur base d'impôt, autrefois
diversifiée, ne dépend plus aujourd'hui que de la taxe
professionnelle. Je voudrais particulièrement attirer votre attention
sur ce point.
Et puis en pratique, la possibilité réelle de mobiliser de
nouvelles ressources fiscales étant limitée, du fait d'un manque
de volonté politique ou d'une moindre capacité d'absorption du
tissu économique, il est nécessaire qu'existe une bonne
corrélation entre recettes et dépenses transférées.
D'où l'existence de certaines réflexions sur l'évolution
des bases et pas uniquement des taux.
Voilà. Alexandra Dimitrijevic, qui travaille sur les
collectivités territoriales européennes depuis de nombreuses
années et moi-même sommes maintenant à votre disposition
pour répondre à vos questions.
M. le Président
- Merci Madame pour cet exposé très
éclairant. Certains de vos enseignements tordent le cou à de
nombreuses idées reçues.
J'imagine que les réactions vont être nombreuses. J'ai
déjà enregistré le souhait de Joël Bourdin de prendre
la parole.
M. Joël BOURDIN
- Merci Monsieur le Président.
Je voulais savoir comment
Standard & Poor's
appréciait
exactement la capacité d'endettement des collectivités
territoriales. Il y a des ratios de bonne qualité. Lesquels
utilisez-vous et quelles sont les critiques que vous pourriez formuler à
leur égard ?
Mme Carol SIROU
- Il existe déjà un ratio que nous
n'utilisons jamais : celui de la dette par habitant. Certains habitants
sont en effet plus riches que d'autres. Ce ratio ne nous paraît donc pas
être un bon instrument de mesure.
Nous croisons en fait différents ratios pour arriver à mesurer
l'endettement. La mesure la plus classique, celle qui nous permet
déjà de déterminer le curseur, est l'endettement direct
rapporté aux recettes de fonctionnement. Certes, on peut toujours
discuter de la structure des collectivités territoriales, savoir si
elles ont beaucoup de budgets annexes reconsolidés ou non, mais ce
calcul nous semble tout de même adapté.
Dans le cas d'une région qui aurait beaucoup de recettes pérennes
en investissement, on va analyser l'endettement direct par rapport aux recettes
de fonctionnement additionnées des recettes d'investissement
pérennes.
Un autre élément est bien sûr la dette rapportée
à la marge.
Nous essayons donc de croiser ces différents ratios pour
apprécier le niveau d'endettement d'une collectivité.
Il est également important de regarder la structure de cet endettement.
Nous le faisons en appréciant le service de la dette, capital plus
intérêts, le tout rapporté aux recettes de fonctionnement.
Selon nous, il est en effet primordial de pouvoir payer les salaires et la
dette. Une mesure toute simple consiste donc à apprécier au
1
er
janvier la capacité d'une collectivité locale
à rembourser ses salaires et sa dette : s'il y a déjà
70 ou 75 % des dépenses d'engagées, cela laisse peu de marge.
Ce sont ces différents éléments que nous croisons pour
apprécier le niveau d'endettement.
Partant de là, le niveau d'endettement supportable par une
collectivité dépendra en partie du service de la dette. Nous
avons en fait un certain nombre de niveaux d'endettement qui nous permettent de
déterminer un niveau de note.
Mme Alexandra DIMITRIJEVIC, Directeur, responsable des critères
Secteur public international de
Standard & Poor's
-
J'ajouterai dans cette idée que nous n'acceptons pas le même
niveau d'endettement selon les responsabilités de la collectivité
et selon le système. Un
Land
allemand dont le ratio d'endettement
rapporté aux recettes de fonctionnement frôle parfois les
200 % n'aura pas la même note qu'une région française
qui se trouverait dans le même cas. Les
Länder
peuvent en
effet se permettre ce genre de ratio élevé : d'une part
parce que le système de péréquation étant
extrêmement fort, ils ont un niveau de recettes quasiment
assuré ; d'autre part parce que cela répond à la
répartition des compétences dans un Etat fédéral
où l'Etat lui-même a très peu d'endettement, celui-ci
étant réparti au niveau des
Länder.
Revenons aux ratios. Les comparaisons internationales se font vraiment en
analysant le niveau de dettes rapporté aux recettes. La marge peut
être affectée par des aspects comptables - regardons en cela
le cas de la réforme de la comptabilité des régions - et
si ces aspects ne vont pas toucher la capacité d'une région
à rembourser sa dette, le ratio par rapport à la marge deviendra
tout de même beaucoup plus volatil et dépendant des
décisions comptables d'un pays, à un autre.
Mme Carol SIROU
- Là aussi, nous apprécierons ce niveau
d'endettement au regard des marges de manoeuvre sur les recettes. Si vous avez
une collectivité locale extrêmement endettée, dont la
fiscalité se trouve déjà à un niveau très
élevé et sur lequel elle ne possède aucune marge de
manoeuvre, la note finale se révèlera différente de celle
d'une collectivité au même niveau d'endettement mais avec beaucoup
plus de marges de manoeuvre.
Prenons le cas qu'évoquait à l'instant Alexandra Dimitrijevic,
celui d'une collectivité locale n'ayant que des compétences en
matière de fonctionnement, ce qui est par exemple le cas des
régions italiennes qui, pour l'essentiel, ne financent que la
santé. S'il est vrai que ces régions n'ont que peu de dettes,
cela s'explique par le fait que les dépenses de santé
représentent environ 80 % de leurs dépenses : elles ne
sont donc pas particulièrement compétentes en matière
d'investissement. Nous essayons donc d'aller assez loin et de ne pas juger
à l'aune d'un seul ratio. Nous cherchons à comprendre la
dynamique et le contexte dans lesquels s'insère la collectivité.
M. le Président
- Bien. Cessons de prendre la dette par habitant
sans l'éclairer par d'autres paramètres.
M. François MARC
- Ma question sera très simple et portera
sur les critères qui sont utilisés.
J'ai en effet le sentiment que tout cela s'apparente à un tableau des
risques pays. Les pays qui connaissent des difficultés récoltent
des B et des C tandis que les autres ont tous des A. J'ai trouvé votre
exposé intéressant, mais je crois que votre tableau appelle
quelques explications sur les comparaisons internes à chaque Etat.
Je voulais en particulier savoir, puisque c'est le thème du moment, en
quoi l'autonomie réelle a ou n'a pas d'influence dans une telle
notation. Vous avez tout à l'heure cité le cas de l'Allemagne,
disant notamment que ce pays, étant donné la
régularité de ses recettes, pouvait aller plus loin dans la
sécurité de ses remboursements. Mais l'autonomie fiscale y est
par contre très faible. Cette autonomie a-t-elle donc un impact
réel sur les notations ?
Mme Carol SIROU
- L'autonomie constitue l'un des paramètres de
notation, mais ce n'est pas le seul.
Mme Alexandra DIMITRIJEVIC
- Le point important consiste à se
dire que dans un pays où le système de péréquation
est fort, les régions se tiennent beaucoup plus et la notation se fera
sur une échelle réduite. C'est le cas pour des pays comme
l'Allemagne, l'Autriche ou même la Suisse.
Par contre, dans des pays à plus grande autonomie fiscale, la
différenciation entre niveaux de note sera plus vaste. En France, nous
avons publié des notes allant de BBB - à AAA. Nous avons
même eu des notes confidentielles dans la catégorie
spéculative en raison de défauts de paiement de la part de
collectivités.
Plus l'autonomie est grande, plus la différenciation le sera dans la
notation. La capacité de remboursement dépend beaucoup plus de la
richesse locale ou du niveau de flexibilité.
Mme Carol SIROU
- Effectivement, la relation avec les pouvoirs publics,
et tout le cadre institutionnel en général, compte beaucoup.
C'est cela qui fait qu'en Allemagne, l'écart des notes est finalement si
réduit. Il n'y a donc pas que les aspects financiers ou d'autonomie
fiscale qui entrent en jeu.
Et comme le disait Alexandra Dimitrijevic, cet aspect institutionnel joue
davantage en France car l'autonomie dans la gestion y est plus
développée. L'Etat français n'a ainsi jamais
déclaré qu'il se porterait garant de la solvabilité de la
collectivité.
Je tiens à préciser que je parle toujours « en temps et
en heure ». Ce cadre est très restrictif, et nous avons
d'ailleurs souvent des débats portant sur le fait qu'une
collectivité ne peut faire faillite. Non, une collectivité ne
peut pas faire faillite, mais elle peut tout de même se retrouver dans
une situation de trésorerie difficile.
M. le Président
- Autrement dit, en Allemagne, la recette est
centralisée et la dépense décentralisée ?
Mme Carol SIROU
- La recette est par la suite redistribuée aux
Länder
et l'impact du cycle économique immédiatement
perceptible.
M. le Président
- Nous avons pu voir, dans un passé
récent, des collectivités allemandes obligées de
réduire drastiquement leurs dépenses, de fermer des écoles
de musique et d'autres services. Manifestement, la recette globale nationale
n'était pas à la hauteur des recettes engagées localement.
Philippe Adnot a demandé la parole.
M. Philippe ADNOT
- Nous étions il y a douze ans le
dixième département le plus endetté de France. Nous sommes
maintenant l'un des moins endettés.
Madame, je ne partage pas l'ensemble de votre propos. Je pense que la dette par
habitant est extrêmement importante car elle permet l'analyse comparative
dans des strates identiques. Pouvoir se comparer est primordial, cela permet de
rester en alerte en cas de différence inexplicable qui saute aux yeux.
C'est vrai qu'il y a des gens plus ou moins riches ; il n'empêche
que l'élément « analyse comparative par rapport
à l'endettement par habitant » est prépondérant.
D'ailleurs, le
bench-marking
est très présent dans les
entreprises privées. Cela m'apparaît même dommageable que
l'on refuse de l'appliquer chez nous.
Je regrette d'autre part que l'on n'analyse jamais la qualité de
l'endettement alors qu'il s'agit de l'aspect le plus important. À quoi a
servi l'endettement ? Un jeune ménage endetté ne constitue
pas un problème s'il a construit sa maison. Il en va de même pour
les collectivités et pour l'Etat. Aujourd'hui, l'Etat français
est très endetté et je me demande s'il a construit sa maison. Or,
j'ai bien peur que non puisqu'il sert seulement à payer les
dépenses de fonctionnement. Je trouve donc que l'analyse quantitative de
l'endettement est un peu trop absente de vos ratios.
M. le Président
- Je crois que vous n'êtes pas vraiment en
divergence sur ce sujet.
M. Philippe ADNOT
- Effectivement, puisque ce propos a été
corrigé à la fin de l'exposé.
Cette situation est liée au fait qu'en France, il n'y a pas une bonne
péréquation. On peut avoir des richesses de collectivités
extraordinairement différentes. Et pourtant, ces collectivités
vont continuer à percevoir des dotations d'Etat comme si de rien
n'était. Un jour ou l'autre, il faudra bien que les réformes
à mettre en oeuvre :
- posent le principe qu'il existe des plafonds hauts pour le taux des
impôts que l'on sera libre de voter ;
- posent le principe qu'il existe aussi des plafonds bas de manière
à ce qu'il n'y ait pas de
dumping
fiscal et qu'il y ait
obligation de payer quand même un minimum d'impôts.
Les dotations serviront ensuite à ajuster la péréquation.
Mais à l'heure actuelle, les collectivités très riches
peuvent se permettre de faire du
dumping
fiscal tout en touchant les
dotations de l'Etat. C'est cela que nous devons modifier.
Mme Carol SIROU
- La péréquation est certainement un
élément à propos duquel il serait intéressant de
s'interroger davantage. Avoir aussi peu de péréquation constitue
vraiment une caractéristique bien française. Quels que soient les
pays que vous regardez en Europe, que les collectivités aient ou n'aient
pas d'autonomie fiscale, il existe des systèmes de
péréquation assez avancés et stables dans le temps. Alors
il ne faut certes pas idéaliser ces systèmes, si vous allez dans
n'importe quel pays, ils vous diront que le leur ne fonctionne pas et qu'il
doit être ajusté, mais il n'empêche que certains
systèmes élaborés permettent un lissage des richesses plus
important que ce que l'on peut voir chez nous. Et ce n'est pour cela pas la
peine d'aller dans des pays très fédéralistes, comme
l'Allemagne, où les systèmes de péréquation sont
très poussés.
Il s'agit très certainement d'une piste de réflexion pour les
années à venir, même s'il ne sera pas évident de
passer de notre culture à des systèmes plus sophistiqués.
En tant qu'élus, vous serez conduits à y travailler.
Mme Alexandra DIMITRIJEVIC
- Je voudrais réagir aux commentaires
qui ont été faits concernant la dette.
Je pense que nous avons tous la même vision de la chose. De notre
côté, nous estimons que les comparaisons sont
l'élément le plus important. Aucune note n'est attribuée
sans comparer les régions entre elles : un AA en France
représente la même chose qu'un AA aux Etats-Unis ou en Australie,
qu'il s'agisse d'ailleurs d'une collectivité ou d'une entreprise. Dans
cette contrainte de comparer des systèmes différents, nous
utilisons les ratios les plus significatifs disponibles dans l'ensemble des
pays. Le ratio dettes sur recettes de fonctionnement existe dans tous les
pays ; il permet de mesurer l'entrée de
cash
chaque
année et la dette qu'il faudra rembourser face à cela.
La dette par habitant constituerait un indicateur intéressant si l'on
pouvait en pousser un peu plus loin l'analyse. Un habitant n'ayant pas que la
dette d'un département ou d'une région, il faudrait pouvoir
calculer le niveau de dettes total qui s'accumule au-dessus de lui. Il faudrait
également réussir à mesurer le niveau de richesse par
habitant. Or, au niveau des statistiques économiques, nous avons parfois
quelques problèmes. Enfin, il faudrait rapporter le tout au niveau de
pression fiscale par habitant. Cela permettrait effectivement d'avoir un cadre
complet de comparaison par habitant. Mais il est très difficile pour
nous de pousser la comparaison à ce niveau-là.
Nous partageons également votre avis concernant le contenu de la dette.
Nous considérons par exemple comme étant normal que les
transports lyonnais, que nous notons et dont la responsabilité consiste
avant tout à financer des infrastructures, aient un niveau d'endettement
élevé ; cela l'est en revanche moins pour une
collectivité qui doit financer des services publics. Ce qui explique que
les transports lyonnais aient été notés A + : dans
l'évaluation de leur niveau de dettes, nous avons en effet pris en
compte leurs compétences et le fait que la dette ait été
utilisée pour des infrastructures.
Je ne pense donc pas que nous soyons en contradiction.
M. le Président
- Je me réjouis de ce rapprochement entre
Philippe Adnot et
Standard & Poor's
.
M. Yann GAILLARD
- J'aurais voulu poser une question quelque peu
extérieure au sujet.
Comment ces études sont-elles rémunérées et qui
commande celles qui se rapportent aux collectivités
territoriales ?
D'autre part, y a-t-il un
rating
des agences de
rating
?
Mme Carol SIROU
- Ce sont nos clients qui nous rémunèrent,
en l'occurrence les collectivités territoriales. Pourquoi nous
demandent-elles une note ? Certainement pas pour nous faire plaisir ou
pour se faire plaisir. C'est juste que leurs prêteurs, banquiers ou
investisseurs, leur demandent une notation. Si vous regardez la liste des
collectivités que nous notons, vous y trouverez les grandes
collectivités territoriales européennes. La plupart ont
réalisé des opérations sur les marchés financiers
et dans ce dessein, ainsi que pour intéresser des investisseurs de toute
nationalité, la notation fait office de passeport.
Il s'agit d'une manière de communiquer sur sa santé
financière, sachant que les notes sont actualisées tous les ans.
M. le Président
- Dire que vous n'avez été
institués par aucune loi et que vous n'êtes donc pas le fruit de
la réglementation... Vous êtes vraiment une
génération extraordinaire ! Voilà qui nous inspire de
l'humilité.
M. Yves FRÉVILLE
- Je voulais réagir sur le fait que nous
n'avons pas beaucoup de péréquation en France.
Pourquoi est-ce ainsi ? Tout simplement parce qu'il y a
d'énormes inégalités de ressources. Ces
inégalités entre les collectivités les plus riches et les
collectivités les plus pauvres vont de 1 à 40. Pour les
inégalités de besoins, elles devraient aller, en étant
généreux, de 1 à 2. Quand on a des systèmes
d'impôts locaux tels que le système local français, on a
des inégalités de ressources. Et plus elles sont importantes,
plus il faut introduire de ressources d'Etat pour les corriger.
Il y a donc là une contradiction totale entre les deux propositions de
la réforme constitutionnelle, c'est-à-dire vouloir une part
prépondérante d'impôts et instituer la
péréquation. Si l'on met une part prépondérante
d'impôts, on ne fera pas de péréquation, parce que ces
impôts sont inégalement répartis. A moins qu'il existe des
impôts également répartis mais je n'en connais pas.
Ma question est très simple : dans les pays étrangers,
avez-vous l'impression que les inégalités de ressources entre
collectivités sont plus faibles que les inégalités entre
collectivités françaises ?
Mme Carol SIROU
- Non, c'est relativement identique. Vous avez certes
des grands centres économiques dont vont effectivement
bénéficier les villes alentour, mais vous retrouvez quand
même des différences de richesse régionale assez fortes.
Même en Belgique, qui est pourtant un tout petit pays, vous avez une
très forte différence de richesse entre la Flandre et la
Wallonie. Et cela se retrouve au niveau des communes elles-mêmes :
les communes de la région flamande, exceptées celles qui sont
liées à des zones urbaines très difficiles, sont plus
riches.
Mme Alexandra DIMITRIJEVIC
- Seule la composition des recettes peut
changer. Elle peut plus ou moins refléter cette inégalité.
Dans le cas des communes de certains pays, où elles sont surtout
constituées de recettes type taxe d'habitation ou tarifs des services
publics, les inégalités sont moins marquées.
M. le Président
- Évidemment, la péréquation
vient chez nous de la suppression progressive des impôts locaux et de
leur remplacement par des dotations d'Etat. Autrement dit, si la France est
libre et fraternelle, elle n'en reste pas moins très inégalitaire.
Deux ou trois agences mondiales déterminent l'attitude des
prêteurs et finalement la fixation des taux d'intérêt. Il
suffit donc de votre verdict pour que les taux soient très
intéressants ou, au contraire, que l'on soit à la limite du taux
de l'usure.
M. Yann GAILLARD
- Existe-t-il une grande différence entre les
notes que vous mettez et celles que mettent les autres agences ?
Mme Alexandra DIMITRIJEVIC
- Je vais vous citer un exemple de ville pour
laquelle il y a une très grande différence. Il s'agit de la ville
de Naples, notée BBB chez nous et que
Moody's
note AA. Ce qui
démontre que nous n'avons pas toujours la même opinion.
Mme Carol SIROU
- Il s'agit là d'un cas extrême pour lequel
nous considérons avant tout le tissu économique de Naples, ainsi
que ses faiblesses, tandis que notre concurrent considère lui que tout
est financé par l'Etat italien.
M. le Président
-Vous avez dû beaucoup vous réjouir
du vote de la loi organique sur les lois de finances, qui pose comme principe
fondamental la sincérité des comptes publics. Cela va vous
faciliter la tâche.
Il me reste à vous remercier pour votre communication tout à fait
intéressante. Vous nous avez permis d'humaniser l'appréciation
que nous avons de ces grandes agences de notation.