Audition de M.
Hansjörg BLÖCHLIGER,
Administrateur principal à
l'OCDE
(2
octobre 2002)
M.
Jean ARTHUIS, président
- La commission poursuit ses travaux et
j'accueille M. Hansjörg Blöchliger, administrateur principal
à l'OCDE. Merci, Monsieur, d'avoir accepté de venir nous livrer
votre vision sur des questions auxquelles nous voudrions apporter des
réponses, étant à la veille d'un important mouvement de
décentralisation. Par ailleurs, donner davantage d'autonomie
financière aux collectivités territoriales est
d'actualité. Ceci pose le problème de la fiscalité locale
au sujet duquel nous vous avons fait parvenir un questionnaire.
M. Hansjörg BLÖCHLIGER, administrateur principal à
l'OCDE
- Merci Monsieur le Président.
Mesdames et messieurs, je vous présenterai le travail comparatif que
l'OCDE a mené depuis quelques années sur la fiscalité
locale et les premiers résultats qui en découlent. Je commencerai
par répondre aux questions écrites que vous m'avez soumises avant
de répondre aux questions directes des membres de votre commission.
1)
L'importance des recettes fiscales a-t-elle un impact sur la
manière dont la collectivité est gérée ?
Les taxes locales et les redevances représentent, pour une
collectivité locale, son propre argent à dépenser, alors
que les transferts sont des dotations à dépenser qui proviennent
de l'Etat central. Les autorités locales, nous l'avons observé
dans tous les pays de l'OCDE, gèrent en général avec plus
d'efficacité le produit des taxes et des redevances que les dotations
transférées, provenant de l'Etat central.
D'un point de vue dynamique, les gouvernements locaux qui dépendent
uniquement de transferts ont une certaine tendance à en demander
toujours plus. L'architecture qui permet les transferts est en effet
généralement moins stricte que le système qui
préside à la définition des impôts locaux. Les
transferts ne sont pas soumis à des restrictions budgétaires
absolues, ce qui conduit souvent l'Etat central à céder aux
demandes des gouvernements locaux. Il peut même aller au-delà,
comme en France, où l'Etat central supplée la fiscalité
locale par des transferts supplémentaires. Cela peut engendrer un cercle
vicieux : les autorités locales demandent plus, reçoivent
tout ou partie de ce qu'elles ont demandé, dépensent trop et
demanderont ensuite à l'autorité centrale de combler le manque.
Ce phénomène est observé dans des pays fort
différents de l'OCDE tels que la Suisse et le Mexique, où les
collectivités territoriales ou régionales dépendent des
transferts de l'Etat central. Le fait que les transferts augmentent et
représentent une part croissante dans les budgets locaux s'observe bien
dans ces deux pays. La répartition entre les transferts et la
fiscalité locale a certainement un impact sur la manière dont les
collectivités territoriales sont gérées.
2)
Existe-t-il une différence entre les transferts et les ressources
fiscales sur le taux desquelles la collectivité locale ne peut
agir ?
Deux dimensions sont nécessaires pour répondre à cette
question : les indicateurs qui définissent le montant des
transferts ; le pouvoir de l'Etat central de modifier l'allocation de la
taxe locale.
Les deux formes - fiscalité locale ou transfert - sont en fait
équivalentes si elles sont basées sur le même indicateur,
tel que le revenu personnel. Ceci est cependant rarement le cas dans les pays
de l'OCDE, car il existe souvent d'autres critères qui sont
utilisés pour l'allocation des transferts. Des transferts sont par
exemple utilisés pour effectuer des péréquations de
ressources entre les collectivités territoriales, ou pour
égaliser les coûts de certaines prestations de service public.
Dans les faits donc, il existe une différence assez nette entre la
fiscalité locale et les transferts de l'Etat central.
L'autre critère concerne la possibilité pour l'Etat central de
modifier l'allocation de la taxe. L'Etat central peut
généralement modifier plus aisément l'allocation des
transferts que l'allocation des taxes locales. En d'autres termes, l'Etat
dispose d'un pouvoir plus grand sur les transferts que sur les taxes locales.
Cependant, si l'Etat central conserve un droit de changer annuellement ou
périodiquement la base fiscale et définit les taux, les cas de
figure sont de nouveau différents. Tout dépend du pouvoir central
de définir soit les montants des transferts et les critères les
définissant, soit la base imputable et les taux des impôts locaux.
3)
Que constate-t-on dans les pays dans lesquels les collectivités
territoriales ont peu de marge de manoeuvre sur les taux de leurs
impôts ?
Il est très difficile de répondre à cette question et nous
avons fait assez peu d'analyses au sein de l'OCDE. Je ne peux donc pas vous
présenter de résultats.
Mais il est possible de se poser la question inverse : que se passe-t-il
dans les pays où les collectivités territoriales disposent d'une
grande marge de manoeuvre ? Dans quelques pays de l'OCDE, comme la Suisse,
les Etats-Unis et le Canada, les collectivités territoriales ont la
possibilité de définir assez librement les taux de la
fiscalité locale.
On constate alors que les taux se différencient assez nettement. En
Suisse, par exemple, les taux peuvent varier de un à quatre, entre
différentes localités. Les mêmes écarts s'observent
aux Etats-Unis et au Canada.
Deux interprétations sont possibles : l'une positive, l'autre
négative. L'interprétation positive consiste à dire que
les préférences pour des biens publics varient d'une
région à l'autre. On observe vraiment des différences
entre les grandes villes et les plus petites, ainsi qu'entre zone rurale et
zone urbaine. Il y a des différences culturelles qui se traduisent par
des préférences différentes pour des biens publics. Par
ailleurs, la liberté dans la fixation des taux engendre une certaine
concurrence entre les collectivités territoriales et contraint ces
collectivités à mener une politique budgétaire en
général plus efficace.
D'un point de vue plus négatif, des disparités en termes de
développement économique peuvent naître ou
s'accroître du fait de la liberté accordée aux
collectivités territoriales de fixer leur taux. Une dynamique
négative d'appauvrissement peut se faire jour dans certaines
régions : des taux élevés provoquent
l'émigration de personnes ne souhaitant plus contribuer à un
niveau si élevé. La collectivité locale est forcée
alors d'élever encore les impôts pour fournir les mêmes
services publics. Cette élévation des impôts provoque de
nouveaux départs : un cercle vicieux est enclenché. Les
écarts de développement économique peuvent alors se
renforcer. Cependant, ces cas sont extrêmes ; et ce cercle vicieux
n'apparaît pas systématiquement.
De surcroît, tous les pays dans lesquels les collectivités
territoriales disposent d'une certaine liberté dans la fixation des taux
ont introduit des mécanismes de péréquation
financière. C'est le cas notamment de la Suisse, du Canada, de
l'Allemagne et des pays nordiques. Les dotations de l'Etat central
égalisent d'une certaine manière les différentes
capacités financières nées de ces libertés.
Un point me paraît important : avoir un taux unique pour toutes les
collectivités territoriales peut être au désavantage des
zones rurales. En effet, en général, les zones rurales
possèdent une fiscalité moins forte et pour beaucoup d'entre
elles, cette fiscalité plus faible sert d'outil de développement.
Harmoniser les taux fiscaux, c'est alors, d'une certaine manière, priver
les zones non urbanisées d'un instrument de développement dans la
compétition qui les oppose aux zones urbaines.
4)
Dans la France d'aujourd'hui les citoyens ressentent-ils le lien entre le
niveau de la pression fiscale et le service rendu ?
Je préfère laisser cette question de côté, ne
disposant pas d'éléments de comparaison.
5)
Comment arriver à une plus grande responsabilité politique
en matière de vote des taux ?
La question peut être reformulée comme suit : comment
responsabiliser financièrement les collectivités
territoriales ? Plus une collectivité locale dispose d'autonomie
financière, plus elle se sent responsabilisée. Si l'argent
provient de l'Etat central, la collectivité territoriale ressent moins
cette responsabilité. D'un point de vue politique, il faut montrer le
lien entre la fiscalité locale et les prestations offertes. Le citoyen
doit avoir conscience du bien-fondé de l'utilisation du produit des
impôts qu'il paie.
Concernant l'architecture fiscale d'un pays, les transferts sont souvent
liés à la fiscalité locale. Une forte relation positive ou
négative existe entre les recettes fiscales locales et les transferts de
l'Etat central. Les collectivités peuvent fixer des taux, soit à
un niveau trop élevé, soit à un niveau trop bas en sachant
bien qu'un manque de recettes fiscales sera de toute façon couvert par
l'Etat central. Cet effet s'observe dans certains pays
décentralisés de l'OCDE.
6)
Existe-t-il une différence dans le mode de gestion des
collectivités territoriales selon qu'elle s'appuie sur la
fiscalité locale ou bien sur les transferts ?
La charge administrative de la gestion de la fiscalité est plus lourde
que la gestion des transferts qui interviennent généralement une
fois l'an. Les coûts par habitant de l'administration fiscale diminuent
fortement avec la taille de la collectivité. Il est donc plus facile de
gérer la fiscalité locale pour une grande ville que pour une
petite commune.
L'administration d'un service fiscal peut présenter une charge excessive
par rapport aux résultats. La solution consiste, soit à laisser
la gestion de la collecte à l'Etat, qui reverse ensuite aux
collectivités le produit de l'impôt, soit à organiser
collégialement la collecte de l'impôt par plusieurs communes ou
bien au niveau régional.
7)
Quelles sont les assiettes fiscales généralement
taxées au bénéfice des collectivités territoriales
dans les pays de l'OCDE ?
L'architecture des prélèvements fiscaux locaux varie grandement
d'un pays de l'OCDE à l'autre. Si l'on regarde plus finement, deux
modèles se distinguent : un modèle anglo-saxon et un
modèle européen.
Dans le modèle anglo-saxon, les collectivités territoriales
dépendent essentiellement de la taxe foncière. Les pays
concernés sont par exemple l'Irlande, la Grande-Bretagne, les
Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, les Pays-Bas.
Dans le modèle européen, les collectivités territoriales
dépendent davantage d'une taxe sur le revenu. Les pays concernés
sont les pays nordiques, les pays fédéraux européens,
comme la Suisse ou l'Allemagne.
La France fait exception, puisque les collectivités territoriales sont
financées essentiellement grâce à une taxe un peu
particulière qui est la taxe professionnelle. Elle n'appartient donc ni
au modèle anglo-saxon, ni au modèle européen.
8)
Quelle serait la meilleure taxe pour une collectivité
locale ?
La question est pertinente, car elle relie la sphère fiscale à la
sphère économique. La question n'est pas : quelle taxe nuit
le moins au développement économique ? L'accent est mis sur
le fait de savoir quelle serait la taxe qui favoriserait le mieux le
développement économique. La question est donc plus
« active ».
Le principe de base de la fiscalité locale, auquel doit se rattacher
toute taxe, fait correspondre étroitement les prélèvements
et les prestations fournies. La taxe ne doit pas être mobile,
c'est-à-dire qu'elle ne doit pas dépendre d'un éventuel
mouvement de population. La taxe ne doit pas être redistributrice et ne
doit pas être concentrée géographiquement. Cette taxe ne
doit pas être sujette à des cycles conjoncturels.
Les impôts locaux qui satisfont le mieux à ces critères
sont la taxe foncière, la taxe sur le revenu, les taxes sur les
entreprises (assises sur le chiffre d'affaires ou bien les ventes).
La taxe foncière présente les avantages suivants : elle est
non mobile, elle lie étroitement en général le montant de
l'impôt et les prestations offertes. Son désavantage tient au fait
qu'elle ne suive pas rapidement la croissance économique. Elle engendre
des coûts initiaux importants dus à la mise en place des
cadastres. Cette taxe n'incite pas assez au développement
économique. Le développement économique local ne se
traduit pas immédiatement par une hausse du produit local de cette taxe.
En d'autres termes, il faut attendre un certain temps avant que l'on constate
un lien positif entre croissance économique et augmentation des recettes
fiscales liées à la taxe foncière.
Je me réfère à une discussion qui se déroule en ce
moment au Québec. La discussion concerne le remplacement éventuel
de la taxe foncière par une taxe qui prendrait justement plus en compte
le développement économique. Je vous conseille donc de prendre
contact avec les autorités régionales québécoises.
Cette réflexion est menée dans toutes les régions, mais
elle prend une ampleur certaine au Québec.
Les recettes des taxes sur le revenu progressent avec la croissance
économique. C'est l'avantage connu de ce type de taxe. Cette taxe incite
donc fortement la collectivité locale à favoriser le
développement économique de son territoire. En effet, elle sait
par avance qu'une politique, réussie, de développement
économique se traduira d'abord, mécaniquement, par une hausse des
revenus puis par une hausse des recettes. Une taxe sur le revenu
présente également des inconvénients : elle est
mobile ; elle est redistributrice (les personnes disposant de revenus
élevés tendent par conséquent à fuir les taux
élevés).
Si vous êtes intéressés par de tels débats, je vous
renvoie aux discussions qui ont lieu en ce moment en Suisse. Les
collectivités territoriales suisses dépendent à
près de 80 % des taxes sur le revenu. La dynamique de
périurbanisation nuit aux centres-villes, parce qu'ils perdent une
grande partie de leur base imposable.
Il vous serait certainement utile d'étudier de plus près ces deux
exemples extrêmes, le Québec et la Suisse. Dans ces deux pays, les
débats relatifs à la refonte de l'architecture fiscale locale
sont animés et intéressants.
La taxe sur les revenus des entreprises ou taxe professionnelle est liée
aux infrastructures développées par les collectivités qui
permettent d'accroître les revenus de ces mêmes entreprises. Une
discussion a lieu au Québec pour mesurer l'opportunité
d'introduire ce type de taxe dans certaines zones spécifiques. Les
villes pourraient proposer à un consortium de développeurs des
infrastructures supplémentaires, en échange de l'imposition d'une
taxe spécifique légèrement plus élevée. Il
existe donc ici un lien étroit entre taxe et prestation.
Cette taxe présente également un inconvénient : la
distribution des taxes sur les entreprises est géographiquement
inégale. Une grosse entreprise attachée au territoire d'une
commune reverse l'intégralité de la taxe à une seule
commune sans irriguer les communes limitrophes. Les taxes sur les entreprises
sont toujours plus sensibles aux cycles conjoncturels. Ce type de
prélèvement sur les entreprises est en déclin dans la
plupart des pays de l'OCDE. Les taxes sur les personnes morales sont
progressivement remplacées par des taxes sur les personnes physiques ou
sur la propriété.
Dans la mesure où il n'existe pas de taxe optimale et au vu des
expériences réalisées dans les pays de l'OCDE, il semble
qu'une assiette composée de différentes taxes permet de mieux
favoriser le développement économique et la stabilité
financière des collectivités territoriales, au contraire d'une
taxe fondée sur une base unique.
M. le Président -
Je vous remercie. Pourriez-vous, s'il vous
plaît, commenter le premier tableau intitulé « Ratios de
décentralisation » ?
M. Hansjörg BLÖCHLIGER -
Ce tableau est le point de
départ de nos travaux sur la décentralisation, entendue comme
autonomie accordée aux collectivités territoriales dans la
gestion des recettes et des dépenses, en fonction des
responsabilités transférées à ces
collectivités. Sur l'axe des ordonnées, vous voyez le
degré de décentralisation des recettes, exprimé en
pourcentage. Sur l'axe des abscisses, vous voyez le degré de
décentralisation des dépenses, également exprimé en
pourcentage. La bissectrice du premier quadrant indique qu'un pays a le
même degré de décentralisation des recettes et des
dépenses localement. Si l'on observe cette ligne, vous voyez que tous
les pays figurent sous cette ligne. Les recettes sont donc plus
centralisées que les dépenses ; par conséquent,
l'Etat central intervient toujours au niveau des transferts qui comblent
l'écart fiscal.
Il est intéressant de voir que l'écart est fort pour certains
pays entre la centralisation des recettes et la décentralisation des
dépenses, comme en Hongrie ou au Mexique, par exemple. La France est
faiblement décentralisée, mais l'équilibre est notable
entre la décentralisation des recettes et celles des dépenses.
M. Jacques OUDIN -
Tous les pays sont au-dessous de la ligne. Ce tableau
est intéressant pour comparer les situations. Vous avez indiqué
qu'il y avait une tendance à transférer les
prélèvements des entreprises vers les personnes physiques.
Pouvez-vous nous indiquer, sous une forme de tableau, dans quelle proportion
les recettes proviennent des taxes sur les entreprises et des taxes sur les
personnes physiques en fonction des pays ?
M. Hansjörg BLÖCHLIGER -
Le dernier graphique présente
la structure du système fiscal local en fonction des types de
prélèvements. Ce tableau ne fait cependant pas de distinction
entre les bénéfices des entreprises et les revenus des personnes
physiques, puisqu'ils sont réunis sous la légende
« revenus et bénéfices ». Les taxes sur la
main-d'oeuvre jouent un rôle négligeable.
Pour ce qui concerne la France, il n'y a pas, au niveau local, de
prélèvements sur les revenus et les bénéfices. Le
financement n'est presque pas assuré par la Sécurité
sociale. L'impôt foncier est présent, ainsi que les taxes sur les
biens et services. Enfin viennent les autres taxes ; cette
catégorie correspond pour la France à la taxe professionnelle.
M. le Président
-
Ce tableau ne représente que les
prélèvements obligatoires et pas les dotations. La taxe
professionnelle n'est donc présente que dans trois pays : la
France, l'Italie et la Turquie.
M. Hansjörg BLÖCHLIGER -
En ce qui concerne la Turquie, la
taxe n'est pas calculée de la même manière qu'en France. Ce
n'est pas une taxe professionnelle. De même qu'en Allemagne, où
elle est assise sur les bénéfices.
M. Jacques OUDIN
-
Je pense que l'OCDE pourrait accomplir un
travail d'information sur ce sujet, sur la base de présentations
graphiques de la situation respective des collectivités territoriales
dans les pays de l'OCDE.
Concernant la taxation des personnes physiques, des entreprises ou la taxe
foncière, on devrait situer tous les pays sur un graphique et nous
pourrions en tirer quelques enseignements sur la position française.
À partir de ceux-ci, nous pourrions éventuellement
réorienter nos pratiques. Les entreprises sont certes sensibles à
cette fiscalité-là, mais seules les plus grosses entreprises sont
susceptibles de se délocaliser pour ce motif.
M. le Président
-
Ces informations demandées
pourraient-elles être mises en forme ? Il serait intéressant
d'étudier les impôts des pays, comme le Canada, qui
perçoivent directement des recettes dans les proportions les plus
fortes. De quels types d'impôts disposent-ils ? Sont-ce des
impôts sur le revenu ou sur les sociétés ? Ce sont
donc des impôts qui relèvent en France de la fiscalité de
l'Etat.
M. Hansjörg BLÖCHLIGER -
Je peux vous présenter les
études qui ont récemment été faites sur certains
des pays évoqués ici et dont les résultats sont
rassemblés sous la forme d'une publication. Les études concernant
la Suisse et le Canada viennent d'être publiées. Nous avons
également étudié des régions, la région
Champagne-Ardenne, par exemple.
Il serait intéressant de faire cette étude, dans un cadre
comparatif, pour la France. C'est à la demande du pays membre que l'on
peut faire cette étude.
M. le Président
-
Nous pourrions aussi reprendre à
notre compte cette demande.
M. Yves FRÉVILLE
-
Je voulais formuler quelques remarques
sur ces problèmes liés aux transferts et aux impôts.
En particulier lorsque l'on s'intéresse aux études comparatives,
se posent des problèmes d'analyse dans le détail. Par exemple,
les impôts locaux sont-ils déductibles de l'assiette des
impôts d'Etat ? Cela n'apparaît pas dans ces graphiques. La
taxe professionnelle était payée, lorsque l'impôt sur les
sociétés (I.S.) s'élevait à 50 %, sous forme
de déductions de l'I.S. d'Etat. Il en est de même pour la taxe
foncière qui est déductible de l'impôt sur le revenu
(I.R.). Tout cela n'est pas neutre, lorsque l'on s'intéresse à la
forme des prélèvements et à l'incidence de ces
impôts. Ce n'est pas parce que l'on dit que les entreprises paient un
impôt, que ce sont bien elles qui, en définitive, paient
l'impôt. Il faut donc bien faire attention. Dans le cas contraire, nous
courons le risque d'arriver à des conclusions absurdes, en particulier
en matière de taxe professionnelle.
Mais je voudrais surtout savoir si l'existence des transferts conduit les
collectivités à être plus dépensières que si
elles sont financées par des impôts. Toutes les études
semblent le montrer. Les transferts sont systématiquement
dépassés. En Grande-Bretagne, Margaret Thatcher avait bien vu ces
problèmes liés aux dépassements des crédits. Elle
avait en conséquence élaboré un système de
dotations dont le montant principal diminuait lorsque la collectivité
augmentait ses dépenses. La ville de Londres qui augmentait ses
dépenses et dépassait ses dotations vit donc
systématiquement diminuer ses dotations d'Etat. Les économistes
se posent la même question : est-ce la même chose de donner de
l'argent aux citoyens pour qu'ils paient des impôts locaux ou bien ne
vaut-il mieux pas effectuer des transferts ? Nous nous apercevons que le
transfert incite davantage la collectivité locale à la
dépense que ne le fait l'argent qui est distribué aux
ménages qui vont payer des impôts locaux. Tout cela n'est pas
neutre donc.
Ma dernière observation concerne la remarque de
Hansjörg Blöchliger sur le fait que la décentralisation
est faite en vue de mieux satisfaire localement les besoins différents
des citoyens. Cette conception est une conception américaine de la
décentralisation, mais certainement pas française, qui promeut
l'égalité devant le service public. La décentralisation
n'est pas conçue pour que les services locaux soient différents
d'une collectivité locale à l'autre. Le paradoxe du
système français consiste à pallier les
conséquences de ce principe. Dans tous les systèmes
étrangers de transferts aux collectivités territoriales,
l'essentiel n'est pas de corriger les différences de ressources
fiscales, mais bien de corriger les différences de besoins. Le
système anglais distribue de l'argent sans tenir vraiment compte des
impôts locaux. Il ne tient compte, en forçant le trait, que d'un
certain nombre d'indicateurs, comme le nombre d'enfants scolarisés, de
personnes âgées...
Nous avons complètement oublié, dans notre système de
péréquation, les différences de besoins. Notre
système d'autonomie fiscale, qui consiste à corriger des
inégalités de ressources, est-il satisfaisant ? Ne
vaudrait-il pas mieux s'intéresser à des systèmes de
transferts qui cherchent à corriger des inégalités
liées à des différences de besoins ? J'aimerais bien
que l'on étudie mieux les différences liées à la
péréquation en fonction des ressources et la
péréquation en fonction des besoins.
M. le Président
- Yves Fréville a
évoqué l'intérêt de la collectivité à
susciter la création de richesses et d'emplois. La taxe professionnelle
y contribue, car sa disparition entraîne
a contrario
une chute de
motivation de la part de la collectivité, qui ne perçoit plus de
nouvelles recettes liées aux nouvelles implantations.
M. Yves FRÉVILLE
-
Je parlais des entreprises mobiles. Ce
sont les investissements lourds et immobiles, comme les barrages
hydroélectriques et les centrales nucléaires qui rapportent
d'importantes recettes fiscales.
M. Hansjörg BLÖCHLIGER -
M.
Fréville
évoque les disparités de prestations de biens et services locaux
selon les pays. On constate que les disparités économiques et
fiscales sont plus fortes en France que dans la plupart des autres pays
européens. Le fait que l'Etat central prévoie des biens et
services locaux pour tout citoyen n'empêche donc pas les
disparités. La provision par l'Etat central n'a pas mené à
la réduction des disparités par rapport à des pays dans
lesquels les prestations de services locaux sont assurées par les
collectivités territoriales.
Par ailleurs, pour reprendre les problèmes nés de la
péréquation des besoins ou des recettes, j'aimerais dire que,
dans tous les pays qui ont introduit des systèmes de
péréquation, il y a en fait toujours deux systèmes de
péréquation. Le premier système de
péréquation concerne le revenu et cherche à
égaliser la base fiscale ; le second système
spécifique cherche à égaliser les coûts des
prestations.
En Suisse, par exemple, il y a des cantons urbains dans les plaines et des
cantons ruraux dans les montagnes. Le coût des infrastructures est bien
sûr plus élevé dans les cantons ruraux. Un système
de péréquation fondé sur les coûts a donc
été mis en place à côté du système
général de péréquation des revenus. De la
même manière, au Canada, un système de
péréquation des revenus existe et il permet de lisser
modérément la base fiscale. Mais les Territoires du Nord, qui ont
des besoins plus importants et supportent des coûts plus
élevés, disposent d'un système particulier de
péréquation. De même, les zones urbanisées, qui
supportent, elles, des coûts sociaux plus lourds, disposent
également d'un système propre de péréquation. La
conclusion qui émerge illustre la nécessaire existence des deux
systèmes de péréquation.
M. Yves FRÉVILLE
-
Dans la proposition de loi
constitutionnelle que j'ai pu lire, il est fait de la péréquation
des ressources un principe constitutionnel, alors que la
péréquation des besoins n'est pas même
évoquée.
M. Hansjörg BLÖCHLIGER -
Je voudrais vous signaler que
l'Italie est en train d'instaurer un système de
péréquation financière qui est fondé sur deux
indicateurs, le revenu et les coûts, qui traduisent d'une certaine
manière les besoins. Peut-être pourriez-vous vous mettre en
contact avec des collègues italiens, puisque ce pays dispose aujourd'hui
d'un système proche de celui qui existe en France.
M. le Président
-
Je vous remercie, Monsieur
Blöchliger, de votre témoignage et nous restons en contact
bien-sûr. S'il vous semble que l'OCDE dispose de documents qui nous
permettraient de progresser, je vous saurais gré de nous les faire
parvenir.