ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Philippe BODSON
Quel raisonnement a mené la Commission européenne à
accepter le rapprochement entre Eon et Ruhrgas ? Cela concerne tout de
même la création d'une entité extrêmement puissante...
Dominique RISTORI
La Commission ne s'est pas prononcée, elle a simplement
considéré que cette affaire concernait l'Allemagne, ce qui n'est
pas exactement la même chose.
Mais en Allemagne, cette affaire n'est pas encore définitivement
conclue. Nous suivons de très près ce dossier qui est encore loin
de sa phase finale. Nous sommes notamment attentifs à des points bien
identifiés, qui touchent le problème d'abus de position
dominante, celui des marchés relevants, gaziers et électriques en
l'occurrence, ou la part du chiffre d'affaires sur les marchés national
et européen ; c'est sur la base de ces critères bien connus
que la Commission pourrait être amenée à intervenir .
Je profite d'avoir la parole pour réagir aux propos de M. Stoffaës.
Je ne crois pas que des développements très spécifiques en
cours au niveau du Tribunal de première instance ou de la Cour de
Justice soient de nature à remettre en cause, en quoi que ce soit, le
fondamental de la ligne qui a été celle de la Commission depuis
le début, qui concerne la mise en place d'un cadre concurrentiel bien
compris en Europe. Cela a d'ailleurs été très
bénéfique à l'économie européenne en
général, à la compétitivité de laquelle
d'ailleurs tous nos débats, dont celui-ci, sont liés.
Christian STOFFAES
Nous sommes face à un théâtre d'arguments. Je propose, en
ce qui me concerne, d'élaborer une base d'arguments rationnels et
raisonnables susceptibles de nous donner une image positive. L'argument de la
procédure accusatoire en matière antitrust fait partie de la
conception libérale du droit. A mon sens il devrait être mis en
avant. Il pourrait en être de même avec celui de la non-ouverture
du réseau de transport allemand. Sortons d'un positionnement
défensif. Tant pis si on nous attribue le mauvais rôle, personne
n'est sans reproche. Nous savons qu'il n'y a pas de vérité
scientifique absolue, seule une bonne argumentation est efficace :
fourbissons-la pour en sortir. Il est temps pour la France de la faire valoir.
Philippe BODSON
Je rappelle que, lorsqu'en Belgique il y a eu rapprochement entre le gaz et
l'électricité, la Commission n'a pas attendu que
l'autorité nationale tranche : elle s'est directement saisie du dossier.
Serait-il donc normal que la Commission présente des différences
de comportement face à un "grand" pays et face à un "petit"
pays... ?
Jean-Sébastien LETOURNEUR
, Président de l'UNIDEN
J'adhère aux propos de Monsieur Stoffaës lorsqu'il dit que tout va
bien si le transport est bien séparé. Cela fonctionne
effectivement très bien pour l'électricité.
Mais pour le gaz, si l'on considère que le transport, ce sont les tuyaux
et les pompes, on risque de passer à côté du
problème, dans la mesure où l'on oublie le stockage et les
terminaux méthanier. Ce point important commande la non-discrimination
en matière de gaz. J'aimerais connaître l'avis de Monsieur Ristori
sur cette question.
Dominique RISTORI
Je suggérerais tout d'abord à notre collègue belge de
demander aux autorités allemandes leur avis sur les relations de
l'Allemagne avec la Commission européenne : la réponse risque
d'être édifiante.
En ce qui concerne ce problème du gaz, je souscris largement à la
position de M. Letourneur. Beaucoup de discussion concernant la première
directive ont eu lieu sur cette question du stockage. C'est un des points qui
fait et fera l'objet de négociations à l'occasion de la nouvelle
directive gaz.
En ce qui concerne le transport de l'énergie, il ne peut pas être
laissé aux seules forces du marché. Ce serait mettre en danger le
bon fonctionnement du marché intérieur. Mais il ne peut pas non
plus être abandonné entre les mains d'une seule entreprise
verticale en situation de monopole, sous peine de gêner les nouveaux
entrants. Nous nous efforçons de définir des points
d'équilibre au travers de l'approche de la séparation juridique
que nous avons proposés. De ce point de vue la France n'est pas le
modèle négatif en Europe ! Elle l'est par contre quand elle ne
transpose pas la directive gaz, se mettant ainsi hors de la loi
européenne, ce qui affecte la sécurité juridique tout
entière.
Mais lorsque son gestionnaire de transport électrique opère dans
les meilleures conditions possibles en l'état actuel du droit, sous le
contrôle de son autorité de régulation, nous le saluons,
comme nous saluons la pertinence du débat général en
France sur la politique énergétique.
Christian STOFFAES
La question posée est : peut-on intégrer des installations de
haute technologie pour le stockage, des usines de liquéfaction et des
terminaux à l'infrastructure monopolistique qu'est le réseau de
gazoducs ? Comme pour la question de l'antitrust, c'est une question de
débat et d'argumentaire. Voyons l'exemple d'Enron, transporteur à
l'origine de gaz régulé, c'est-à-dire obligé de
transporter pour compte de tiers et contraint au principe de
spécialité, moyennant un tarif transparent. C'est l'abrogation au
milieu des années 1980 du système de régulation qui a
permis à Enron de devenir un trader, avec le succès et la chute
finale que l'on sait. Le système européen actuel est un
système de trading, du fait que les entreprises gazières sont des
transporteurs qui ont le monopole d'importation. La question de l'introduction
de la notion d'accès transparent aux réseaux de transport, peut
alors se poser : c'est-à-dire la transformation des acteurs gaziers en
établissements publics ou quasi publics régulés.
Jean-Sébastien LETOURNEUR
Précisons que les tuyaux internationaux ne font pas partie de ce
débat. Nous parlons du transport sur un territoire national, par
exemple. C'est cela qui doit être séparé et mis à
l'abri de tous les intérêts.
Dominique DRON
, présidente de la Mission
interministérielle de l'effet de serre
Nous parlons de politique énergétique, et surtout beaucoup
d'offre énergétique. Une politique énergétique
détermine les offres en fonction des quantités de besoins ou de
demandes, mais aussi en fonction de la nature et de la substituabilité
possible des énergies. On a rappelé la montée de la
dépendance énergétique de l'Europe, mais sans mentionner
que cette montée était due pour plus de 90 % à la
croissance de la consommation des transports, passagers et fret.
M. Ristori a souligné la nécessité pour l'Europe de
veiller à sa compétitivité énergétique.
Comment l'Union européenne conçoit-elle de répondre
à cette nécessité, compte tenu que le temps de turn-over
des technologies pauvres en carbone est tel que nous ne résoudrons pas
notre problème avec cela ?
Dominique RISTORI
Dans les derniers mois, nous avons progressé plus que quiconque en ce
qui concerne la mise en place d'un cadre réglementaire pour la
maîtrise de l'énergie et pour les énergies renouvelables.
Nous souhaitons par ailleurs non seulement la diversification des choix
énergétiques, mais aussi que soit encouragée l'utilisation
des sources d'énergie qui contribuent à la fois à notre
moindre dépendance énergétique et à ne pas aggraver
notre production de CO².
En ce qui concerne le transport, nous avons proposé une révision
drastique de la politique des transports en direction du rail (notamment pour
le fret), ce qui devrait permettre de progresser sur une ligne plus compatible
avec les accords de Kyoto.