Audition de M. Michel KLOPFER,
Président-directeur général du
cabinet Michel Klopfer
(1
er
octobre 2002)
M.
Jean ARTHUIS, président
- Mes chers collègues, la
séance est ouverte.
Nous sommes à la veille de réformes importantes, dont certaines
aboutiront à des modifications constitutionnelles. Ces réformes
visent à mener à son terme le chantier de la
décentralisation, en donnant aux collectivités territoriales une
véritable autonomie financière. Cela pose évidemment le
problème de la fiscalité locale et de son devenir. Les
idées ne manquent pas sur ce thème, mais il nous reste
aujourd'hui à tester la faisabilité des différentes
propositions qui ont été émises jusqu'à
présent.
Ces auditions vont nous permettre de clarifier notre position et de formuler
nos propres propositions. Dans ce dessein, nous avons invité des
consultants ayant acquis une expertise en matière de fiscalité
locale. Michel Klopfer nous fera ainsi partager son analyse et ses
propositions. Vous avez déjà reçu une série de
questions relatives aux ressources fiscales, à la gestion locale, aux
marges de manoeuvre fiscales existantes, ainsi qu'à l'assiette et au
produit des impôts locaux et aux nouvelles assiettes fiscales qui
pourraient être mises à la disposition des élus
territoriaux.
Je propose à M. Klopfer d'intervenir pendant un quart d'heure. Monsieur
Klopfer, vous avez la parole.
M. Michel KLOPFER, président du Cabinet
Michel Klopfer
-
Merci, Monsieur le président. J'ai reçu une liste de questions
pour préparer cette audition, auxquelles je vais tenter de
répondre. J'ai préparé à votre attention un
document original, qui va vous être remis. Ce document contient, d'une
part, la réponse aux seize questions qui m'avaient été
adressées et, d'autre part, la copie de deux articles que j'ai
publiés. Le premier article a été publié
récemment dans
Le Monde,
à l'occasion des vingt ans de la
décentralisation. Le deuxième a été publié
dans
Les Echos
et concerne la réforme de la taxe professionnelle.
Je dirige un cabinet de conseil totalement indépendant, que j'ai
créé. Le capital social de cette petite société
appartient exclusivement à ses salariés. Celle-ci effectue des
missions auprès de différente
s
collectivités territoriales et organise des sessions de formation
à destination des différentes administrations, telles que les
ministères des finances ou de l'équipement, la Cour des comptes
ou les chambres régionales des comptes.
Je n'ai pas préparé d'intervention magistrale, mais tenterai
plutôt de répondre aux questions que vous m'avez posées. Je
tiens toutefois à vous signaler que je ne m'estime pas autorisé
à débattre des comparaisons internationales, comme vous avez
souhaité que je le fasse, dans la mesure où notre
expérience en la matière est trop limitée pour nous
permettre d'émettre des avis pertinents. Je me propose plutôt de
vous faire part de mes réflexions sur l'évolution de la
fiscalité locale, sur la péréquation et sur l'autonomie
financière, thèmes qui me semblent intimement liés.
Les transparents que je vous présente figurent dans le document qui vous
est remis. Ces documents montrent un décrochement marqué des
recettes fiscales des collectivités territoriales par rapport à
l'inflation et par rapport à l'ensemble de leurs recettes courantes
depuis l'année 1986, année qui a correspondu, une fois les grands
transferts de compétence effectués, à l'application des
principes de la décentralisation et à l'élection au
suffrage universel des conseils régionaux.
L'année 2002 est une année symbolique parce que les autres
ressources des collectivités territoriales - et notamment les dotations
et transferts de l'État - ont rattrapé la courbe de la
fiscalité. Dans cette configuration, la notion d'autonomie semble
pendante, et les collectivités peuvent être amenées, en
amont des projets qui seront soumis au Parlement, à émettre une
opinion sur le système qui leur paraîtrait le plus favorable.
Vous m'avez posé la question suivante : « Quelle
influence les recettes fiscales ont-elles sur la manière dont les
collectivités territoriales sont
gérées ? ». J'estime qu'un équilibre doit
être trouvé entre le point de vue des usagers/clients et celui des
contribuables. Si une collectivité perdait trop de contribuables, elle
serait placée en très nette difficulté, dans la mesure
où une pression forte s'exercerait sur ses dépenses. Il est vrai
que le contribuable n'est pas en mesure de percevoir exactement le rapport
existant entre la pression fiscale et la qualité des services rendus,
puisque la pression fiscale dépend aussi de l'insuffisance de potentiel
fiscal. D'autre part, le contribuable est beaucoup plus sensible aux flux
qu'aux stocks, et par conséquent à l'augmentation en pourcentage
du taux plutôt qu'au niveau instantané de ce taux. La question du
rapport entre fiscalité et services rendus ne se pose jamais de
façon très nette pour les contribuables. Plus importante est
celle d'un niveau suffisant de recettes fiscales, évitant toute pression
à la baisse sur les dépenses des collectivités.
La question se pose aussi de savoir s'il existe une différence entre les
dotations de l'État et des impositions locales dont les
collectivités territoriales ne maîtriseraient pas le taux. Ceci
nous différencie des exemples étrangers, où la part des
recettes fiscales est rarement aussi importante.
Concernant la responsabilité politique en matière de fixation des
taux d'imposition, deux freins principaux existent aujourd'hui :
• l'utilisation d'un même impôt pour toutes les
collectivités territoriales ;
• l'interdépendance qui est en train de s'établir entre les
communes et les communautés.
Jusqu'à la décentralisation, les collectivités pouvaient
fixer elles-mêmes leurs taux d'imposition, même si régions
et départements exerçaient une influence sur la section
d'investissement des communes par le jeu des subventions. En matière de
fiscalité locale
stricto sensu
, chacun fixait ses taux de
manière indépendante. Avec la taxe professionnelle unique (TPU),
on entre dans un régime d'interdépendance. Communes et groupement
sont juridiquement indépendants, mais financièrement
interdépendants.
Je me propose de vous présenter une illustration concrète de
cette question, qui nous amènera au problème essentiel de la
déliaison des taux. Lorsqu'une commune rencontre des difficultés
financières ou craint d'en subir, elle réunit son bureau en
février et décide d'augmenter les taux. Cette mesure est
politiquement douloureuse, mais elle produit des rentrées
immédiates. Désormais, au sein de l'intercommunalité, la
commune devra négocier avec les autres communes du groupement, ce qui
impliquera une inertie de deux ans entre la décision et ses
conséquences financières.
La question de l'interdépendance se pose donc de manière
aiguë, d'autant plus que l'intercommunalité ne jouit d'aucune
légitimité politique partagée pour institutionnaliser des
négociations portant sur les taux d'imposition, l'endettement,
l'investissement, les transferts ou la qualité des services publics
à travers la définition de l'intérêt communautaire.
Ma préférence va à une réforme de l'assiette de la
fiscalité locale, plutôt qu'à une simple déliaison
des taux, car les assiettes (et notamment celle de la taxe professionnelle) ne
sont pas aujourd'hui suffisamment favorables au secteur public local.
Comme je l'avais indiqué dans l'article des
Echos
il y a trois
ans et demi, j'estime que la question n'est pas suffisamment débattue de
l'archaïsme des impôts locaux et du moindre contrôle
exercé par l'administration fiscale sur ces impôts, par rapport
aux impôts nationaux. A titre d'exemple, lorsque la taxe professionnelle
était assise sur les immobilisations et les salaires, le degré de
contrôle était élevé, grâce aux
contrôles stricts exercés par l'administration fiscale sur
l'assiette salariale. La suppression de la part salaires a engendré un
amoindrissement du degré de contrôle, car les immobilisations font
en général l'objet d'un contrôle beaucoup moins approfondi.
La suppression de la vignette en 2000 correspond de même à la
suppression d'un impôt parfaitement contrôlable et non
dissimulable, car assis sur la circulation automobile.
La question d'actualité est donc celle du changement d'assiette. Vous
posez la question classique de l'imposition de la valeur ajoutée, et des
difficultés de mesure qui s'y attachent. Ces difficultés peuvent
être contournées, par exemple en fixant une taxe professionnelle
assise sur la valeur ajoutée nationale des entreprises,
pondérée par la masse salariale et éventuellement les
immobilisations foncières présentes sur le territoire de chaque
collectivité.
Au-delà de l'archaïsme et de la moindre croissance de l'assiette,
le problème est que les collectivités ne sont plus
incitées à attirer les activités de main-d'oeuvre sur leur
territoire. La construction de logements peut sembler préférable,
dans la mesure où elle rapporterait davantage de taxe d'habitation que
l'installation de nouvelles activités économiques n'apporterait
de taxe professionnelle. Il faut donc réintroduire indirectement les
salaires dans l'assiette.
M. le Président
- Désirez-vous interroger notre
intervenant ?
M. Eric DOLIGÉ
- Je souhaitais confirmer que la suppression de la
part salaires de la taxe professionnelle a modifié la façon dont
je gérais l'apport d'activités nouvelles sur le territoire de ma
zone industrielle. J'ai privilégié le bâti et la taxe
foncière plutôt que le nombre d'individus, puisque l'augmentation
de ce nombre entraîne la nécessité de créer des
écoles et des services publics. Il est donc vrai que la suppression de
la part salaires a eu un fort impact sur les choix politiques.
Il arrive aussi qu'une entreprise change de raison sociale en fin
d'année pour échapper à la taxe professionnelle. Il
revient alors à l'Etat de compenser cette perte pour les
collectivités, ce qui représente un coût très
élevé.
M. le Président
- Et par conséquent, les
collectivités sont désormais obligées de recourir
elles-mêmes à des experts pour traquer les évasions
fiscales.
M. Joël BOURDIN
- Concernant l'évaluation des bases, je
souhaite savoir quelle est votre opinion sur le mode d'évaluation
appliqué au Québec. Dans cette région, 90 % des
recettes fiscales des collectivités territoriales proviennent d'un
impôt foncier, mais la base de l'imposition est évaluée au
regard de la valeur de marché. Que pensez-vous de ce système
d'évaluation par rapport à notre système
archaïque ? J'y suis, pour ma part, tout à fait favorable.
Comment envisagez-vous la période transitoire si jamais nous
décidions de passer d'un système à l'autre ?
M. Yves FRÉVILLE
- Je souhaite revenir sur la taxe
professionnelle. Je me demande si cette taxe donne de bons signaux aux
électeurs contribuables. En effet, un impôt local est bon si
l'augmentation du taux de taxation locale suit celle de la dépense.
Actuellement, la taxe professionnelle a deux assiettes : une assiette
nationale et une assiette locale. Or, tantôt c'est l'assiette nationale
qui joue, avec le plafonnement à la valeur ajoutée ou à la
cotisation ; tantôt c'est l'assiette locale. Le problème est
le même pour la taxe d'habitation. Je remarque que la plupart de nos
impôts locaux ne sont plus ressentis comme tels par les contribuables,
parce qu'ils raisonnent pour leur part en termes d'impôt national. Cela
est notamment vrai pour les habitants et les entreprises installés dans
des villes fortement imposées. Notre système de fiscalité
locale ne fonctionne donc plus. Ne devrions-nous pas revenir à un
système plus clair ? Un impôt local doit être local.
S'il existe une assiette valeur ajoutée, il faut que cette valeur
ajoutée soit locale.
M. Roger KAROUTCHI
- Je souhaite savoir si M. Klopfer a
réfléchi à la question des transferts d'impôts. Le
gouvernement réfléchit par exemple actuellement au transfert
d'une part de la taxe intérieure des produits pétroliers (TIPP).
Pour la région Ile-de-France, par exemple, le transfert de 10 % de
la TIPP signifierait un transfert de 400 millions d'euros par an en
moyenne. Or, le cadre de l'autonomie fiscale ne fixe pas les conditions de ce
transfert. La région recevrait donc une part de la TIPP sans que nous
soyons l'autorité fixant les taux d'imposition. Avez-vous
réfléchi à la façon de transférer une partie
des ressources de l'Etat vers les régions, avec la possibilité
pour les régions de fixer les taux de transfert ? Dans ce
cadre-là, comment s'appliqueraient les péréquations entre
les régions considérées comme riches et les autres
régions ?
M. Michel SERGENT
- La fiscalité est une question toujours
délicate. Pendant des années, concernant la taxe professionnelle,
nous estimions que l'assiette salaire était pénalisante pour la
création d'emplois. Or, nous nous apercevons que sa suppression a aussi
ses effets pervers.
Je souhaite aborder la question de la taxe professionnelle unique. Il me semble
que cette taxe ne pose pas problème pour les communautés
d'agglomérations. Au contraire, s'agissant des communautés de
communes, la taxe professionnelle est un outil difficile et qui
génère des conflits. J'estime d'ailleurs que nous ne sommes qu'au
début de ces conflits. J'aimerais connaître le sentiment de M.
Klopfer sur ce problème. A partir du moment où une
ingénierie fiscale pourra être mise en place, de nombreux conflits
d'intérêts apparaîtront car, pour la première fois,
les impôts d'une collectivité locale pourront dépendre
d'une autre collectivité. Cette question pose d'autant plus
problème qu'il n'y a pas forcément de représentation
proportionnelle dans les communautés de communes. Une commune importante
peut facilement faire en sorte de supprimer un ou deux ans à l'avance
les moyens dont disposent les autres communes pour percevoir la taxe
professionnelle de la communauté. Je constate de plus en plus ces
problèmes dans les communautés de communes, notamment dans les
petites communautés.
M. Claude BELOT
- Ma première question rejoint quelque peu celle
de M. Karoutchi. La TPU est une recette unique pour les communautés
d'agglomérations. En revanche, dans les communautés de communes,
notamment les communautés rurales, la TPU est extrêmement
difficile à mettre en place et engendre de nombreux conflits. Les
communes peuvent alors ne pas réussir à se mettre d'accord ou
décider sciemment de ne pas mettre en place cette taxe. D'autres
problèmes se posent. Les bases de la taxe professionnelle par habitant
sont beaucoup plus faibles en zone rurale qu'en zone urbaine. En fait, aucune
simplification n'est introduite puisque nous sommes obligés de maintenir
des taxes additionnelles parallèlement aux autres taux. Les seules
raisons pour lesquelles nous pouvons être conduits à faire le
choix de la TPU, qui a par ailleurs des conséquences destructrices, sont
à la rigueur le gommage des effets de seuil au niveau de
l'intégration fiscale.
Ma deuxième question porte sur la déliaison des taux, qui va
être inscrite dans la loi de finances 2003, ce qui me paraît
être un point positif. Toutefois, avons-nous quelque idée des
modalités d'application de cette déliaison ? Je suppose que
la commission des finances du Sénat prendra part à ce
débat important.
En troisième lieu, nous vivons dans un système de
déresponsabilisation des collectivités territoriales. Les charges
des collectivités territoriales ont progressé, alors que les
recettes que nous pouvons maîtriser ont fortement diminué. Il y a
donc peu de recettes sur lesquelles nous pouvons jouer et un surcroît
soudain de charges. Des masses considérables sont en jeu, d'ailleurs
souvent sous-estimées. Finalement, nous sommes contraints de recourir
aux « quatre vieilles ». Je pense qu'une réflexion
sur les collectivités doit être menée, et que le
Sénat est peut-être le lieu où ce débat doit se
tenir.
M. le Président
- Je souhaite pour ma part interroger M. Klopfer
quant à la volatilité des assiettes fiscales. Nous vivons
à l'heure des délocalisations, et un certain nombre d'acteurs
économiques peuvent être naturellement tentés d'aller se
faire assujettir là où les taux sont les plus avantageux. C'est
un phénomène tout à fait nouveau. Nous devons être
conscients de la compétition que se font les territoires entre eux,
chaque territoire s'efforçant d'être plus attractif que l'autre
sur le plan fiscal.
J'ai noté vos observations sur la taxe professionnelle. La valeur
ajoutée dans une entreprise est constituée des salaires et d'une
quotité des investissements amortis chaque année. En choisissant
de revenir à la valeur ajoutée, nous réintégrons
donc la masse salariale. En moyenne, la taxe professionnelle représente
à peu près 3 % des salaires versés par les
entreprises. Alors que nous voulons développer les politiques favorables
à l'emploi et réduire le coût du travail, il faut
être conscient que toute taxe professionnelle assise sur la valeur
ajoutée est une taxation supplémentaire du travail, et donc un
encouragement à la délocalisation de la matière imposable.
J'aimerais connaître votre avis sur ce point particulier, ainsi que sur
les différents impôts imaginables. Quels sont ceux qui sont par
nature aisément localisables et relativement stables ? La TIPP est
parfois évoquée. Mais comment localiser la consommation
d'énergie, et donc la taxe ? Les stations-service ont pratiquement
disparu de certaines régions de Lorraine car les habitants
préfèrent aller faire le plein de leur voiture au Luxembourg. De
même, nous avons pu constater le problème qui s'est posé
lors de la suppression de la vignette automobile. La Marne s'est opposée
fermement à cette décision car elle avait réussi à
attirer une part importante des immatriculations de véhicules. Le
facteur volatilité de l'assiette fiscale me paraît donc devoir
être pris en considération dans tous les projets de réforme
à venir.
M. Yves FRÉVILLE
- Notre système fiscal local est
construit sur la parité entre les impôts frappant les entreprises
et les impôts frappant les ménages. Nous nous rendons compte,
à travers les propos du président, que les impôts locaux
frappant les entreprises sont presque condamnés.
M. le Président
- Je le crois en effet.
M. Yves FRÉVILLE
- Dans ce cas, quels impôts pouvons-nous
imaginer pour taxer les ménages ?
M. le Président
- Est-ce que la fiscalité locale doit
être un pacte entre les citoyens et la collectivité
territoriale ? En d'autres termes, ayons le courage de sortir de cette
fiction qui faisait transiter l'impôt par les entreprises, et de faire de
chaque citoyen le contribuable participant aux frais de la collectivité
territoriale.
M. Roger KAROUTCHI
- L'entreprise est également citoyenne.
M. le Président
- Vous avez raison, mais elle est
également extrêmement mobile et mortelle. Dans certains cas, une
entreprise qui ne se délocalise pas se condamne à
disparaître du marché.
M. Michel KLOPFER
- Je répondrai dans l'ordre aux questions qui
m'ont été posées, en commençant par la question du
Sénateur Bourdin. Je pense qu'effectivement, nous disposons de deux
outils pour réactualiser les valeurs cadastrales : le marché
de l'immobilier des mutations et le marché de l'immobilier locatif. Il
existe des prix au mètre carré pour les transactions et des prix
au mètre carré par mois pour les locations. Je pense que le
marché de l'immobilier ne manque pas de professionnels et qu'il est
aujourd'hui bien cerné.
Mais à partir du moment où nous effectuerons une
réactualisation complète du système, certains
contribuables verront leur impôt augmenter de plus de 200 % et
d'autres le verront baisser de plus de 70 %. Dans ce cadre, allons-nous
simplement appliquer la règle mathématique ou choisissons-nous de
ne pas l'appliquer à la lettre, comme cela est le cas dans de nombreux
dispositifs de fonds de péréquation ? En tout cas, des
réformes s'imposent.
Le Sénateur Fréville m'a interrogé sur la valeur
ajoutée locale. La valeur ajoutée locale n'existe pas. En effet,
depuis que les barrières d'octroi ont été
supprimées en France, les transactions entre des unités
industrielles, commerciales ou de service de la même entreprise ne
peuvent plus être individualisées. Les seules entreprises qui
pourraient être pénalisées par le principe de valeur
ajoutée locale sont les petites entreprises qui ne possèdent
qu'un seul site, car elles seraient alors obligées de payer leur valeur
ajoutée totale sur un seul site.
Un impôt à taux unique supprime l'autonomie fiscale. C'est
l'idée de M. Pierre Richard, que je ne partage pas du tout. A partir du
moment où il existe un impôt à taux unique, cela revient
à une dotation d'Etat, qui est simplement indexée sur un
élément extérieur à l'action de l'Etat. Il n'y a
donc plus d'autonomie fiscale.
M. Yves FRÉVILLE
- Pourtant, c'est actuellement le cas ! Le
plafonnement à la valeur ajoutée est un impôt à taux
unique. Seulement, les collectivités territoriales estiment que c'est
leur taux qui compte.
M. le Président
- C'est l'Etat qui paye.
M. Yves FRÉVILLE
- En effet, c'est l'Etat qui paye.
M. le Président
- L'Etat est le premier contribuable de la taxe
professionnelle.
M. Michel KLOPFER
- Les hausses de taux décidées sur la
taxe professionnelle par les collectivités ne sont plus prises en compte
depuis 1995 sur le plafonnement à 3,50 %, 3,80 % ou
4 % de la valeur ajoutée. Les seules hausses de taux qui sont
prises en compte sont celles produites par la taxe professionnelle unique
lorsqu'il y a convergence.
Si vous ajoutez le taux de la communauté d'agglomérations
d'Avignon à celui du département du Vaucluse, qui est
relativement important, vous vous rendez compte que toutes les entreprises sont
pratiquement plafonnées à la valeur ajoutée. Toutefois,
elles dépendent des décisions des collectivités. Si les
collectivités augmentent leur taux, l'entreprise paye au-delà du
plafond.
M. le Président
- M. Karoutchi avait posé une question sur
la TIPP.
M. Michel KLOPFER
- Je ne suis pas suffisamment expert en matière
de réglementation communautaire pour lui répondre avec
précision. La TIPP est un impôt sur la consommation
d'énergie. Il existe déjà un autre impôt sur la
consommation d'énergie, qui est la taxe additionnelle aux consommations
EDF. Cette taxe est plafonnée à 8 % : elle est donc
assimilable à une dotation de l'État. Mais elle pourrait
très bien être déplafonnée. Si demain ce taux est
déplafonné, ou si chaque région, en supposant que cela
n'enfreigne pas les réglementations communautaires, est autorisée
à fixer son taux, il s'agira alors d'un véritable impôt.
Nous sommes en effet confrontés à la concurrence des pays
limitrophes. Le Nord-Pas-de-Calais est particulièrement menacé
par la Belgique car les stations belges affichent des prix nettement plus bas
que les stations françaises.
M. le Président
- Il est vrai que la taxe sur
l'électricité a un produit non négligeable. En outre, elle
sert d'assiette à la TVA. Etant donné qu'il s'agit d'un taux
plafonné, c'est en fait un taux unique.
M. Michel KLOPFER
- Cette taxe étant liée à
l'indice des prix, elle engendre nécessairement une contrainte sur Bercy.
M. le Président
- Nous sommes moins contraints depuis que le
marché de l'électricité est ouvert à la
concurrence. Par ailleurs, vous n'avez pas répondu aux observations de
M. Sergent et de M. Belot.
M. Michel KLOPFER
- Le Sénateur Karoutchi m'avait
également interrogé sur la péréquation. Deux formes
de péréquation sont possibles. La première passe par les
dotations d'Etat (DSU, DSR, FNP). La seconde a été mise en oeuvre
plus récemment et passe par des transferts obligatoires entre
collectivités, par exemple le Fonds de solidarité des communes de
la région Ile-de-France (FSRIF) en région Ile-de-France et le
Fonds de compensation des déséquilibres régionaux.
Supposons que les collectivités obtiennent une plus grande autonomie
fiscale, c'est-à-dire une part plus importante de leurs ressources
procurée par des impôts sur lesquels elles peuvent agir. La
contrepartie évidente est que l'Etat instaurera des mécanismes de
transfert obligatoire, généralisant pour les communautés
ce qui existe pour la région Ile-de-France, l'étendant aux
départements et l'intensifiant pour les régions. Car il n'y aura
plus suffisamment de ressources de dotations pour faire de la
péréquation par ce canal : des transferts obligatoires
seront indispensables.
Concernant la taxe professionnelle unique, je partage effectivement l'avis qui
a été exprimé, mais je n'ai pas de réponse à
vos interrogations. La TPU est en effet un très bel outil pour le milieu
urbain, mais les ressources sont insuffisantes en milieu rural pour pouvoir
réellement bâtir le développement économique sur
cette taxe. C'est d'ailleurs ce qui nous a encouragés à
introduire cette possibilité de fiscalité mixte. En particulier
au Sénat, l'argumentation avait été de souligner que, pour
permettre le développement économique, il fallait
déjà accepter de recourir à la taxe professionnelle pour
dégager des ressources. Bercy avait répondu que les ressources du
développement économique pouvaient être
prélevées sur les ménages. Mais afin de s'assurer que ces
ressources ne retombent pas sur les communes, Bercy avait interdit de mettre en
place ou de majorer, si elle existait, une dotation de solidarité. Cela
signifie qu'il peut exister une fiscalité mixte, à condition de
la faire payer aux contribuables. Je pense que nous sommes en présence
aujourd'hui d'un système national qui ne me semble plus
réversible, mais qui se prête mal au milieu rural. En effet, les
communes rurales ne disposent pas de ressources suffisantes. Si une commune
pèse suffisamment lourd dans une communauté en matière de
base d'impôt-ménage pour interdire à la communauté
d'augmenter ses taux, elle ne sera pas majoritaire au sein de
l'assemblée communautaire pour interdire la mise en place d'une
fiscalité mixte. Elle risque donc d'être perdante si elle fait
preuve de trop d'intransigeance.
M. le Président
- Que répondez-vous à la question
relative à la volatilité des assiettes fiscales ?
M. Michel KLOPFER
- La volatilité concerne les assiettes, les
flux et les droits de mutation.
M. le Président
- J'ai souvenir par exemple d'une entreprise de
travail temporaire qui a décidé de déplacer tous ses
bureaux dans une commune dont la taxe professionnelle était pratiquement
nulle. Du jour au lendemain, trois mille salariés sont arrivés
dans une petite commune. Cette décision a été prise alors
que le gouvernement avait décidé de sortir les salaires de la
base de la taxe professionnelle. L'exemple de cette entreprise montre qu'il est
possible de profiter de certaines opportunités pour échapper
à l'impôt.
M. Michel KLOPFER
- Je peux vous faire part de mon expérience de
terrain dans ce domaine. Il nous a été demandé, dans le
cadre de la mise en place d'une taxe professionnelle unique, de mener des
entretiens à la chambre de commerce et avec le groupement patronal. De
toute façon, les experts du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
ne se frotteront jamais ouvertement les mains d'évolutions
financières qui leur seraient favorables. Il n'en reste pas moins que
les salaires représentaient 34 % de l'assiette de la taxe
professionnelle et qu'ils auront totalement disparu de cette assiette
l'année prochaine. Même si nous prenons en compte les
prélèvements supplémentaires mis en place par l'Etat sous
la forme d'une augmentation des cotisations de péréquation, il y
a tout de même une baisse de 30 % de la taxe professionnelle.
Aujourd'hui, en dehors d'établissements importants, qui ont par
définition des bases d'immobilisations très lourdes et qui ne
sont donc pas mobiles, je ne pense pas qu'il soit possible d'affirmer que la
taxe professionnelle est un argument décisif pour qu'une entreprise
s'installe sur un site plutôt que sur un autre. Dans certaines villes du
Midi, les taux de taxe professionnelle communaux et intercommunaux
s'élèvent à 26 ou 27 %, alors que les zones
artisanales, commerciales et industrielles de ces villes sont parmi les plus
remplies, parce que les aspects logistiques priment.
L'avantage de l'impôt sur la valeur ajoutée est qu'il est
parfaitement contrôlable, puisqu'il sert de base au principal impôt
levé par l'Etat, c'est-à-dire la TVA, qui représente
111 milliards d'euros dans le budget de cette année. Il est clair
que l'évasion fiscale sera beaucoup moins importante concernant
l'impôt sur la valeur ajoutée. Cet impôt aura bien-sûr
une incidence sur les salaires, car les salaires seront pris en compte dans
l'assiette, de même que les résultats, c'est-à-dire la
production moins les charges.
M. le Président
- Prenons l'exemple d'un groupe qui opère
sur le territoire européen. Il sera tenté de surfacturer ce qu'il
produit dans d'autres pays afin de réduire corrélativement la
valeur ajoutée de sa production française.
M. Michel KLOPFER
- J'estime que les critères sociaux au sens
large, et notamment le critère du coût du travail, sont
aujourd'hui prépondérants dans la stratégie des
entreprises. Ils priment sur des facteurs comme la fiscalité locale.
J'en suis absolument convaincu.
M. le Président
- Comment allez-vous mesurer la valeur
ajoutée des entreprises qui possèdent de multiples
établissements et qui déclarent leur valeur ajoutée en un
seul endroit ?
M. Michel KLOPFER
- Le bilan de l'entreprise fait apparaître la
valeur ajoutée, qui est l'assiette globale à partir de laquelle
va être calculé l'ensemble de la taxe professionnelle levée
sur l'ensemble du territoire. Cette valeur ajoutée serait alors
pondérée par les bases « salaires », et
éventuellement « immobilisations ». En effet, il ne
faut pas pénaliser les sites qui comprennent de très grosses
immobilisations industrielles, qui sont parfois sources de nuisances, sans
parler des sites SEVESO. La valeur ajoutée nationale serait donc
pondérée en fonction de bases locales. Ainsi, les salaires
procurent localement des ressources aux collectivités qui lèvent
l'impôt, mais ne pénalisent pas l'entreprise. En effet,
l'entreprise ne paye globalement qu'une assiette nationale. De toute
façon, l'Etat peut collecter l'impôt au niveau national et le
reverser localement.
Je n'ai pas réellement d'avis quant à l'ampleur de l'augmentation
du taux de TVA. Si une personne m'avait interrogé, indépendamment
de la réforme, sur le correctif que je souhaitais voir apporter à
la loi actuelle, j'aurais souligné que les possibilités
d'augmenter les taux ne sont pas « conservatives ». J'ai
rencontré par exemple il y a quelques semaines le président d'une
communauté d'agglomérations. Les communes de ce groupement ont
augmenté de 3 % en moyenne en 2002 leur fiscalité pesant sur
les ménages. J'ai indiqué au président qu'il devait
augmenter sa taxe professionnelle de 3 % en 2003 et que, s'il ne le
faisait pas, il perdrait ces 3 %. Cette réforme technique,
c'est-à-dire rendre les possibilités d'augmentation
« conservatives », aurait très bien pu être
mise en oeuvre depuis très longtemps. Pour le reste, je suis
personnellement partisan, et je crois aussi qu'il serait dans
l'intérêt politique des élus de réformer l'assiette
et d'y introduire davantage de dynamisme, plutôt que de permettre des
augmentations de taux.
M. le Président
- Il me reste, Monsieur, à vous remercier
au nom de la commission des finances.
Le vice-président, M. Roland du Luart, va maintenant présider la
séance de la commission.