Audition de Mme Carol SIROU,
Directeur du secteur public, responsable des collectivités territoriales européennes de Standard & Poor's

et de Mme Alexandra DIMITRIJEVIC,
Directeur, responsable des critères Secteur public international
de Standard & Poor's


(9 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Madame Carol Sirou, Directeur du secteur public de Standard & Poor's .

Nous étions nombreux à croire que la régulation ou le contrôle de légalité étaient de la responsabilité du préfet. En fait, nous prenons progressivement conscience que notre accès aux marchés financiers, la détermination des taux d'intérêt des emprunts que nous sollicitons, dépendent désormais de quelques autorités supranationales. Ces autorités portent des appréciations sur la situation financière de nos institutions publiques, qu'il s'agisse des Etats, des régions, des départements ou des communes. Il y a maintenant des agences de notation qui informent les prêteurs et délivrent des appréciations. Vous avez d'ailleurs acquis, Madame Sirou, une expertise en cette matière.

Nous sommes à la commission des Finances du Sénat et nous avons entrepris une réflexion, au moment où le Gouvernement s'engage dans une politique de décentralisation qui postule une plus grande autonomie financière des collectivités territoriales. Nous avons pensé que votre contribution enrichirait notre réflexion.

Madame, vous avez la parole pour environ un quart d'heure. Par la suite, mes collègues souhaiteront certainement vous poser quelques questions.

Mme Carol SIROU, directeur du secteur public, responsable des collectivités territoriales européennes de Standard & Poor's - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, merci de nous donner l'opportunité d'intervenir auprès de vous. Je vais vous expliquer très brièvement qui nous sommes et ce que nous faisons. Mon intervention se focalisera plus spécifiquement sur les aspects liés à la fiscalité locale. Elle se révèlera volontairement très brève, dans l'attente de vos questions.

Standard & Poor's est une agence de notation fondée à la fin du siècle dernier. Elle est implantée en France depuis 1990 et note des collectivités territoriales en France et en Europe depuis 1991. Nous sommes présents un peu partout : nous notons 21 collectivités en France et plus de 150 en Europe.

Les critères de notation

Un rating est une opinion qui se fonde sur une analyse financière et économique. D'autres aspects, plus qualitatifs, entrent aussi en jeu. Les ratings sont délivrés par certains établissements, dont Standard & Poor's . La notation servant avant tout à entrer sur les marchés financiers, nous mettons l'accent sur la capacité à rembourser une dette en temps et en heure. Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas que les aspects financiers qui entrent en jeu. L'environnement de la collectivité, qu'il s'agisse de sa situation économique ou démographique, est également très important. Il permet de mesurer son potentiel fiscal, ses ressources et l'évolution de ses dépenses ; bref, les pressions qui peuvent porter sur son budget, du fait par exemple d'une croissance démographique forte ou d'une structure démographique bien particulière.

D'autres éléments importants sont liés à l'organisation interne et à ce que nous appelons le système, c'est-à-dire tout l'environnement réglementaire dans lequel s'insère la collectivité. Dans ce cadre-là, nous regardons, bien entendu, les liens avec les pouvoirs publics, représentés en France par l'Etat. Nous essayons de comprendre les équilibres de pouvoir et les pressions ou les évolutions à moyen terme.

Nous entrons ensuite dans des aspects d'analyse financière plus classique, qui ne vous surprendront pas et qui sont assez proches de ce que peuvent faire les banques. Mais nous regardons toujours les performances budgétaires et financières de la collectivité avec l'esprit d'analyser ses marges de manoeuvre, qu'il s'agisse de recettes ou de dépenses. Nous appelons cela la flexibilité financière. C'est un critère très important.

Nous mesurons in fine la capacité d'une entité à rembourser sa dette, donc son niveau d'endettement et la part que le remboursement de sa dette représente dans ses dépenses.

Enfin, pour avoir une image vraiment complète de la collectivité et de ses engagements, il est important d'en avoir une vision consolidée. Si nous prenons en compte son budget stricto sensu , nous y ajoutons donc tous les engagements hors bilan, comme les dettes garanties ou les participations éventuelles. Nous essayons vraiment d'avoir une vision aussi consolidée que possible des engagements de la collectivité afin d'en mesurer la santé financière.

Vos auditions étant plus particulièrement centrées sur la fiscalité, mon intervention va maintenant se focaliser sur cet aspect-là. Je procèderai ensuite à des comparaisons internationales.

La fiscalité locale française

Revenons légèrement en arrière et regardons la fiscalité locale française d'une manière un peu plus large, c'est-à-dire au niveau des collectivités territoriales de l'Ouest européen (la Russie n'étant pas nécessairement la comparaison la plus appropriée). Les collectivités territoriales françaises ont longtemps été considérées, du moins jusqu'au milieu des années 90, comme ayant une part importante de ressources propres. Par ressources propres, je parle bien de fiscalité directe ou indirecte.

Autre élément intéressant à mettre en avant : les collectivités territoriales françaises disposaient de ressources fiscales diversifiées qui ne dépendaient pas uniquement d'un élément particulier. Entre, par exemple, la taxe d'habitation, le foncier bâti et les droits de mutation, l'exposition au cycle économique était relativement bien équilibrée, à la différence de ce que l'on peut voir en Suède. Si les communes suédoises collectent l'impôt sur le revenu, ce qui leur offre une part importante de ressources propres, elles en sont très dépendantes et donc soumises au cycle économique.

La fiscalité française possède d'autres caractéristiques, telle cette forte corrélation entre le taux de fiscalité et la richesse des bases fiscales. Les taux sont ainsi généralement élevés dès lors que la base fiscale est faible, ce qui permet de faire face à des engagements assez lourds. Cette donnée est assez spécifique à la France. Elle s'explique par le fait que la part de péréquation y soit finalement très limitée. Si nous prenons une nouvelle fois l'exemple de la Suède, où la part des ressources propres est importante, il y a des mécanismes de péréquation beaucoup plus élaborés que chez nous. Dans d'autres pays où la part de fiscalité propre est moins forte, la péréquation joue de manière importante. On peut penser à l'Espagne, un cas en évolution puisque la part des ressources propres dédiée aux communautés autonomes augmente. Il s'agit tout de même d'un pays dans lequel les régions pauvres, par exemple l'Andalousie, continuent à bénéficier d'une part importante de péréquation.

Je reviendrai sur ces différents points si vous avez des questions.

Les avantages d'une part plus importante de ressources propres

Du point de vue d'une agence de notation, dont l'objectif, rappelons-le, consiste à apprécier les marges de manoeuvre et la capacité de la collectivité à faire face à un choc externe, cette donnée est importante pour réagir à l'environnement. Vous avez pu voir récemment les difficultés des collectivités territoriales allemandes, Länder ou communes, qui ont subi de plein fouet un environnement économique difficile, en raison du manque de ressources propres sur lesquelles elles peuvent agir.

Une part importante de ressources propres permet donc d'adapter ses structures en fonction de ses choix d'intervention. La dépendance par rapport à des ressources émanant de l'Etat ou par rapport à des impôts redistribués ne laisse pas cette flexibilité dans la gestion.

Avant-dernier point sur lequel je souhaitais revenir : plus la collectivité récolte des ressources provenant de son propre tissu, plus elle a vocation à investir pour bénéficier d'un éventuel retour sur cet investissement.

Enfin, à partir du moment où la collectivité se retrouve en charge de ses compétences et de ses choix, elle est plus à même de pouvoir s'adapter. Elle se sent en quelque sorte plus responsable.

La tendance en Europe

Il est intéressant de noter qu'en Europe, alors même que la France était encore très récemment en pointe en matière d'autonomie fiscale, la tendance s'est maintenant inversée. Au cours de ces cinq dernières années, la plupart des pays européens ont davantage donné de compétences et de pouvoir fiscal à leurs collectivités. Cela a notamment été le cas en Belgique, en Italie et en Espagne, les trois grands pays dans lesquels il y a vraiment eu des transferts de compétences et de recettes. Ces transferts se sont souvent déroulés sous forme d'impôts additionnels, ou sous forme d'impôts précédemment collectés par l'Etat et dorénavant au seul bénéfice des collectivités. Ces dernières ont également obtenu du pouvoir sur la base fiscale, ce qui leur permet de jouer sur les taux mais aussi d'élargir l'assiette. Dans l'ensemble, les systèmes de péréquation sont bien établis en Europe, en tout cas bien plus qu'ils ne le sont chez nous.

Si l'on observe les structures des recettes des collectivités européennes, on s'aperçoit que bien souvent, les pays dont la décentralisation est plus récente sont passés d'un système de dotations pures à des participations dans des impôts nationaux (TVA ou impôt sur le revenu). Leurs collectivités commencent donc progressivement à avoir des ressources propres sur lesquelles elles peuvent intervenir. L'Allemagne et ses Länder constituent vraiment un cas très particulier puisque les ressources modulables des collectivités y sont dérisoires. Cela explique en partie les très grandes difficultés auxquelles sont actuellement confrontés les Länder , leur endettement atteignant des sommets. Je reviendrai sur ces éléments si vous avez des questions.

L'importance des marges de manoeuvre

S'il est essentiel pour noter une collectivité locale de pouvoir apprécier sa marge de manoeuvre fiscale, cela ne constitue toutefois qu'un paramètre parmi d'autres. Mesurer la part des recettes pérennes et des transferts de compétences, c'est-à-dire observer de quelle manière évolue la couverture entre recettes et dépenses, est aussi un élément fondamental.

Même chose pour l'analyse des recettes et de leur diversité : vous l'aurez compris au vu de mon exposé, nous sommes attachés à une certaine diversité, gage de souplesse pour que la collectivité puisse faire face à des aléas. Tout aussi important est le lien avec le tissu économique. Dans notre analyse, l'appréciation du tissu économique, de ses forces et de ses faiblesses, tient en effet une part prépondérante.

Enfin, dès lors que l'économie est plus faible, l'existence ou non de mécanismes de péréquation permettant d'atténuer les écarts de richesse doit être prise en compte.

Faut-il plus de pouvoir fiscal ?

Dans l'absolu oui, mais il faut toutefois veiller à ce qu'il n'y ait pas trop de risques de spécialisation sur un impôt particulier. De ce point de vue là, si l'on évoque le cas des communautés urbaines, on s'aperçoit que la taxe professionnelle unique (TPU) offre un certain nombre d'avantages. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'oeil sur le cas des communautés urbaines qui existaient précédemment : leur base d'impôt, autrefois diversifiée, ne dépend plus aujourd'hui que de la taxe professionnelle. Je voudrais particulièrement attirer votre attention sur ce point.

Et puis en pratique, la possibilité réelle de mobiliser de nouvelles ressources fiscales étant limitée, du fait d'un manque de volonté politique ou d'une moindre capacité d'absorption du tissu économique, il est nécessaire qu'existe une bonne corrélation entre recettes et dépenses transférées. D'où l'existence de certaines réflexions sur l'évolution des bases et pas uniquement des taux.

Voilà. Alexandra Dimitrijevic, qui travaille sur les collectivités territoriales européennes depuis de nombreuses années et moi-même sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le Président - Merci Madame pour cet exposé très éclairant. Certains de vos enseignements tordent le cou à de nombreuses idées reçues.

J'imagine que les réactions vont être nombreuses. J'ai déjà enregistré le souhait de Joël Bourdin de prendre la parole.

M. Joël BOURDIN - Merci Monsieur le Président.

Je voulais savoir comment Standard & Poor's appréciait exactement la capacité d'endettement des collectivités territoriales. Il y a des ratios de bonne qualité. Lesquels utilisez-vous et quelles sont les critiques que vous pourriez formuler à leur égard ?

Mme Carol SIROU - Il existe déjà un ratio que nous n'utilisons jamais : celui de la dette par habitant. Certains habitants sont en effet plus riches que d'autres. Ce ratio ne nous paraît donc pas être un bon instrument de mesure.

Nous croisons en fait différents ratios pour arriver à mesurer l'endettement. La mesure la plus classique, celle qui nous permet déjà de déterminer le curseur, est l'endettement direct rapporté aux recettes de fonctionnement. Certes, on peut toujours discuter de la structure des collectivités territoriales, savoir si elles ont beaucoup de budgets annexes reconsolidés ou non, mais ce calcul nous semble tout de même adapté.

Dans le cas d'une région qui aurait beaucoup de recettes pérennes en investissement, on va analyser l'endettement direct par rapport aux recettes de fonctionnement additionnées des recettes d'investissement pérennes.

Un autre élément est bien sûr la dette rapportée à la marge.

Nous essayons donc de croiser ces différents ratios pour apprécier le niveau d'endettement d'une collectivité.

Il est également important de regarder la structure de cet endettement. Nous le faisons en appréciant le service de la dette, capital plus intérêts, le tout rapporté aux recettes de fonctionnement. Selon nous, il est en effet primordial de pouvoir payer les salaires et la dette. Une mesure toute simple consiste donc à apprécier au 1 er janvier la capacité d'une collectivité locale à rembourser ses salaires et sa dette : s'il y a déjà 70 ou 75 % des dépenses d'engagées, cela laisse peu de marge.

Ce sont ces différents éléments que nous croisons pour apprécier le niveau d'endettement.

Partant de là, le niveau d'endettement supportable par une collectivité dépendra en partie du service de la dette. Nous avons en fait un certain nombre de niveaux d'endettement qui nous permettent de déterminer un niveau de note.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC, Directeur, responsable des critères Secteur public international de Standard & Poor's - J'ajouterai dans cette idée que nous n'acceptons pas le même niveau d'endettement selon les responsabilités de la collectivité et selon le système. Un Land allemand dont le ratio d'endettement rapporté aux recettes de fonctionnement frôle parfois les 200 % n'aura pas la même note qu'une région française qui se trouverait dans le même cas. Les Länder peuvent en effet se permettre ce genre de ratio élevé : d'une part parce que le système de péréquation étant extrêmement fort, ils ont un niveau de recettes quasiment assuré ; d'autre part parce que cela répond à la répartition des compétences dans un Etat fédéral où l'Etat lui-même a très peu d'endettement, celui-ci étant réparti au niveau des Länder.

Revenons aux ratios. Les comparaisons internationales se font vraiment en analysant le niveau de dettes rapporté aux recettes. La marge peut être affectée par des aspects comptables - regardons en cela le cas de la réforme de la comptabilité des régions - et si ces aspects ne vont pas toucher la capacité d'une région à rembourser sa dette, le ratio par rapport à la marge deviendra tout de même beaucoup plus volatil et dépendant des décisions comptables d'un pays, à un autre.

Mme Carol SIROU - Là aussi, nous apprécierons ce niveau d'endettement au regard des marges de manoeuvre sur les recettes. Si vous avez une collectivité locale extrêmement endettée, dont la fiscalité se trouve déjà à un niveau très élevé et sur lequel elle ne possède aucune marge de manoeuvre, la note finale se révèlera différente de celle d'une collectivité au même niveau d'endettement mais avec beaucoup plus de marges de manoeuvre.

Prenons le cas qu'évoquait à l'instant Alexandra Dimitrijevic, celui d'une collectivité locale n'ayant que des compétences en matière de fonctionnement, ce qui est par exemple le cas des régions italiennes qui, pour l'essentiel, ne financent que la santé. S'il est vrai que ces régions n'ont que peu de dettes, cela s'explique par le fait que les dépenses de santé représentent environ 80 % de leurs dépenses : elles ne sont donc pas particulièrement compétentes en matière d'investissement. Nous essayons donc d'aller assez loin et de ne pas juger à l'aune d'un seul ratio. Nous cherchons à comprendre la dynamique et le contexte dans lesquels s'insère la collectivité.

M. le Président - Bien. Cessons de prendre la dette par habitant sans l'éclairer par d'autres paramètres.

M. François MARC - Ma question sera très simple et portera sur les critères qui sont utilisés.

J'ai en effet le sentiment que tout cela s'apparente à un tableau des risques pays. Les pays qui connaissent des difficultés récoltent des B et des C tandis que les autres ont tous des A. J'ai trouvé votre exposé intéressant, mais je crois que votre tableau appelle quelques explications sur les comparaisons internes à chaque Etat.

Je voulais en particulier savoir, puisque c'est le thème du moment, en quoi l'autonomie réelle a ou n'a pas d'influence dans une telle notation. Vous avez tout à l'heure cité le cas de l'Allemagne, disant notamment que ce pays, étant donné la régularité de ses recettes, pouvait aller plus loin dans la sécurité de ses remboursements. Mais l'autonomie fiscale y est par contre très faible. Cette autonomie a-t-elle donc un impact réel sur les notations ?

Mme Carol SIROU - L'autonomie constitue l'un des paramètres de notation, mais ce n'est pas le seul.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Le point important consiste à se dire que dans un pays où le système de péréquation est fort, les régions se tiennent beaucoup plus et la notation se fera sur une échelle réduite. C'est le cas pour des pays comme l'Allemagne, l'Autriche ou même la Suisse.

Par contre, dans des pays à plus grande autonomie fiscale, la différenciation entre niveaux de note sera plus vaste. En France, nous avons publié des notes allant de BBB - à AAA. Nous avons même eu des notes confidentielles dans la catégorie spéculative en raison de défauts de paiement de la part de collectivités.

Plus l'autonomie est grande, plus la différenciation le sera dans la notation. La capacité de remboursement dépend beaucoup plus de la richesse locale ou du niveau de flexibilité.

Mme Carol SIROU - Effectivement, la relation avec les pouvoirs publics, et tout le cadre institutionnel en général, compte beaucoup. C'est cela qui fait qu'en Allemagne, l'écart des notes est finalement si réduit. Il n'y a donc pas que les aspects financiers ou d'autonomie fiscale qui entrent en jeu.

Et comme le disait Alexandra Dimitrijevic, cet aspect institutionnel joue davantage en France car l'autonomie dans la gestion y est plus développée. L'Etat français n'a ainsi jamais déclaré qu'il se porterait garant de la solvabilité de la collectivité.

Je tiens à préciser que je parle toujours « en temps et en heure ». Ce cadre est très restrictif, et nous avons d'ailleurs souvent des débats portant sur le fait qu'une collectivité ne peut faire faillite. Non, une collectivité ne peut pas faire faillite, mais elle peut tout de même se retrouver dans une situation de trésorerie difficile.

M. le Président - Autrement dit, en Allemagne, la recette est centralisée et la dépense décentralisée ?

Mme Carol SIROU - La recette est par la suite redistribuée aux Länder et l'impact du cycle économique immédiatement perceptible.

M. le Président - Nous avons pu voir, dans un passé récent, des collectivités allemandes obligées de réduire drastiquement leurs dépenses, de fermer des écoles de musique et d'autres services. Manifestement, la recette globale nationale n'était pas à la hauteur des recettes engagées localement.

Philippe Adnot a demandé la parole.

M. Philippe ADNOT - Nous étions il y a douze ans le dixième département le plus endetté de France. Nous sommes maintenant l'un des moins endettés.

Madame, je ne partage pas l'ensemble de votre propos. Je pense que la dette par habitant est extrêmement importante car elle permet l'analyse comparative dans des strates identiques. Pouvoir se comparer est primordial, cela permet de rester en alerte en cas de différence inexplicable qui saute aux yeux. C'est vrai qu'il y a des gens plus ou moins riches ; il n'empêche que l'élément « analyse comparative par rapport à l'endettement par habitant » est prépondérant. D'ailleurs, le bench-marking est très présent dans les entreprises privées. Cela m'apparaît même dommageable que l'on refuse de l'appliquer chez nous.

Je regrette d'autre part que l'on n'analyse jamais la qualité de l'endettement alors qu'il s'agit de l'aspect le plus important. À quoi a servi l'endettement ? Un jeune ménage endetté ne constitue pas un problème s'il a construit sa maison. Il en va de même pour les collectivités et pour l'Etat. Aujourd'hui, l'Etat français est très endetté et je me demande s'il a construit sa maison. Or, j'ai bien peur que non puisqu'il sert seulement à payer les dépenses de fonctionnement. Je trouve donc que l'analyse quantitative de l'endettement est un peu trop absente de vos ratios.

M. le Président - Je crois que vous n'êtes pas vraiment en divergence sur ce sujet.

M. Philippe ADNOT - Effectivement, puisque ce propos a été corrigé à la fin de l'exposé.

Cette situation est liée au fait qu'en France, il n'y a pas une bonne péréquation. On peut avoir des richesses de collectivités extraordinairement différentes. Et pourtant, ces collectivités vont continuer à percevoir des dotations d'Etat comme si de rien n'était. Un jour ou l'autre, il faudra bien que les réformes à mettre en oeuvre :

- posent le principe qu'il existe des plafonds hauts pour le taux des impôts que l'on sera libre de voter ;

- posent le principe qu'il existe aussi des plafonds bas de manière à ce qu'il n'y ait pas de dumping fiscal et qu'il y ait obligation de payer quand même un minimum d'impôts.

Les dotations serviront ensuite à ajuster la péréquation. Mais à l'heure actuelle, les collectivités très riches peuvent se permettre de faire du dumping fiscal tout en touchant les dotations de l'Etat. C'est cela que nous devons modifier.

Mme Carol SIROU - La péréquation est certainement un élément à propos duquel il serait intéressant de s'interroger davantage. Avoir aussi peu de péréquation constitue vraiment une caractéristique bien française. Quels que soient les pays que vous regardez en Europe, que les collectivités aient ou n'aient pas d'autonomie fiscale, il existe des systèmes de péréquation assez avancés et stables dans le temps. Alors il ne faut certes pas idéaliser ces systèmes, si vous allez dans n'importe quel pays, ils vous diront que le leur ne fonctionne pas et qu'il doit être ajusté, mais il n'empêche que certains systèmes élaborés permettent un lissage des richesses plus important que ce que l'on peut voir chez nous. Et ce n'est pour cela pas la peine d'aller dans des pays très fédéralistes, comme l'Allemagne, où les systèmes de péréquation sont très poussés.

Il s'agit très certainement d'une piste de réflexion pour les années à venir, même s'il ne sera pas évident de passer de notre culture à des systèmes plus sophistiqués.

En tant qu'élus, vous serez conduits à y travailler.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Je voudrais réagir aux commentaires qui ont été faits concernant la dette.

Je pense que nous avons tous la même vision de la chose. De notre côté, nous estimons que les comparaisons sont l'élément le plus important. Aucune note n'est attribuée sans comparer les régions entre elles : un AA en France représente la même chose qu'un AA aux Etats-Unis ou en Australie, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une collectivité ou d'une entreprise. Dans cette contrainte de comparer des systèmes différents, nous utilisons les ratios les plus significatifs disponibles dans l'ensemble des pays. Le ratio dettes sur recettes de fonctionnement existe dans tous les pays ; il permet de mesurer l'entrée de cash chaque année et la dette qu'il faudra rembourser face à cela.

La dette par habitant constituerait un indicateur intéressant si l'on pouvait en pousser un peu plus loin l'analyse. Un habitant n'ayant pas que la dette d'un département ou d'une région, il faudrait pouvoir calculer le niveau de dettes total qui s'accumule au-dessus de lui. Il faudrait également réussir à mesurer le niveau de richesse par habitant. Or, au niveau des statistiques économiques, nous avons parfois quelques problèmes. Enfin, il faudrait rapporter le tout au niveau de pression fiscale par habitant. Cela permettrait effectivement d'avoir un cadre complet de comparaison par habitant. Mais il est très difficile pour nous de pousser la comparaison à ce niveau-là.

Nous partageons également votre avis concernant le contenu de la dette. Nous considérons par exemple comme étant normal que les transports lyonnais, que nous notons et dont la responsabilité consiste avant tout à financer des infrastructures, aient un niveau d'endettement élevé ; cela l'est en revanche moins pour une collectivité qui doit financer des services publics. Ce qui explique que les transports lyonnais aient été notés A + : dans l'évaluation de leur niveau de dettes, nous avons en effet pris en compte leurs compétences et le fait que la dette ait été utilisée pour des infrastructures.

Je ne pense donc pas que nous soyons en contradiction.

M. le Président - Je me réjouis de ce rapprochement entre Philippe Adnot et Standard & Poor's .

M. Yann GAILLARD - J'aurais voulu poser une question quelque peu extérieure au sujet.

Comment ces études sont-elles rémunérées et qui commande celles qui se rapportent aux collectivités territoriales ?

D'autre part, y a-t-il un rating des agences de rating ?

Mme Carol SIROU - Ce sont nos clients qui nous rémunèrent, en l'occurrence les collectivités territoriales. Pourquoi nous demandent-elles une note ? Certainement pas pour nous faire plaisir ou pour se faire plaisir. C'est juste que leurs prêteurs, banquiers ou investisseurs, leur demandent une notation. Si vous regardez la liste des collectivités que nous notons, vous y trouverez les grandes collectivités territoriales européennes. La plupart ont réalisé des opérations sur les marchés financiers et dans ce dessein, ainsi que pour intéresser des investisseurs de toute nationalité, la notation fait office de passeport.

Il s'agit d'une manière de communiquer sur sa santé financière, sachant que les notes sont actualisées tous les ans.

M. le Président - Dire que vous n'avez été institués par aucune loi et que vous n'êtes donc pas le fruit de la réglementation... Vous êtes vraiment une génération extraordinaire ! Voilà qui nous inspire de l'humilité.

M. Yves FRÉVILLE - Je voulais réagir sur le fait que nous n'avons pas beaucoup de péréquation en France.

Pourquoi est-ce ainsi ? Tout simplement parce qu'il y a d'énormes inégalités de ressources. Ces inégalités entre les collectivités les plus riches et les collectivités les plus pauvres vont de 1 à 40. Pour les inégalités de besoins, elles devraient aller, en étant généreux, de 1 à 2. Quand on a des systèmes d'impôts locaux tels que le système local français, on a des inégalités de ressources. Et plus elles sont importantes, plus il faut introduire de ressources d'Etat pour les corriger.

Il y a donc là une contradiction totale entre les deux propositions de la réforme constitutionnelle, c'est-à-dire vouloir une part prépondérante d'impôts et instituer la péréquation. Si l'on met une part prépondérante d'impôts, on ne fera pas de péréquation, parce que ces impôts sont inégalement répartis. A moins qu'il existe des impôts également répartis mais je n'en connais pas.

Ma question est très simple : dans les pays étrangers, avez-vous l'impression que les inégalités de ressources entre collectivités sont plus faibles que les inégalités entre collectivités françaises ?

Mme Carol SIROU - Non, c'est relativement identique. Vous avez certes des grands centres économiques dont vont effectivement bénéficier les villes alentour, mais vous retrouvez quand même des différences de richesse régionale assez fortes. Même en Belgique, qui est pourtant un tout petit pays, vous avez une très forte différence de richesse entre la Flandre et la Wallonie. Et cela se retrouve au niveau des communes elles-mêmes : les communes de la région flamande, exceptées celles qui sont liées à des zones urbaines très difficiles, sont plus riches.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Seule la composition des recettes peut changer. Elle peut plus ou moins refléter cette inégalité. Dans le cas des communes de certains pays, où elles sont surtout constituées de recettes type taxe d'habitation ou tarifs des services publics, les inégalités sont moins marquées.

M. le Président - Évidemment, la péréquation vient chez nous de la suppression progressive des impôts locaux et de leur remplacement par des dotations d'Etat. Autrement dit, si la France est libre et fraternelle, elle n'en reste pas moins très inégalitaire.

Deux ou trois agences mondiales déterminent l'attitude des prêteurs et finalement la fixation des taux d'intérêt. Il suffit donc de votre verdict pour que les taux soient très intéressants ou, au contraire, que l'on soit à la limite du taux de l'usure.

M. Yann GAILLARD - Existe-t-il une grande différence entre les notes que vous mettez et celles que mettent les autres agences ?

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Je vais vous citer un exemple de ville pour laquelle il y a une très grande différence. Il s'agit de la ville de Naples, notée BBB chez nous et que Moody's note AA. Ce qui démontre que nous n'avons pas toujours la même opinion.

Mme Carol SIROU - Il s'agit là d'un cas extrême pour lequel nous considérons avant tout le tissu économique de Naples, ainsi que ses faiblesses, tandis que notre concurrent considère lui que tout est financé par l'Etat italien.

M. le Président -Vous avez dû beaucoup vous réjouir du vote de la loi organique sur les lois de finances, qui pose comme principe fondamental la sincérité des comptes publics. Cela va vous faciliter la tâche.

Il me reste à vous remercier pour votre communication tout à fait intéressante. Vous nous avez permis d'humaniser l'appréciation que nous avons de ces grandes agences de notation.

Page mise à jour le

Partager cette page