2. Le risque d'une désertification « sèche » ...
a) Il n'existe souvent pas d'alternative à l'occupation de l'espace par l'élevage ...
Comme le soulignait une personnalité entendue par la mission d'information : le vide appelle le vide. De son côté, le rapport « Mordant » considère que le départ anticipé des éleveurs, qui s'interrogent sur leur avenir au point de souhaiter quitter leur activité, risque de « déstabiliser la vie rurale » 17 ( * ) .
De fait, les travaux de votre mission d'information l'ont clairement montré : dans bien des régions, l'élevage constitue une activité de « dernier recours » dans les terroirs les moins propices aux grandes cultures fortement mécanisées . C'est donc à très juste titre que dans une délibération relative à la filière élevage, du 1 er février 2002, le Conseil régional Poitou-Charentes note que l'avancée des grandes cultures (qui sont les moins favorables au développement de l'emploi agricole, du fait de la mécanisation), a pour conséquence de cantonner l'élevage (herbager notamment) dans des zones où les conditions naturelles ne permettent pas d'autres activités .
En Lozère , votre mission d'information a constaté que la problématique de la gestion et de l'entretien du territoire est essentielle. La surface agricole utilisée représente 54 % de la surface totale du département (281.000 hectares) tandis que la forêt couvre près de 44 % du même territoire. Au total, la surface non urbanisée représente 98 % du territoire lozérien . La production de fourrage, qui occupe 95 % de la SAU, est garante de la lutte contre l'enfrichement, ce qui est d'autant plus important que le territoire lozérien perd de 400 à 500 hectares par an de ce fait.
L'insuffisance du nombre de droits PMTVA (48.200 primes pour plus de 56.000 demandes) est d'autant plus grave que la diminution du troupeau ovin fait sentir son incidence très négative, car 30 % des exploitations détiennent des ovins. Dans ce contexte, comme l'ont fait observer les interlocuteurs de votre mission d'information lors de leur réunion au Massegros : « chaque suppression de troupeau s'accompagne d'un développement de la friche ».
En Aveyron , on observe un phénomène tout à fait analogue, puisque les cultures herbagères prédominent sur des terrains inconvertibles à d'autres activités.
De ce fait, le pouvoir d'achat global diminue dans des zones où il est déjà faible ce qui a une incidence catastrophique sur l'ensemble de l'économie locale : des services qui sont « calibrés » dans des centres-bourgs ou des chefs lieux de cantons pour tout un bassin de vie (écoles, bureaux de poste, auto-école, commerces, perceptions ...) sont appelés à disparaître.
En outre, dans des régions comme le Massif Central, les territoires sont difficiles d'accès, les infrastructures de communication étant insuffisantes. Or les éleveurs ont besoin de ces moyens de communication (routes) pour exercer leur métier.
Un risque de désertification « sèche » car il n'y a pas d'alternative industrielle pour créer de l'activité économique. Faute d'entreprises et d'industrie apparaît un problème d'équilibre démographique. Lorsqu'il y a des alternatives industrielles, certains demeurent pluriactifs, l'agriculture étant un revenu d'appoint pour ceux qui travaillent à l'usine.
Au total, comme le soulignait la FNSEA dans le rapport adopté par son 56 ème congrès fédéral en mars 2002, la question est désormais de savoir si l'on souhaite que l'agriculture soit présente sur tout le territoire ou si l'on souhaite la cantonner à quelques bassins de production.
Certaines régions naturelles se trouvent dans l'impossibilité matérielle d'accueillir des activités autres que l'élevage. Comme le souligne, par exemple, la chambre d'agriculture de la Corrèze , du fait des conditions géographiques et géologiques et de la présence de sols acides, légers et caillouteux et d'un climat rigoureux, l'élevage des herbivores y constitue une activité obligée.
La Corrèze appartient également au grand bassin allaitant dans lequel l'élevage joue un rôle essentiel au maintien de l'équilibre de l'économie rurale. Une observation analogue vaut dans des régions telles que la Lorraine où l'élevage ovin et bovin demeure un facteur déterminant de l'occupation des espaces ruraux, notamment du fait des conditions pédo-climatiques.
Il convient de noter que l'élevage allaitant joue également un rôle irremplaçable dans des zones non spécialisées, dites « zones intermédiaires ». Ainsi, comme les membres de la mission d'information ont pu le constater lors de leur déplacement dans les départements de Meurthe-et-Moselle et des Ardennes , les vaches allaitantes sont indispensables pour valoriser les importantes surfaces toujours en herbe de ces zones, qui correspondent à des terres trop fraîches pour être labourées et donc cultivées.
Dans les zones sèches soumises à un climat méditerranéen du Languedoc-Roussillon, le maintien des activités d'élevage est indissociable de l'équilibre du territoire. La singularité de l'élevage ovin dans ces zones tient à son caractère extensif et pastoral caractérisé par un taux de chargement par exploitation inférieur à 0,3 UGB par hectare, soit moins de deux brebis à l'hectare. Il permet l'entretien de zones composées de terrains de parcours, de pelouses, de landes et de bois mêlés.
Dans la région Languedoc-Roussillon , cet élevage permet de maintenir une activité dans une zone de montagne naturellement défavorisée par rapport aux zones urbaines qui concentrent 70 % de la population régionale.
b) ...qui constituerait une perte quasi-culturelle
Dans certaines régions naturelles, l'élevage allaitant fait partie intégrante de l'« identité territoriale » : sa disparition aurait une conséquence durable sur l' attractivité du territoire et sur son image .
C'est ainsi qu'en Saône-et-Loire , la présence de vaches charolaises constitue un élément déterminant de l'agriculture locale et de la culture rurale, d'autant que le département est le berceau historique de cette race. On y compte, plus de 220.000 vaches, composant le premier troupeau allaitant de France , conduit dans 4.000 élevages, principalement situés dans la moitié ouest du département où les trois-quarts des exploitations sont orientées vers les « bovins-viande ». La présence de ce troupeau bovin structure l'ensemble de l'économie rurale des régions naturelles qui ne sont pas dédiées à la vigne, et sa disparition aurait des conséquences désastreuses sur l'économie locale.
De la même façon, dans le Doubs, la présence de filières fromagères comprenant des AOC prestigieuses (comté, Mont-d'Or, Morbier), et l'industrie de la salaison (saucisses de Morteau et de Montbéliard) ont une incidence indéniable sur la structure de l'économie locale. L'image de ce département est, aux dires mêmes de ses élus, intimement liée à la valorisation des savoir-faire et à l'accroissement d'une valeur ajoutée locale qui repose largement sur l'économie de l'élevage.
En Aveyron , département dont la géographie est caractérisée par la présence de « montagnes à vaches », l'élevage conditionne l'entretien des espaces et l'apparence d'un environnement qui mise fortement sur le tourisme , en s'appuyant sur une agriculture dont l'avenir est fortement dépendant du devenir du troupeau allaitant : si 90 % des exploitations sont orientées vers l'élevage, 45 % des productions animales sont orientées vers des productions allaitantes.
* 17 M. Jambou, J. Mordant, J.-L. Porry, Quel avenir pour l'élevage allaitant , p. 21.