Audition de M. Dominique HOORENS,
Directeur des études de Dexia Crédit Local


(1 er octobre 2002)

M. Roland du LUART, président - Nous poursuivons nos auditions avec celle de M. Dominique Hoorens, directeur des études de Dexia Crédit Local . Monsieur le directeur, vous avez la parole.

M. Dominique HOORENS, directeur des études de Dexia Crédit Local - Je vous remercie, Monsieur le Président.

J'ai lu attentivement la liste des questions que vous m'avez posées. J'avoue que je n'ai pas forcément des réponses à toutes ces questions, mais je peux vous faire part de mes convictions et idées personnelles, qui n'engagent en rien mon établissement.

J'ai structuré mes réponses autour de quatre thèmes :

• les ressources fiscales et la gestion locale ;

• les éclairages européens ;

• l'autonomie et la lisibilité de notre système fiscal ;

• quelles idées pour une réforme fiscale ?

I. Les ressources fiscales et la gestion locale

Je ne suis pas un élu local, donc je ne pourrai pas évoquer ce qui se passe concrètement sur le terrain et les arbitrages qui sont réalisés par les élus locaux. J'ai plutôt essayé d'adopter un mode de présentation un peu différent pour illustrer un certain nombre de problématiques. Je vais vous proposer quelques lectures. Si elles vous semblent fastidieuses, je passerai un peu plus vite.

Mon idée était de juger si les chiffres et les situations concrètes reflètent nos intuitions. Ainsi, intuitivement, nous avons tendance à affirmer que les collectivités territoriales qui ont un niveau de bases fiscales faible auront tendance à avoir un niveau de pression fiscale élevé. C'est ce type d'appréciation, que je qualifierais d'un peu « intuitives », que je me propose d'analyser par une approche statistique.

Dans ce dessein, j'ai choisi dans un premier temps d'analyser ce qui se passe dans les départements. Il existe cent départements, ce qui est un chiffre correct pour dresser des statistiques, tout en n'étant pas trop important pour que les phénomènes restent lisibles sur un graphique. L'avantage des départements est qu'ils présentent des compétences et des modes de gestion relativement homogènes, tandis qu'il existe une forte diversité en matière de modes de gestion dans les communes. Une commune peut gérer directement ou non un certain nombre de compétences, avec des conséquences sur son budget et sur sa fiscalité. Il est plus difficile de comparer des communes que de comparer des départements.

Nous vous avons remis les documents sur lesquels j'appuierai mon intervention.

Sont examinées successivement :

1. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle (TP) par habitant et le niveau des taux de taxe professionnelle

Le nuage de points est assez diffus et les situations sont très diverses, mais le nuage de points est légèrement orienté du haut gauche vers le bas droit. Globalement, il tend donc à prouver qu'il existe statistiquement un lien entre le niveau des bases et le niveau des taux : là où les bases sont faibles, les taux ont tendance à être plus élevés.

2. la relation entre le niveau des bases de taxe d'habitation et le taux de la taxe d'habitation

Le phénomène est identique : là où les bases de taxe d'habitation sont élevées, les taux sont plutôt bas, et inversement. Cette relation est même statistiquement plus avérée que pour la taxe professionnelle dont nous venons de parler.

3. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle et le niveau des taux de taxe d'habitation

Nous nous sommes demandé si, là où la taxe professionnelle est importante en termes de base, les départements pouvaient se permettre un taux de taxe d'habitation plus faible. Cette intuition n'a pas été vérifiée statistiquement, la relation entre les deux variables est nettement moins marquée. Il n'est donc pas exact de dire, pour les départements, que là où les bases de taxe professionnelle sont importantes, le taux de taxe d'habitation est obligatoirement plus élevé. Il est vraisemblable qu'avec la liaison existant entre l'évolution des taux de taxe d'habitation et de taxe professionnelle, on a gelé une situation historique.

M. Maurice BLIN - Je ne comprends pas la lecture de ces nuages de points que vous avez représentés sur vos graphiques. Comment les avez-vous dessinés ?

M. Dominique HOORENS - Il est vrai que j'aurais dû vous l'indiquer plus en détail.

Prenons par exemple le graphique que je viens de vous présenter, c'est-à-dire le niveau des bases de taxe professionnelle comparé au niveau de taux de taxe d'habitation. L'axe horizontal précise le niveau des taux de taxe d'habitation et l'axe vertical le niveau des bases de taxe professionnelle en euros par habitant. Un point représente un département. Vous trouvez donc, par exemple, un département tout en haut du graphique, qui a un niveau de base de taxe professionnelle très élevé - autour de 4.000 euros par habitant -, et un niveau de taux de taxe d'habitation légèrement inférieur à 6 %.

M. le Président - Il s'agit certainement d'un département peu éloigné d'ici.

M. Dominique HOORENS - En effet. Nous constatons donc que l'ampleur des corrélations nous permet de confirmer, ou d'infirmer, un certain nombre d'intuitions.

4. la relation entre l'évolution des bases et l'évolution des taux

Le quatrième graphique s'intéresse, non pas au niveau, mais à l'évolution. Il tente de répondre à la question de savoir si la croissance rapide de la base permet une croissance moins forte du taux. Le graphique se lit cette fois-ci de la manière suivante : l'évolution du taux est indiquée sur l'axe horizontal et l'évolution de la base sur l'axe vertical. Il ne fait pas apparaître de lien statistique entre les deux données : le nuage de points n'a pas de forme et n'est pas du tout orienté. Il n'y a donc statistiquement pas de lien entre l'évolution de la base et l'évolution du taux, ce qui, personnellement, m'a un peu surpris.

5. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle et le montant du budget

Sur le graphique suivant, le niveau des bases de taxe professionnelle est indiqué sur l'axe vertical et l'axe horizontal correspond au montant du budget. Nous nous sommes donc demandé si des bases de taxe professionnelle élevées engendraient ou non un montant de budget plus important. Vous pouvez constater que, sur ce graphique, la corrélation est faible, non significative.

6. la relation entre le niveau budgétaire et le niveau des dotations

Le graphique suivant s'intéresse à la relation entre le niveau budgétaire (axe horizontal) et le niveau des dotations (axe vertical). Cette fois-ci, la relation est très marquée, ce qui signifie que, plus il y a de dotations, plus le budget est important, et réciproquement : là où le budget est important, les dotations sont importantes. Le montant des dotations semble plus discriminant que le montant des bases de taxe professionnelle. Je réponds ainsi à une des questions que vous m'aviez posées. C'est une constatation peut-être spécifique aux départements puisque leur dotation reflète en fait souvent leur niveau d'activité dans le domaine social.

7. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle et le niveau des dotations.

On trouve ici un lien statistiquement fort : les dotations par habitant sont plus élevées là où les bases de taxe professionnelle sont faibles. Je me permettrais d'ajouter... heureusement !

Ces résultats semblent montrer que le système actuel, en partie grâce aux dotations, parvient à corriger en partie l'inégalité des répartitions entre les bases et les taux. En l'absence de dotations, les élus seraient plus fortement contraints d'user du taux là où les bases sont faibles.

Ce type d'exercice peut également être effectué sur les grandes villes. Je ne l'ai mis en pratique que pour le lien entre base et taux de taxe professionnelle. Nous constatons un lien assez similaire à celui observé pour les départements. J'estime que l'étude du lien entre le montant du budget et la base ne sera pas significative en raison de la diversité des modes de gestion et à cause de la montée en charge de l'intercommunalité qui est très diverse d'une ville à l'autre.

Les 36.000 communes, comme vous vous en doutez certainement, comprennent un nombre de situations atypiques considérables. J'ai limité mon analyse à ce qui se passe dans le département de la Manche, afin que vous puissiez constater l'extrême diversité des situations. Vous voyez qu'un certain nombre de situations atypiques nécessitent des échelles tellement importantes que celles-ci ne sont plus du tout représentatives des autres cas. Ainsi, pour un même nuage de points, j'ai été contraint de faire trois graphiques, en enlevant à chaque fois les cas les plus atypiques pour essayer de se rapprocher du plus grand nombre.

En conclusion, cette démarche montre tout à la fois que certaines intuitions sont avérées statistiquement, et que notre système de dotation a une certaine vertu « péréquatrice ». Cette vertu est sans doute visible lorsque vous élaborez vos budgets.

Attention, toutefois, lorsque nous nous livrons à ce type d'exercice. En utilisant l'analyse d'un budget, la situation est nécessairement « biaisée ». Le niveau d'un budget n'est jamais un idéal et ne correspond pas forcément aux souhaits d'une collectivité. Le budget d'une collectivité relativement pauvre, avec des bases faibles et une politique fiscale déjà élevée, est nécessairement contraint. Le montant du budget de ces communes n'est donc pas au niveau qui permettrait aux élus de mettre en oeuvre les dépenses et les investissements dont ils ont réellement besoin. C'est d'ailleurs un des biais de nombreuses études actuelles. Considérer simplement le montant du budget n'est pas suffisant.

J'ai participé il y a quelques jours à la réunion de l'Association des communes minières, qui sont typiquement dans cette situation-là. La situation financière de ces collectivités semble plutôt bonne car leurs ratios sont à des niveaux corrects. Or, quand vous interrogez les élus, ils indiquent qu'ils parviennent à cette bonne situation financière en gérant la pénurie. Cela signifie qu'ils essayent de maîtriser leurs budgets, mais que ce n'est pas pour autant qu'ils répondent aux besoins de la population. Le montant du budget ne permet jamais de savoir si les besoins de la population sont couverts ou non.

II. L'autonomie et la lisibilité du système fiscal

Je voudrais revenir sur le « circuit simplifié de la taxe professionnelle », qui correspond à l'un des graphiques de la documentation qui vous a été fournie. Analyser la fiscalité aujourd'hui n'est pas équivalent selon que nous nous plaçons du côté de la collectivité ou du côté du contribuable. En l'an 2000, les entreprises ont payé environ 21 milliards d'euros de taxe professionnelle, dont une partie (environ un milliard) est transférée vers les chambres consulaires. Deux milliards sont transférés à l'Etat pour couvrir les frais d'assiette et de recouvrement. Enfin, un milliard est utilisé pour les contributions à la péréquation : par cette voie, les entreprises d'une collectivité versent, d'une certaine manière, de l'argent à d'autres collectivités.

Sur les 21 milliards de taxe professionnelle payée par les entreprises, seuls 17 milliards correspondent à la taxe professionnelle « localisée » telle qu'elle est souvent imaginée. L'écart entre les 21 milliards de départ et les 17 milliards d'arrivée n'est pas négligeable.

Ce que touchent en réalité les collectivités est encore différent : elles reçoivent en effet ce que leur versent les entreprises, donc les 17 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter les dégrèvements (7 milliards d'euros) et les compensations fiscales (6 milliards d'euros) versées par l'Etat. L'écart est donc extrêmement important entre ce que les collectivités perçoivent et ce que les entreprises paient réellement. Le lien fiscal est donc très distendu entre prélèvements et versements. Il existe une grande différence entre la fiscalité qui est votée par les élus locaux et celle qui est ressentie par les contribuables.

Nous aurions pu, pour la taxe d'habitation, tracer un graphique relativement identique à celui que je vous ai présenté sur la taxe professionnelle. La politique de dégrèvement fait qu'un acteur très particulier intervient en matière de fiscalité locale. Cet acteur s'appelle l'Etat, et il assume une partie de cette fiscalité locale. Le contribuable ne ressent donc pas uniquement ce que les élus locaux font, mais la conjonction des décisions des élus locaux et de celles de l'Etat. Cette différence n'est pas marginale.

Ainsi, environ 40 à 50 % des contribuables à la taxe d'habitation sont plus liés aujourd'hui aux décisions de l'Etat en matière de dégrèvement, qu'au taux voté par les élus locaux. L'ordre de grandeur doit être relativement identique pour la taxe professionnelle. D'une certaine manière, nous pouvons donc dire que la fiscalité locale n'est déjà plus locale. Ainsi, ce que nous pensions être une ressource locale avec un effet de levier local de la part des élus n'est déjà plus réellement une ressource locale. Ceci complique nettement l'analyse.

III. Les éclairages européens

Le tableau que je vous présente est extrait d'un ouvrage intitulé Les finances locales dans les quinze pays de l'Union européenne . Dans cet ouvrage, nous avons essayé de comparer les systèmes administratifs et les systèmes de ressources et de dépenses dans les quinze pays de l'Union européenne. Nous avons choisi d'illustrer la « marge de manoeuvre fiscale » dont disposent les élus locaux.

Nous avons choisi de ne pas nous intéresser au niveau global, mais plutôt aux différents niveaux, en considérant que des données globales auraient pu masquer des situations très diverses. Nous avons donc préféré étudier le premier niveau, c'est-à-dire les communes, le deuxième niveau, c'est-à-dire les départements, et le troisième niveau, c'est-à-dire le niveau régional.

Vous pouvez constater que la situation des différents pays européens est très diverse. Elle est de même très diverse dans un pays donné selon les collectivités territoriales. Nous nous sommes servi des chiffres de 1999 car il s'agissait des derniers disponibles. Nous disposions tout de même des chiffres de l'année 2001 pour la France.

1. La France

La situation a beaucoup évolué en France entre 1999 et 2001, et vous n'en serez certainement pas étonnés, étant donné les nombreuses réformes survenues ces dernières années. La France présente, pour tous les niveaux administratifs, un niveau de marge de manoeuvre fiscale plutôt important, et plus élevé que ceux des autres pays européens, mais il est en baisse. Dans les autres pays, il est plutôt en hausse.

Il n'est pas possible de détailler la situation dans chaque pays, je reviens juste sur les situations extrêmes.

2. La Suède

La Suède est un pays où la marge de manoeuvre est très élevée. Vous voyez qu'au premier niveau - les communes - la marge de manoeuvre s'élève à 55 %. Cela signifie que les communes suédoises ont une marge de manoeuvre sur 55 % de leurs ressources hors emprunt. Les comtés suédois ont de même une marge de manoeuvre sur 63 %.

En Suède, le principal impôt local est un impôt additionnel sur le revenu. L'Etat, les communes et les comtés votent chacun un taux qui s'additionne pour le contribuable et qui fournit une ressource importante pour les collectivités territoriales suédoises.

En apparence, la liberté est très forte parce qu'il y a liberté de fixation du taux. En fait, comme dans les autres pays européens, la liberté est accompagnée de planchers et de limitations. Ainsi, le taux de la commune additionné à celui du comté et à celui de l'Etat ne doit pas dépasser 58 %. En outre, l'Etat suédois gèle les taux certaines années. La liberté théorique est donc très forte, mais limitée dans la pratique.

3. L'Autriche

Le degré d'autonomie de l'Autriche est extrêmement faible : les communes ne peuvent jouer que sur 3 % de leurs ressources. Le niveau supérieur a quant à lui une marge de manoeuvre nulle. Les pays fédérés, Allemagne et Autriche, reposent souvent sur un système d'impôts partagés, qui comprime la marge de manoeuvre des différents niveaux. Un impôt partagé ne donne pas forcément de marge de manoeuvre, même s'il s'agit d'un impôt redistribué. Lorsqu'une commune allemande est obligée de reverser une partie de sa taxe professionnelle au Bund ou au Land , son autonomie est entamée. Vous voyez que les systèmes d'impôts partagés sont extrêmement complexes à analyser, notamment en fonction du point de vue auquel on se place (point de vue de celui qui verse ou de celui qui reçoit).

Je me demande en fait comment mesurer avec exactitude l'autonomie fiscale. Il s'agit d'une vraie question et je ne suis pas sûr d'avoir une réponse bien établie là-dessus. Devons-nous mesurer un poids ou la faculté d'augmenter une masse ? Une marge de manoeuvre de 1% sur une masse de 100 peut rapporter moins qu'une marge de manoeuvre de 10 % sur une masse de 50.

IV. Quelles idées pour une réforme fiscale ?

1. L'impôt idéal

Ma dernière interrogation est la suivante : « Qu'est-ce qu'un impôt idéal ? ». C'est une des questions que vous m'avez posées. Comment qualifier un impôt local idéal ? J'ai réuni un certain nombre de termes qui semblent résumer ce que nous entendons habituellement par impôt idéal.

a) Un impôt local

En premier lieu, un impôt local idéal doit être local. L'assiette doit être localisée.

b) Un rapport sûr

En second lieu, un impôt local doit présenter un rapport sûr. En effet, les collectivités territoriales ont à gérer des compétences quotidiennes sur lesquelles elles ne peuvent quasiment pas arbitrer. Ainsi, il n'est pas possible en cours d'année de fermer une école ou d'arrêter un certain nombre de services. Leur marge de manoeuvre est donc restreinte. L'impôt local ne doit pas connaître de trop fortes fluctuations.

c) Un rapport dynamique

Nous voulons que le rapport soit dynamique, c'est-à-dire que l'impôt progresse en fonction de l'économie.

d) Un impôt juste

En outre, l'impôt doit être juste entre les collectivités. Les disparités doivent donc être gommées. Il faut également qu'il soit juste entre les contribuables, c'est-à-dire que les contribuables s'y retrouvent et qu'ils payent une cotisation qui fasse référence au service rendu et qu'ils puissent assumer en fonction de leurs ressources.

e) Un impôt économiquement efficient

Par ailleurs, un impôt doit être économiquement efficient pour ne pas induire de contre effets macroéconomiques.

f) Une identification claire des responsabilités

De plus, nous souhaitons que l'impôt local permette une identification claire des responsabilités. C'est une nécessité pour le contrôle démocratique.

g) Une gestion économique

De même, la gestion d'un impôt doit être la moins coûteuse possible, parce que ce coût est tout de même très pénalisant.

2. Les contradictions de l'impôt idéal

Un impôt local ne peut pas réunir toutes ces qualités, tout d'abord parce qu'elles sont contradictoires. Il est difficile de disposer d'un impôt dont le rapport est assuré et qui soit en même temps extrêmement tonique et lié à l'économie.

Notre taxe professionnelle est une fiscalité de stocks assurant une certaine protection (les bases de taxe professionnelle n'ont jamais baissé d'un point de vue macroéconomique, sauf en cas de réformes) mais les entreprises contestent le fait qu'elle ne prenne pas en compte leur situation financière.

A contrario , la taxe professionnelle allemande porte sur les bénéfices des entreprises. Il s'agit alors d'une fiscalité de flux. Actuellement, un très grand nombre de villes allemandes sont dans une situation difficile parce que les bénéfices des entreprises sont en repli.

Il y a deux ou trois ans, les entreprises fonctionnaient bien et les collectivités étaient très contentes. Les bénéfices d'entreprise croissaient parfois de 10 % ou de 15 %. Aujourd'hui, les bénéfices sont de -10 %, -15 %, -20 % ou moins encore, et les collectivités territoriales allemandes subissent cette situation immédiatement.

En France, les bases de taxe professionnelle peuvent diminuer en raison de phénomènes microéconomiques. Toutefois, en début d'année, les collectivités connaissent le montant de la taxe professionnelle qu'elles recevront en cours d'année. Il n'y a pas de mauvaises surprises en cours d'année. Ce n'est pas le cas en Allemagne.

Ces exemples soulignent la contradiction existant entre « sûreté » et « corrélation avec l'économie ». Une fiscalité de flux est plus difficilement gérable. Il faut mettre en place au cours des bonnes années des « provisionnements » pour pouvoir contrebalancer les mauvaises années. Une fiscalité de flux se gère différemment d'une fiscalité de stock. Cette dernière assure aux collectivités territoriales françaises, que ce soit au travers de la taxe d'habitation, de la taxe foncière sur les propriétés bâties ou de la taxe professionnelle, une certaine sécurité.

Une autre contradiction existe entre impôt local et péréquation. Plus un système est localisé et autonome, et moins la situation est équitable entre les collectivités territoriales.

Comme l'impôt idéal n'existe pas, il faut se contenter de « panachages » d'impôts par collectivité ou globalement. La lecture de ce système ne peut pas être faite à travers un seul crible. C'est une des difficultés de l'exercice actuel. En fait, certains impôts vont aller dans le sens de la péréquation, certains impôts dans le sens de la sûreté, certains impôts dans le sens de la dynamique. Il convient d'avoir une appréciation globale et celle-ci sera un point d'équilibre, ce qui causera nécessairement une frustration pour les personnes qui souhaitent un système plus « sûr », plus « lié à l'économie », plus « péréqué » ou plus « juste ».

Il faut prendre en compte simultanément un certain nombre de problématiques, qui ont toutes à mon sens leur légitimité. Les sept axes d'analyse que j'ai cités sont tous parfaitement justifiés, mais notre système ne pourra jamais y répondre totalement. Celui qui ne souhaite regarder qu'un axe ne sera jamais satisfait de cette analyse. Nous n'arriverons jamais à un système idéal, qui répondra à toutes ces questions. Nous devrons trouver un certain équilibre.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU, présidente - Deux de mes collègues souhaitent intervenir : M. Fréville et M. Marc.

M. Yves FRÉVILLE - Je souhaite faire deux observations à la suite de l'intervention de M. Hoorens. Vous avez montré que le système de péréquation était peu efficace en matière de dégrèvements. Je me permets pour ma part d'ajouter que notre système de dégrèvement est opposé à la péréquation. En effet, ce sont les villes et les régions dont les impôts sont les plus élevés, qui bénéficient de transferts au titre des dégrèvements de l'Etat. Ainsi Nice, sur la Côte d'Azur, présente un taux de taxe d'habitation extrêmement élevé, avec des dégrèvements importants. Au contraire, la Lozère ne bénéficie pas de dégrèvements de taxe d'habitation. La situation est identique pour la taxe professionnelle : ce sont dans les villes ou les départements où les impôts sont les plus élevés que les dégrèvements de l'Etat sont les plus importants. Les deux systèmes s'annihilent, mais seules les dotations apparaissent au budget des communes. Les dégrèvements sont totalement ignorés. Pourtant, au moment où le budget local est voté, il est rappelé que 40 à 45 % des personnes ne paient pas leur taxe d'habitation. J'estime qu'un système local doit également être transparent et que les systèmes de dégrèvements et d'exonérations ne doivent pas s'empiler l'un sur l'autre.

Concernant l'impôt idéal, ou plutôt le « bon impôt », comme je préfère l'appeler, sur les sept critères, je retiendrai celui de l'efficacité. En effet, il faut qu'un impôt envoie de bons signaux aux contribuables et aux entreprises. La taxe professionnelle n'est pas payée directement par le contribuable local. A Rennes, la commune touche la taxe professionnelle de Citroën. Cette taxe est en fait payée par tous ceux qui achètent des voitures Citroën ou par les actionnaires de Citroën. Le bon impôt local, pour l'élu, est l'impôt qu'il peut faire assumer aux personnes autres que ses contribuables. A ce titre, je me demande s'il est possible de mettre en place des impôts qui ne soient pas trop pesants pour les entreprises.

Mme la Présidente - Peut-être serait-il préférable que vous répondiez au fur et à mesure aux questions qui vous sont posées.

M. Dominique HOORENS - Les dégrèvements sont péréquateurs pour le contribuable, mais pas pour les collectivités. En fait, ce n'est pas leur rôle. Je ne peux qu'abonder dans votre sens. Je suis davantage partisan de la décentralisation et de l'identification des responsabilités. Nous pourrions très bien imaginer des systèmes où les dégrèvements ne soient plus pilotés par l'Etat, mais par les collectivités, ce qui permettrait de clarifier la situation pour tous.

Concernant les dégrèvements, j'estime que les sommes qui y sont consacrées par l'Etat pourraient être simplement mises dans le paquet commun des dotations, tout en confiant la gestion du calibrage des dégrèvements aux collectivités, comme cela avait été fait pour les abattements. Evidemment, la situation serait nettement plus claire s'il existait en outre une certaine spécialisation fiscale.

Quelle que soit la taxation assumée par l'entreprise, ce sera toujours le consommateur qui devra, indirectement, en assumer la charge. Il y a une certaine logique à taxer localement les entreprises, parce que les entreprises bénéficient d'un certain nombre de services locaux, ainsi que leurs employés. Lorsqu'une entreprise décide de s'installer dans une commune, elle connaît très bien les services publics dont elle pourra bénéficier, ainsi que ses employés. J'estime tout à fait normal que les entreprises fassent l'objet d'une taxation locale, bien-sûr il convient qu'elle ne soit pas trop lourde. Il me paraît dommage que nous ayons arrêté, ces dernières années, de taxer la masse salariale. En effet, les employés des entreprises bénéficient des services locaux. La suppression de la taxation de la masse salariale favorise l'emploi en allégeant les charges sur le travail. Toutefois, il est dommage que ce soit la taxe professionnelle qui ait été supprimée. Ce n'était pas un choix intéressant d'un point de vue économique, parce que les employés et les entreprises utilisent les services publics locaux.

De nombreuses idées sont émises pour redéfinir l'assiette fiscale des entreprises, mais je ne sais pas si nous pourrons trouver un système plus approprié. La taxation de la valeur ajoutée est souvent évoquée. Personnellement, j'y suis opposé car la valeur ajoutée est constituée en grande partie de salaires. De plus, elle intègre le bénéfice des entreprises, qui est une composante fluctuante. La valeur ajoutée est donc beaucoup plus fluctuante que la base actuelle, ce qui représente un handicap pour le secteur local. En effet, il est important d'avoir une certaine stabilité de la ressource. Cela me paraît être le point essentiel pour le secteur local. L'introduction d'une part fluctuante dans la ressource rend sa gestion plus complexe.

M. François MARC - Je souhaite revenir sur l'intervention d'Yves Fréville concernant l'impôt idéal, qui est un sujet qui m'intéresse beaucoup. J'estime qu'à la limite, l'impôt idéal, c'est en fait l'impôt zéro.

M. Dominique HOORENS - Ça l'est en tout cas pour le contribuable !

M. François MARC - Nous pouvons nous positionner a contrario , c'est-à-dire regarder ce qui a été réalisé dans le passé pour essayer d'améliorer certaines situations grâce à la taxe professionnelle. Depuis que la taxe professionnelle a été créée, c'est-à-dire depuis des décennies, elle a souvent été considérée comme un impôt « idiot », comme certaines personnes éminentes ont pu me l'avouer. Pour corriger cet impôt et supprimer ses effets négatifs, c'est vers l'Etat que nous nous tournons. C'est donc à travers un mécanisme centralisé que ces correctifs d'impôt seront introduits.

Face à ce constat, ma question est simple. Est-ce à travers des logiques décentralisées que nous allons pouvoir mettre en oeuvre les correctifs nécessaires et tendre vers l'idéal ? Est-ce au contraire, à la lumière du processus observé dans un passé récent, c'est-à-dire à travers une logique de centralisation avec un mécanisme géré au niveau de l'Etat, que les solutions d'amélioration seront trouvées ? Dans votre intervention, vous sembliez penser qu'il était préférable d'aller vers un mécanisme décentralisé. Toutefois, en observant ce qui s'est produit dans le passé, je me rends compte que nous n'avons jamais été capables de mettre en place une compensation autre que celle introduite par l'Etat.

M. Dominique HOORENS - Effectivement, les réformes fiscales de ces dernières années montrent que certains handicaps de la fiscalité locale ont été réglés en supprimant une partie de cette fiscalité locale, et en en faisant supporter le coût au contribuable national. Vous avez donc tout à fait raison. Les problèmes de la fiscalité locale n'ont donc pas été réellement réglés, mais leurs inconvénients ont été réduits car l'Etat en a assumé une partie.

Comme vous l'avez souligné il est peut-être possible de recourir à d'autres moyens pour résoudre les problèmes liés à la fiscalité que leur simple suppression. Je vous ai indiqué qu'il était possible, si nous nous en donnions la peine, de laisser une marge de manoeuvre en matière de dégrèvements aux collectivités territoriales. De même, il est possible de régler le problème de la révision des valeurs locatives, mais de façon globale. Nous n'arriverons jamais à résoudre le problème si nous essayons de neutraliser l'effet de la mise en place des nouvelles valeurs locatives, collectivité locale par collectivité locale et taxe par taxe.

En revanche, nous pourrons le résoudre en introduisant davantage de souplesse dans la fiscalité locale et en modifiant les dotations de l'Etat pour prendre en compte la nouvelle donne de richesse fiscale. Cette démarche est tout à fait différente des réformes sur les finances locales mises en oeuvre actuellement, où on essaie simplement de donner un coup de peinture à un vieux système défaillant. Je suis peut-être très naïf et très utopique, mais je pense que c'est en regardant l'ensemble du système que nous pourrons peut-être trouver des marges de manoeuvre.

Vous connaissez sans doute le volumineux rapport qui est sorti il y a quelques mois sur les projets de réforme des finances locales, rédigé par le gouvernement précédent. Ce rapport balayait l'ensemble des réformes possibles sur la fiscalité et sur les dotations. Mais le simple fait qu'une partie de ce rapport ait été élaborée par l'administration fiscale, et une autre par la direction générale des collectivités locales sur les dotations prouve que nous ne considérons pas le système dans son ensemble. Chacune des deux parties du rapport est remarquable, mais il est facile de se rendre compte qu'il n'y a pas eu d'interconnexion entre les réflexions sur la fiscalité d'une part et les dotations d'autre part. D'un côté, il est indiqué que les bases des valeurs locatives et la fiscalité méritent d'être révisées ; de l'autre, on continue d'utiliser pour répartir les dotations le « potentiel fiscal », qui repose sur ces vieilles valeurs locatives. Il manque une vision d'ensemble du système. Cette vision nécessite de remettre en cause un certain nombre d'habitudes. C'est en considérant l'ensemble du système que nous pourrons dégager des marges de manoeuvre. Au contraire, si nous envisageons chaque partie du système séparément, la seule solution est souvent la centralisation, c'est-à-dire l'Etat.

M. Maurice BLIN - Nous vous savons gré de la clarté et de la franchise que vous avez mises dans vos propositions. Je souhaite faire deux observations pour conclure cette audition.

Je sors de cet entretien avec l'idée que l'Allemagne fédérale, qui apparaît habituellement comme le modèle des Etats fédéraux, c'est-à-dire respectant l'autonomie, la liberté des Länder , etc. , pratique en réalité en matière fiscale et financière une régulation énergique et forte de la dépense des Länder . En outre, l'Allemagne est très égalitaire. Ainsi, l'intervenant qui vous précédait nous a indiqué que la différence de taux d'imposition tolérée entre le Land le moins riche et le Land le plus riche était dérisoire, elle était de quelques pour cent. En d'autres termes, la réalité de l'Allemagne est très contradictoire avec l'image que nous en avons habituellement. L'Allemagne est, d'un point de vue politique, un Etat fédéral, et pratiquement un Etat central ou même centralisé.

Ma seconde observation est suggérée par les propos tenus par M. Fréville. La conciliation entre liberté et sécurité est impossible. La Fontaine l'a lui-même indiqué, en comparant le chien sans collier qui court la campagne et le chien gros et gras qui a un collier. Nous n'échapperons pas à cette contradiction absolue. La taxe professionnelle française est un impôt de stock, qui est sûr, mais inadapté car parfois contradictoire avec la réalité économique. Vous m'avez appris qu'en Allemagne, ce qui est important et relativement grave, la taxe professionnelle est basée sur le profit des entreprises. Il suffit donc que le profit chute, comme cela est le cas actuellement, pour que les Länder et les communes soient en grave difficulté. L'exemple de l'Allemagne souligne les dangers d'une indexation trop étroite sur les flux et la nécessité de se contenter d'un impôt de stock. Ainsi, nous en revenons toujours à la même idée : soit les revenus sont sûrs, mais pas forcément très élevés ; soit les revenus sont risqués, et un jour ou l'autre, la crise les fait chuter.

Mme la Présidente - Monsieur le Directeur, la commission des finances vous remercie.

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