Audition de M. Hansjörg BLÖCHLIGER,
Administrateur principal à l'OCDE


(2 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - La commission poursuit ses travaux et j'accueille M. Hansjörg Blöchliger, administrateur principal à l'OCDE. Merci, Monsieur, d'avoir accepté de venir nous livrer votre vision sur des questions auxquelles nous voudrions apporter des réponses, étant à la veille d'un important mouvement de décentralisation. Par ailleurs, donner davantage d'autonomie financière aux collectivités territoriales est d'actualité. Ceci pose le problème de la fiscalité locale au sujet duquel nous vous avons fait parvenir un questionnaire.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER, administrateur principal à l'OCDE - Merci Monsieur le Président.

Mesdames et messieurs, je vous présenterai le travail comparatif que l'OCDE a mené depuis quelques années sur la fiscalité locale et les premiers résultats qui en découlent. Je commencerai par répondre aux questions écrites que vous m'avez soumises avant de répondre aux questions directes des membres de votre commission.

1) L'importance des recettes fiscales a-t-elle un impact sur la manière dont la collectivité est gérée ?

Les taxes locales et les redevances représentent, pour une collectivité locale, son propre argent à dépenser, alors que les transferts sont des dotations à dépenser qui proviennent de l'Etat central. Les autorités locales, nous l'avons observé dans tous les pays de l'OCDE, gèrent en général avec plus d'efficacité le produit des taxes et des redevances que les dotations transférées, provenant de l'Etat central.

D'un point de vue dynamique, les gouvernements locaux qui dépendent uniquement de transferts ont une certaine tendance à en demander toujours plus. L'architecture qui permet les transferts est en effet généralement moins stricte que le système qui préside à la définition des impôts locaux. Les transferts ne sont pas soumis à des restrictions budgétaires absolues, ce qui conduit souvent l'Etat central à céder aux demandes des gouvernements locaux. Il peut même aller au-delà, comme en France, où l'Etat central supplée la fiscalité locale par des transferts supplémentaires. Cela peut engendrer un cercle vicieux : les autorités locales demandent plus, reçoivent tout ou partie de ce qu'elles ont demandé, dépensent trop et demanderont ensuite à l'autorité centrale de combler le manque.

Ce phénomène est observé dans des pays fort différents de l'OCDE tels que la Suisse et le Mexique, où les collectivités territoriales ou régionales dépendent des transferts de l'Etat central. Le fait que les transferts augmentent et représentent une part croissante dans les budgets locaux s'observe bien dans ces deux pays. La répartition entre les transferts et la fiscalité locale a certainement un impact sur la manière dont les collectivités territoriales sont gérées.

2) Existe-t-il une différence entre les transferts et les ressources fiscales sur le taux desquelles la collectivité locale ne peut agir ?

Deux dimensions sont nécessaires pour répondre à cette question : les indicateurs qui définissent le montant des transferts ; le pouvoir de l'Etat central de modifier l'allocation de la taxe locale.

Les deux formes - fiscalité locale ou transfert - sont en fait équivalentes si elles sont basées sur le même indicateur, tel que le revenu personnel. Ceci est cependant rarement le cas dans les pays de l'OCDE, car il existe souvent d'autres critères qui sont utilisés pour l'allocation des transferts. Des transferts sont par exemple utilisés pour effectuer des péréquations de ressources entre les collectivités territoriales, ou pour égaliser les coûts de certaines prestations de service public. Dans les faits donc, il existe une différence assez nette entre la fiscalité locale et les transferts de l'Etat central.

L'autre critère concerne la possibilité pour l'Etat central de modifier l'allocation de la taxe. L'Etat central peut généralement modifier plus aisément l'allocation des transferts que l'allocation des taxes locales. En d'autres termes, l'Etat dispose d'un pouvoir plus grand sur les transferts que sur les taxes locales. Cependant, si l'Etat central conserve un droit de changer annuellement ou périodiquement la base fiscale et définit les taux, les cas de figure sont de nouveau différents. Tout dépend du pouvoir central de définir soit les montants des transferts et les critères les définissant, soit la base imputable et les taux des impôts locaux.

3) Que constate-t-on dans les pays dans lesquels les collectivités territoriales ont peu de marge de manoeuvre sur les taux de leurs impôts ?

Il est très difficile de répondre à cette question et nous avons fait assez peu d'analyses au sein de l'OCDE. Je ne peux donc pas vous présenter de résultats.

Mais il est possible de se poser la question inverse : que se passe-t-il dans les pays où les collectivités territoriales disposent d'une grande marge de manoeuvre ? Dans quelques pays de l'OCDE, comme la Suisse, les Etats-Unis et le Canada, les collectivités territoriales ont la possibilité de définir assez librement les taux de la fiscalité locale.

On constate alors que les taux se différencient assez nettement. En Suisse, par exemple, les taux peuvent varier de un à quatre, entre différentes localités. Les mêmes écarts s'observent aux Etats-Unis et au Canada.

Deux interprétations sont possibles : l'une positive, l'autre négative. L'interprétation positive consiste à dire que les préférences pour des biens publics varient d'une région à l'autre. On observe vraiment des différences entre les grandes villes et les plus petites, ainsi qu'entre zone rurale et zone urbaine. Il y a des différences culturelles qui se traduisent par des préférences différentes pour des biens publics. Par ailleurs, la liberté dans la fixation des taux engendre une certaine concurrence entre les collectivités territoriales et contraint ces collectivités à mener une politique budgétaire en général plus efficace.

D'un point de vue plus négatif, des disparités en termes de développement économique peuvent naître ou s'accroître du fait de la liberté accordée aux collectivités territoriales de fixer leur taux. Une dynamique négative d'appauvrissement peut se faire jour dans certaines régions : des taux élevés provoquent l'émigration de personnes ne souhaitant plus contribuer à un niveau si élevé. La collectivité locale est forcée alors d'élever encore les impôts pour fournir les mêmes services publics. Cette élévation des impôts provoque de nouveaux départs : un cercle vicieux est enclenché. Les écarts de développement économique peuvent alors se renforcer. Cependant, ces cas sont extrêmes ; et ce cercle vicieux n'apparaît pas systématiquement.

De surcroît, tous les pays dans lesquels les collectivités territoriales disposent d'une certaine liberté dans la fixation des taux ont introduit des mécanismes de péréquation financière. C'est le cas notamment de la Suisse, du Canada, de l'Allemagne et des pays nordiques. Les dotations de l'Etat central égalisent d'une certaine manière les différentes capacités financières nées de ces libertés.

Un point me paraît important : avoir un taux unique pour toutes les collectivités territoriales peut être au désavantage des zones rurales. En effet, en général, les zones rurales possèdent une fiscalité moins forte et pour beaucoup d'entre elles, cette fiscalité plus faible sert d'outil de développement. Harmoniser les taux fiscaux, c'est alors, d'une certaine manière, priver les zones non urbanisées d'un instrument de développement dans la compétition qui les oppose aux zones urbaines.

4) Dans la France d'aujourd'hui les citoyens ressentent-ils le lien entre le niveau de la pression fiscale et le service rendu ?

Je préfère laisser cette question de côté, ne disposant pas d'éléments de comparaison.

5) Comment arriver à une plus grande responsabilité politique en matière de vote des taux ?

La question peut être reformulée comme suit : comment responsabiliser financièrement les collectivités territoriales ? Plus une collectivité locale dispose d'autonomie financière, plus elle se sent responsabilisée. Si l'argent provient de l'Etat central, la collectivité territoriale ressent moins cette responsabilité. D'un point de vue politique, il faut montrer le lien entre la fiscalité locale et les prestations offertes. Le citoyen doit avoir conscience du bien-fondé de l'utilisation du produit des impôts qu'il paie.

Concernant l'architecture fiscale d'un pays, les transferts sont souvent liés à la fiscalité locale. Une forte relation positive ou négative existe entre les recettes fiscales locales et les transferts de l'Etat central. Les collectivités peuvent fixer des taux, soit à un niveau trop élevé, soit à un niveau trop bas en sachant bien qu'un manque de recettes fiscales sera de toute façon couvert par l'Etat central. Cet effet s'observe dans certains pays décentralisés de l'OCDE.

6) Existe-t-il une différence dans le mode de gestion des collectivités territoriales selon qu'elle s'appuie sur la fiscalité locale ou bien sur les transferts ?

La charge administrative de la gestion de la fiscalité est plus lourde que la gestion des transferts qui interviennent généralement une fois l'an. Les coûts par habitant de l'administration fiscale diminuent fortement avec la taille de la collectivité. Il est donc plus facile de gérer la fiscalité locale pour une grande ville que pour une petite commune.

L'administration d'un service fiscal peut présenter une charge excessive par rapport aux résultats. La solution consiste, soit à laisser la gestion de la collecte à l'Etat, qui reverse ensuite aux collectivités le produit de l'impôt, soit à organiser collégialement la collecte de l'impôt par plusieurs communes ou bien au niveau régional.

7) Quelles sont les assiettes fiscales généralement taxées au bénéfice des collectivités territoriales dans les pays de l'OCDE ?

L'architecture des prélèvements fiscaux locaux varie grandement d'un pays de l'OCDE à l'autre. Si l'on regarde plus finement, deux modèles se distinguent : un modèle anglo-saxon et un modèle européen.

Dans le modèle anglo-saxon, les collectivités territoriales dépendent essentiellement de la taxe foncière. Les pays concernés sont par exemple l'Irlande, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, les Pays-Bas.

Dans le modèle européen, les collectivités territoriales dépendent davantage d'une taxe sur le revenu. Les pays concernés sont les pays nordiques, les pays fédéraux européens, comme la Suisse ou l'Allemagne.

La France fait exception, puisque les collectivités territoriales sont financées essentiellement grâce à une taxe un peu particulière qui est la taxe professionnelle. Elle n'appartient donc ni au modèle anglo-saxon, ni au modèle européen.

8) Quelle serait la meilleure taxe pour une collectivité locale ?

La question est pertinente, car elle relie la sphère fiscale à la sphère économique. La question n'est pas : quelle taxe nuit le moins au développement économique ? L'accent est mis sur le fait de savoir quelle serait la taxe qui favoriserait le mieux le développement économique. La question est donc plus « active ».

Le principe de base de la fiscalité locale, auquel doit se rattacher toute taxe, fait correspondre étroitement les prélèvements et les prestations fournies. La taxe ne doit pas être mobile, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas dépendre d'un éventuel mouvement de population. La taxe ne doit pas être redistributrice et ne doit pas être concentrée géographiquement. Cette taxe ne doit pas être sujette à des cycles conjoncturels.

Les impôts locaux qui satisfont le mieux à ces critères sont la taxe foncière, la taxe sur le revenu, les taxes sur les entreprises (assises sur le chiffre d'affaires ou bien les ventes).

La taxe foncière présente les avantages suivants : elle est non mobile, elle lie étroitement en général le montant de l'impôt et les prestations offertes. Son désavantage tient au fait qu'elle ne suive pas rapidement la croissance économique. Elle engendre des coûts initiaux importants dus à la mise en place des cadastres. Cette taxe n'incite pas assez au développement économique. Le développement économique local ne se traduit pas immédiatement par une hausse du produit local de cette taxe. En d'autres termes, il faut attendre un certain temps avant que l'on constate un lien positif entre croissance économique et augmentation des recettes fiscales liées à la taxe foncière.

Je me réfère à une discussion qui se déroule en ce moment au Québec. La discussion concerne le remplacement éventuel de la taxe foncière par une taxe qui prendrait justement plus en compte le développement économique. Je vous conseille donc de prendre contact avec les autorités régionales québécoises. Cette réflexion est menée dans toutes les régions, mais elle prend une ampleur certaine au Québec.

Les recettes des taxes sur le revenu progressent avec la croissance économique. C'est l'avantage connu de ce type de taxe. Cette taxe incite donc fortement la collectivité locale à favoriser le développement économique de son territoire. En effet, elle sait par avance qu'une politique, réussie, de développement économique se traduira d'abord, mécaniquement, par une hausse des revenus puis par une hausse des recettes. Une taxe sur le revenu présente également des inconvénients : elle est mobile ; elle est redistributrice (les personnes disposant de revenus élevés tendent par conséquent à fuir les taux élevés).

Si vous êtes intéressés par de tels débats, je vous renvoie aux discussions qui ont lieu en ce moment en Suisse. Les collectivités territoriales suisses dépendent à près de 80 % des taxes sur le revenu. La dynamique de périurbanisation nuit aux centres-villes, parce qu'ils perdent une grande partie de leur base imposable.

Il vous serait certainement utile d'étudier de plus près ces deux exemples extrêmes, le Québec et la Suisse. Dans ces deux pays, les débats relatifs à la refonte de l'architecture fiscale locale sont animés et intéressants.

La taxe sur les revenus des entreprises ou taxe professionnelle est liée aux infrastructures développées par les collectivités qui permettent d'accroître les revenus de ces mêmes entreprises. Une discussion a lieu au Québec pour mesurer l'opportunité d'introduire ce type de taxe dans certaines zones spécifiques. Les villes pourraient proposer à un consortium de développeurs des infrastructures supplémentaires, en échange de l'imposition d'une taxe spécifique légèrement plus élevée. Il existe donc ici un lien étroit entre taxe et prestation.

Cette taxe présente également un inconvénient : la distribution des taxes sur les entreprises est géographiquement inégale. Une grosse entreprise attachée au territoire d'une commune reverse l'intégralité de la taxe à une seule commune sans irriguer les communes limitrophes. Les taxes sur les entreprises sont toujours plus sensibles aux cycles conjoncturels. Ce type de prélèvement sur les entreprises est en déclin dans la plupart des pays de l'OCDE. Les taxes sur les personnes morales sont progressivement remplacées par des taxes sur les personnes physiques ou sur la propriété.

Dans la mesure où il n'existe pas de taxe optimale et au vu des expériences réalisées dans les pays de l'OCDE, il semble qu'une assiette composée de différentes taxes permet de mieux favoriser le développement économique et la stabilité financière des collectivités territoriales, au contraire d'une taxe fondée sur une base unique.

M. le Président - Je vous remercie. Pourriez-vous, s'il vous plaît, commenter le premier tableau intitulé « Ratios de décentralisation » ?

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Ce tableau est le point de départ de nos travaux sur la décentralisation, entendue comme autonomie accordée aux collectivités territoriales dans la gestion des recettes et des dépenses, en fonction des responsabilités transférées à ces collectivités. Sur l'axe des ordonnées, vous voyez le degré de décentralisation des recettes, exprimé en pourcentage. Sur l'axe des abscisses, vous voyez le degré de décentralisation des dépenses, également exprimé en pourcentage. La bissectrice du premier quadrant indique qu'un pays a le même degré de décentralisation des recettes et des dépenses localement. Si l'on observe cette ligne, vous voyez que tous les pays figurent sous cette ligne. Les recettes sont donc plus centralisées que les dépenses ; par conséquent, l'Etat central intervient toujours au niveau des transferts qui comblent l'écart fiscal.

Il est intéressant de voir que l'écart est fort pour certains pays entre la centralisation des recettes et la décentralisation des dépenses, comme en Hongrie ou au Mexique, par exemple. La France est faiblement décentralisée, mais l'équilibre est notable entre la décentralisation des recettes et celles des dépenses.

M. Jacques OUDIN - Tous les pays sont au-dessous de la ligne. Ce tableau est intéressant pour comparer les situations. Vous avez indiqué qu'il y avait une tendance à transférer les prélèvements des entreprises vers les personnes physiques. Pouvez-vous nous indiquer, sous une forme de tableau, dans quelle proportion les recettes proviennent des taxes sur les entreprises et des taxes sur les personnes physiques en fonction des pays ?

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Le dernier graphique présente la structure du système fiscal local en fonction des types de prélèvements. Ce tableau ne fait cependant pas de distinction entre les bénéfices des entreprises et les revenus des personnes physiques, puisqu'ils sont réunis sous la légende « revenus et bénéfices ». Les taxes sur la main-d'oeuvre jouent un rôle négligeable.

Pour ce qui concerne la France, il n'y a pas, au niveau local, de prélèvements sur les revenus et les bénéfices. Le financement n'est presque pas assuré par la Sécurité sociale. L'impôt foncier est présent, ainsi que les taxes sur les biens et services. Enfin viennent les autres taxes ; cette catégorie correspond pour la France à la taxe professionnelle.

M. le Président - Ce tableau ne représente que les prélèvements obligatoires et pas les dotations. La taxe professionnelle n'est donc présente que dans trois pays : la France, l'Italie et la Turquie.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - En ce qui concerne la Turquie, la taxe n'est pas calculée de la même manière qu'en France. Ce n'est pas une taxe professionnelle. De même qu'en Allemagne, où elle est assise sur les bénéfices.

M. Jacques OUDIN - Je pense que l'OCDE pourrait accomplir un travail d'information sur ce sujet, sur la base de présentations graphiques de la situation respective des collectivités territoriales dans les pays de l'OCDE.

Concernant la taxation des personnes physiques, des entreprises ou la taxe foncière, on devrait situer tous les pays sur un graphique et nous pourrions en tirer quelques enseignements sur la position française. À partir de ceux-ci, nous pourrions éventuellement réorienter nos pratiques. Les entreprises sont certes sensibles à cette fiscalité-là, mais seules les plus grosses entreprises sont susceptibles de se délocaliser pour ce motif.

M. le Président - Ces informations demandées pourraient-elles être mises en forme ? Il serait intéressant d'étudier les impôts des pays, comme le Canada, qui perçoivent directement des recettes dans les proportions les plus fortes. De quels types d'impôts disposent-ils ? Sont-ce des impôts sur le revenu ou sur les sociétés ? Ce sont donc des impôts qui relèvent en France de la fiscalité de l'Etat.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Je peux vous présenter les études qui ont récemment été faites sur certains des pays évoqués ici et dont les résultats sont rassemblés sous la forme d'une publication. Les études concernant la Suisse et le Canada viennent d'être publiées. Nous avons également étudié des régions, la région Champagne-Ardenne, par exemple.

Il serait intéressant de faire cette étude, dans un cadre comparatif, pour la France. C'est à la demande du pays membre que l'on peut faire cette étude.

M. le Président - Nous pourrions aussi reprendre à notre compte cette demande.

M. Yves FRÉVILLE - Je voulais formuler quelques remarques sur ces problèmes liés aux transferts et aux impôts.

En particulier lorsque l'on s'intéresse aux études comparatives, se posent des problèmes d'analyse dans le détail. Par exemple, les impôts locaux sont-ils déductibles de l'assiette des impôts d'Etat ? Cela n'apparaît pas dans ces graphiques. La taxe professionnelle était payée, lorsque l'impôt sur les sociétés (I.S.) s'élevait à 50 %, sous forme de déductions de l'I.S. d'Etat. Il en est de même pour la taxe foncière qui est déductible de l'impôt sur le revenu (I.R.). Tout cela n'est pas neutre, lorsque l'on s'intéresse à la forme des prélèvements et à l'incidence de ces impôts. Ce n'est pas parce que l'on dit que les entreprises paient un impôt, que ce sont bien elles qui, en définitive, paient l'impôt. Il faut donc bien faire attention. Dans le cas contraire, nous courons le risque d'arriver à des conclusions absurdes, en particulier en matière de taxe professionnelle.

Mais je voudrais surtout savoir si l'existence des transferts conduit les collectivités à être plus dépensières que si elles sont financées par des impôts. Toutes les études semblent le montrer. Les transferts sont systématiquement dépassés. En Grande-Bretagne, Margaret Thatcher avait bien vu ces problèmes liés aux dépassements des crédits. Elle avait en conséquence élaboré un système de dotations dont le montant principal diminuait lorsque la collectivité augmentait ses dépenses. La ville de Londres qui augmentait ses dépenses et dépassait ses dotations vit donc systématiquement diminuer ses dotations d'Etat. Les économistes se posent la même question : est-ce la même chose de donner de l'argent aux citoyens pour qu'ils paient des impôts locaux ou bien ne vaut-il mieux pas effectuer des transferts ? Nous nous apercevons que le transfert incite davantage la collectivité locale à la dépense que ne le fait l'argent qui est distribué aux ménages qui vont payer des impôts locaux. Tout cela n'est pas neutre donc.

Ma dernière observation concerne la remarque de Hansjörg Blöchliger sur le fait que la décentralisation est faite en vue de mieux satisfaire localement les besoins différents des citoyens. Cette conception est une conception américaine de la décentralisation, mais certainement pas française, qui promeut l'égalité devant le service public. La décentralisation n'est pas conçue pour que les services locaux soient différents d'une collectivité locale à l'autre. Le paradoxe du système français consiste à pallier les conséquences de ce principe. Dans tous les systèmes étrangers de transferts aux collectivités territoriales, l'essentiel n'est pas de corriger les différences de ressources fiscales, mais bien de corriger les différences de besoins. Le système anglais distribue de l'argent sans tenir vraiment compte des impôts locaux. Il ne tient compte, en forçant le trait, que d'un certain nombre d'indicateurs, comme le nombre d'enfants scolarisés, de personnes âgées...

Nous avons complètement oublié, dans notre système de péréquation, les différences de besoins. Notre système d'autonomie fiscale, qui consiste à corriger des inégalités de ressources, est-il satisfaisant ? Ne vaudrait-il pas mieux s'intéresser à des systèmes de transferts qui cherchent à corriger des inégalités liées à des différences de besoins ? J'aimerais bien que l'on étudie mieux les différences liées à la péréquation en fonction des ressources et la péréquation en fonction des besoins.

M. le Président - Yves Fréville a évoqué l'intérêt de la collectivité à susciter la création de richesses et d'emplois. La taxe professionnelle y contribue, car sa disparition entraîne a contrario une chute de motivation de la part de la collectivité, qui ne perçoit plus de nouvelles recettes liées aux nouvelles implantations.

M. Yves FRÉVILLE - Je parlais des entreprises mobiles. Ce sont les investissements lourds et immobiles, comme les barrages hydroélectriques et les centrales nucléaires qui rapportent d'importantes recettes fiscales.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - M. Fréville évoque les disparités de prestations de biens et services locaux selon les pays. On constate que les disparités économiques et fiscales sont plus fortes en France que dans la plupart des autres pays européens. Le fait que l'Etat central prévoie des biens et services locaux pour tout citoyen n'empêche donc pas les disparités. La provision par l'Etat central n'a pas mené à la réduction des disparités par rapport à des pays dans lesquels les prestations de services locaux sont assurées par les collectivités territoriales.

Par ailleurs, pour reprendre les problèmes nés de la péréquation des besoins ou des recettes, j'aimerais dire que, dans tous les pays qui ont introduit des systèmes de péréquation, il y a en fait toujours deux systèmes de péréquation. Le premier système de péréquation concerne le revenu et cherche à égaliser la base fiscale ; le second système spécifique cherche à égaliser les coûts des prestations.

En Suisse, par exemple, il y a des cantons urbains dans les plaines et des cantons ruraux dans les montagnes. Le coût des infrastructures est bien sûr plus élevé dans les cantons ruraux. Un système de péréquation fondé sur les coûts a donc été mis en place à côté du système général de péréquation des revenus. De la même manière, au Canada, un système de péréquation des revenus existe et il permet de lisser modérément la base fiscale. Mais les Territoires du Nord, qui ont des besoins plus importants et supportent des coûts plus élevés, disposent d'un système particulier de péréquation. De même, les zones urbanisées, qui supportent, elles, des coûts sociaux plus lourds, disposent également d'un système propre de péréquation. La conclusion qui émerge illustre la nécessaire existence des deux systèmes de péréquation.

M. Yves FRÉVILLE - Dans la proposition de loi constitutionnelle que j'ai pu lire, il est fait de la péréquation des ressources un principe constitutionnel, alors que la péréquation des besoins n'est pas même évoquée.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Je voudrais vous signaler que l'Italie est en train d'instaurer un système de péréquation financière qui est fondé sur deux indicateurs, le revenu et les coûts, qui traduisent d'une certaine manière les besoins. Peut-être pourriez-vous vous mettre en contact avec des collègues italiens, puisque ce pays dispose aujourd'hui d'un système proche de celui qui existe en France.

M. le Président - Je vous remercie, Monsieur Blöchliger, de votre témoignage et nous restons en contact bien-sûr. S'il vous semble que l'OCDE dispose de documents qui nous permettraient de progresser, je vous saurais gré de nous les faire parvenir.

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