Audition de M. Nicolas
PAINVIN,
Directeur du département Finances publiques de l'Agence
Fitch Ratings
et M. Olivier DUMOULIN,
Analyste de l'Agence Fitch Ratings
(1
er
octobre 2002)
M.
Roland du LUART, président
- Nous avons le plaisir d'accueillir
Monsieur Nicolas Painvin, Directeur du département Finances publiques,
et Monsieur Olivier Dumoulin, analyste de l'Agence
Fitch Ratings
.
M. Nicolas PAINVIN, directeur du département Finances publiques de
l'Agence
Fitch Ratings
- Je vous remercie, Monsieur le
Président. Si vous le permettez, je commencerai par présenter
l'agence
Fitch Ratings
.
Nous intervenons au titre d'une agence de notation à vocation
européenne. Notre métier est d'apprécier la
solvabilité des emprunteurs, y compris du secteur public. Nous
intervenons dans plusieurs pays d'Europe, dont la France, l'Espagne, l'Italie,
l'Allemagne et la Suisse. Nous avons publié au cours de
l'été un rapport sur l'autonomie financière des
régions dans ces pays, qui visait à apprécier les
différences et également à rompre avec certaines
idées reçues.
Fitch Ratings
est une des trois agences internationales de notation.
Cette agence est installée essentiellement en Europe et est
détenue par le groupe
Fimalac
, qui est une société
française. Elle compte un peu plus de 1.200 personnes,
réparties dans 50 bureaux à travers le monde. Nous intervenons
dans la plupart des pays d'Europe.
I.
L
'autonomie financière des
collectivités territoriales européennes
Le rapport que nous avons rédigé sur l'autonomie
financière est le fruit d'un travail d'équipe. Il s'agit d'une
synthèse des analyses produites par nos équipes espagnole,
italienne, française et allemande. L'autonomie financière des
régions est un sujet fréquemment étudié. Il nous a
semblé qu'il était souvent accompagné de nombreuses
incompréhensions, ou en tout cas d'exagérations, voire d'erreurs.
Nous nous sommes donné une définition de l'autonomie
financière et avons étudié dans quelle mesure nous
pouvions l'appliquer aux régions. Nous avons limité notre analyse
à cinq pays : la France, l'Espagne, la Suisse, l'Italie et
l'Allemagne.
Nous nous sommes efforcés de donner une définition la plus large
et la plus complète possible de l'autonomie financière. La
théorie des finances publiques stipule que l'autonomie financière
est « la capacité à déterminer les recettes et
les dépenses nécessaires à l'exercice des
compétences qui sont dévolues à la
collectivité ». La difficulté est évidemment de
donner une définition au verbe
« déterminer ». Nous avons travaillé sur
cette définition. A notre sens, il convient de dépasser le
clivage traditionnel entre autonomie des recettes et autonomie des
dépenses. D'autres critères, tels que la liberté de
gestion de ces collectivités, doivent également être pris
en compte. Nous avons cherché également à nuancer
certaines appréciations fréquemment entendues, notamment
l'idée que les régions françaises,
considérées souvent comme des « nains
budgétaires », seraient par-là même
dépourvues d'autonomie financière, ce qui ne serait pas le cas
pour les régions des autres pays européens.
Je tiens à préciser que notre document porte sur la situation
observée avant l'été 2002. Or, vous savez qu'en France les
choses évoluent vite. De même, en Espagne et en Italie, elles ont
également évolué au cours des dernières semaines,
de même qu'en Allemagne. Notre rapport est donc quelque peu en retard par
rapport à la situation actuelle.
Je vais vous présenter une version synthétique de notre travail,
qui commence par définir le champ d'application de l'autonomie
financière. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de revenir ici
sur le poids économique des régions. Je vous propose de passer
directement à la définition que nous avons choisie pour
l'autonomie financière. Cette définition répond à
trois familles de critères :
• l'autonomie de gestion ;
• l'autonomie budgétaire ;
• l'autonomie fiscale.
A. L'autonomie de gestion
a. La maîtrise du budget
Le droit d'exécuter un budget en déséquilibre est, d'une
certaine façon, un avantage et une marque d'autonomie. C'est
évidemment impossible en France, de même qu'en Espagne. En Italie,
cette possibilité existait jusqu'à une réforme de
l'année 2001. Au contraire, les Allemands et les Suisses ont la
possibilité constitutionnelle d'exécuter, et même de voter,
des budgets en déséquilibre.
b. La prévisibilité des recettes et des dépenses
budgétaires
La prévisibilité des recettes et des dépenses publiques
est un critère extrêmement important dans l'autonomie de gestion.
La prévisibilité des recettes est généralement
liée à la structure de ces recettes, c'est-à-dire aux
transferts. Les transferts sont la plupart du temps prévisibles en
France et en Espagne car ils font l'objet d'indexations et de contrats. Ils
sont moins prévisibles en Italie, car une proportion relativement
importante de transferts venant de l'Etat ne font pas l'objet d'indexations ou
de contrats.
Il existe globalement une rigidité assez forte des dépenses
publiques. Elles sont donc en grande partie prévisibles. Ce sont en
effet des services qui font l'objet de votes, par analogie avec le budget de
l'Etat. Ces dépenses sont d'autant plus prévisibles que nous
avons affaire à des dépenses de caractère régalien.
C'est également le cas dans les pays les plus
décentralisés, notamment l'Allemagne et la Suisse, où il
existe un grand nombre d'institutions dont les dépenses ne peuvent
être facilement revues à la baisse. En Allemagne et en Suisse, la
proportion de ressources fiscales est très importante. Or, dans la
plupart des pays, les ressources fiscales sont liées au cycle
économique, puisque assises sur les revenus des particuliers et/ou des
entreprises.
c. La liberté de gestion du patrimoine
La liberté de gestion du patrimoine est extrêmement variable en
général. Elle apparaît toutefois nettement plus grande chez
nos voisins, notamment en Italie. Dans ce pays, nous assistons actuellement
à l'émergence d'un foisonnement d'idées visant à
créer davantage de marges de manoeuvre dans la gestion du patrimoine des
collectivités. Ces propositions portent notamment sur la titrisation des
actifs, que ces actifs soient des actifs immobiliers ou des créances que
des collectivités peuvent détenir sur des tiers. La France
évolue encore dans un contexte extrêmement
réglementé, où la liberté se limite à la
liberté de gestion du passif, qui fait pendant à une forte
contrainte sur la trésorerie, avec obligation de dépôt au
trésor. La France se distingue donc dans ce domaine par une faible
autonomie.
d. La libre tarification et l'externalisation des services public
La liberté de tarification des services publics et la marge de manoeuvre
des régions en matière d'externalisation de fonctions
administratives sont également à prendre en compte.
Les régions françaises disposent d'une marge de manoeuvre
réduite dans ce domaine, notamment en comparaison des régions
suisses et allemandes. Ces dernières décident en effet de
l'organisation des services publics qu'elles fournissent. Toutefois, en raison
de la nature même de ces services (
Länder
: police,
éducation, justice ; cantons suisses : police, éducation,
sécurité sociale et santé), leur marge de manoeuvre pour
en déléguer l'exercice est réduite. Les régions
françaises recourent peu à la délégation, si ce
n'est en matière de formation professionnelle avec les associations.
e. L'autonomie en matière d'action économique des régions
Les
Länder
allemands et les cantons suisses ont toute
liberté en matière d'action économique et peuvent utiliser
des leviers directs, par exemple en participant au capital de
sociétés privées, y compris de manière majoritaire.
Le Land de Basse-Saxe, c'est-à-dire l'ancien Land du Chancelier
Schröder, détient par exemple plus de 25 % du capital de
Volkswagen
, de même que plus de 25 % du capital d'un combinat
industriel très important :
Salzgitter
.
Nous pouvons nous demander pourquoi les régions françaises, qui
ont la compétence du développement économique, ne peuvent
exercer ce type d'actions. Leur action se limite en effet à la
participation au capital de sociétés d'économie mixte
(SEM), qui restent, du point de vue macroéconomique, des acteurs assez
modestes.
Les collectivités allemandes et suisses peuvent également faire
appel à des leviers indirects. Je pense notamment à des
véhicules financiers de type
Landesbank
ou banque cantonale. Or,
le monde des collectivités françaises est complètement
coupé de la sphère financière, si ce n'est dans des
relations traditionnelles de banquier à emprunteur, ce qui n'est pas le
cas des collectivités territoriales des autres pays européens.
Ainsi, les
Landesbank
sont détenues en grande partie par les
Länder
(souvent de manière indirecte), de la même
façon que les banques cantonales. Leurs statuts sont souvent
régis par des dispositions à caractère local. Il existe
donc des différences importantes entre nos régions et celles de
nos partenaires.
Les régions françaises disposent donc d'une autonomie de gestion
réduite par rapport aux autres pays européens, tandis que la
liberté de gestion des cantons suisses est la plus élevée
de tous les pays que nous avons étudiés. Ceci recoupe la
hiérarchie institutionnelle : l'Etat français est
plutôt centralisé, tandis que la Suisse possède un Etat
fédéral. Entre ces deux situations extrêmes, nous trouvons
l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne.
M. Yves FRÉVILLE
- Qui est responsable de la levée des
impôts dans les autres pays que vous avez étudiés ? En
France, l'Etat joue le rôle de fermier général. Est-ce que
les régions allemandes et suisses lèvent elles-mêmes leurs
impôts, à leurs risques et périls ?
M. Nicolas PAINVIN
- Je vous propose d'aborder cette question dans la
partie autonomie fiscale, c'est-à-dire le troisième volet de
notre exposé. C'est effectivement un point très important, que
nous commenterons.
B - L'autonomie budgétaire
a. L'autonomie des dépenses
La flexibilité en matière de budget est essentielle, puisqu'elle
permet de réagir à des chocs externes et donc de s'y adapter.
Cette flexibilité s'apprécie en comparant les ressources qui
restent à la libre discrétion de l'entité aux ressources
affectées de droit à un certain type de dépenses.
Dans ce domaine, les régions françaises sont beaucoup mieux
placées que leurs homologues. En effet, elles peuvent affecter de
façon autonome une grande proportion de leurs ressources, compte tenu de
la place importante de l'investissement dans leur budget. Même si elles
sont contraintes tous les ans d'entretenir leur patrimoine, par exemple
l'immobilier des lycées - qui répond à des normes
nationales - , l'affectation de leurs ressources peut toutefois fortement
varier d'une année sur l'autre.
Inversement, les Italiens devaient, jusqu'à une période
très récente, consacrer 90 % de l'impôt principal,
c'est-à-dire l'impôt sur l'activité productive, et
100 % de leur quote-part d'impôt sur le revenu à la
santé. La partie laissée à la discrétion de
l'exécutif local était donc très faible.
J'estime que la rigidité de certaines dépenses est
extrêmement lourde de conséquences. Je pense notamment au poids
des dépenses de personnel. Ainsi, même si toutes les
régions n'ont pas de statut de la fonction publique, il leur est
toutefois très difficile de comprimer les charges de personnel. La
rigidité des dépenses est par exemple très forte en
Allemagne, où près des deux tiers du personnel sont
constitués de fonctionnaires dans certains
Länder.
Ce n'est
pas le cas en France où l'appareil administratif régional reste
léger.
La rigidité des dépenses peut également être
liée à leur nature. Je pense notamment aux dépenses de
protection sociale et de santé, qui sont des questions extrêmement
sensibles d'un point de vue politique, et qui sont souvent sujettes à
inflation. Les cantons suisses supportent ainsi de lourdes charges en
matière de dépenses de santé et de protection sociale.
C'est également le cas des départements français, mais
beaucoup moins des régions. Même les contrats de plan, outils de
programmation pluriannuelle, laissent une certaine marge de manoeuvre dans leur
mise en oeuvre.
L'autonomie de gestion des régions françaises est à cet
égard plus forte que celle de collectivités territoriales qui
doivent verser des prestations sociales ou gérer les dépenses de
fonctionnement des hôpitaux, ce qui est le cas en Italie, en Espagne et
en Suisse.
b. Les transferts de l'Etat
L'autonomie budgétaire est étroitement liée aux transferts
reçus de l'Etat. Deux lectures sont possibles dans ce domaine.
La première est une lecture un peu négative sur la trop grande
importance des transferts. De ce point de vue, plus il y a de transferts et
moins il y a de liberté pour la collectivité. C'est notamment la
perception que nous pouvons avoir de la situation des régions
françaises ces dernières années, qui ont subi une
réduction des recettes fiscales, qui ont été
remplacées par des dotations indexées, avec une perte de l'effet
de levier sur cette base.
La seconde lecture consiste à souligner que les transferts favorisent la
prévisibilité des ressources et réduisent
éventuellement les inégalités entre collectivités,
notamment à travers des systèmes de péréquation. La
prévisibilité en matière de programmation
budgétaire est importante et il est utile pour les collectivités
de pouvoir compter sur ses ressources. Ainsi, nous avons pu constater en
Allemagne au cours de l'année 2001 que les
Länder
allemands
étaient responsables, d'un point de vue arithmétique, du
dérapage budgétaire allemand. Ce problème est dû au
fait que les
Länder
ne peuvent pas vraiment compter sur des
dotations garanties par l'Etat. Au contraire, dans le cas français, les
principales dotations de l'Etat, au premier rang desquelles la dotation globale
de fonctionnement (DGF), sont indexées, ce qui offre une certaine
sécurité.
c. L'emprunt
L'emprunt sert souvent de variable d'ajustement. Le libre choix du montant et
des formes de la dette est un atout. C'est le cas en France. L'Etat exerce un
contrôle
ex-post
, mais ce contrôle est relativement souple.
Ce n'est pas le cas en Espagne, où les communautés autonomes ont
l'obligation de soumettre à l'approbation du gouvernement central leurs
décisions d'emprunt. Ces entités, qui ont un poids
budgétaire très important, doivent donc demander l'autorisation
pour pouvoir emprunter.
De la même façon, l'affectation des ressources de l'emprunt est
également soumise à autorisation en Espagne. En France, les
ressources de l'emprunt sont obligatoirement affectées à
l'investissement. C'est également le cas aussi en Italie dans le nouveau
cadre réglementaire. En Allemagne et en Suisse, la possibilité
existe de financer les déficits courants par l'emprunt. Cette
méthode est critiquable, mais c'est l'apanage de la souveraineté,
puisque l'État procède ainsi. Il existe donc des
différences assez fortes entre d'une part, la France, l'Espagne et
l'Italie, et d'autre part, l'Allemagne et la Suisse.
En conclusion, concernant l'autonomie budgétaire, les communautés
espagnoles et les régions françaises sont les entités les
moins autonomes. Les régions italiennes sont un peu plus autonomes.
Enfin, les
Länder
allemands et les cantons suisses sont nettement
plus autonomes. Les cantons suisses, en tant que partie prenante à la
souveraineté nationale, jouissent d'une liberté nettement
supérieure.
C. L'autonomie fiscale
Nous estimons que l'importance de l'autonomie fiscale est souvent
surestimée et qu'il s'agit également de la question la plus
sujette à polémique. Il est indispensable tout d'abord de faire
la différence entre l'autonomie fiscale réelle et l'autonomie
théorique. L'autonomie fiscale théorique résulte de ce que
la loi permet. L'autonomie fiscale réelle correspond à ce que la
communauté est en mesure de percevoir économiquement et
politiquement.
a. Les marges de manoeuvre fiscale
Les marges de manoeuvre fiscales sont de cinq natures :
La possibilité de créer de nouvelles taxes
Cette faculté n'existe pour l'instant pas en France, mais elle existe en
Suisse, également en Italie et désormais en Espagne. Dans ce
pays, certaines collectivités l'ont déjà mise en
application, avec des taxes aussi diverses qu'une taxe sur les grandes surfaces
en Catalogne, une taxe sur les dépôts bancaires en Extremadure et
une taxe de séjour aux Baléares.
La liberté de fixer les taux et de jouer sur la base à travers
les abattements et les dégrèvements
La France est en avance dans ce domaine, notamment sur l'Allemagne. Les
Allemands n'ont quasiment aucune flexibilité sur les taux, et
très peu sur la base. De la même façon, les Italiens ont
acquis récemment cette possibilité grâce à une
réforme constitutionnelle, mais n'ont pas encore la possibilité
de l'appliquer totalement.
La richesse et le dynamisme des bases fiscales
C'est dans ce domaine que la différence entre autonomie fiscale
réelle et autonomie fiscale théorique se manifeste. A titre
d'exemple, les taux d'imposition de la région Ile-de-France sont
extrêmement bas et son potentiel fiscal est élevé. La
région Nord-Pas-de-Calais se trouve dans une situation à peu
près inverse. Ainsi, dans un cadre réglementaire identique, ou
quasiment, la capacité à augmenter le produit fiscal n'est
absolument pas comparable entre deux régions. Dans un cas, il est
possible de quasiment tripler le produit fiscal direct, alors que dans l'autre
cas il n'est envisageable de l'augmenter que de 50 %.
Les recettes fiscales en valeur absolue
L'importance du budget d'une région dépend de son champ d'action,
de son environnement économique et de la proportion des recettes
fiscales par rapport au total des recettes. Cette proportion détermine
en partie l'effet de levier.
La péréquation
Les mécanismes de péréquation viennent contrebalancer les
quatre autres éléments que je viens de vous présenter. En
effet, une collectivité peut être en mesure de lever de nombreuses
ressources fiscales supplémentaires, mais certains mécanismes
« péréquateurs » peuvent avoir pour effet de
transférer ce produit supplémentaire à d'autres acteurs.
Les
Länder
allemands perdent ainsi la quasi-totalité du
surcroît d'autonomie qui leur est accordé. Nous pourrions imaginer
à première vue qu'un
Land
extrêmement dynamique en
termes de politique industrielle, la Bavière par exemple, pourrait tirer
profit de ce dynamisme en termes d'autonomie fiscale. En fait, ce n'est pas le
cas puisque la quasi-totalité du produit retiré de ces ressources
et qui se situe au-dessus de la moyenne nationale est redistribuée.
II.
Situations comparées des régions françaises,
italiennes, espagnoles, allemandes et suisses en matière d'autonomie
financière
Je vous propose de parler brièvement des cinq pays et puis ensuite de
revenir éventuellement plus en détail sur chacun.
La France
Je ne m'étendrai pas sur les régions françaises, puisque
c'est une question que vous connaissez peut-être même mieux que
nous. En France, l'autonomie est essentiellement liée à la
faculté de voter les taux. Elle est imputable également à
une faible proportion des dépenses qui sont affectées à
des compétences particulières.
L'Espagne
L'Espagne est qualifiée de « pays régionalisé et
en voie de fédéralisation ». L'Espagne a connu avec le
processus de démocratisation de l'année 1978 et de
régionalisation enclenché en 1980, une évolution
extrêmement bien menée en termes d'autonomisation fiscale,
marquée par une négociation efficace entre l'Etat central d'une
part et chacune des communautés d'autre part.
Des accords ont été trouvés avec chacune des
communautés. Ces accords sont souvent très différents
d'une communauté à l'autre car ils respectent les
différences historiques. Je pense qu'il serait souhaitable que nous nous
inspirions de cet exemple en France. Ce n'est pas la loi qui fixe le cadre
budgétaire des communautés. Ce cadre est régi au niveau
constitutionnel, notamment à travers une loi organique, et mis en oeuvre
par le biais de contrats entre les communautés et l'Etat central.
Cette contractualisation a des avantages assez nets. Elle a notamment permis
l'émergence du plan d'accès à l'autonomie. La
décentralisation a été négociée sur une
période pluriannuelle, cinq ans jusqu'à une période
récente. Aujourd'hui, cette durée n'est plus fixée. La
décentralisation repose sur des engagements réciproques en
matière de transferts de compétence de la part des
communautés et de l'Etat. Les ressources ont été
transférées de manière claire et ont été
indexées la plupart du temps. Elles ont fait l'objet de garanties de la
part de l'Etat.
Cette contractualisation a eu pour effet de maintenir les communautés
dans une relative dépendance. En fait, les régions les plus
vulnérables ou qui se sentaient telles, notamment l'Andalousie et plus
généralement toute la partie sud de la péninsule, ont
refusé de se voir attribuer certaines compétences, notamment
celles qui étaient les plus coûteuses, comme la santé et
l'éducation. Elles ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas
bénéficier de plus d'autonomie financière, mais continuer
tout de même à recevoir des dotations indexées de l'Etat.
Dans ce cas, nous nous trouvons dans une situation quelque peu paradoxale,
où une autonomie proposée est refusée.
Finalement, même les régions espagnoles riches n'ont
également bénéficié que d'une flexibilité
limitée sur leurs recettes. C'est un peu le paradoxe de cette
réforme, qui me semble malgré tout assez remarquable.
L'Italie
Le processus italien a été beaucoup plus rapide puisqu'il n'a
vraiment commencé que dans les années 1994, 1995 et 1996 et a
fait l'objet d'accélérations brutales, ainsi que d'arrêts
tout aussi brutaux. L'Italie a donc connu un véritable
phénomène de
stop and go
vers le fédéralisme.
Si nous essayons de porter un jugement à ce stade sur le processus
italien, nous pouvons dire que la décentralisation a été
rapide et peu programmée. L'Italie est ainsi passée en peu de
temps du tout transfert au tout fiscal. 85 % des recettes des
régions étaient issues de dotations et 15 % de nature
fiscale, alors que c'est la situation inverse qui prévaut aujourd'hui.
En 5 à 6 ans, on a donc inversé la répartition des
recettes régionales, sachant qu'il s'agit d'une fiscalité sur
laquelle les régions n'ont pas toute autonomie.
L'Etat transfère certaines compétences, puis ajuste les recettes
a posteriori
. Ainsi, en 1997, les régions se sont vu
transférer la compétence en matière de dépenses de
santé. Les ressources attribuées aux régions ne
suffisaient pas, d'où l'apparition de déséquilibres
budgétaires très importants. Ainsi, la dette du Latium a
explosé. L'Etat a corrigé
a posteriori
cette erreur en
augmentant les dotations. Toutefois, ce processus n'a pas de caractère
contractuel. Ce sont des décisions législatives, souvent
unilatérales et prises au gré des changements de majorité,
avec toutes les remises en question que cela implique.
De manière plus générale, il règne en Italie un
climat d'incertitude en matière de droit. « L'incertitude du
droit » est d'ailleurs un terme qu'utilisent volontiers les juristes
italiens. Il rend l'interprétation de toutes ces dispositions fiscales
extrêmement difficile, y compris par les acteurs, notamment
l'exécutif régional.
L'Allemagne
Les recettes des seize
Länder
sont largement fiscales.
L'année dernière, un peu plus des deux tiers des recettes
étaient d'origine fiscale. Les impôts sont essentiellement
communs, c'est-à-dire partagés avec l'Etat fédéral,
mais il y a aussi quelques impôts propres.
Le partage des impôts entre les différents niveaux est
déterminé par des lois fédérales, de même que
les taux. Il convient évidemment de nuancer cette situation, car la
constitution allemande prévoit une implication extrêmement forte
des
Länder
dans l'élaboration de la loi
fédérale, à travers le
Bundesrat
,
c'est-à-dire la chambre haute du Parlement au sein de laquelle tous les
Länder
sont représentés. Les deux tiers des lois
requièrent l'approbation des Etats fédérés,
notamment toutes les lois qui ont trait à l'organisation et au
financement des Etats. Nous pouvons indiquer, de façon plus
générale, que les
Länder
ne disposent d'aucune
souveraineté individuelle, mais que leur souveraineté collective
est extrêmement forte. Cette situation résulte du
fédéralisme financier allemand, dont un des piliers repose sur le
principe de solidarité.
La Suisse
Il est possible de dire que les cantons suisses sont presque des Etats
souverains. Ce constat est quelque peu tautologique, puisque la Suisse est une
confédération. Les recettes fiscales tiennent une part importante
dans les budgets cantonaux, mais, à la différence des Allemands,
il s'agit de recettes fiscales sur lesquelles les cantons ont des
prérogatives directes et individuelles. Les cantons ont la
priorité lorsqu'il s'agit de fixer les taux des impôts
partagés. Au contraire, l'Allemagne donne la priorité au niveau
fédéral. En outre, les ressources fiscales sont librement
distribuées entre les communes à l'intérieur du canton et
les cantons ont la maîtrise du recouvrement de l'impôt.
III.
Synthèse
Je peux maintenant répondre à votre question, Monsieur le
Sénateur : les Suisses ont la capacité de collecter
directement l'impôt en s'appuyant sur une administration propre au
canton. La même situation est constatée en Allemagne.
C'est également le cas en théorie en Italie, c'est-à-dire
que les régions italiennes ont acquis la possibilité de collecter
l'impôt, mais elles n'en ont pas à ce jour la capacité
technique. En effet, les régions italiennes ont toujours recours
à l'administration fiscale nationale, notamment parce que les cadastres
et l'ensemble des rôles ne leur ont pas encore été
transférés.
En France, l'Etat est fermier général. Même si la
communication entre les collectivités et l'Etat s'améliore au fil
du temps, il existe encore une vraie séparation entre les deux.
En Suisse, les prérogatives des cantons ne sont limitées que par
la constitution et ces limites sont extrêmement faibles. Elles portent
par exemple sur l'interdiction de barrières douanières entre
cantons et sur l'interdiction de la double imposition et des
exonérations abusives.
Les régions espagnoles ont la capacité théorique de
moduler l'impôt. Toutefois, la constitution impose que la pression
fiscale soit homogène au niveau de l'ensemble du territoire.
Les
Länder
allemands n'ont presque pas d'autonomie fiscale. Les
régions françaises disposent d'une autonomie un peu plus
élevée que la moyenne des autres pays. Les régions
italiennes et espagnoles sont désormais dotées d'une forte
autonomie, même si, dans les faits, elle n'est pas encore tout à
fait mise en oeuvre. Les réformes qui ont eu lieu en Espagne et en
Italie au cours de l'année 2001 donnent en effet des pouvoirs accrus aux
régions. Nous constaterons dans les années à venir comment
cela prendra corps. Les cantons suisses bénéficient quant
à eux d'une flexibilité maximale.
Si vous me permettez une remarque finale, le gouvernement de Silvio Berlusconi
a récemment fait part de son inquiétude sur le respect d'un
engagement électoral qui portait sur la baisse de la pression fiscale.
En 2002, les régions ont eu la possibilité d'augmenter à
volonté le taux de l'impôt sur le revenu. Cependant,
parallèlement, le gouvernement insiste pour que la pression fiscale
consolidée soit maintenue, voire diminuée. Il est donc probable
que l'Etat va être contraint de légiférer pour
« geler » l'autonomie fiscale récemment
concédée.
Nous sommes à votre disposition si vous souhaitez nous interroger sur un
système en particulier.
M. le Président
- Je vous remercie pour votre présentation
extrêmement intéressante sur les situations des différents
pays.
M. Eric DOLIGÉ
- J'aimerais savoir comment vous avez choisi la
taille des collectivités territoriales que vous avez analysées.
Vous avez indiqué que les régions françaises pouvaient
être considérées comme des « nains »
par rapport aux autres régions. Vous avez donc comparé des
collectivités qui n'étaient pas forcément comparables,
compte tenu des différences de taille. Ainsi, si des dérapages
fiscaux surviennent dans les régions françaises, ils ne poseront
pas un problème majeur au niveau national, compte tenu de leurs
compétences actuelles, relativement restreintes, et du faible poids de
la fiscalité locale au sein de la fiscalité nationale.
J'ai donc le sentiment que vous avez comparé des choses qui
n'étaient pas comparables et que l'échantillon que vous avez
choisi n'était pas suffisant pour traduire l'évolution du poids
de la fiscalité locale française. Avez-vous simplement
comparé ces pays parce que tous utilisent le terme
« régions » pour désigner leur
découpage géographique, ou estimez-vous que le choix que vous
avez fait était le plus pertinent ?
M. Nicolas PAINVIN
- Votre analyse est juste : l'échantillon
n'est pas homogène. Nous avons observé que, de toute
façon, les journalistes et les commentateurs effectuaient des
comparaisons. Nous avons voulu faire de même, en nous basant sur une
méthodologie bien définie.
Effectivement, notre conclusion est que les régions françaises ne
sont pas comparables à celles des autres pays étudiés. Les
Länder
et les cantons suisses représentent plus de 7 %
du PIB, contre 0,6 % pour les régions françaises. Toutefois,
au sein de la pyramide administrative de chacun des pays, les régions,
cantons et
Länder
se situent à des échelons tout
à fait comparables. Les limites de l'exercice sont que ces
entités ne sont pas comparables en tous points.
Nous avons choisi d'aller au bout de l'exercice afin de déterminer
jusqu'à quel niveau ces différences se manifestaient. De toute
façon, il n'est pas possible de comparer un pays à l'autre
à tous les niveaux. L'échelon communal est peut-être
davantage homogène, mais il porte sur une population si importante qu'il
est ensuite difficile d'entrer dans le détail. Au niveau
régional, nous avons pu obtenir tous les comptes des différentes
collectivités et nous avons pu déterminer si de fortes
disparités se manifestaient entre elles. En outre, en cas de besoin,
nous pouvions nous déplacer et aller interviewer les parties prenantes,
ce qui n'aurait pas été possible dans le cas des communes.
M. François MARC
- J'ai été un peu
étonné des chiffres que vous avez avancés concernant
l'Italie. Vous avez indiqué qu'aujourd'hui, 85 % des recettes des
régions italiennes sont fiscales. Je pensais pour ma part que ce taux
s'élevait plutôt à 50 ou 60 %. Je souhaite donc avoir
des précisions à cet égard. De même, j'aimerais
savoir si ce sont les collectivités italiennes qui fixent les recettes
et déterminent les taux. En effet, ce sont ces possibilités qui
fondent l'autonomie.
Par ailleurs, je souhaite vous interroger sur les comparaisons entre pays
européens. Chaque pays possède sa culture, ses traditions et son
histoire. Les questions fiscales sont toujours complexes. Vous auriez
peut-être pu insister davantage sur la hiérarchisation des
critères que vous nous avez présentés. Vous nous avez en
effet présenté une grille de lecture très vaste. Or, nous
avons le sentiment à l'issue de votre exposé que, si nous
choisissons tel critère, nous porterons tel jugement, et que si nous
choisissons un autre critère, le jugement sera différent.
Personnellement, j'estime que l'autonomie d'une collectivité correspond
surtout à sa capacité à répondre aux besoins de la
population et à organiser ses dépenses dans ce dessein. Or, vous
n'avez pas indiqué dans votre intervention quels étaient les
critères que vous jugiez les plus importants en termes d'autonomie.
M. François TRUCY
- Premièrement, et sauf erreur de ma
part, vous avez évoqué les dispositions constitutionnelles
espagnoles en affirmant qu'elles encadraient la fiscalité des
régions à un point tel que cette fiscalité devait
être identique pour toutes.
Deuxièmement, je note avec beaucoup d'intérêt le
deuxième paragraphe de votre conclusion, qui est très
impressionnant. J'espère que nous nous en inspirerons pour traiter de la
décentralisation en France.
M. Philippe ADNOT
- Je partage l'analyse de M. Doligé. Analyser
la fiscalité locale en se basant sur les régions n'a pas beaucoup
de sens. En effet, l'importance des budgets et des responsabilités est
telle que vous ne pouvez tirer des conclusions réellement valables.
J'estime qu'il aurait été intéressant de faire l'analyse
en se fondant sur la consolidation des grandes agglomérations, des
départements et des régions pour avoir une lecture valable.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur ce qui vient de se passer en Allemagne,
avec la fragilité de la spécialisation de l'impôt, et la
mise en difficulté financière de villes dont une grande partie
des ressources était assise sur la taxe professionnelle. Les
Français déclarent de temps en temps qu'une spécialisation
de l'impôt serait souhaitable. Les problèmes allemands soulignent
la fragilité de l'impôt spécialisé, notamment sa
vulnérabilité aux retournements de conjoncture. Ils
démontrent également que lorsqu'une population ne se sent pas
concernée par un impôt, elle n'est nullement
responsabilisée. Ces incidents devraient inciter les partisans à
la spécialisation de l'impôt à reconsidérer la
question.
Vous auriez pu souligner également l'importance pour l'Italie des
méthodes de financement extérieur, notamment la titrisation.
M. Maurice BLIN
- En premier lieu, vous semblez porter un jugement
plutôt favorable sur la manière dont l'Etat central espagnol a
négocié une sorte d'autonomie régionale. Cette
façon de procéder pourrait-elle servir de fil directeur aux
réformateurs que nous sommes ?
En deuxième lieu, le résultat a-t-il été
différent d'une région à l'autre ?
En troisième lieu, ce système a-t-il entraîné des
inégalités fortes ? Nous l'avons constaté pour
l'Andalousie. En fait, l'Espagne a toujours été formée
d'une pluralité d'Espagne. Dans ce cadre, comment reconnaître la
singularité de chaque région et en même temps éviter
une distension par rapport au corps central ?
Vous indiquez dans votre second paragraphe que les
Länder
allemands
jouissent de ressources et de compétences larges, mais d'une
liberté fiscale nulle. Pourtant, ils se procurent ces ressources par les
impôts qu'ils lèvent. Pourquoi dans ce cas s'agit-il de
« liberté fiscale nulle » ? Il y a là
une sorte de contradiction entre les deux. En effet, comment peuvent
s'articuler, dans un pays fédéral, les contrôles
exercés par l'État central sur les dépenses des
régions et l'autonomie fiscale et financière dont ces
dernières jouissent ?
M. Yves FRÉVILLE
- Quels sont les types d'impôts
affectés aux régions en dehors des impôts
partagés ? La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est
nationale, l'impôt sur les sociétés l'est également.
Tous les impôts sur la propriété sont nécessairement
à l'échelon de l'agglomération, etc. Que reste-t-il donc,
en dehors de l'impôt sur le revenu et les droits d'accise ? Cette
gamme peut-elle être élargie ou en est-on réduit à
mettre en place des droits d'accise régionaux et des impôts sur le
revenu régionaux ?
M. le Président
- Je souhaite que M. Painvin réponde
globalement aux questions qui lui ont été posées, qui sont
fort nombreuses.
M. Nicolas PAINVIN
- Je répondrai à ces questions dans
l'ordre où elles m'ont été posées.
Concernant la question de M. Marc sur l'Italie, je pense que nos divergences de
chiffres viennent simplement de façons différentes de
comptabiliser certains impôts. Votre source, qui envisage 50 à
60 % de ressources fiscales, range sans doute dans les transferts la
partie de la fiscalité sans autonomie. C'est un parti pris qui se
défend tout à fait, c'est d'ailleurs ce que nous avons fait
nous-mêmes dans certains cas. En effet, nous ne sommes pas face à
un levier fiscal, mais bien face à un transfert, ou plus
précisément un impôt transféré.
Il peut en effet être quelque peu frustrant de parcourir cette
étude. Elle n'avait pas pour ambition d'aller jusqu'à une
conclusion universelle, dans la mesure où cet objectif aurait
été difficilement atteignable. Lorsque nous entrons dans le
domaine de la théorie fiscale, nous portons un jugement sur le couple
autonomie/péréquation, sur lequel nous pouvons prendre position
au cas par cas, mais sur lequel il est difficile de généraliser
les conclusions. Une généralisation serait dangereuse et
supposerait une méthodologie très raffinée, qui
nécessiterait des moyens très importants.
Concernant la fiscalité espagnole, un article de la constitution
spécifie que la pression fiscale doit être
« relativement homogène » sur le territoire. Nous
oublions souvent que l'Espagne a une constitution qui est relativement
contraignante en matière de solidarité, même si cette
solidarité n'est pas de même nature qu'en Allemagne.
Par ailleurs, une consolidation de tous les échelons, notamment avec les
entités urbaines, aurait en effet été souhaitable. Je ne
peux qu'abonder dans votre sens sur ce point. Malheureusement, c'est là
aussi un point extrêmement difficile, ne serait-ce que pour des raisons
statistiques.
Je pense que M. Dominique Hoorens a une vision plus générale
des pays car il a choisi un échantillon plus large et une source
statistique un peu différente. Etant donné que nous avons
travaillé avec nos propres sources, c'est-à-dire les comptes que
nous avons collectés, nous n'avons pas pu travailler sur un
échantillon aussi large.
Concernant la spécialisation de l'impôt et ses dangers potentiels,
on entre une fois de plus dans le domaine de la théorie fiscale. Nous
n'avons pas vraiment de point de vue. Olivier, peut-être souhaites-tu
traiter de la
Gewerbesteuer
, c'est-à-dire la fameuse taxe
professionnelle allemande ?
M. Olivier DUMOULIN, analyste de l'Agence
Fitch Ratings
- Plus
qu'à un risque inhérent au principe de spécialisation
fiscale, la situation difficile des communes allemandes à l'heure
actuelle tient plutôt à la base de cet impôt, qui est assis
sur les bénéfices d'exploitation des entreprises. Il est de ce
fait extrêmement sensible à la conjoncture économique. En
conséquence, fonder les rentrées fiscales des
collectivités sur des impôts très volatils et très
liés à la conjoncture économique présente un risque
certain pour les collectivités. La situation doit être
nuancée selon les régions : ainsi en Allemagne de l'Est, on
estime que les communes tirent environ la moitié de leurs ressources de
transferts du
Land
et sont de ce fait moins sensibles aux retournements
de conjoncture.
M. Nicolas PAINVIN
- En matière de théorie fiscale,
j'apprécie pour ma part beaucoup le système suisse, pour sa
simplicité. Quatre types d'impôts essentiels existent en Suisse.
Parmi ces impôts, deux portent sur les personnes physiques et deux
portent sur les personnes morales. Deux portent sur des flux (impôt sur
le revenu et impôt sur les bénéfices) et deux portent sur
les stocks (impôt sur le patrimoine et impôt sur les actifs). Il
s'agit un peu d'un modèle idéal.
Que reste-t-il pour les collectivités, si nous ne somme pas dans le cas
de l'impôt partagé ? Les Allemands appellent les petits
impôts des
Länder
les
«
Bagatellesteuer
», c'est-à-dire les
« impôts qui ne valent rien ». Ce sont des
impôts sur les chiens, sur la bière ou sur les droits de
trottoirs. Les ressources qui en sont tirées sont assez faibles.
La solution n'est-elle pas dans un partage intelligent des impôts ?
Je pense là encore aux Suisses. En effet, même si la constitution
suisse est spécifique, les impôts sont partagés et la
priorité est donnée au niveau cantonal dans la distribution. Nous
pouvons donc imaginer un partage intelligent des impôts. Les
Länder
, à travers le
Bundesrat
, consentent à
l'impôt. Les
Länder
affirment que la réforme fiscale
de l'année 2000, c'est-à-dire la réforme Schröder,
leur a été imposée. En fait, ils l'ont acceptée, et
elle était même voulue par certains.
Olivier, souhaites-tu intervenir sur cette liberté fiscale allemande
dont vous semblez vous étonner ?
M. Olivier DUMOULIN
- Effectivement, le deuxième paragraphe de la
conclusion peut paraître un peu paradoxal. Nous évoquons à
la fois des ressources larges et une autonomie nulle car nous sommes
persuadés qu'il s'agit de la situation actuelle en Allemagne. Les
Länder
tirent en moyenne 70 % de leurs revenus des ressources
fiscales, mais il s'agit pour l'essentiel d'impôts d'Etat qui sont
partagés entre le niveau fédéral et les
Länder
. L'impôt sur les sociétés est par
exemple partagé à 50/50 entre le niveau fédéral et
les
Länder
. Concernant les impôts qui sont partagés
entre le
Bund
et les
Länder
, ces derniers ne disposent
d'aucune marge de manoeuvre sur les taux et sur les modalités de partage
entre les différents échelons. A chaque fois, ces
caractéristiques sont fixées par la loi fédérale.
Comme Nicolas Painvin l'a indiqué précédemment, les
seules modalités d'intervention des
Länder
passent par le
Bundesrat
, à travers le processus législatif.
M. Nicolas PAINVIN
- Nous pouvons ajouter à cette situation un
effet de péréquation extrêmement fort. En effet, le cadre
réglementaire en vigueur jusqu'au premier janvier 2005 prévoit
que la capacité financière de chaque Land ne doit pas être
inférieure à 99,5 % de la capacité moyenne.
Avant la mise en place de tous ces mécanismes, le Land de Hambourg
était le plus avantagé puisqu'il se situait quasiment à
200 % de la moyenne. Aujourd'hui, il se retrouve à 106 ou
110 % de la moyenne après péréquation. Il s'agit donc
d'une situation extrême. Les
Länder
riches du sud de
l'Allemagne ont contesté ce système, non pas tant dans son
essence que dans ses modalités de règlement. D'ailleurs, le
système a été amendé. Il sera modifié
à partir de l'année 2005. Toutefois, l'objectif sera toujours
d'arriver à 99,5 %, comme auparavant, même si la loi le dit
différemment.
En France, l'Etat a eu traditionnellement cette vocation à
égaliser les ressources fiscales des régions, au moyen d'une
action directe, et non pas par des fonds de péréquation. Je crois
que les fonds de péréquation en France représentent
1 % du budget des régions, ce qui est minime.
M. Adrien GOUTEYRON
- Pouvez-vous nous indiquer, Monsieur, si le
Bundesrat
a un pouvoir et une compétence équivalents au
Bundestag
en matière de fiscalité ?
M. Olivier DUMOULIN
- En matière fiscale, c'est le
Bundestag
qui a le dernier mot.
M. le Président
- C'est le cas également en France.
M. Olivier DUMOULIN
- Exactement.
M. le Président
- Je crois que vous avez répondu à
toutes nos questions. Nous vous remercions pour cette intervention, qui
était très intéressante.